Premier tour des élections législatives de juin-juillet 2024 : une France qui ne veut plus ou une France qui ne peut pas ?

La France est divisée en trois blocs électoraux au soir du premier tour des élections législatives, le 30 juin 2024. Il y a un bloc conformiste, avec le centre et la droite, et deux blocs à vocation contestataire, maniant un populisme de droite ou bien ou un populisme de gauche.

Tout cela s’affinera avec le second tour, car c’est une configuration politique nouvelle. L’une des thèses à étudier, en fait la thèse à étudier même, est de savoir si il y a une américanisation de la politique française, avec une droite républicaine conservatrice et une gauche démocrate moderniste.

Néanmoins, au-delà de ces considérations, au soir du premier tour, il y a la question plus directe de ce que la situation représente sur le plan de la lutte des classes. On ne saurait le dire à un moment passager, alors qu’une mobilisation électorale va de nouveau se produire.

Cependant, on peut en poser les contours. Ces élections qui font sauter le paysage politique traditionnelle, que représentent-elles ? Une France qui ne veut plus, qui en a assez d’une situation politique sans cohérence, d’institutions en décalage avec elle ?

Ou bien une France qui ne peut pas, qui ne supporte plus un monde moderne au rythme trop rapide, et qui fait une crise de nerfs ?

Dans le premier cas, le passage par le vote pour le Rassemblement National est pour des millions de Français un (horrible) détour dans la recomposition du prolétariat. Il y a eu la corruption par le capitalisme et la société de consommation, mais il y a un début de rupture. Le poids du passé, de la corruption, fait qu’on en passe par là. C’est moche, mais sans réelle gravité, car seulement passager.

Dans le second cas, la situation est hautement régressive. Les gens se rétractent de tout et ne veulent entendre parler de rien. Ils délèguent et exigent qu’on les laisse tranquille.

Bien sûr, dialectiquement les deux interprétations se répondent. Et il y a du positif également dans le fait de vouloir se mettre à l’écart, tout comme il y a du négatif à protester sans perspective aucune à part celle de suivre des démagogues.

Néanmoins, il y a la question de la perspective révolutionnaire qui se joue ici. Stratégiquement, que l’aspect principal soit le premier cas, ou le second, voilà qui est très différent.

Dans le premier, il faut s’attendre à une rupture partielle, dans le second à une rupture générale.

Dans le premier cas, tout va continuer comme avant, mais il va y avoir des secteurs entiers qui vont sortir du cadre, prenant au sérieux la protestation. Cela va faire, disons 10 % de la population qui va s’agiter sans commune mesure avec une majorité suiviste.

Dans le second cas, il va y avoir à un moment une telle passivité que cela va se transformer en cassure.

Dans le premier cas, on a un « mai rampant » à l’italienne, avec une situation de tension prolongée et très dure, ne concernant toutefois qu’une petite minorité des masses. Dans le second cas, on a une explosion à la mai 1968.

Ou encore : dans le premier cas, on a une situation à la chinoise, avec une base faible de contestation cherchant à s’agrandir, le processus s’étalant sur une période assez longue.

Dans le second cas, on a une situation à la russe, avec des mouvements explosifs de rupture (1905, février 1917, octobre 1917).

Il y a là matière à réflexion. Et ce dont on peut être sûr, c’est que comme le dit le mot chinois, « L’arbre préfère le calme, mais le vent continue de souffler ». Il se passe bien quelque chose de profond en France, de très profond.

De trop profond pour être visible, mais qui connaît l’Histoire peut lire un mouvement d’immense amplitude.

Et il est opportun de citer ainsi Lénine sur la « loi fondamentale de la révolution », exposée dans La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »).

« La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements.

Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois.

C’est seulement lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher.

Cette vérité s’exprime autrement en ces termes: la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs).

Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »

On est encore très loin. Mais une chose est certaine : la situation confirme que l’initiative de lancer Crise était juste. Le monde n’est clairement plus le même et Crise est apparue exactement au bon moment pour suivre l’évolution de ce qu’on doit appeler la seconde crise générale du capitalisme.

Il a été vu de manière juste qu’il y aurait crise économique et tendance à la guerre ; l’instabilité politique a été soulignée comme un critère de la crise générale. Voici ce qu’on lit en juillet 2020 dans l’article : 10 critères + 3 pour caractériser la crise générale du mode de production capitaliste.

Le point qui nous intéresse plus directement le 9.

1.L’étalement géographique du mode de production capitaliste se réduit en raison de l’apparition de pays socialistes.

2. Dans les pays capitalistes il y a des tendances à un retour aux formes économiques ré-capitalistes.

3. La division internationale du travail se réduit, le caractère relativement unifié de la production au niveau international est ébranlé.

4. La valeur de la monnaie vacille, la parité-or est remplacée par la planche à billets.

5. L’accumulation du capital cède la place à une désaccumulation.

6. La production se réduit.

7. Le système de crédit s’effondre.

8. Le niveau de vie des masses chute, en raison de l’inflation, du chômage, etc.

9. Une lutte aiguë se produit dans les couches dominantes de la bourgeoisie, ce qui se caractérise par une instabilité politique, l’émergence de nouveaux partis, l’incapacité à disposer d’une majorité parlementaire pour le gouvernement, etc.

10. Le consensus en faveur d’un capitalisme inébranlable commence à disparaître.

1. L’abandon de toute prétention universaliste caractérise un échec du projet civilisationnel.

2. La contradiction villes-campagnes a atteint un stade destructeur.

3. La tendance à la guerre se généralise.

Le point 9 caractérise très bien la situation politique française. En 2020, personne en France à part le PCF(mlm), désormais PMD, n’osait voir les choses ainsi. C’était pourtant le regard juste, car le capitalisme obéit à des lois historiques.

Quand on est armé du matérialisme dialectique, on comprend le cours des choses, et on devient inébranlable, car on s’aligne sur l’affrontement entre le nouveau et l’ancien, entre l’avenir et le passé.

La France ne veut plus, la France ne peut pas, en fait la France ne parvient à rien, mais elle est tourmentée, elle est travaillée au corps par des tendances historiques inéluctables.

C’est l’enfantement douloureux d’une société nouvelle qui se met à l’œuvre.