Une preuve du romantisme fasciste de Pierre Drieu La Rochelle est son refus de la guerre. La petite-bourgeoisie a en effet besoin de stabilité, pas d’une guerre où elle serait inévitablement affaiblie, manipulée.
D’où une dénonciation de la guerre comme étant devenue mécanisée et par-là inhumaine. Le virilisme forcené, le nietzschéisme, la vision romantique du corps déformé en culte de celui-ci lui font réfuter la guerre moderne.
Dans Socialisme fasciste, en 1934 il prévient ainsi :
« La guerre militaire moderne est sur toute la ligne une abomination. Je me suis efforcé depuis quinze ans de démontrer et de faire sentir que cette guerre, en effet, détruit toutes les valeurs viriles (…).
Pas l’ombre d’aventure, le facteur individuel faut de contact entre les adversaires étant réduit au plus mince. Dans la prochaine, ce sera vrai pour l’aviation comme pour l’infanterie et l’artillerie.
A l’arrière c’est la vie de caserne, réglée, automatique, à l’avant aussi. Pas d’aventure, donc pas de gloire. Voilà la guerre moderne, elle n’a plus rien d’humain.
Et quel est le résultat ? Des millions de morts, de blessés et de malades. Pas de gloire et des destructions immenses.
Les villes anéanties : Londres, Paris, Berlin, Milan rayées de la carte au premier jour. Les femmes, les enfants, les vieillards, les animaux, les plantes, la forme même des paysages, tout cela dissipé comme le corps des soldats.
Une Europe réduite au désespoir, à la négation de tout. La jeunesse qui est la vie, qui est la beauté ne peut être que contre cela. »
Or, le souci, c’est que la philosophie de Pierre Drieu La Rochelle s’appuie directement sur Nietzsche et Sorel : il faut pourtant tout de même la guerre, qu’on refuse en même temps.
D’où cette réflexion fort étrange aboutissant au refus de la guerre, à son remplacement par le sport :
« Dans la guerre il y a la force, le courage. Le courage, c’est de tuer mais aussi d’être tué, le courage de blesser mais aussi d’être blessé, le courage de ruiner et d’incendie, mais aussi le courage de supporter la faim et la soif, le froid et le chaud, l’insomnie et la saleté, la paresse et les lourds travaux, la solitude et la promiscuité.
D’une façon plus profonde, le courage c’est bien plus, c’est tout. C’est de se connaître et de s’affirmer, d’être quelque chose et quelqu’un en dépit de tous les obstacles et de toutes les menaces (…).
Que serait-ce qu’un citoyen qui ne serait qu’une pensée ? Qui ne serait pas un corps incarnant cette pensée et répondant d’elle, un corps prêt à être blessé ou tué pour elle ? (…). L’État ne peut vivre et se renouveler que par l’insurrection, la révolution, la guerre intérieure.
Et l’Espèce a besoin de cette insécurité dans l’État (…).
La jeunesse voyant l’esprit de paix tuer l’esprit de révolution, a restauré l’esprit de guerre pour sauver cet esprit de révolution dont il est inhérent.
Mais c’est ici que nous, Français, qui n’avons point été mêlés à toute cette aventure (bien que nous l’ayons pressentie dans le syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre, et que nous ayons produit Proudhon, Blanqui et Sorel, apôtres de diverses manières de la révolution guerrière), nous devons ouvrir l’oeil et profiter de notre distance.
Nous devons admirer ce beau sursaut de la jeunesse d’ailleurs. Mais puisque nous sommes voués à la sagesse plutôt qu’à l’audace, profitons-en.
Puisque nous sommes amenés les derniers à une certaine action, tâchons d’en prendre les avantages sans en adopter les inconvénients (…).
Mais elle [la jeunesse européenne] s’est jetée dans l’excès contraire. Elle a restauré pêle-mêle la guerre avec la révolution. La jeunesse de l’Europe centrale et orientale, pour sauver la révolution, a admis la guerre.
Elle a réagi, elle s’est montrée réactionnaire, en plein (…).
La révolution fasciste, qui a peut-être compris la solution propre à l’esprit européen du problème social, n’a pas compris le problème de la guerre. Elle n’a pu faire la dissociation d’idées, nécessaire aujourd’hui pour le salut de l’Espèce, entre la guerre moderne et la guerre éternelles, entre la guerre et l’esprit de guerre (…).
Dans le bellicisme des fascistes, il y a un effort beaucoup plus qu’un abandon, un effort qui se crispe, qui s’exagère.
