Maurice Thorez et le « Français moyen »

Le pacte avec le Parti socialiste (SFIO) est une chance inespérée pour le Parti communiste (SFIC), qui passe sur une ligne d’ouverture complète, par tous les moyens. Il se tourne vers les paysans et les petits commerçants ; il cherche par tous les moyens à ne pas apparaître comme « extérieur » à la politique française.

Il y a ici d’un côté une volonté de profiter du choc qu’a provoqué Février-1934, avec un sens marqué de l’unité du côté populaire, et un opportunisme très prononcé, car le Parti communiste (SFIC) n’a tout simplement pas les moyens de sa politique.

Habitué à une ligne gauchiste et sectaire, il doit être en mesure de désormais « discuter » et cela implique d’avoir une base idéologique forte, ce qu’il n’a pas.

De plus, les socialistes et la CGT mettent la pression pour forcer le Parti communiste (SFIC) à céder sur le plus de points possibles. Fin août 1934, la CGT refuse notamment de mettre en place un comité pour discuter de l’unité avec la CGT-U.

C’est là un aspect essentiel que ce refus de la CGT. La CGT traîne des pieds : le Parti communiste (SFIC), pour avancer, devra reculer. On passe alors dans une contorsion idéologique dont il avait déjà l’habitude et qu’il n’abandonnera désormais plus.

Le grand représentant de cette démarche contorsionniste, c’est Maurice Thorez. Voici comment le 9 septembre 1934, il fait l’éloge du Parti communiste (SFIC) comme meilleur défenseur du « Français moyen » :

« Décidément, les feuilles de la bourgeoisie ne peuvent nous pardonner l’éclat de notre manifeste et surtout l’intérêt que nous portons, nous prolétaires révolutionnaires, aux travailleurs des classes moyennes.

Les capitalistes exploitent férocement les salariés restés dans leurs usines ; ils jettent à la rue, sans secours, sans pain, des centaines de milliers d’ouvriers.

Par d’autres moyens, les parasites du capital volent aux paysans, aux artisans, aux boutiquiers, la plus grosse part du produit de leur rude labeur. Le gouvernement au service des banquiers et des industriels réduit les traitements des petits fonctionnaires, instituteurs, postiers, cheminots, etc.… et il ampute la « créance sacrée » des anciens ; combattants et victimes de la guerre.

Toute une jeunesse sort des grandes écoles, pourvue abondamment de diplômes, mais condamnée à l’inactivité et à la misère.

La bourgeoisie exploite, opprime les travailleurs de toutes conditions. Elle voudrait continuer à berner et à bafouer le « Français moyen ».

De là une grande, colère contre le Parti communiste qui a osé dresser le clair programme des revendications essentielles du « Français moyen » (…).

Nous avons dit au boutiquier et à l’artisan : les charges fiscales vous écrasent, les vautours vous grugent, les billets de fond vous ruinent, et il n’y a rien ou presque dans vos tiroirs parce que la proche du prolétaire est vide !

Nous voulons soutenir vos revendications. Nous avons de même entendu et repris les revendications des victimes de la guerre qui veulent faire cesser le prélèvement de 3 % sur leurs pensions, maintenir leurs droits acquis et obtenir de nouvelles satisfactions concernant notamment les anciens prisonniers de guerre, la prorogation des délais d’instance, etc.

Les bourgeois mentent quand ils disent que nous avons dressé un cahier de revendications démagogiques pour tromper les classes moyennes. Nous n’avons vraiment aucun effort d’imagination.

Nous avons simplement inscrit dans notre programme les revendications élaborées par les intéressés eux-mêmes. Nous avons reproduit les articles rédigés par leurs propres associations. »

Cette ligne va se renforcer d’autant plus que l’extrême-droite se militarise de manière toujours plus massive, multiplie les provocations, alors que les Croix-de-Feu possèdent une grande base de masse.

Le Parti communiste (SFIC) passe alors d’une affirmation gauchiste-syndicaliste de la guerre civile révolutionnaire à l’alignement sur la défense de la République par le désarmement des milices d’extrême-droite. Schématiquement, on en revient à quarante ans auparavant, à l’époque où les socialistes soutenaient les républicains bourgeois contre la réaction catholique et monarchiste.

Cela se reflète parfaitement dans le communiqué commun socialiste-communiste du 27 septembre 1934. On y reconnaît la logique républicaine, la tendance à une participation gouvernementale, le réformisme à tendance maximaliste.

« Les délégués du Parti Communiste et du Parti Socialiste, réunis le 26 septembre dans le Comité de Coordination, élèvent la protestation la plus vive contre les menaces du discours de M. Doumergue [président du Conseil des ministres] visant le droit syndical des fonctionnaires et les libertés publiques.

Le Comité de Coordination a examiné les conditions de la riposte ouvrière que commande sans retard ce discours de provocation.

Il a décidé en conséquence

1° De charger les deux groupes parlementaires socialiste et communiste de réclamer une convocation immédiate de la Chambre en vue du dépôt d’une proposition de résolution tendant à l’abrogation des décrets-lois et du vote de la réforme électorale avec R. P. [représentation proportionnelle] suivi de la dissolution ;

2° D’organiser dans la région parisienne et à travers tout le pays, dès le 23 octobre et au cours des semaines qui suivront, de puissantes démonstrations populaires.

Pour le Parti Communiste

CACHIN, THOREZ, GITTON, DUCLOS, ALLOYER, SOUPE, LAMPE.

Pour le Parti Socialiste

BLUM, PAUL FAURE, ZYROMSKI, E. ESCOURTIEUX, FARINET, LAGORGETTE »

Dans le même esprit, pour les élections cantonales, on trouve cela comme mot d’ordre pour le Parti communiste (SFIC) :

« Le Parti Communiste vous appelle à lutter CONTRE

toute diminution de salaires, traitements, retraites

POUR l’abrogation des décrets-lois ;

la semaine des 40 heures sans diminution de salaires ;

des contrats collectifs garantissant les salaires ;

l’assurance chômage aux frais de l’État et du patronat ;

le droit d’inscription sans restriction pour les chômeurs ;

l’ouverture de travaux d’utilité ouvrière et paysanne (écoles, hôpitaux, chemins vicinaux, travaux d’irrigation, etc.).

Dimanche, votez communiste ! »

Le Parti communiste (SFIC) s’efforce d’apparaître comme constructif ; en l’absence de possibilité révolutionnaire momentanée, il passe résolument de l’autre côté avec des propositions au sein du régime, incapable de cerner la dynamique des contraires et de formuler une perspective.

Autrement dit, pour le Parti communiste (SFIC), tout pour le Front populaire s’assimile à tout par le Front populaire, et ce Front populaire qui se forme, à travers le pacte avec les socialistes, est considéré comme fonctionnant de lui-même, allant mécaniquement dans le sens du Parti communiste (SFIC).

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et la construction du Front populaire en 1934-1935