Paul Boccara et l’autogestion pour la base de masse

La proposition stratégique du « traité » sur le capitalisme monopoliste d’État sous-tend que la bourgeoise alliée à l’aristocratie ouvrière gagnerait beaucoup : il y aurait la paix sociale grâce au PCF et à la CGT, les autres fractions de la bourgeoisie seraient mises de côté, il y aurait l’alliance avec l’URSS, qui est militairement dans les années 1980 résolument prédominante, engloutissant son économie dans un complexe militaro-industriel hypertrophié.

Cela impliquait donc la capacité pour le PCF à montrer qu’il était capable de mobiliser les masses pour ce projet, qu’il avait un moyen tactique voire stratégique de stabiliser un éventuel un nouveau régime.

L’acquisition de cette base de masse est ce que Paul Boccara appelle « la voie autogestionnaire de la révolution en France ».

L’alliance avec le Parti socialiste pour l’arrivée au gouvernement et pour qu’il y ait des nationalisations n’était qu’un aspect de la question pour le PCF ; le second aspect était la mobilisation pour un basculement.

En clair, la France devait dans cette logique connaître une économie avec d’un côté une bourgeoisie industrielle, capitaliste, et de l’autre côté un secteur public Etat de type bureaucratique – corporatiste pro-soviétique.

En 1976, Paul Boccara résuma de la manière suivante ce programme lors d’un colloque sur l’inflation à Stockholm rassemblant les partis occidentaux liés à l’URSS, au nom de la délégation française, en conclusion de son exposé :

« Les mesures de politique immédiate, tout en étant proposées dans le cadre de la domination monopoliste d’État, doivent nécessairement déjà mettre en cause le gâchis des profits et de l’accumulation monopoliste ainsi que leur financement pour lutter contre les effets de la crise.

Dans les conditions de la France, le Programme commun de la gauche de transformation démocratique très profonde, par la nationalisation antimonopoliste et la démocratisation de l’État, doit permettre de commencer à sortir de la crise.

C’est la marche au socialisme comme progression sur toute la ligne de la démocratie, sur le terrain politique comme sur le terrain économique, qui permettra à la France de sortir définitivement de la crise du capitalisme.

La gravité de la crise du système monétaire et de l’inflation accélérée actuelle, comme les efforts sans précédents de régulation autoritaire des revenus de tous les travailleurs, montrent avec les autres manifestations de la crise du système, que le changement de société constitue bien la perspective des luttes de classe et de masse démocratique dans notre pays. »

Il va de soi également que la capacité ou non de mobiliser était essentiel pour le processus de basculement. D’où la tentative, une fois au gouvernement, de pousser au maximum dans le sens d’une mobilisation pour un « basculement ».

Voici comment Paul Boccara, en 1982, alors que le PCF est au gouvernement depuis l’accession de François Mitterrand à la présidence l’année précédente, appelle au socialisme autogestionnaire, à aller dans le sens de ce basculement :

« Dans les conditions politiques actuelles, l’intervention des travailleurs dans la gestion des entreprises peut être d’une importance décisive.

En effet, les efforts du gouvernement de gauche et de la nouvelle majorité se heurtent aux gâchis des moyens et des hommes des gestions actuelles dominées par les critères capitalistes.

Si l’on ne menait pas une lutte suffisamment efficace contre ces gâchis, alors par exemple tous les efforts financiers du gouvernement, au nom de l’emploi, pourraient ressembler aux efforts des Danaïdes de la légende qui n’arrivaient jamais à remplir leur tonneau crevé.

Inversement, si l’on arrivait à développer une intervention des travailleurs commençant à changer, dans une mesure appréciable, les gestions des entreprises, dans les nationalisées en premier lieu mais aussi partiellement dans les autres, alors, à travers des luttes de classe d’un contenu nouveau, on pourrait commencer à sortir concrètement, ici et là puis dans tout le pays, du chômage et des autres maux de la crise.

En même temps, on commencerait à construire, au fond, à travers des luttes acharnées, économiques, politiques et idéologiques, le socialisme à la française, un socialisme autogestionnaire. »

L’élan économique ne satisfaisant pas François Mitterrand, qui ne voyait pas non plus de vraie mobilisation de la base populaire sous l’impulsion du PCF, les ministres communistes quittèrent finalement rapidement le gouvernement. L’échec était patent et le PCF était qui plus est devenu bien inférieur électoralement au PS.

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