Dans le fascisme, la crispation est de trop et signale une erreur.
Le fascisme demande trop à l’homme ; en même temps qu’il lui redonne la vie, l’orgueil de sa jeunesse, il le prépare à une mort hideuse et stérile.
Notre effort, pour être plus mesuré, pourrait être plus heureux. En analysant notre but mieux que les autres, nous pourrions nous façonner à une tension plus saine et peut-être plus durable.
A cause de la déviation démoniaque qu’a subie la guerre moderne, nous nous contenterons de l’exercice transposé de la guerre : du sport.
La guerre peut bien supporter une transposition comme l’amour. Il y a loin du rapt primitif à l’amour sentimental. Il faut bien que l’Espèce se contente de cette transposition et de cette atténuation de l’instinct de reproduction.
Remplaçons les batailles par des matches de football, l’héroïsme de la terre par l’héroïsme du ciel.
Espérons que l’esprit du sport suffira à nous maintenir assez belliqueux pour demeurer révolutionnaires dans le cercle intérieur. »
On a ici un romantisme complet, un décalage total par rapport à la réalité des guerres impérialistes. Pierre Drieu La Rochelle l’a deviné alors, et il annonce la « puissance démoniaque » qui va s’exprimer lors de la prochaine guerre :
« La guerre éclate, dans cinq ans. La France et l’Allemagne se ruent l’une sur l’autre.
La France seule serait battue, encore plus sûrement qu’en 1914 (…). La prochaine fois, ce sera la lutte à couteaux tirés entre le fascisme e le communisme.
Les nécessités de la lutte obligeront les bourgeois d’Occident, mêlés à la lutte entre le gouvernement antidémocratique de la Russie et le gouvernement antidémocratique de Berlin, à jeter aux orties leur dépouille démocratique (…).
On verra des bourgeois jusque-là nationalistes s’apercevoir que le nationalisme n’était pas l’âme de leur vie autant qu’ils le croyaient.
On les verra justifier soudain l’esprit allemand et entrer dans des concessions telles que n’en ont jamais rêvé les braves gens de la gauche. Hitler a encore de beaux jours devant lui.
Toute cette énorme et confuse situation nouvelle semble donc se ramener à ce dilemme étrange ; les Français préféreront-ils devenir communistes pour ne pas devenir Allemands ? Ou devenir Allemands pour ne pas devenir communistes ? Et n’en sera-t-il pas de même en Italie et en Angleterre ? (…).
Le troisième caractère abominable de la prochaine guerre reste la puissance démoniaque et irrémédiablement hostile à l’humanité, des instruments. A lui seul, il suffirait à la rendre exécrable. »
Avec une telle analyse, Pierre Drieu La Rochelle aurait dû passer dans le camp pacifiste, donc le camp communiste. Mais sa base petite-bourgeoise, ses fréquentations de la haute bourgeoisie, l’ont corrompu, et il en vient espérer un fascisme d’opérette :
« Le fascisme, c’est la crispation de l’homme européen autour de l’idée de vertu virile qu’il sent menacée par le cours inévitable des choses vers la paix définitive.
Il n’est pas sûr que le fascisme veuille vraiment la guerre et soit capable de guerre, surtout de la terrible guerre moderne.
Le fascisme se contenterait peut-être volontiers de sport et de parade, d’exercice et de danse. Qui sait s’il ne montrera pas épouvanté devant la conséquence dernière de son attitude ?
Il confond dans ses paroles le sport et la guerre, la restauration physique de l’homme – si nécessaire pour lutter contre les méfaits des grandes villes et pour maintenir l’homme dans ses facultés essentielles – avec la continuation des vieilles formes militaire.
Mais peut-être qu’au fond de lui-même, la distinction est déjà faite entre la transposition de l’esprit de guerre en sport et parade et la continuation de la forme militaire. »
Quiconque voit la base du fascisme sait bien que la guerre est un élément revendiqué, assumé. Le militarisme expansionniste est une composante essentielle et même pas masqué du fascisme.
Pierre Drieu La Rochelle ne peut pas le savoir. Mais son romantisme est borné, sa vision opportuniste, donc son positionnement nécessairement bancal, faible, capitulard.
De fait, il a capitulé devant son propre romantisme. D’autres, en raison d’un romantisme très similaire, passeront dans le pacifisme passif pro-occupation, ou bien dans la Résistance mais avec une perspective spiritualiste de régénération, comme la fameuse Ecole d’Uriage.