SIRE, ce n’est pas tout que d’estre Roy de France,
Il faut que la vertu honore vostre enfance :
Un Roy sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne luy est sinon un fardeau dans la main.
Pource on dit que Thetis la femme de Pelée,
Apres avoir la peau de son enfant bruslée,
Pour le rendre immortel, le print en son giron,
Et de nuict l’emporta dans l’antre de Chiron,
Chiron noble centaure, à fin de luy apprendre
Les plus rares vertus dés sa jeunesse tendre,
Et de science et d’art son Achille honorer.
Un Roy pour estre grand ne doit rien ignorer.
Il ne doit seulement sçavoir l’art de la guerre,
De garder les citez, ou les ruer par terre,
De picquer les chevaux, ou contre son harnois:
Recevoir mille coups de lances aux tournois:
De sçavoir comme il faut dresser une embuscade,
Ou donner une cargue ou une camisade,
Se renger en bataille et sous les estendars
Mettre par artifice en ordre les soldars.
Les Rois les plus brutaux telles choses n’ignorent,
Et par le sang versé leurs couronnes honorent:
Tout ainsi que lions qui s’estiment alors
De tous les animaux estre veuz les plus fors,
Quand ils ont devoré un cerf au grand corsage,
Et ont remply les champs de meurtre et de carnage,
Mais les Princes mieux naiz n’estiment leur vertu
Proceder ny de sang ny de glaive pointu,
Ny de harnois ferrez qui les peuples estonnent,
Mais par les beaux mestiers que les Muses nous donnent.
Quand les Muses qui sont filles de Jupiter
(Dont les Rois sont issus) les Rois daignent chanter,
Elles les font marcher en toute reverence,
Loin de leur Majesté banissant I’ignorance:
Et tous remplis de grace et de divinité,
Les font parmy le peuple ordonner equité.
Ils deviennent appris en la Mathematique,
En l’art de bien parler, en Histoire et Musique,
En Physiognomie, à fin de mieux sçavoir
Juger de leurs sujets seulement à les voir.
Telle science sceut le jeune Prince Achille,
Puis sçavant et vaillant fit trebucher Troïlle
Sur le champ Phrygien et fit mourir encor
Devant le mur Troyen le magnanime Hector:
II tua Sarpedon, tua Pentasilée, 4
Et par luy la cité de Troye fut bruslée.
Tel fut jadis Thesée, Hercules et Jason,
Et tous les vaillans preux de I’antique saison,
Tel vous serez aussi, si la Parque cruelle
Ne tranche avant le temps vostre trame nouvelle.
Charles, vostre beau nom tant commun à nos Rois,
Nom du Ciel revenu en France par neuf fois,
Neuf fois, nombre parfait (comme cil qui assemble
Pour sa perfection trois triades ensemble),
Monstre que vous aurez l’empire et le renom
De huit Charles passez dont vous portez le nom.
Mais pour vous faire tel il faut de l’artifice,
Et dés jeunesse apprendre à combatre le vice.
II faut premierement apprendre à craindre Dieu,
Dont vous estes l’image, et porter au milieu
De vostre cœur son nom et sa saincte parole,
Comme le seul secours dont l’homme se console
En apres si voulez en terre prosperer,
Vous devez vostre mere humblement honorer,
La craindre et la servir: qui seulement de mere
Ne vous sert pas icy, mais de garde et de pere.
Apres il faut tenir la loy de vos ayeux,
Qui furent Rois en terre et sont là haut aux cieux:
Et garder que le peuple imprime en sa cervelle
Le curieux discours d’une secte nouvelle.
Apres il faut apprendre à bien imaginer,
Autrement la raison ne pourroit gouverner:
Car tout le mal qui vient à l’homme prend naissance
Quand par sus la raison le cuider a puissance.
Tout ainsi que le corps s’exerce en travaillant,
II faut que la raison s’exerce en bataillant
Contre la monstrueuse et fausse fantaisie,
De peur que vainement l’ame n’en soit saisie.
Car ce n’est pas le tout de sçavoir la vertu:
II faut cognoistre aussi le vice revestu
D’un habit vertueux, qui d’autant plus offence,
Qu’il se monstre honorable, et a belle apparence.
De là vous apprendrez à vous cognoistre bien,
Et en vous cognoissant vous ferez tousjours bien.
Le vray commencement pour en vertus accroistre,
C’est (disoit Apollon) soy-mesme se cognoistre:
Celuy qui se cognoist est seul maistre de soy,
Et sans avoir Royaume il est vrayment un Roy.
Commencez donc ainsi: puis si tost que par l’âge
Vous serez homme fait de corps et de courage,
Il faudra de vous-mesme apprendre à commander,
A ouyr vos sujets, les voir et demander,
Les cognoistre par nom et leur faire justice,
Honorer la vertu, et corriger le vice.
