Le Front populaire est un grand succès face à la menace fasciste, et le PCF a choisi non pas de le diriger dans un processus de rupture avec la bourgeoisie, mais d’utiliser les institutions républicaines pour élargir la démocratie et aller, est-il pensé, de cette manière au socialisme en gagnant les masses à la cause.
Aussi doit-il prendre des décisions concrètes. Voici comment Maurice Thorez présente « ce qu’il faut faire immédiatement », dans l’article « Tout pour le Front populaire », rapport à la session du Comité central du PCF de mai 1936 :
« En résumé, il faut tout de suite :
1.Des mesures de remboursement aux victimes des décrets-lois ;
2.L’ouverture de grands travaux ;
3.La protection de l’enfance et le développement du sport ;
4.Des mesures contre les ligues de guerre civile ;
5.L’amnistie ;
6.La défense résolue du franc. Une commission d’enquête sur l’origine des fortunes édifiées au cours de leur mandat par certaines politiciens.
Appliquer ces mesures, telle est la volonté certaine des masses populaires. Comment, par quels moyens ? Pour nous, communistes, cela ne fait aucun doute : par l’activité propre de la classe ouvrière, par l’action des masses elles-mêmes, sans que nous puissions méconnaître le problème du gouvernement. »
Ce qui est dit ici est très révélateur de la conception syndicalistes révolutionnaire de Maurice Thorez, qui voit le Parti comme « bras politique » du syndicat, devant gérer les décisions prises « en bas », et non par l’idéologie.
Voilà pourquoi Maurice Thorez, en juin 1936, c’est-à-dire au moment des grandes grèves précédant la formation du gouvernement du Front populaire, et juste après les élections marquées par le succès du Front populaire, peut se féliciter des actions de masses en général.
Dans « La lutte pour le pain », prononcé lors d’un meeting parisien en juin 1936, Maurice Thorez affirme, au sujet de la « réconciliation française », que :
« Voilà que se réalise la réconciliation nationale de ceux qui souffrent, luttent et espèrent sous le signe du drapeau rouge et du drapeau tricolore.
Et ce n’est pas le moindre titre de fierté de notre Parti, que la confiance des masses qui par centaines et centaines de milliers réalisent notre politique d’union de la nation française.
Regardez, camarades, jamais dans nos communes ouvrières de banlieue, au moins depuis très longtemps, on n’avait tant de drapeaux tricolores. Aujourd’hui, il y en a sur toutes les usines, il y en a sur les chantiers (…).
Il nous plaît de constater que nos militants, nos élus, nos adhérents ont su partout se placer au premier rang et nous leur adressons un salut reconnaissant.
Tous ces militants du Parti agissent comme militant des syndicats.
Ils agissent comme représentants élus de la classe ouvrière et du peuple. Ils n’ont pas la prétention de diriger. Ils se sont mis au service des grévistes. Qui dirige ? Qui doit diriger ? Les syndicats, et aussi et surtout, les grévistes eux-mêmes. »
Une ligne de « Front de Libération Nationale »
La ligne de Maurice Thorez a fonctionné ; le PCF passe à pratiquement 150 000 membres, puis rapidement à plus de 180 000, puis 242 000 avec en plus 80 000 membres à la Jeunesse Communiste, et il soutient un gouvernement organisant des réformes sociales. Mais il y a un prix à payer.
Le Front populaire a une dimension défensive – niée par les trotskystes – mais il a également une dimension offensive – niée par Maurice Thorez. Ce dernier s’est empressé, face au trotskysme, d’appuyer au nom du réalisme ce qui est en fait une démarche pragmatique-machiavélique.
Il souligne que « tout n’est pas possible », qu’il faut savoir terminer une grève ; il célèbre la Marseillaise comme une grande chanson révolutionnaire, saluant le centenaire de la mort de son auteur Rouget de Lisle, faisant le parallèle entre la lutte contre les royalistes alliés à des pays étrangers et les « 200 familles » qui auraient pris le contrôle de la France qu’il s’agit de libérer.
Avec le succès du Front populaire, Maurice Thorez transforme le PCF en une sorte de « Front de Libération Nationale » devant allier toutes les masses contre une petite poignée d’oppresseurs.
Le progrès est considéré comme possible au sein des institutions bourgeoises et du capitalisme :
« L’union du peuple de France, c’est le pain assuré à tous, les justes revendications des travailleurs imposées aux riches, c’est la démocratie la plus large ; la prospérité, le renforcement du pays, gage de paix. »
Au service du peuple de France, rapport à la conférence nationale du PCF, juillet 1936
« Fort heureusement, il y a dans l’administration, dans l’enseignement et dans l’armée une grande majorité d’hommes attachés à la République et dévoués à la cause du peuple (…).
En travaillant à l’union de la nation française, il est nécessaire de faire preuve de libéralisme, même à l’égard de ceux qui voteraient, demain, contre nous (…).
On connaît les agresseurs. On a pris les numéros des voitures. On ne manquera pas de les poursuivre. (Un auditeur ; « Il faudrait les fusiller ! ») Non, il faut les mettre en prison à la place de ceux que l’amnistie devrait faire sortir de prison ! (…)
Le front français pour le respect des lois ; pour la défense de l’économie nationale ; pour la liberté et l’indépendance de la France (…)
Nous pouvons dire que le Front populaire (et nous y sommes pour quelque chose, nous, les communistes), en ce sens, sera vraiment un Front français, un Front du peuple de France, héritier et continuateur de la grande Révolution [de 1789] contre le front des agents de l’étranger, contre le front du Coblence [ville allemande refuge d’aristocrates après 1789] moderne.
Un Front français à la tradition héroïque de lutte et de liberté, aux accents de la Marseillaise de 1792 mêlés à ceux de notre Internationale, sous les plis du drapeau de Valmy et du drapeau rouge de la Commune, un Front français contre le Front antifrançais de trahison. »
Tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire, juillet 1936