Historiquement, la première forme de capital est le capital marchand. Il est porté par les commerçants et les marchands, qui ont accumulé suffisamment de travail pour disposer de suffisamment de moyens d’échanges et tentent de généraliser autour d’eux les échanges, en en tirant un bénéfice.
Les commerçants et les marchands apparaissent initialement comme des intermédiaires troquant, achetant des objets pour les revendre. Le capital accumulé alors sert à renforcer les achats et les ventes, afin d’élargir toujours plus les capacités du capital à s’approprier davantage de biens, afin des les vendre plus et plus cher.
Karl Marx définit la nature du capital marchand de la manière suivante dans Le Capital :
« La fonction du capital marchand se résout donc à ceci : échange de marchandise par achat et vente. »
Les commerçants et les marchands sont apparus initialement comme les premiers capitalistes. Le capital marchand est la première forme capitaliste, procédant à la reconnaissance d’objets produits en marchandises, en biens à échanger.
Ce qui intéressent les commerçants, les marchands, ce n’est pas l’objet lui-même, ni sa production, mais simplement la possibilité de se le procurer, afin de le revendre.
Ils existent à différentes époques, avec plus ou moins de marge de manœuvre, depuis le vendeur ambulant d’une société arriérée jusqu’au marchand appartenant à une guilde, une coopération de marchands exerçant des pressions sur les institutions afin d’avoir davantage de marge de manœuvre.
Le capital marchand n’est donc pas propre au mode de production capitaliste ; les commerçants et les marchands sont présents dans les modes de production précédents.
Karl Marx nous dit ainsi :
« Le commerce et même le capital marchand sont plus anciens que le mode capitaliste de production ; ils représentent en effet, du point de vue historique, le mode d’existence indépendante le plus ancien du capital (…).
Dès que le capital s’est emparé de la production elle-même en lui conférant une forme spécifique tout à fait modifiée, le capital marchand ne se présente plus que comme capital doté d’une fonction particulière.
Dans tous les modes de production antérieurs, le capital marchand apparaît comme la fonction par excellence du capital, et ceci d’autant plus que la production s’avère davantage être production directe de moyens de subsistance pour les producteurs eux-mêmes. »
Dans les modes de production non capitalistes, les commerçants et les marchands apparaissent comme le capitalisme lui-même, car le capital marchand transforme des objets en marchandises, c’est-à-dire en biens présents sur un marché, pouvant être acheté, vendu, de nouveau acheté, de nouveau vendu, etc.
La valeur d’usage caractérisant un objet, son utilité, sa fonction, sa nature même, etc. cède la place à sa valeur d’échange, qui est uniquement ce qui intéressent les marchands et les commerçants.
Les marchands et les commerçants possèdent donc une image tout à fait part dans les sociétés primitive, esclavagiste, féodale : ils forment une catégorie à part.
D’ailleurs, les marchands et les commerçants n’ont alors aucun impact, aucun pouvoir sur la production qui est faite. Les marchands et les commerçants trouvent ce qu’ils peuvent, comme ils peuvent.
Ils se glissent dans les interstices de sociétés où l’argent n’est pas nécessairement encore institutionnalisé, où la circulation des biens est parfois inexistante, voire quasiment impossible, etc.
Façonner une société où l’argent existe de manière reconnue et où les échanges sont possibles a donc été un intérêt essentiel du capital marchand. Le soutien aux inventeurs s’explique pour cette raison, tout comme le soutien aux artistes allait dans le sens de la recherche d’une reconnaissance sociale des marchands et des commerçants.
Ce qui distingue l’époque de Spinoza, au XVIIe siècle, de celle d’Averroès, au XIIe siècle, au-delà de leur substance idéologique commune, avec notamment la séparation de la raison et de la religion, est précisément l’élargissement de la circulation des marchandises.
Le mode de production capitaliste émerge justement lorsque la circulation des marchandises n’est plus portée à bout de bras par les marchands et les commerçants, mais lorsqu’elle existe en tant que telle, de manière autonome par rapport aux marchands et commerçants qui sont alors à la fois nombreux et qui, s’ils arrivent à manquer, sont immédiatement remplacés par des personnes devenant commerçants ou marchands.
Karl Marx constate une loi dans cet épisode historique :
« La loi selon laquelle le développement autonome du capital commercial est en raison inverse du développement de la production capitaliste apparaît le mieux dans l’histoire du commerce de commission (carying trade), comme chez les Vénitiens, les Génois, les Hollandais, etc.
Leur profit principal n’est pas réalisé par l’exportation des produits de leurs propres pays, mais par leur rôle d’intermédiaire dans l’échange des produits de communautés peu développés du point de vue commercial et économique, ainsi que par l’exploitation des deux pays producteurs.
Ici, le capital marchand est pur, séparé des extrêmes, les sphères de production entre lesquelles il fait l’intermédiaire.
C’est là une des sources principales de sa formation (…). Au début, le capital commercial est simple mouvement intermédiaire entre des extrêmes qu’il ne domine pas et des conditions qu’il ne crée pas (…).
Les commerce des premières villes et des premiers peuples commerçants autonomes et superbement développés reposait, en tant que commerce intermédiaire pur, sur la barbarie des peuples producteurs entre lesquels il jouait le rôle d’intermédiaire. »
Ainsi, de manière dialectique, plus le capital marchand progresse, plus il généralise la fonction de commerçants et de marchands, supprimant le monopole de ceux ayant existé jusque-là. Le capital marchand cesse de porter la démarche capitaliste, qui devient autonome et se réalise alors par la suite comme mode de production généralisé à toute la société.