L’une des expressions les plus claires de l’adaptation pragmatique-machiavélique organisée par Maurice Thorez est la disparition de la question de la bourgeoisie, au profit du thème de l’oligarchie, de la simple toute petite minorité ennemie.
Si le matérialisme historique explique que le fascisme est porté par la fraction la plus agressive de la bourgeoisie, l’ensemble de la bourgeoisie est toutefois considérée comme placée sous la dépendance de celle-ci. Il n’y a pas d’oligarchie remplaçant la bourgeoisie ; chez Maurice Thorez, c’est pourtant le cas.
Dans « Avant la réunion du comité exécutif du parti radical – La cause commune », publié dans l’Humanitédu 30 juin 1935, Maurice Thorez explique ainsi :
« Unis, par le pacte, à nos frères socialistes, travaillant de tout notre cœur à la création du parti unique de la classe ouvrière, nous avons également le souci d’assurer l’alliance des prolétaires et des travailleurs des classes moyennes ; nous avons le souci d’assurer l’unité du peuple de France contre une minorité de parasites et de profiteurs qui rêvent de précipiter notre pays dans l’abîme du fascisme de la guerre. »
Le thème de « l’unité syndicale », au cœur même de l’idéologie de Maurice Thorez, trouve ici son expression parfaite : le PCF soutient la « tendance » amenant cette unité, et ce sur tous les plans, y compris gouvernementaux.
Le PCF est ici le « parti » du syndicalisme révolutionnaire.
Une contradiction évidente
Il est évident que le passage à un soutien ouvert à un processus institutionnel rentrait en contradiction avec la position historique du PCF. L’histoire montre d’ailleurs que les organismes générés par le PCF ont fusionné avec ceux du Parti Socialiste à l’occasion du Front populaire, perdant leur dynamique anti-institutionnel.
Voici comment Maurice Thorez tente de jongler sur cette question de la contradiction entre un PCF anti-institutionnel et un soutien à une démarche institutionnelle, dans le petit article « Diviser pour régner », publié le 3 juillet 1935 :
« En réalité, nous n’avons pas changé. Nous sommes et resterons des communistes, des partisans de la démocratie soviétique et de l’édification d’une société sans classes, dans laquelle auront disparu l’oppression du Capital, l’exploitation de l’homme par l’homme.
Mais nous constatons qu’il est possible et nécessaire que les ouvriers communistes et socialistes s’entendent avec les paysans, les artisans, les intellectuels radicaux et démocrates pour une action commune en faveur des revendications qui nous sont communes.
Nous constatons que nous pouvons et devons ensemble travailler à l’amélioration du sort de la classe ouvrière et des petites gens des classes moyennes, que nous pouvons et devons ensemble lutter pour la défense des libertés démocratiques et de la paix. »
Il y a toutefois un prix à payer alors : la reconnaissance de la république.
La reconnaissance de la république
Les faiblesses idéologiques du PCF sont tellement importantes que le passage à la ligne républicaine est très rapide. Il se fait au nom du concept, affirmé par Maurice Thorez, que le parti radical est le parti le plus important de France.
Défendre le concept de république, c’est s’allier à lui et s’opposer à « l’oligarchie ». Dans l’article « Le front populaire défendra les libertés républicaines », publié dans l’Humanité du 9 juillet 1935, Maurice Thorez affirme ainsi :
« On ne peut mieux reconnaître que les ligues fascistes sont des troupes de guerre civile qui veulent imposer à la majorité laborieuse du pays républicain et antifasciste le joug d’une minorité parasite. »
Le même article affirme sa certitude que les officiers « républicains » s’opposeront à un putsch fasciste, dont les intérêts ne seraient que ceux de
« l’oligarchie financière et industrielle qui opprime notre pays et le conduit à la ruine et à la catastrophe »
En opposant le « pays » – bientôt le PCF utilisera le concept de « nation » – à l’oligarchie, Maurice Thorez révise ouvertement les enseignements de Marx, Engels, Lénine et Staline. Il instaure une dynamique de « libération nationale » absolument hors de propos dans un pays impérialiste aussi puissant que la France.