Pierre Drieu La Rochelle et le romantisme fasciste : le «Socialisme fasciste»

Pierre Drieu La Rochelle a publié en 1934 un essai intitulé « Socialisme fasciste », chez Gallimard. C’est une œuvre importante, car il tente d’y formuler conceptuellement ce qu’est le fascisme ; l’essai se situe pour sa publication entre Le feu follet et Rêveuse bourgeoisie. C’est le fruit de la rencontre de son romantisme avec les événements de 1934, sur lesquels il a cependant un regard très critique.

En fait, il ne considérera jamais que les mouvements fascistes seront authentiquement fascistes. Il aura beau se forcer, comme avec le Parti Populaire Français de Jacques Doriot et l’Allemagne nazie, il sera toujours immanquablement déçu.

Il faut bien saisir également l’espace intellectuel énorme disponible alors. L’extrême-droite intellectuelle existait autour de Charles Maurras, mais elle était conservatrice ; les courants socialistes anti-marxistes se développaient, mais leur point de vue n’avait pas été synthétisé. Les Croix de Feu du colonel de La Rocque avaient une base masse, mais leur républicanisme autoritaire de droite allait dans le sens d’un corporatisme sans mystique socialiste capable de satisfaire une petite-bourgeoisie radicalisée par la crise capitaliste.

A cela s’ajoute que tant Benito Mussolini qu’Adolf Hitler ont défini des concepts, des valeurs, mais sans que la vision du monde ne soit élaborée philosophiquement, en raison d’un très grand pragmatisme.

Cela permettait une libre inspiration de type idéaliste et ce sont des intellectuels, comme Giovanni Gentile, Othmar Spann, Alfred Rosenberg, etc., à la marge du mouvement, qui ont alors tenté de procéder à une théorisation, avec plus ou moins de réussite, et dans tous les cas avec une non-reconnaissance officielle en Italie, en Autriche et en Allemagne, le régime fasciste ne pouvant pas former un dogme, de par sa nature même.

Pierre Drieu La Rochelle se pose ainsi comme un fasciste sincère, authentique, en quête d’une vision du monde, au nom d’une exigence à la fois de cohérence et d’esthétisme. Il est en ce sens très proche de l’Italien Curzio Malaparte, qui transporte la même inquiétude par rapport à la beauté et aux valeurs, la même angoisse existentielle.

Le grand souci est que ces intellectuels ne connaissent les théories politiques et les idéologies que de seconde main, par un prisme déformé. C’est tout à fait flagrant dans la lecture que fait Pierre Drieu La Rochelle du marxisme.

Le premier chapitre de « Socialisme fasciste » s’intitule en effet « Contre Marx » et on y trouve ce qui est censé être un résumé de la conception marxiste, avec ses faiblesses. Le souci, c’est que Pierre Drieu La Rochelle ne connaît pas le marxisme.

Il ne connaît pas le principe de mode de production, clef de l’interprétation historique d’une époque, ce qui fait qu’il pense que le marxisme schématise tout, simplifiant l’opposition dialectique entre deux classes principales en niant l’existence d’autres classes. Il note ainsi fort justement :

« Il y a toujours eu plusieurs classes en présence. Au Moyen Age, à côté du clergé de composition complexe, il y avait la bourgeoisie naissante ou renaissante de l’Antiquité, diverses noblesses, l’aristocratie paysanne et deux ou trois espèces de paysans.

Sous la monarchie, il y avait cinq ou six classes. Peut-on confondre noblesse d’épée et noblesse de robe, haut et bas clergé, clergé séculier et clergé régulier, bourgeois des villes et paysans libres ou serfs, anciens artisans et nouveaux manufacturiers ? »

Or, si Pierre Drieu La Rochelle avait lu Karl Marx, Friedrich Engels, Karl Kautsky, les auteurs principaux de la social-démocratie, ou encore Lénine et Staline, il aurait bien vu qu’il était parlé de différentes classes, de différenciation à l’intérieur de celles-ci, même si le moteur d’un mode de production dépend d’une opposition dialectique entre deux classes.

Un simple regard sur l’URSS à l’époque suffisait pour voir la présentation d’une opposition entre les paysans riches, les paysans moyens et les paysans pauvres, avec la collectivisation prenant en compte ces différences.

Cela, Pierre Drieu La Rochelle ne le voit pas, alors qu’il voit bien que cela ne colle pas du peu qu’il en sait ; il dit ainsi en note :

« Marx semble faire des réserves sur le passé.

Il écrit : « Aux époques de l’histoire qui ont précédé la nôtre, nous voyons à peu près partout la société offrir toute une organisation complexe de classes distinctes, et nous trouvons une hiérarchie de rangs sociaux multiples… et chacune de ces classes comporte à son tour une hiérarchie particulière. »

Mais cette observation est en contradiction avec tout ce qu’il dit du rapport de lutte entre féodalité et bourgeoisie. »

Pourquoi Pierre Drieu La Rochelle peut-il alors dire cela ? Parce qu’il constate que les marxistes parlent de polarisation en deux classes, alors que les classes moyennes existent encore. En somme, il voit l’erreur que font les communistes français de raisonner, par syndicalisme et opportunisme, en assimilant paupérisation générale et paupérisation absolue.

Cependant, comme Pierre Drieu La Rochelle ne comprend pas le léninisme, par son refus d’une position ouvrière, il ne voit pas que la croissance du capitalisme est relative et non absolue, que la croissance des forces productives n’est que relative.

Il s’imagine donc que le marxisme parle d’un appauvrissement général obligatoire et uniforme ; voyant que cela n’a pas lieu, il réfute alors le marxisme.

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