Déjà en 1907 au Congrès international socialiste de Stuttgart, lorsque la Deuxième Internationale aborda la question de la politique coloniale et des guerres impérialistes, il s’avéra que plus de la moitié de la Deuxième Internationale et la plupart de ses dirigeants étaient dans ces questions beaucoup plus près des points de vue de la bourgeoisie que du point de vue communiste de Marx et d’Engels.
Malgré cela le Congrès de Stuttgart adopta un amendement proposé par les représentants de l’aile révolutionnaire, N. Lénine et Rosa Luxemburg, et conçu dans ces termes :
« Si néanmoins une guerre éclate, les socialistes ont le devoir d’œuvrer pour sa fin rapide et d’utiliser par tous les moyens la crise économique et politique provoquée par la guerre pour réveiller le peuple et de hâter par là la chute de la domination capitaliste. ».
Au Congrès de Bâle de novembre 1912, convoqué au moment de la guerre des Balkans, la Deuxième Internationale déclara :
« Que les gouvernements bourgeois n’oublient pas que la guerre franco-allemande donna naissance à l’insurrection révolutionnaire de la Commune, et que la guerre russo-japonaise mit en mouvement les forces révolutionnaires de la Russie. Aux yeux des prolétaires c’est un crime que de s’entre-tuer au profit du gain capitaliste, de la rivalité dynastique et de la floraison des traités diplomatiques ».
Fin juillet et au début d’août 1914, 24 heures avant le commencement de la guerre mondiale, les organismes et institutions compétents de la Deuxième Internationale continuèrent encore à condamner la guerre qui approchait, comme le plus grand crime de la bourgeoisie. Les déclarations se rapportant à ces jours et émanant des partis dirigeants de la Deuxième Internationale constituent l’acte d’accusation le plus éloquent contre les dirigeants de la Deuxième Internationale.
Dès le premier coup de canon tombé sur les champs de la boucherie impérialiste, les principaux partis de la Deuxième Internationale trahirent la classe ouvrière et passèrent, sous le couvert de la « défense nationale » chacun du coté de « sa » bourgeoisie. Scheidemann et Ebert en Allemagne, Thomas et Renaudel en France, Henderson et Hyndman en Angleterre, Vandervelde et De Brouckère en Belgique, Renner et Pernerstorfer en Autriche, Plékhanov et Roubanovitch en Russie, Branting et son parti en Suède, Gompers et ses camarades d’idées en Amérique, Mussolini et Cie en Italie, exhortèrent le prolétariat à une « trêve » avec la bourgeoisie de « leur » pays, à renoncer à la guerre contre la guerre, et à devenir en fait de la chair à canon pour les impérialistes.
Ce fut à ce moment que la Deuxième Internationale fit définitivement faillite et périt.
Grâce au développement économique général, la bourgeoisie des pays les plus riches, au moyen de petites aumônes puisées dans ses gains énormes, eut la possibilité de corrompre et de séduire le sommet de la classe ouvrière, l’aristocratie ouvrière. Les « compagnons de lutte » petits-bourgeois du socialisme affluèrent dans les rangs des partis social-démocrates officiels et orientèrent peu à peu le cours de ceux-ci dans le sens de la bourgeoisie. Les dirigeants du mouvement ouvrier parlementaire et pacifique, les dirigeants syndicaux, les secrétaires, rédacteurs et employés de la social-démocratie, formèrent toute une caste d’une bureaucratie ouvrière, ayant ses propres intérêts de groupes égoïstes, et qui fut en réalité hostile au socialisme.
Grâce à toutes ces circonstances la social-démocratie officielle dégénéra en un parti anti-socialiste et chauvin.
Dans le sein de la Deuxième Internationale déjà se révélèrent trois tendances fondamentales. Au cours de la guerre et jusqu’au début de la révolution prolétarienne en Europe les contours de ces trois tendances se dessinèrent déjà en toute netteté :
1. La tendance social-chauvine (tendance de la « majorité », dont les représentants les plus typiques sont les social-démocrates allemands, qui partagent maintenant le pouvoir avec la bourgeoisie allemande et qui sont devenus les assassins des chefs de l’Internationale Communiste, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg.
Les social-chauvins se sont révélés à présent complètement comme les ennemis de classe du prolétariat et suivent le programme de « liquidation » de la guerre que la bourgeoisie leur a dicté : faire retomber la plus grande partie des impôts sur les masses laborieuses, inviolabilité de la propriété privée, maintien de l’armée entre les mains de la bourgeoisie, dissolution des conseils ouvriers surgissant partout, maintien du pouvoir politique entre les mains de la bourgeoisie – la « démocratie » bourgeoise contre le socialisme.
