Pierre-Joseph Proudhon est coincé à la base : d’un côté, il veut dénoncer la propriété. Mais à ses yeux, le problème concret est la propriété trop puissante. A ses yeux, le communisme n’est d’ailleurs qu’une propriété toute puissante, et donc tyrannique par définition.
La seule perspective qu’il lui reste est ainsi de proposer une une société de petits propriétaires. C’est le point de vue petit-bourgeois, s’exprimant par la notion d’esclavage individuel et l’exigence d’autonomie.
L’idéal de Pierre-Joseph Proudhon, c’est un « socialisme » d’individus disposant d’une propriété, c’est-à-dire une société décentralisée de petits propriétaires.
Voici ce qu’il dit, et c’est la même chose que Eugen Dühring à savoir que le petit capitalisme est correct, que si chacun est sa propre entreprise alors il n’y a pas exploitation, que cette démarche s’oppose à l’Etat, à l’autoritarisme, tant féodal que social.
Pierre-Joseph Proudhon dit donc, dans une défense de la propriété personnelle permettant de protéger l’individu de toute tyrannie :
« La propriété, si on la saisit à l’origine, est un principe vicieux en soi et antisocial, mais destiné à devenir, par sa généralisation même et par le concours d’autres institutions, le pivot et le grand ressort de tout le système social (…).
Est-il vrai que l’État, après s’être constitué sur le principe de la séparation des pouvoirs, requiert un contrepoids qui l’empêche d’osciller et devenir hostile à la liberté ; que ce contrepoids ne peut se rencontrer ni dans l’exploitation en commun du soi, ni dans la possession ou propriété conditionnelle, restreinte, dépendante et féodale, puisque ce serait placer le contrepoids dans la puissance même qu’il s’agit de contre-balancer, ce qui est absurde ; tandis que nous le trouvons dans la propriété absolue, c’est-à-dire indépendante, égale en autorité et souveraineté à l’État ?
Est-il vrai, en conséquence, que par la fonction essentiellement politique qui lui est dévolue, la propriété, précisément parce que son absolutisme doit s’opposer à celui de l’État, se pose dans le système social comme libérale, fédérative, décentralisatrice, républicaine, égalitaire, progressive, justicière ?
Est-il vrai que ces attributs, dont aucun ne se trouve dans le principe de propriété, lui viennent au fur et à mesure de sa généralisation, c’est-à-dire à mesure qu’un plus grand nombre de citoyens arrivent à la propriété ; et que pour opérer cette généralisation, pour en assurer ensuite le nivellement, il suffit d’organiser, autour de la propriété et pour son service, un certain nombre d’institutions et de services, négligés jusqu’à ce jour, abandonnés au monopole et à l’anarchie ? (…)
La destination politique et sociale de la propriété reconnue, j’appellerai une dernière fois l’attention du lecteur sur l’espèce d’incompatibilité qui existe ici entre le principe et les fins, et qui fait de la propriété une création vraiment extraordinaire.
Est-il vrai, demanderai-je encore, que cette propriété, maintenant sans reproche, est pourtant la même, quant à sa nature, à ses origines, à sa définition psychologique, à sa virtualité passionnelle, que celle dont la critique exacte et impartiale a si vivement surpris l’opinion ; que rien n’a été modifié, ajouté, retranché, adouci dans la notion première ; que si la propriété s’est humanisée, si de scélérate elle est devenue sainte, ce n’est pas que nous en ayons changé l’essence, que nous avons au contraire religieusement respectée ; c’est tout simplement que nous en avons agrandi la sphère et généralisé l’essor ?
Est-il vrai que c’est dans cette nature égoïste, satanique et réfractaire que nous avons trouvé le moyen le plus énergique de résister au despotisme sans faire crouler l’État, comme aussi d’égaliser les fortunes sans organiser la spoliation et sans museler la liberté ?
Est-il vrai (…) que pour changer les effets d’une institution qui, dans ses commencements, fut le comble de l’iniquité, pour métamorphoser l’ange des ténèbres en ange de lumière, nous n’avons eu besoin que de l’opposer à lui-même, en même temps qu’au pouvoir, de l’entourer de garanties et de décupler ses moyens, comme si nous eussions voulu exalter sans cesse, dans la propriété, l’absolutisme et l’abus ?
Ainsi, c’est à la condition de conserver sa personnalité entière, son moi indompté, son esprit de révolution et de débauche, que la propriété peut devenir un instrument de garantie, de liberté, de justice et d’ordre. Ce ne sont pas ses inclinations qu’il faut changer, ce sont ses œuvres ; ce n’est plus en combattant, à la manière des anciens moralistes, le principe de concupiscence, qu’il faut désormais songer à purifier la conscience humaine ; comme l’arbre dont le fruit âpre et vert au commencement se dore au soleil et devient plus doux que le miel; c’est en prodiguant à la propriété la lumière, les vents frais et la rosée que nous tirerons de ses germes de péché des fruits de vertu.
Notre critique antérieure subsiste donc : la théorie de la propriété libérale, égalitaire, moralisatrice tomberait, si nous prétendions la distinguer de la propriété absolutiste, accapareuse et abusive ; et cette transformation que je cherchais sous le nom de synthèse, nous l’avons obtenue, sans aucune altération du principe, par un simple équilibre. »
Théorie de la propriété
Pierre-Joseph Proudhon manie ici une fausse dialectique. Au lieu de voir l’aspect historiquement progressiste de la bourgeoisie, mais également sa dimension exploiteuse, il ne voit que la propriété, et il tente de combiner les deux aspects. Sa conception de la dialectique est non pas de chercher la contradiction et la négation, mais de trouver un « équilibre ». La petite propriété est ainsi la solution, le chemin du milieu entre les trop grandes propriétés et l’absence de propriété, qui reviendrait selon lui à une immense propriété tyrannique.
On retrouve ici l’anticommunisme forcené du petit-bourgeois replié sur le petit capitalisme. Ce sera après Pierre-Joseph Proudhon un « standard » du fascisme, prétendant lutter contre la « réaction » et le « front rouge », contre les grands capitalistes et le communisme, etc.