Paschal Grousset et La vie de Collège en Angleterre

Dans le prolongement de la pensée humaniste, l’éducation physique est mise en avant par Paschal Grousset comme un aspect de la production d’humains complets, capable de faire avancer l’humanité et de faire face aux difficultés de la vie. C’est ainsi qu’il écrit dans la Vie de Collège en Angleterre :

« M. Grivaud constatait ce changement avec une vive satisfaction, et chaque dimanche, pour ainsi dire, il pouvait enregistrer un progrès nouveau dans la force et la santé de son fils. Il lui était aisé de s’assurer, d’autre part, que les études littéraires, loin de souffrir de ce développement physique, ne s’en portaient que mieux. Laurent dormant bien, parce qu’il était fatigué, avait les idées plus claires et plus nettes; il était plus capable d’attention, sa volonté était plus ferme et par conséquent moins aisément rebutée par les difficultés; les rudes exercices auxquels il se livrait lui faisaient trouver le charme de la variété dans les devoirs les plus arides. »

Paschal Grousset décrit dans ce roman des adolescents sportifs et ayant de nombreuses activités en plein-air, en plus d’une très grande vigueur sur le plan intellectuel, par exemple dans cette réunion de discussion entre élèves :

« « Le sujet, ce soir, est une question d’histoire : Les croisades ont-elles été favorables ou fatales à la civilisation ? C’est un joli sujet. J’ai dans mon calepin la liste des questions proposées l’an dernier, veux-tu la voir?

— Volontiers. »

Briggs tendit à Laurent une feuille de papier sur laquelle étaient inscrites les questions suivantes :

Quel a été le plus puissant penseur, de Bayle ou de Montesquieu ?
Les opinions de Grote sur les sophistes sont-elles justifiables?
La volonté exerce-t-elle son pouvoir sur l’imagination?
Descartes est-il supérieur comme philosophe à Bacon?
Xerxès mérite-t-il l’exécration de l’histoire?
Marius était-il supérieur à Sylla?
Cavour avait-il les caractères d’un grand homme d’État?
Les œuvres de Platon sont-elles authentiques?
Thackeray a-t-il fait un bon usage de l’esprit que la nature lui avait départi?
Vaut-il mieux que les articles de journal soient signés ou anonymes?
La découverte de la photographie a-t-elle servi les intérêts de l’art?

« Eh bien ! qu’en penses-tu? demanda Briggs.

– Je pense que ces questions doivent être très difficiles à traiter.

— Bah ! il suffit de les étudier et de les préparer. Il en est de cela comme de tout. » »

Ces propos relèvent assurément d’un point de vue matérialiste : il n’y a pas de génies intellectuels, mais surtout de l’éducation, de la méthode et de la rigueur au travail.

La volonté de Paschal Grousset n’était pas d’imiter en tous points les Anglais (il a d’ailleurs beaucoup reproché à Pierre de Coubertin de vouloir pour sa part importer strictement les mœurs anglaises en France, de manière cosmopolite). Plutôt, il défend un monde nouveau où les nations se renforcent et s’apportent mutuellement, permettant à l’humanité de s’élever.

Le père de Laurent Grivaud dans La vie de Collège en Angleterre est ainsi un ingénieur dirigeant les travaux pour un tunnel sous la manche (qui ne verra le jour dans la réalité que cents ans plus tard). Ce tunnel n’est ni plus ni moins qu’une métaphore illustrant un nécessaire rapprochement des peuples, comme le montre cette discussion entre le père de Laurent et le directeur du collège à la fin du roman :

« — C’est à quoi j’aurais été heureux de travailler en perçant notre tunnel sous la Manche, reprit en souriant M. Grivaud. Je laisse l’entreprise en bonnes mains, puisse-t-elle s’achever bientôt, ce serait un bienfait pour les deux pays.

— Eh bien ! monsieur, buvons à l’heureux achèvement de cette grande œuvre, et puisse-t-elle unir à jamais deux nations qui seraient si grandes si elles savaient s’emprunter mutuellement leurs qualités. »

Pour autant, Paschal Grousset ne se prive pas de critiquer certain aspect de l’Angleterre. Il décrit les Français comme étant fins et raffinés par rapports aux Anglais plus brutaux et directs. Son héros est à l’origine de l’abolition du faggisme (une sorte de bizutage qui dure toute l’année) et son père est à l’origine de l’introduction des mathématiques dans le collège.

Ce passage de La vie de Collège en Angleterre est l’occasion d’un plaidoyer militant en faveur du progrès. C’est un manifeste à la raison et à la civilisation contre les barbaries féodales :

« Harry était un homme de bonne foi ; quand il avait fait l’analyse raisonnée de la question, il n’avait pu arriver qu’à cette conclusion : le faggisme est un abus de la force et pas autre chose (…).


Harry en aborda l’étude, fit entrer ses camarades dans les profondeurs du sujet, le tourna et le retourna sous toutes ses faces, et arriva à conclure que c’était une pratique barbare, féodale, indigne d’un peuple civilisé. Pour son compte, à dater de ce jour, il renonçait à exiger les services d’un fag ; il s’estimerait heureux s’il pouvait avoir convaincu quelques-uns de ses camarades et les avoir décidés à adopter le même principe. Il avait dit tout cela gravement, mais avec simplicité, sur le ton de la conversation, sans assumer aucun air de supériorité. Il avait découvert par hasard la vérité, et il voulait en faire profiter les autres, voilà tout (…).

En moins de trois semaines, il ne resta plus que quelques esclaves bénévoles. Laurent eut le bon goût de ne pas triompher de cette révolution. Il se contenta d’en avoir été le promoteur. »

La vie de Collège en Angleterre est une œuvre réaliste de grande qualité, avec une grande portée démocratique, et est tout à fait moderne.

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de la gymnastique et du sport en France