Le pseudo antidogmatisme n’était pas le seul vecteur des marges de manœuvre pour l’opportunisme ; le catastrophisme en fut un également. D’un côté, ce catastrophisme était le prolongement nécessaire de la conception de la crise selon Eugen Varga. Rien que là on voit bien que Paul Boccara est un vargiste.
De l’autre, ce catastrophisme permettait de justifier tout et n’importe quoi, cela donnait une impression d’actualité, ce qui était très important par rapport à la vague révolutionnaire d’alors dont la Chine populaire était le noyau dur.
Pendant cinquante ans, donc, Paul Boccara a expliqué que la « tendance » indiquait l’effondrement du capitalisme. Tout en utilisant moult précautions oratoires – tout comme Eugen Varga à partir du milieu des années 1920 – Paul Boccara expliquait de manière régulière que la crise était sans précédent, que c’était un tournant, le changement de régime était à portée de main, car les gens auraient pris conscience, etc.
Dans un article d’Économie et Politique en décembre 1969, au sujet de la crise du capitalisme monopoliste d’État et de son rapport avec les luttes des travailleurs, Paul Boccara parle ainsi d’un capitalisme ébranlé, de mécanismes devenus inopérants, etc.
Dans L’Humanité des 28 janvier et 4 février 1972, Paul Boccara publia un article en deux parties, Suraccumulation et programme d’union populaire ; il s’y présente comme très optimiste quant à l’effondrement du capitalisme :
« Depuis quelques temps on parle, à juste titre, de la crise de la société française. Malgré sa base économique, cette crise de la société française capitaliste n’est pas une crise conjoncturelle de surproduction.
S’il y a désormais une tendance fondamentale et durable aux difficultés de l’activité économique, le mouvement des hauts et des bas de la conjoncture persiste. En dépit de ces hauts et bas relatifs de l’activité économique, la crise continue pourtant à s’approfondir.
C’est le système même de l’intervention économique massive de l’État et de la mobilisation des moyens publics au bénéfice des monopoles capitalistes – le capitalisme monopoliste d’État – qui est atteint aujourd’hui dans ses fondements.
Dans les conditions présentes, la crise du capitalisme monopoliste d’État se révèle à l’échelle internationale avec le dérèglement du système monétaire capitalistes.
Elle se révèle aussi avec la tendance générale, depuis 1967-1969, à une croissance plus ou mois ralentie de la production accompagnée d’un chômage nettement plus important et plus durables.
Elle se manifeste encore par la montée des luttes sociales dans tout le monde capitaliste. Cette crise de structure atteint tout spécialement notre pays. Elle se manifeste dans tous les domaines de la vie sociale : économique, politique, idéologique, etc. »
Paul Boccara maintiendra ce genre de posture pendant les années 1980, comme par exemple en 1988, dans Vers une nouvelle phase de la crise, où il dit :
« L’ébranlement marqué par le krach boursier de l’automne 1987 n’est pas terminé. Au-delà de la turbulence consécutive des changes entre les monnaies, il va conduire à une nouvelle récession de la croissance, probablement vers la fin de 1988 ou bien en 1989.
Mais déjà la question se pose, par-delà même cette nouvelle aggravation conjoncturelle de la situation économique, de l’entrée dans une nouvelle phase de la crise de structure qui s’annoncerait dès aujourd’hui. »
Il ne s’interrompit jamais dans sa démarche, et personne au PCF ne lui en fit la critique. En 1993, dans Emploi efficace et mixité « marché / partage » pour une tout autre politique économique, il expliqua que :
« Les élections législatives de mars 1993 pourraient favoriser les débuts d’un débat crucial sur une nouvelle politique économique. Elles surviennent, en effet, dans la conjoncture de récession mondiale allongée de la fin de 1989 à 1993, marquant le passage à une nouvelle étape de la longue phase de difficultés de la crise systémique en cours. »
En 1994, il affirma que :
« La situation exige de façon urgente une grande initiative comme celle que nous avons prise [la proposition d’un pacte unitaire à toute la gauche, aux associations, etc.].
Il y a une maturation de la crise, des difficultés mais aussi de la prise de conscience de la nocivité des politiques menées, qui constitue un appel, une demande considérablement. »
En 1997, on lit dans l’article Au cœur des défis de notre mutation Des propositions immédiates et de dépassement révolutionnaire :
« La crise systémique en cours à l’échelle mondiale, avec l’exaspération de la domination des marchés financiers et du chômage perdurable, est vraiment d’une profondeur sans précédent.
Elle commence à exiger des débuts de dépassement du capitalisme lui-même, dans une mixité institutionnelle radicale. »
En 1998, dans Face à la crise mondiale de la domination des marchés financiers, cela donne par exemple :
« Il ne s’agit pas d’une péripétie, ni même d’un simple krach, mais d’une crise financière mondiale, d’une gravité sans précédent, qui dure et s’amplifie depuis mai 1997.
Tout ne va pas s’effondrer brutalement, à un moment donné.
Mais on assiste, à l’échelle mondiale, à des ébranlements en série, des coups de boutoirs, ainsi qu’un renforcement considérable des facteurs et des difficultés du chômage, du ralentissement voire des reculs de croissance et des dépenses publiques, de l’exaspération des antagonismes entre États.
C’est très probablement la crise du système de domination exacerbée des marchés financiers qui a commencé, bien sûr par un processus qui peut durer longtemps avec certains hauts et bas (…).
Les ambivalences du branchage de la croissance sur la révolution informationnelle parasitée par la domination des capitaux financiers, vont dans le même sens d’alimentation des profits nouveaux pour la croissance financière, d’aggravation et de durée sans précédent du chômage massif et de la précarité, mais aussi de la possibilité du début de dépassement de la domination des capitaux avec des transformations plus radicales. »
Ou bien encore, la même année dans Contradictions et inefficience des premiers infléchissements :
« Une fois les États-Unis puis, à un moindre degré, les pays de l’Union Européenne, sérieusement touchés et très inquiétés par la crise financière mondiale à la fin du mois de septembre, les dirigeants des États dominants et des institutions financières ont commencé à admettre sa gravité sans pareil. »
Voici ce que dit Paul Boccara en juillet 2000, dans l’article Refondation de précarisation ou de sécurisation ? :
« La bataille sociale et politique sur l’UNEDIC et l’Assurance- chômage avec le Medef, qui s’est engagée au printemps 2000, est de la plus haute importance.
Elle se situe à un moment crucial de la crise systémique et des défis de son issue. Il y a d’importantes créations d’emplois, avec la maturation des nouvelles technologies de la révolution informationnelle.
Et il y a aussi non seulement leur précarisation accrue et le maintien d’un chômage massif mais encore la précarité de cette croissance elle-même, poussée par les marchés financiers gonflés, tandis que le ralentissement aurait commencé aux Etats-Unis.
Ce double aspect : potentiel de croissance nouvelle, d’une part, son caractère refoulé et contrarié, y compris le risque de relance du chômage, d’autre part, peut donner beaucoup de hardiesse aux revendications des travailleurs et des populations. »
Ou bien encore, à la toute fin des années 2000, en soulignant l’importance des élections régionales, dans Pour des avancées fondamentales sur les services publics et communs depuis le plan local et régional :
« Face à la radicalité de la crise du capitalisme, nous avons besoin d’une expansion extraordinaire des services publics. Or, leur défense et leur progression seraient possibles depuis le plan local et régional. Et cela pourrait contribuer à une autre construction au plan national et au plan européen. Et même par là au mondial. D’où la grande portée des élections régionales sur cette question cruciale des services publics, au carrefour de toutes les solutions à la crise systémique. »