Molière, auteur national

Molière, Racine, Diderot et Balzac sont les quatre grandes figures de notre culture nationale, du génie français. Tous sont le produit d’une époque progressiste, portant un progrès de civilisation. Ils assument le réalisme, avec les caractéristiques propres aux conditions de la France d’alors : celle de la monarchie absolue pour les deux premiers, celle de la bourgeoisie ascendante pour les deux autres.

Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), dit Molière, a été un immense dramaturge, assumant son époque selon le principe bien connu depuis de « plaire et instruire ». A l’opposé de Racine, qui avec la tragédie s’était tourné vers la psychologie dans son rapport avec l’État, Molière s’est orienté avec la comédie vers la psychologie dans son rapport avec la société.

Là où Racine dresse le tableau de portraits intérieurs tourmentés face aux exigences de la civilisation, Molière façonne des exemples typiques propres à certaines rapports sociaux.

Molière 
par Pierre Mignard, 1658

Comme le raconte un personnage de la pièce de Molière intitulée « La Critique de l’École des femmes », défendant la valeur du théâtre tel qu’il l’a lui-même développé :

« Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez ; ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux.

Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature.

On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle.

En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n’être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens, et bien écrites ; mais ce n’est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. »

Molière est ainsi un portraitiste ; il reprend les bases du théâtre italien, mais les accorde avec les exigences propres à la France, s’éloignant ainsi de l’exubérance italienne pour développer les thèmes chers à la culture française : l’esprit adroit, la capacité d’adaptation, la disposition au conflit.

Cependant, il faut ici mener une tâche rude, consistant à redécouvrir le véritable Molière. Regardons, en effet, les œuvres qui ont été le plus représentés avant la mort de Molière, et ce tant publiquement qu’en privé.

On a Sganarelle ou le Cocu imaginaire (143 fois), L’École des maris (130 fois), Les Fâcheux (121 fois), L’École des femmes (105 fois), Tartuffe ou l’Imposteur (95 fois), Psyché (83 fois). Il faut, parmi ces œuvres qui ont le plus marqué, sans nul doute compter Dom Juan ou le Festin de pierre qui a dû faire face à la répression.

Gravure de 1734

Reste que, de fait, certaines œuvres les plus représentées alors ont été « oubliées » depuis, alors que d’autres œuvres plus secondaires ont pu être mises en avant, comme Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux, Le Médecin malgré lui, L’Avare.

De la même manière, une œuvre comme Le Bourgeois gentilhomme est connu de nom, mais sans aller plus loin, en limitant cela à de la farce. Cette tendance de résumer Molière à la farce est d’ailleurs un marqueur historique de la décadence de la bourgeoisie.

Cela est révélateur de l’interprétation bourgeoise faite de Molière, dont la portée sociale est restreinte à la moquerie, dont l’actualité à l’époque est réduite à une « protection » par Louis XIV, dont le talent est résumé au « divertissement ».

En faisant cela, on nie l’alliance de Molière en tant que portraitiste bourgeois avec Louis XIV et la cour, alliance visant de manière évidente à affaiblir la religion et le clergé. On oublie alors, de manière significative et anti-culturelle, que Molière a réalisé des comédies-ballet, mélangeant comédie, danse et musique, dans l’esprit de la cour propre à la monarchie absolue, forme progressiste par rapport à la féodalité.

On oublie également que Molière était un immense acteur, jouant justement les rôles les plus subtils de ses propres pièces, étant au service de leurs charges anti-féodales.

Bref, on réduit Molière à un farceur, alors qu’il est un vecteur historique de culture, au point que pour parler de la langue française, on parlera par la suite de « la langue de Molière ».

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