L’une des caractéristiques majeures de l’animisme cosmique, c’est la dimension festive-populaire des rites. Normalement, dans l’animisme, les gens suivent un rituel mené à petite échelle. Dans le polythéisme, on est de manière assumée dans l’ère des masses.
La multitude des dieux de l’animisme cosmique correspond à la massification de la société, à une compréhension plus qualitative de chaque aspect représenté par les différents dieux, à un développement qualitatif des connaissances impliquant quantitativement de nouveaux dieux.
Dans l’animisme, le rituel passe par un chamane pour aller vers les gens l’entourant et finalement revenir au chamane. Dans l’animisme cosmique, le rituel part des masses pour revenir aux masses. Les rites polythéistes, où les dieux représentent des aspects de l’univers, ne sont pas concevables sans l’agrégation de centaines de personnes, avec tout un cérémoniel.
On parle d’un événement avec une grande solennité, une alimentation spéciale, des représentations allégoriques, des décorations, des costumes, des chants, des danses, des jeux, etc.
La fête polythéiste systématisée à une dimension civique, elle exprime est produit la cohésion, la communion pour mieux dire, de la communauté en son sein et de celle-ci avec ses dieux ou son dieu tutélaire, sa tychè selon le lexique grec.
Voilà pourquoi l’ordre social systématisé par l’aristocratie patriarcale-militaire est relativisé dans ce cadre ritualisé, rappelant la communauté ancienne en apparence, mais en fait structurant les hiérarchies : la régie patriarcale cède à la participation des femmes au culte, l’esclavage cède à la convivialité en tout cas concernant l’esclavage dans sa dimension domestique, la dimension militaire est gommée.
Voilà pourquoi aussi les fêtes sont des moments d’échanges de la communauté, en son sein avec les marchés, mais également avec l’extérieur, des foires où opèrent les marchands étrangers, où se règlent également les litiges, se paient les amendes et les dettes.
C’est à la fois une manière de conclure un cycle, et d’ailleurs les plus grandes fêtes religieuses servent le plus souvent de calendrier (comme le calendrier olympien, basé sur la fête de Zeus Olympien et ses fameux « Jeux Olympiques »), mais aussi et de plus en plus, à marquer le temps dans un processus de civilisation linéaire, impliquant de déterminer une origine de fondation (divinisée et fêtée) et une perspective cosmique : on s’inscrit dans la réalité « cosmique ».
Il faut bien saisir toutefois que cette tendance civilisationnelle centralisatrice se heurte à la poly-lecture du polythéisme.
Dans l’animisme cosmique, il y a une force masquée à l’arrière-plan. Elle est indéfinissable, en mouvement, éternel, mais on peut saisir ses modalités d’expression, en utilisant les dieux, sortes d’esprits en plus développés. C’est ce qui explique pourquoi au sein des religions polythéistes, il existe l’adoration de dieux différents, plusieurs types d’adoration du même dieu, plusieurs versions des mêmes mythes, etc.
L’animisme cosmique est en fait le stade suprême de l’animisme. Il mélange les animismes produits à la sortie des communautés matriarcales, les systématise. L’étape suivante est le monothéisme, qui uniformise les différents aspects.
Il est intéressant de voir que l’hindouisme est allé en direction du monothéisme, mais son échec est reflété par le maintien de cette démarche animiste cosmique visant à considérer que, étant donné que seul le dieu à l’arrière-plan est réellement ce qu’il est, tout le reste est ambivalent. Chacun voit ce qu’il peut voir de l’univers et partant de là, tant que c’est dans le même esprit général, on peut vénérer le dieu qu’on veut, qui forme un aspect particulier du dieu suprême à l’arrière-plan.
On trouve la même chose dans l’empire aztèque, qui n’était ni un empire, ni aztèque. Lorsque les Mexicas, venant du pays mythique d’Aztlan, prennent le pouvoir dans une triple alliance avec les Acolhuas et les Tépanèques, ils accordent une immense marge de manœuvre pour les cérémonies religieuses de la trentaine de régions sur laquelle il y a l’hégémonie.
Il est bien connu qu’on trouve la même chose dans l’empire Inca, dans la Grèce antique, dans la Rome antique, l’Égypte… Bien souvent d’ailleurs, les dieux étrangers des territoires conquis sont intégrés, sous une forme plus ou moins modifiée, dans le culte principal.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une certaine centralisation ou surveillance. L’empire aztèque disposait par exemple d’un superviseur pour chaque culte majeur, le Teopixcatepachoani, et Rome décida à la fin du 2e siècle avant notre ère de demander aux interprètes des Livres sybillins (des oracles grecs) de procéder à la surveillance des cultes étrangers.
Un rôle à également étudier ici est celui des centres religieux jouant un rôle dans toutes les zones et connaissant à ce titre des pèlerinages (Chichen Itza, Ixchel et Cholula en Mésoamérique ; Olympie, Delphes et Eleusis en Grèce antique ; Bénarès, Prayāg, Haridwar, Ujjain, Nashik, Mathura, Kanchipuram et Dwarka en Inde, etc.).
Néanmoins, le syncrétisme reste partout la règle prédominante, aboutissant à une surenchère de dieux, au point qu’il est évident que tout le monde ne pouvait pas les connaître ni précisément, ni les déterminer.
Le polythéisme n’est ainsi pas seulement un polythéisme, c’est un poly-poly-théisme. L’animisme cosmique (polythéiste) apparaît comme la négation de l’animisme (polythéiste), et le monothéisme comme la négation de la négation par le renversement : l’univers n’est plus « extérieur » au monde et les dieux à l’intérieur du monde, on a désormais l’univers à l’intérieur de notre monde, et un Dieu, un seul, à l’extérieur.
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