Regardons ce que dit Cornelius Jansen, par rapport à la critique anti-jésuite de Blaise Pascal. Que dit Cornelius Jansen ? Il a exprimé sa thèse de manière la plus développée dans Augustinus, une œuvre posthume publiée en 1640. Ce fut considéré alors, notamment par les jésuites, comme une « déviation » au sein du catholicisme, qui fut appelée « jansénisme ».
Cornelius Jansen accepte en effet le point de vue calviniste de la prédestination divine : pour le protestantisme façonné par Jean Calvin, il n’y a pas d’intermédiaire entre soi et Dieu, et Dieu a décidé, dans sa toute-puissance.
Il ne faut donc pas se tourner vers l’indulgence de l’humanité – surtout que l’Église catholique a fait fortune aux moyens de ces « indulgences » rachetant les âmes – mais uniquement vers Dieu. Tout se passe directement en soi et Dieu, le dernier mot revenant à Dieu, d’où l’idée de prédestination : elle permet une humilité complète devant Dieu, qui a tout décidé, par avance.
C’était là une conception typique du calvinisme, qui plaçait l’être humain seul face à Dieu et son arbitraire, tout comme l’entrepreneur capitaliste est seul face au marché et son arbitraire. Rappelons ici ce que nous enseigne Friedrich Engels :
« Mais à côté de l’Allemand Luther, il y avait eu le Français Calvin. Avec une rigueur bien française, Calvin mit au premier plan le caractère bourgeois de la Réforme, républicanisa et démocratisa l’Église.
Tandis qu’en Allemagne la Réforme luthérienne s’enlisait et menait le pays à la ruine, la Réforme calviniste servit de drapeau aux républicains à Genève, en Hollande, en Écosse, libéra la Hollande du joug de l’Espagne. »
Naturellement, ce concept de prédestination est étranger au catholicisme, où justement tout se décide entre l’individu et l’Église. Les jésuites n’ont eu cesse, dans le cadre de leur politique donnant naissance au baroque, de mettre en avant le choix « libre »… pour renforcer la dimension féodale, le pouvoir des forces qui permettraient cette liberté.
Car la reconquête des masses perdues avec le calvinisme exigeait la mobilisation tous azimuts, les décors splendides, les introspections mystiques, les processions comme exutoires collectifs pour « sauver » son âme individuelle.
La reconnaissance du choix libre était le prix à payer pour proposer un modèle alternatif attractif, mobilisateur. C’est pour cela que, finalement, était totalement secondaire le débat avec les dominicains sur la question de savoir si Dieu intervenait en dernier recours pour réaliser l’acceptation de la grâce (comme le pensaient les dominicains) ou pas (comme le pensaient les jésuites).
Du moment que les masses étaient la cible de la reconquête, cela allait. D’ailleurs, le pape Paul V avait réglé la question en 1607 en gelant les débats, acceptant de fait le statu quo et l’absence de réponse officielle.
Cependant, historiquement, c’est le principe de la Contre-Réforme et de son style appelé baroque qui a pris le dessus dans l’Eglise, dans sa reconquête des masses. Cornelius Jansen, dans son contexte, ne peut pas accepter cette dynamique jésuite, qui est propre à l’aristocratie uniquement.
Le patriciat n’a pas sa place dans une dynamique où l’Église décide de tout et est au centre de tout ce qui se passe intellectuellement, culturellement, etc. Dans le catholicisme, on sauve son âme par la foi et les actes qui sont bons, deux formes étroitement sous le contrôle de l’Église.
Cornelius Jansen est obligé de pencher dans le sens du protestantisme sur ce point s’il veut reconnaître une certaine indépendance au patriciat, et il parle comme les protestants de salut par la grâce seule. C’est Dieu qui choisit.
Toutefois, comme ce n’est pas le marché qui décide de la réalité dans sa vision du monde, mais une société statique avec un patriciat se maintenant à côté de l’Eglise et de l’aristocratie, Cornelius Jansen considère que la vie privée doit être en accord avec la pratique de la foi et des actes corrects tels que conçus par l’Eglise.
C’est, en apparence, une forme d’activité laïque religieuse, typique du protestantisme des débuts, mais arrivant tardivement et reflétant une situation difficile d’une couche sociale prise entre le marteau calviniste et l’enclume de la Contre-Réforme et son agressivité baroque.
En réalité, c’est surtout une sorte de reconnaissance passive de l’Église : on fait comme si on était encadré par l’Église, mais on le fait seul. C’est une position de repli par rapport à l’Église, mais en étant soumis à elle ; c’est la position du patriciat.
C’est un hussitisme qui ne se prolonge pas, qui ne brise pas ses attaches féodales, car il se limite au patriciat, alors qu’en Bohême d’autres classes étaient rentrées dans la bataille : la bourgeoisie, la plèbe, les paysans.