La ligne sociale-chauvine de Maurice Thorez fait qu’il voit tout en terme de nation française républicaine, source de progrès. Il explique ainsi que:
« Unis, communistes, socialistes, syndicalistes, radicaux, républicains, nous obtiendrons un véritable gouvernement de la France, un gouvernement fidèle aux volontés du peuple, fidèles aux peuples amis et alliés, fidèle à la mission française de progrès, de liberté et de paix dans le monde. »
Contre la trahison de la cause nationale, septembre 1938
« Peu à peu, chaque homme, chaque femme de notre peuple comprend et apprécie les efforts de notre Parti communiste pour préparer la classe ouvrière à la grande et lourde tâche que l’histoire lui assigne : assurer la continuité de la France, de la France toujours plus belle, toujours plus aimée, au sein d’une Europe réconciliée et unie dans le travail et dans la paix.
Pour la paix, contre la trahison, septembre 1938
Ce ne sera pas la première fois qu’en présence de la trahison des grands, la conscience nationale du peuple de France aura provoqué le redressement nécessaire. »
Ce n’est pas tout. La position de Maurice Thorez s’est nécessairement accompagnée d’une remise en cause du matérialisme dialectique. En France, la dialectique n’a jamais été comprise que comme simple affirmation de la transformation – le mode dialectique de la transformation n’a lui pas été compris.
Il en résulte que Maurice Thorez a assimilé le matérialisme dialectique au matérialisme français du XVIIIe siècle.
Ainsi, non seulement les Lumières sont résumées au seul courant matérialiste authentique – celui de Denis Diderot – ce qui est faux, puisqu’il y a en fait surtout Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, mais qui plus ce matérialisme est présenté comme ce qui a donné naissance au marxisme.
Maurice Thorez ose ainsi dire :
« Le marxisme procède du matérialisme français »
(La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937)
Et bien évidemment, la pensée matérialiste mécaniste de René Descartes est considérée comme la base du matérialisme authentique :
« A la veille de la convocation des États généraux par Louis XVI, les conditions objectives, économiques et sociales de la Révolution étaient parvenues à maturité.
Mais déjà les transformations nécessaires devenues inévitables s’étaient reflétées dans l’oeuvre pré-révolutionnaire des penseurs français du XVIIIe siècle.
Les Encyclopédistes groupés autour de Diderot approfondissaient le côté matérialiste de la pensée cartésienne et élevaient un monument durable. Ils jetèrent les fondements de notre propre doctrine. »
La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937
Le tout permet, bien entendu, une lecture chauvine de l’histoire du monde :
« C’est une fois de plus la France démocratique, la France de 1789, devenue la France du Front populaire, qui va guider les peuples de l’Europe dans la voie du progrès, de la liberté et de la paix. »
La France du Front populaire et sa mission dans le monde, 1937
De la France des cathédrales au marxisme
Maurice Thorez est allé très loin dans cette démarche, comme en témoigne la longue citation suivante, qui est un mélange inconsistant des leçons du marxisme au sujet de l’art gothique, du matérialisme de Diderot, de Descartes qui est, et c’est assez exceptionnel, présenté comme à l’origine des Lumières !
Maurice Thorez en arrive à fonder une idéologie du socialisme français, allant en ligne droite des cathédrales au marxisme.
« Nous sommes, en effet, nous, communistes, les disciples de Marx et Engels, de Lénine et Staline. Nous sommes des marxistes-léninistes, des partisans convaincus du matérialisme dialectique, théorie d’avant-garde du prolétariat révolutionnaire.
Nous sommes par là les héritiers authentiques et les continuateurs de la pensée révolutionnaire des matérialistes français du XVIIIe siècle, des grands Encyclopédistes, eux-mêmes fils spirituels de cet autre philosophe français Descartes dont nous avons célébré récemment la mémoire.
Marx lui-même a mis en lumière cette filiation doctrinale dans La Sainte Famille : « De même que la matérialisme cartésien a son aboutissement dans la science de la nature proprement dite, l’autre tendance du matérialisme français débouche directement sur le socialisme et le communisme. » (…).
Le matérialisme philosophique des communistes est loin de la foi religieuse des catholiques ? Cependant, aussi opposées que soient leurs conceptions doctrinales, il est impossible de ne pas constater chez les uns et les autres une même ardeur généreuse à vouloir répondre aux aspirations millénaires des hommes à une vie meilleure (…).
Le rôle progressif [en fait, progressiste] du christianisme apparaît encore plus tard dans l’effort d’organisation de la charité, de la solidarité, dans la tentative de rendre plus justes et plus pacifiques les rapports entre les hommes à l’époque de la féodalité, dans le souci des communautés religieuses, – groupements communistes d’intention, de fait et d’action – qui se donnaient pour mission de conserver, de développer et de transmettre aux siècles futurs la somme des connaissances humaines et les trésors artistiques du passé.
Est-il possible d’évoquer sans émotion les siècles qui ont vu s’élever vers le ciel les flèches de nos magnifiques cathédrales, ces purs joyaux de l’art populaire, qui protestent de toutes leurs vieilles pierres – vivantes pour qui sait les comprendre – contre la légende du sombre moyen-âge.
Je me prends souvent à comparer aux bâtisseurs de cathédrales animés de la foi ardente qui « soulève les montagnes », et permet les grandes réalisations, les constructeurs de la nouvelle cité socialiste, les stakhanovistes, les héros du travail qui font surgir sur le sol libre de l’Union soviétique les usines géantes, les villes entières et aussi les grandioses monuments par quoi s’affirme aujourd’hui l’élan enthousiaste du communisme. »
Communistes et catholiques. La main tendue. Rapport présenté au Palais de la Mutualité à Paris, le 26 octobre 1937, lors de l’assemblée des cadres. Diffusée par la suite sous forme de brochure.