Un an après la transformation du Parti socialiste SFIO en Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste au congrès de Tours, il y eut un congrès qui se tint à Marseille, du 25 au 29 décembre 1921. Il fut bien moins triomphaliste et constatait un immense travail à mener.
Entre-temps, il y avait eu une modification de son règlement lors d’une assemblée nationale en avril 1921, puis une seconde assemblée nationale en octobre pour le compte-rendu des délégués français au troisième congrès de l’Internationale Communiste.
À ce troisième congrès, la section française ne formait nullement une actualité et il n’en fut parlé qu’en passant. Il était souligné que les Français étaient très en retard, à tous les niveaux, d’où la mansuétude de l’Internationale Communiste à leur égard. Cela provoquait la colère des Italiens d’ailleurs, pour qui il y avait deux poids, deux mesures.
Mais c’est que l’Internationale Communiste a compris que le Parti français avait de gros problèmes de constitution.
Contrairement à ce qui était imaginé lors du congrès de Tours en décembre 1920, les scissionnistes restaient une force de nuisance très puissante. Ils étaient partis avec cinq quotidiens de province sur six, la plupart des élus, des propagandistes, des administrateurs, des archives des fédérations…. Et bien évidemment des caisses des fédérations, tout comme la caisse du Parti (ne laissant que 1 500 francs sur les 60 000).
D’où l’appel au soutien financier publié dans l’Humanité :
« Socialistes ! Travailleurs ! Nous faisons appel à vous pour nous aider dans ces circonstances et nous assurer immédiatement, par un don généreux des masses ouvrières, les ressources dont nous aurons besoin pour développer toute notre action.
Que les gros sous des prolétaires remplacent les cotisations des élus traîtres au Parti !
Que la souscription publique, ouverte aujourd’hui par nous, permette à l’enthousiasme des travailleurs pour la IIIe Internationale et la Révolution russe de se manifester avec éclat !
Aux misérables listes sur lesquelles les dissidents épinglent péniblement les noms de quelques individus déserteurs du devoir, il faut que répondent des milliers et des milliers d’hommes sincères qui veulent se serrer autour de notre vieux drapeau rouge, où brillent, depuis notre glorieux Congrès de Tours, les armes de la République des Soviets !
Nous voulons que la souscription qui commence nous apporte une force morale en même temps que l’aide matérielle nécessaire ; nous souhaitons qu’elle nous permette de faire immédiatement le dénombrement des dévouements les plus actifs sur lesquels nous pouvons compter. »
Il s’en fallut même de peu que justement l’Humanité ne passe aux mains des scissionnistes. C’est dire l’ampleur des problèmes, largement sous-estimés au congrès de Tours, alors que les scissionnistes s’étaient préparés largement en amont déjà.
Il est vrai que les dirigeants du Parti Communiste (SFIC) avaient de toute façon une démarche absurde. Au lieu de revendiquer l’ensemble des fonds du Parti socialiste SFIO au nom de la continuité, ils prônaient le compromis, en proposant la répartition des fonds selon le nombre des mandats des motions au congrès de Tours ! On était au degré zéro de la combativité.
Ce n’est pas tout : malgré la forte progression des opposants au sein de la CGT, la direction de celle-ci avait réussi à profiter de sa faible majorité en termes de mandats et à provoquer une scission/expulsion, avec en décembre 1921 la formation de la Confédération générale du Travail Unitaire, liée à la SFIC. C’est une défaite en termes de bataille pour la légitimité, puisque le Parti socialiste SFIO « maintenu » peut utiliser cela comme argument en sa faveur.
Et à cela s’ajoute le fait que la CGT-U est également voire surtout impulsée par les syndicalistes révolutionnaires, dont une partie se confond avec le Parti Communiste (SFIC) dans un insupportable mélange des genres.
Ce problème serait à la limite secondaire s’il y avait une réelle direction qui s’était formée à partir de la bataille du congrès de Tours. Ce n’est pas le cas, car la lutte de deux lignes n’a pas été menée en tant que telle, les partisans de l’Internationale Communiste n’ayant cessé de louvoyer, de vouloir convaincre les sociaux-patriotes.
Quel fut le résultat ? La direction du Parti était, en 1921 constituée des éléments suivants.
Ludovic-Oscar Frossard est le secrétaire général, Fernand Loriot est secrétaire international, Antonio Coen est secrétaire adjoint, Marcel Cachin est Directeur de l’Humanité. Il y a comme délégués permanents Raoul Verfeuil, Flavien Veyren, Lucie Colliard, Charles-André Julien.
Or, Ludovic-Oscar Frossard démissionne en janvier 1923, pour fonder une Union socialiste communiste et finalement revenir à la SFIO dès 1925. Fernand Loriot cesse toute activité dès 1922 et quitte le Parti en 1926.
Antonio Coen est exclu en 1926 pour appartenance à la franc-maçonnerie et il rejoint la SFIO. Raoul Verfeuil est exclu en 1922, il rejoint l’Union socialiste communiste, puis dès 1924 la SFIO.
Flavien Veyren quitte le Parti en 1923, pour rejoindre l’Union socialiste communiste et finalement la SFIO après 1945. Lucie Colliard est exclue en 1929, elle rejoint le Parti socialiste ouvrier et paysan en 1938, puis la SFIO en 1945. Charles-André Julien quitte le Parti en 1926 et rejoint la SFIO en 1936.
Cela signifie que sur les huit premières figures majeures du Parti Communiste (SFIC), six finissent par rejoindre la SFIO ! Fernand Loriot fréquente de son côté l’ultra-gauche, seul Marcel Cachin restant inébranlable.
Mais Marcel Cachin n’est pas un dirigeant et d’ailleurs il a une tendance au centrisme très marqué, lui qui vient de la droite initialement. En fait, le Parti Communiste (SFIC) n’apparaît pas comme ayant été porté par des cadres ; sa naissance reflète un élan, mais tout l’appareil du Parti a été siphonné par les scissionnistes et il n’y a pas une nouvelle génération prête à en former un nouveau.
Le Parti Communiste (SFIC) apparaît ainsi, en 1921 au congrès de Marseille, comme construit sur des sables mouvants. Il n’a pas de dynamique, alors qu’on aurait pu considérer que sa fondation en aurait formé une.
Son nombre de membres a d’ailleurs reculé, passant de 178 787 à 131 476. C’est moins qu’au congrès de Strasbourg de début 1920 (133 227) et c’est en fait une baisse exprimant une véritable tendance, s’étalant sur toute la décennie.
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et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste