Maurice Thorez a été la grande figure du PCF pour avoir réussi à combiner syndicalisme révolutionnaire et forme partidaire de type « social-démocrate » dur ; c’est lui qui a été l’artisan de l’acceptation du régime républicain bourgeois au nom de la possibilité, mécanique, de l’accumulation des forces.
Le rapport entre démocratie bourgeoise et fascisme selon Maurice Thorez
Dans la logique de Maurice Thorez, le capitalisme peut basculer au fascisme, mais ce n’est pas obligatoire, c’est une tendance. En cela, il n’a pas compris la tendance historique nécessaire et a une vision du fascisme similaire aux trotskystes et aux anarchistes, qui voient en l’extrême-droite un rassemblement de gangsters ; Maurice Thorez parle du « Capital et ses mercenaires, les chefs des bandes fascistes ».
Maurice Thorez ne voit pas le fascisme comme tendance inévitable du capitalisme pourrissant, tendance donc à la fois politique et culturelle, idéologique et sociale. Pour lui, le fascisme, c’est en fin de compte et seulement un régime.
La république bourgeoise traditionnelle étant différente de ce régime et permettant l’accumulation syndicale des forces, alors aux yeux de Maurice Thorez elle est « meilleure » – c’est un point de vue totalement formel, anti-dialectique car ne voyant pas la conversion d’un régime en l’autre pour des raisons historiques.
Voici comment Maurice Thorez, dans « Les succès du front antifasciste », prononcé en 1935 au 7e congrès de l’Internationale communiste, présente les deux régimes de manière correcte, mais sans correctement montrer la transformation de l’un en l’autre :
« Le fascisme, c’est la terreur sanglante contre la classe ouvrière, c’est la destruction des organisations ouvrières, la dissolution des syndicats de classe, l’interdiction des Partis communistes, l’arrestation massive des militants ouvriers et révolutionnaires, les tortures et l’assassinat des meilleurs fils de la classe ouvrière.
Le fascisme, c’est le déchaînement de la bestialité, le retour aux pogroms du moyen-âge, l’anéantissement de toute culture, le règne de l’ignorance et de la cruauté, c’est la guerre hideuse à laquelle conduisent les provocations incessantes et tous les actes de Hitler et de Mussolini.
La démocratie bourgeoisie, c’est un minimum de libertés précaires, aléatoires, sans cesse réduites par la bourgeoisie au pouvoir, mais qui offrent toutefois à la classe ouvrière, aux masses laborieuses des possibilités de mobilisation et d’organisation contre le capitalisme. »
Il suffira par la suite pour Maurice Thorez d’expliquer que ces libertés ne seront plus « aléatoires » grâce à l’existence de l’URSS et la force du PCF après 1945, pour finalement définitivement accepter la république bourgeoise, considérée comme une sorte de « milieu » pouvant tendre vers le fascisme, ou au contraire vers l’élargissement de la démocratie, et donc alors le « socialisme ». Il prétendra faire en France pareillement que dans les pays de l’Est européen d’après 1945, qui eux auront par contre un véritable Etat de démocratie populaire.
« L’unité totale » avec les socialistes et la démocratie populaire
Maurice Thorez, en 1935, peut se vanter que le PCF se soit adressé 26 fois au parti socialiste depuis 1923, et c’est à ce titre qu’il revendique l’unité totale avec les socialistes lorsque la CGT-Unifiée, proche du PCF, fusionne avec la CGT.
Le prix à payer, c’est le retour à la totalement réactionnaire charte d’Amiens, qui fait du syndicat un organe apolitique.
Maurice Thorez le reconnaît, il appelle cela une « grande concession » ; en réalité, idéologiquement c’est une capitulation, c’est une ouverture absolue, historiquement, au principe du syndicalisme révolutionnaire.
Cependant, à ses yeux c’est justifié pour des raisons de progression qu’il imagine automatique, et l’unité de la classe ouvrière est ouvertement présentée comme la clef du succès de la révolution socialiste, par la revendication de la « paix » et de la « liberté » face au fascisme.
L’origine de cette erreur est qu’il rejette l’idéologie comme guide et qu’opposant mécaniquement démocratie bourgeoise et fascisme, il ne voit pas la transformation interne des phénomènes.
C’est une lecture opportuniste du principe du « front unique » face au fascisme, et cela va se voir après 1945, alors que dans les pays de l’Est européen, les communistes authentiques géreront correctement la « démocratie populaire » comme Front populaire antifasciste, étape pour aller de l’avant au socialisme, grâce à l’appui de l’URSS face aux forces réactionnaires.
Maurice Thorez, et avec lui toute une partie de responsables des Partis Communistes comme l’Italien Palmiro Togliatti, va aller au fur et à mesure jusqu’à considérer que cette démocratie populaire permet d’éviter la dictature du prolétariat et qu’elle peut même exister en France, malgré le fait que le pays soit capitaliste.
Maurice Thorez est ainsi, pour ainsi dire, le contraire historique de Mao Zedong : là où ce dernier a compris la gestion des étapes et le rôle de la culture et de l’idéologie, Maurice Thorez a, à l’opposé, une vision mécanique où les masses unies vont de manière prétendument naturelle au socialisme, quelles que soient les conditions du pays (capitaliste comme la France ou démocratie populaire comme dans les pays de l’Est européen après 1945).