Le jansénisme en tant que courant proposait une alternative à la compagnie de Jésus. Cette dernière était pour une éducation stricte d’une élite tournée vers le peuple et chargée de la mobiliser, de le canaliser dans le mysticisme religieux.
Le jansénisme était quant à lui tourné vers la formation d’une élite religieuse moins hiérarchisée et entourée fortement de laïcs, le tout dans une atmosphère non pas populaire et mystique en général comme avec le baroque jésuite, mais individuel et austère, en faveur du repentir, d’une mystique personnalisée.
La monarchie absolue pouvait-elle y voir un intérêt, face aux jésuites?
Historiquement, en France, la monarchie devenant absolue avait mis de côté la faction catholique ultra, avec le succès d’Henri IV. La tentative de meurtre contre ce dernier mené par Jean Châtel, ancien élève des jésuites, amena même une décision du parlement de Paris en 1594, aboutissant à l’expulsion de ceux-ci. Deux professeurs de Jean Châtel furent bannis, un troisième exécuté ; le Collège de Clermont où il était passé fut fermé (devenant ensuite le lycée parisien Louis le Grand).
Cependant, avec Henri IV, la monarchie devenant absolue avait l’initiative ; sa ligne d’intégration des protestants lui donnait le rôle de principal défenseur du catholicisme. L’Édit de Nantes était un piège pour les protestants, et pratiquement rien d’autre. Aussi, la monarchie devenant absolue pouvait accepter le retour des jésuites, si ceux-ci acceptaient l’hégémonie de la monarchie devenant absolue.
Cela fut fait, le jésuite Pierre Coton (1564-1626) devenant même le confesseur d’Henri IV (puis de Louis XIII) et l’Édit de Rouen permit en 1603 aux jésuites de revenir, disposant rapidement de 19 institutions d’enseignement, et fondant le Collège Henri-IV à La Flèche dans la Sarthe, un internat pour 1000 élèves abritant même le cœur d’Henri IV.
Bien entendu, les jésuites tenteront toujours de pousser à une alliance de la France avec l’Espagne, et ils gagneront toujours plus en influence au fur et à mesure que la monarchie absolue perdra sa dimension progressiste, obligeant même la monarchie à repousser violemment cette prétention.
Au XVIIIe siècle, en Autriche, Marie-Thérèse et Joseph II appuieront d’ailleurs même le jansénisme au sein de leur empire, dans leur tentative de former une monarchie absolue, tentative s’opposant inévitablement à l’Église catholique en général et aux jésuites en particulier.
Mais donc, avant la fin du XVIIe siècle, en France, les Jésuites ne présentent pas une réelle menace pour la monarchie absolue ; ils représentent une simple faction cherchant l’hégémonie, mais qui est tout à fait contrôlable, et cela d’autant plus qu’elle est hautement centralisée et liée au Vatican. Il suffisait à la monarchie absolue d’avoir des rapports francs avec ce dernier pour maîtriser les jésuites.
Le jansénisme apparaît à l’opposé dès le départ comme un courant centrifuge, niant la centralisation au nom de l’intégration de laïcs dans la structure religieuse élitiste.
Or, rien n’est plus dangereux pour un pouvoir hautement centralisé cherchant à maintenir le contrôle face aux oppositions au développement historique ; il y a ici une expression décousue contribuant à empêcher les avancées. C’est particulièrement frappant si on regarde le développement de la tragédie classique, qui était confrontée aux multiples éloges centrifuges de la tragi-comédie.
Pour la monarchie absolue, l’esprit n’était pas aux initiatives non maîtrisées, non canalisées. Les gouvernements du cardinal de Richelieu et du cardinal Mazarin étaient hautement pragmatiques et le jansénisme apparaissait comme une source de nuisance plus qu’autre chose, de par sa complexité théorique, son manque de lisibilité.
Un autre point s’avéra décisif dans la position de la monarchie absolue par rapport au jansénisme.
Etant donné que Jansénius avait les Pays-Bas à l’esprit, et étant donné que la France entendait également s’approprier la Flandre, il n’avait pas hésité à fournir une réponse brutale, avec en 1635, sous le nom d’Armacanus, une attaque extrêmement virulente de la politique française et de la monarchie française elle-même, intitulée Alexandri Patricii Armacani Theologi Mars Gallicus, seu de justitia armorum regis Galliæ libri duo.
Une telle démarche ne pouvait qu’anéantir la possibilité d’un jansénisme à la française, qui n’a de fait pas existé par manque d’appui d’une classe organisée telle que la bourgeoisie ou l’aristocratie.
Enfin, si l’on peut abstraitement considérer que la monarchie absolue française aurait pu en théorie répondre favorablement à la proposition stratégique de Jansénius, en faisant une alliance entre la France et les Provinces-Unies, si le contexte de son démarrage au moment d’Henri IV avait été différent, il faut noter que la ligne pro-catholique était dans la matrice et que de toutes manières, la base toujours et de toutes manières féodale de la monarchie absolue ne pouvait pas aller dans le sens d’une alliance réelle et durable avec la république bourgeoise des Provinces-Unies.
Jansénius, lui-même, poursuivait une indépendance des Pays-Bas dans une perspective catholique, ce qui était en contradiction avec le calvinisme aux Provinces-Unies. Il était impossible de s’en sortir, parmi tant d’intérêts mêlés, en restant à la demi-mesure.