Malgré l’âpreté avec laquelle les communistes ont lutté jusqu’ici contre les « social-démocrates de la majorité », les ouvriers n’ont cependant pas encore reconnu tout le danger dont ces traîtres menacent le prolétariat international. Ouvrir les yeux à tous les travailleurs sur l’œuvre de trahison des social-chauvins et mettre par la force des armes ce parti contre-révolutionnaire hors d’état de nuire, voilà une des tâches les plus importantes de la révolution prolétarienne internationale.
2. La tendance centriste (social-pacifistes, kautskystes, indépendants). Cette tendance a commencé à se former dès avant la guerre, surtout en Allemagne. Au début de la guerre, les principes généraux du « Centre » coïncidaient presque toujours avec ceux des social-chauvins. Kautsky, le chef théorique du « Centre » défendait la politique poursuivie par les social-chauvins allemands et français. L’Internationale n’était qu’un « instrument en temps de paix »; « lutte pour la paix », « lutte de classe – en temps de paix », tels étaient les mots d’ordre de Kautsky.
Depuis le début de la guerre le « Centre » est pour « l’unité » avec les social-chauvins. Après l’assassinat de Liebknecht et de Luxemburg, le « Centre » continue à prêcher cette « unité » ; c’est-à-dire, l’unité des ouvriers communistes avec les assassins des chefs communistes, Liebknecht et Luxemburg.
Dès le début de la guerre, le « Centre » ( Kautsky, Victor Adler, Turati, MacDonald) se mit à prêcher « l’amnistie réciproque » à l’égard des chefs des partis social-chauvins d’Allemagne et d’Autriche d’une part, de la France et de l’Angleterre de l’autre. Cette amnistie, le « Centre » la préconise encore aujourd’hui, après la guerre, empêchant ainsi les ouvriers de se faire une idée claire sur les causes de l’effondrement de la Deuxième Internationale.
Le « Centre » a envoyé ses représentants à Berne à la conférence internationale des socialistes de compromis, facilitant ainsi aux Scheidemann et aux Renaudel leur tâche de tromper les ouvriers.
Il est absolument nécessaire de séparer du « Centre » les éléments les plus révolutionnaires, ce à quoi on ne peut aboutir que par la critique impitoyable et en compromettant les chefs du « Centre ». La rupture organisatoire avec le « Centre » est une nécessité historique absolue. La tâche des communistes de chaque pays est de déterminer le moment de cette rupture selon l’étape que le mouvement a atteint chez eux.
3. Les Communistes. Au sein de la Deuxième Internationale où cette tendance a défendu les conceptions communistes-marxistes sur la guerre et les tâches du prolétariat (Stuttgart 1907; résolution Lénine-Luxemburg) ce courant était en minorité. Le groupe de la « gauche radicale » (le futur Spartakusbund) en Allemagne, le parti des bolcheviks en Russie, les « tribunistes » en Hollande, le groupe de Jeunes dans une série de pays, formèrent le premier noyau de la nouvelle Internationale.
Fidèle aux intérêts de la classe ouvrière, cette tendance proclama dès le début de la guerre le mot d’ordre de transformation de guerre impérialiste en guerre civile. Cette tendance s’est constituée maintenant en Troisième Internationale.
La conférence socialiste de Berne en février 1919 était une tentative de galvaniser le cadavre de la Deuxième Internationale.
La composition de la conférence de Berne montre manifestement que le prolétariat révolutionnaire du monde n’a rien de commun avec cette conférence.
Le prolétariat victorieux de la Russie, le prolétariat héroïque d’Allemagne, le prolétariat italien, le parti communiste du prolétariat autrichien et hongrois, le prolétariat suisse, la classe ouvrière de la Bulgarie, de la Roumanie, de Serbie, les partis ouvriers de gauche suédois, norvégiens, finlandais, le prolétariat ukrainien, letton, polonais, la Jeunesse Internationale, et l’Internationale des Femmes ont ostensiblement refusé de participer à la conférence de Berne des social-patriotes.
Les participants à la conférence de Berne qui ont encore quelque contact avec le véritable mouvement ouvrier de notre époque, ont formé un groupe d’opposition qui, dans la question essentielle du moins « appréciation de la Révolution russe », se sont opposés aux menées des social-patriotes. La déclaration du camarade français Loriot, qui stigmatisa la majorité de la conférence de Berne comme suppôt de la bourgeoisie, reflète la véritable opinion de tous les ouvriers conscients du monde entier.
