Pierre Drieu La Rochelle bascule d’autant plus aisément dans l’agressivité du mythe mobilisateur de Georges Sorel que, philosophiquement, il est lui-même également un disciple de Nietzsche. Tout comme chez Sorel, on retrouve la quête de la transcendance par le « surhomme » formulée par Nietzsche.
Pierre Drieu La Rochelle raconte que très jeune adolescent, il avait été frappé par la couverture de « Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche dans une vitrine et qu’il l’avait fait acheté à sa mère. S’il n’avait rien compris de ce qu’il lisait, cela l’avait profondément marqué.
Cela est d’autant plus juste pour la suite que Pierre Drieu La Rochelle est un viriliste forcené. Sa vision de la femme est d’un patriarcat le plus brutal ; il en fait des objets mi-maléfiques mi-sacrés, toujours passives et manipulatrices, inaccessibles de par leur psychologie et formant un monde de complications insolubles.
Ce virilisme trouve d’autant plus de puissance que Pierre Drieu La Rochelle a été façonné par le militartisme de la première guerre mondiale.
Après avoir échoué à l’épreuve pour sortir de Sciences-Po où il est rentré en 1910, alors qu’il a parallèlement fait une licence d’anglais à la Sorbonne, Pierre Drieu La Rochelle a en effet fait son service militaire en 1913 à la caserne de la Pépinière à Paris.
Il est ensuite nommé caporal en avril 1914 et participe à la bataille de Charleroi en août, où il est blessé à la tête par un éclat. Promu sergent en octobre de la même année alors qu’il a rejoint le front en Champagne, il est blessé au bras gauche.
Envoyé en mai 1915 dans un régiment qui part sur le front des Dardanelles, il est victime de dysenterie. Il rejoint par la suite un autre régiment et participe à la bataille de Verdun, pour être après blessé par des éclats d’obus, en février 1916.
Par la suite, il est placé dans le service auxiliaire, temporairement dans le service armé à sa demande, mais sera finalement envoyé comme interprète avec une division américaine, tout en étant devenu adjudant.
Cette expérience de la première guerre mondiale est, pour le moins, traumatisante. Mais elle ne fut pas prétexte à un culte de la première guerre mondiale : le thème n’apparaît pas dans son œuvre, à part véritablement dans les nouvelles de La comédie de Charleroi. Par contre, la quête de la transcendance de type nietzschéenne est omniprésente.
Cela se lit très bien dans les poèmes écrits alors par Pierre Drieu La Rochelle, avec le recueil Interrogation de 1917 et celui de 1920 intitulé Fond de cantine.
Le premier poème d’Interrogation nous en dit long sur le Nietzschéisme pratiquement futuriste de Pierre Drieu La Rochelle, qui est strictement parallèle à celui d’Apollinaire au même moment.
Intitulé Paroles au départ, ce premier poème du recueil commence ainsi :
« Et le rêve et l’action.
Je me payerai avec la monnaie royale frappée à croix et à pile du signe souverain.
La totale puissance de l’homme il me la faut.
Point seulement l’évocation par l’esprit mais l’accomplissement du triomphe par l’œil et par l’oreille et la main.
Je ne puis me situer parmi les faibles. Je dois mesurer ma force.
Si je renonce mon cerveau meurt. Je tuerai ou je serai tué.
La force est devant moi, pierre de fondation. Il faut que je sente sa résistance, il faut qu’elle heurte mes os.
– Que je sois brisé.
Je veux la comprendre avec mon corps (…).
Il n’est aucune vie à l’Arrière, aucune vérité. Tout y est marqué par la totale ignorance.
De ce côté-ci se manifeste l’inénarrable révélation. »
Ce mysticisme de la tranchée est résolument fasciste ; il correspond directement à la mentalité de légionnaire du fascisme italien et dans les corps-francs allemands de la même époque (mais pas dans les S.A. nazis qui eux relèvent de la génération d’après-guerre).
La mise en jeu de sa vie, dans l’absurdité de la première guerre mondiale, trouverait un sens dans une transcendance dépassant largement les deux camps, pour rejoindre le duo vie-mort qui formerait le cœur même de l’existence.
Cet existentialisme morbide – avant même l’émergence de l’existentialisme en tant que tel – aboutit immanquablement au subjectivisme le plus forcené, avec la remise en cause de toute forme traditionnelle, dans un esprit « futuriste ».
Le poème Explosif a ainsi un titre à double sens, typiquement futuriste de par la combinaison de l’explosivité de la bombe et de celle de la vitalité. C’est un équivalent direct du futurisme italien, de la poésie de Marinetti comme des peintes futuristes Balla, Boccioni, etc.
« Idée, désir, ou aussi vouloir.
Les mots sont noirs et incassables, mais il y a l’image et c’est une ligne, une parabole qui s’exalte.
Ô mon ami tu te convulses d’horreur parce que tes sens affinés sont tout à vif et pullulants de la misère des multitudes combattues.
Mais autant que d’autres que tu hais, il te faut répondre de cette peine car tu portes l’Idée.
Et l’idée c’est l’orgueil de l’être, l’orgueil du monde.
L’idée est explosive, l’idée est éclatante.
Et il est une frénésie dans l’idée. Il lui faut le triomphe de la force. Il lui faut le temps et l’espace (…).
Le principe des choses c’est qu’un rêve soit, contre un autre rêve, alors jaillissent les musiques et toujours ronfle le tambour de guerre. »
Pierre Drieu La Rochelle se revendique d’ailleurs, à cette période, de l’écrivain symboliste Paul Adam, de l’intellectuel monarchiste ultra-réactionnaire Charles Maurras, du poète italien ultra-nationaliste Gabriele d’Annunzio, de l’écrivain britannique ultra-conservateur Rudyard Kipling, de l’écrivain ultra-nationaliste Maurice Barrès.