Malheureux sont les Rois qui fondent leur appuy
Sur I’aide d’un commis, qui par les yeux d’autruy
Voyent l’estat du peuple, et oyent par l’oreille
D’un flateur mensonger qui leur conte merveille.
Tel Roy ne regne pas, ou bien il regne en peur
(D’autant qu’il ne sçait rien) d’offenser un trompeur.
Mais (Sire) ou je me trompe en voyant vostre grace,
Ou vous tiendrez d’un Roy la legitime place:
Vous ferez vostre charge, et comme un Prince doux,
Audience et faveur vous donnerez à tous.
Vostre palais royal cognoistrez en presence,
Et ne commettrez point une petite offence.
Si un Pilote faut tant soit peu sur la mer
Il fera dessous I’eau le navire abysmer.
Si un Monarque faut tant soit peu, la province
Se perd: car volontiers le peuple suit le Prince.
Aussi pour estre Roy vous ne devez penser
Vouloir comme un tyran vos sujets offenser.
De mesme nostre corps vostre corps est de bouë.
Des petits et des grands la Fortune se jouë:
Tous les regnes mondains se font et se desfont,
Et au gré de Fortune ils viennent et s’en-vont,
Et ne durent non-plus qu’une flame allumée,
Qui soudain est esprise, et soudain consumée.
Or, Sire, imitez Dieu, lequel vous a donné
Le sceptre, et vous a fait un grand Roy couronné,
Faites misericorde à celuy qui supplie,
Punissez l’orgueilleux qui s’arme en sa folie:
Ne poussez par faveur un homme en dignité,
Mais choisissez celuy qui I’a bien merité:
Ne baillez pour argent ny estats ny offices,
Ne donnez aux premiers les vacans benefices,
Ne souffrez pres de vous ne flateurs ne vanteurs:
Fuyez ces plaisans fols qui ne sont que menteurs,
Et n’endurez jamais que les langues legeres
Mesdisent des seigneurs des terres estrangeres.
Ne soyez point mocqueur, ne trop haut à la main,
Vous souvenant tousjours que vous estes humain:
Ne pillez vos sujets par rançons ny par tailles,
Ne prenez sans raison ny guerres ny batailles:
Gardez le vostre propre, et vos biens amassez:
Car pour vivre content vous en avez assez.
S’il vous plaist vous garder sans archer de la garde,
II faut que d’un bon œil le peuple vous regarde,
Qu’il vous aime sans crainte: ainsi les puissans Rois
Ont conservé le sceptre, et non par le harnois.
Comme le corps royal ayez I’ame royale,
Tirez le peuple à vous d’une main liberale,
Et pensez que le mal le plus pernicieux
C’est un Prince sordide et avaricieux.
Ayez autour de vous personnes venerables,
Et les oyez parler volontiers à vos tables:
Soyez leur auditeur comme fut vostre ayeul,
Ce grand François qui vit encores au cercueil.
Soyez comme un bon Prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se remplisse une histoire
Du temps victorieux, vous faisant immortel
Comme Charles le Grand, ou bien Charles Martel.
Ne souffrez que les grands blessent le populaire,
Ne souffrez que le peuple aux grands puisse desplaire,
Gouvernez vostre argent par sagesse et raison.
Le Prince qui ne peut gouverner sa maison,
Sa femme, ses enfans, et son bien domestique,
Ne sçauroit gouverner une grand’ Republique.
Pensez longtemps devant que faire aucuns Edicts:
Mais si tost qu’ils seront devant le peuple dicts,
Qu’ils soient pour tout jamais d’invincible puissance,
Autrement vos Decrets sentiroient leur enfance.
Ne vous monstrez jamais pompeusement vestu,
L’habillement des Rois est la seule vertu.
Que vostre corps reluise en vertus glorieuses,
Et non pas vos habits de perles precieuses.
D’amis plus que d’argent monstrez vous desireux;
Les Princes sans amis sont tousjours malheureux.
Aimez les gens de bien, ayant tousjours envie
De ressembler à ceux qui sont de bonne vie.
Punissez les malins et les seditieux:
Ne soyez point chagrin, despit ne furieux:
Mais honneste et gaillard, portant sur le visage
De vostre gentille ame un gentil tesmoignage.
Or, Sire, pour-autant que nul n’a le pouvoir
De chastier les Rois qui font mal leur devoir,
Punissez vous vous mesme, afin que la justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.
Je dy ce puissant Dieu dont l’empire est sans bout,
Qui de son throsne assis en la terre voit tout,
Et fait à un chacun ses justices egales,
Autant aux laboureurs qu’aux personnes royales:
Lequel nous supplions vous tenir en sa loy,
Et vous aimer autant qu’il fit David son Roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquille:
Sans la faveur de Dieu la force est inutile.