Un exemple significatif de l’état d’esprit qui va avec la ville comme nouvelle forme sociale, c’est la peinture de Margot la folle, ou Dulle Griet, Griet est le diminutif flamand du prénom Marguerite en français. C’est une personnage du folklore de la ville de Gand, et le tableau représente le proverbe disant : « elle pourrait piller l’enfer et en revenir indemne ». On a ici Margot pillant l’enfer.
Il y a également un dicton d’Anvers de l’époque disant que :
« Une femme seule fait du boucan, deux femmes causent beaucoup de difficultés, trois femmes se rassemblent uniquement pour faire du commerce pour un marché annuel, quatre femmes mènent à la dispute, cinq femmes forment une armée et pour lutter contre six femmes Satan n’a pas lui-même une arme pour les combattre. »
C’est intéressant, car c’est une reconnaissance ouverte, contradictoire, de la richesse de la psyché féminine, de sa profondeur immense, de sa très grande violence également.
L’œuvre est clairement à rapprocher de l’œuvre de Jérôme Bosch. On peut alors dire que Bruegel fait ici pratiquement un exercice de style. Mais dialectiquement, on peut l’interpréter comme une reconnaissance de la femme et de sa réalité, de sa situation provoquée par des siècles de patriarcat.
C’est une reconnaissance inégale, puissamment contradictoire.
Ce qui est intéressant, c’est que par Margot la folle, on vise surtout à dénoncer l’avarice. Mais là, on a une expression de la puissance féminine, avec même une armée de femmes.
Margot la folle, de taille géante, entraîne dans son sillage des femmes combatives, complètement à rebours de ce qui est attendu de la part des femmes au moyen-âge. C’est là qu’on voit qu’avec les villes, les femmes ont pu gagner en affirmation de leur existence.
Le moyen-âge et la féodalité n’ont été qu’un sas entre le patriarcat et l’esclavage qui ont précédés et le capitalisme et ses villes « citoyennes » qui ont suivi.
Le tableau est souvent présenté comme inquiétant et volcanique. Volcanique, il l’est, mais on ne peut pas vraiment parler de dimension inquiétante, dans la mesure où il est trop délirant pour ça.
Pour le coup, on en revient à la question de l’influence du baroque et de l’Espagne. Un tel foisonnement dépasse la simple logique compositionnelle complexe urbaine, on est vraiment dans une sorte de délire maîtrisée.
Il est vrai que c’était là s’appuyer sur de puissants ressorts pour pouvoir présenter la complexité féminine. Loin de ramener la question démocratique à une simple question d’égalité, Bruegel expose la puissance féminine latente, masquée.
En ce sens, ce tableau est un manifeste des femmes, produit de manière indirecte et contradictoire, de manière inégale et à travers un jeu de miroir puisque vu, ressenti par un homme.
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