Dans la prétendue « question des responsabilités », la conférence de Berne se mouvait toujours dans les cadres de l’idéologie bourgeoise. Les social-patriotes allemands et français se firent mutuellement les mêmes reproches que s’étaient lancés réciproquement les bourgeois allemands et français.
La conférence de Berne se perdit dans des détails mesquins sur telle ou telle démarche de tel ou tel ministre bourgeois avant la guerre, ne voulant pas reconnaître que le capitalisme, le capital financier des deux groupes de puissances et leurs valets social-patriotes étaient les principaux responsables de la guerre.
La majorité des social-patriotes de Berne voulait trouver le principal responsable de la guerre. Un coup d’œil dans le miroir aurait suffi pour qu’ils se reconnaissent tous comme responsables.
Les déclarations de la conférence de Berne sur la question territoriale sont pleines d’équivoques. Cette équivoque est justement ce dont la bourgeoisie a besoin. Monsieur Clemenceau, le représentant le plus réactionnaire de la bourgeoisie impérialiste, a reconnu les mérites de la conférence social-patriote de Berne en face de la réaction impérialiste en recevant une délégation de la conférence de Berne et en lui proposant de participer à toutes les commissions de la conférence impérialiste de Paris.
La question coloniale révéla clairement que la conférence de Berne était à la remorque de ces politiciens libéraux-bourgeois de la colonisation, qui justifient l’exploitation et l’asservissement des colonies par la bourgeoisie impérialiste et cherchent seulement à la masquer par des phrases philanthropiques-humanitaires.
Les social-patriotes allemands exigèrent que l’appartenance des colonies allemandes au Reich soit maintenue, c’est-à-dire le maintien de l’exploitation de ces colonies par le capital allemand. Les divergences qui se manifestèrent à ce sujet démontrent que les social-patriotes de l’Entente ont le même point de vue de négrier, et considèrent comme tout naturel l’asservissement des colonies françaises et anglaises par le capital métropolitain. Ainsi la conférence de Berne montre qu’elle avait bien oublié le mot d’ordre de « A bas la politique coloniale ».
Dans l’appréciation de la « Société des Nations » la conférence de Berne montra qu’elle suivait les traces de ces éléments bourgeois qui, par l’apparence trompeuse de la soi-disant « Ligue des Peuples » veulent bannir la révolution prolétarienne grandissant dans le monde entier. Au lieu de démasquer les menées de la conférence des alliés à Paris, comme celles d’une bande qui fait de l’usure avec les peuplades et les domaines économiques, la conférence de Berne la seconda en se faisant son instrument.
L’attitude servile de la conférence, qui abandonna à une conférence gouvernementale bourgeoise de Paris le soin de résoudre la question de la législation sur la protection du travail, montre que les social-patriotes se sont consciemment exprimés en faveur de la conservation de l’esclavage du salariat capitaliste et sont prêts à tromper la classe ouvrière par de vaines réformes.
Les tentatives inspirées par la politique bourgeoise, de faire prendre à la conférence de Berne une résolution, selon laquelle une intervention armée éventuelle en Russie serait couverte par la Deuxième Internationale, n’échouèrent que grâce aux efforts de l’opposition. Ce succès de l’opposition de Berne remporté sur les éléments chauvins déclarés est pour nous la preuve indirecte que le prolétariat de l’Europe occidentale sympathise avec la révolution prolétarienne de Russie et qu’il est prêt à lutter contre la bourgeoisie impérialiste.
A leur crainte de s’occuper le moins du monde de ce phénomène d’importance historique mondiale on reconnaît la peur qu’éprouvent ces valets de la bourgeoisie devant l’extension des conseils ouvriers.
Les conseils ouvriers constituent le phénomène le plus important depuis la Commune de Paris. La conférence de Berne, en ignorant cette question, a manifesté son indigence spirituelle et sa faillite théorique.
Le congrès de l’internationale Communiste considère « l’Internationale » que la conférence de Berne tente de construire comme une Internationale jaune de briseurs de grèves, qui n’est et ne restera qu’un instrument de la bourgeoisie.
Le congrès invite les ouvriers de tous les pays à entamer la lutte la plus énergique contre l’Internationale jaune et à préserver les masses les plus larges du peuple de cette Internationale de mensonge et de trahison.
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