Pour mieux saisir la démarche de Pseudo-Denys l’Aréopagite, si capitale pour le christianisme, revenons sur les points essentiels. Le premier est que selon lui, il faut une hiérarchie spirituelle sur Terre imitant ce qu’il y a dans les cieux.
De la même manière que depuis Dieu, l’illumination tombe en cascade sur les anges selon leur hiérarchie, l’Église fait ruisseler sur Terre le message divin :
« La perfection des membres de la hiérarchie est de s’approcher de Dieu par une courageuse imitation, et, ce qui est plus sublime encore, de se rendre ses coopérateurs, comme dit la parole sainte, et de faire éclater en eux, selon leur force propre, les merveilles de l’action divine.
C’est pourquoi l’ordre hiérarchique étant que les uns soient purifiés et que les autres purifient; que les uns soient illuminés et que les autres illuminent; que les uns soient perfectionnés et que les autres perfectionnent ;
il s’ensuit que chacun aura son mode d’imiter Dieu.
Car cette bienheureuse nature, si l’on me permet une si terrestre locution, est absolument pure et sans mélange, pleine d’une éternelle lumière, et si parfaite qu’elle exclut tout défaut ;
elle purifie, illumine et perfectionne ;
que dis-je? Elle est pureté, lumière et perfection même, au-dessus de tout ce qui est pur, lumineux et parfait ;
principe essentiel de tout bien, origine de toute hiérarchie, surpassant même toute chose sacrée par son excellence infinie. »
A ce titre, l’illumination est un processus mystique et les rituels les plus sacrés sont réservés aux initiés, les autres devant être mis à l’écart.
Voici une consigne donnée par Pseudo-Denys l’Aréopagite :
« Quant aux catéchumènes, aux énergumènes, aux pénitents, la loi de notre hiérarchie leur permet bien d’entendre le chant des cantiques et la lecture des saintes Lettres; mais elle les exclut du sacrifice et de la vue des choses saintes, que l’œil pur des parfaits doit seul contempler.
Car, reflet de Dieu, et remplie d’une souveraine équité, la hiérarchie, se réglant avec un pieux discernement sur le mérite des sujets, les appelle à la participation des dons divins chacun en son temps et dans la proportion convenable.
Or, les catéchumènes ne sont qu’au dernier rang ; car jusqu’alors ils n’ont reçu aucun sacrement, et ne sont point élevés à ce divin état que donne la naissance spirituelle; mais ils sont encore portés, pour ainsi dire, dans les entrailles de ceux qui les instruisent; là, leur organisation se forme et se parfait, tant qu’enfin arrive cet heureux enfantement qui leur communique vie et lumière. »
L’approche est résolument mystique :
« Dieu habite le sanctuaire d’une lumière inaccessible. Il est à lui-même son propre spectacle; mais le regard de la créature ne supporterait pas l’excès de ces éternelles splendeurs : dans cette vie surtout, l’homme ne peut contempler la divinité qu’en énigme et à travers un voile. »
Par conséquent, il faut rejeter la science et la raison :
« Les choses les plus divines et les plus élevées qu’il nous soit donné de voir et de connaître sont, en quelque sorte, l’expression symbolique de tout ce que renferme la souveraine nature de Dieu : expression qui nous révèle la présence de celui qui échappe à toute pensée et qui siège par delà les hauteurs du céleste séjour.
Alors, délivrée du monde sensible et du monde intellectuel, l’âme entre dans la mystérieuse obscurité d’une sainte ignorance, et, renonçant à toute donnée scientifique, elle se perd en celui qui ne peut être ni vu ni saisi; tout entière à ce souverain objet, sans appartenir à elle-même ni à d’autres; unie à l’inconnu par la plus noble portion d’elle-même, et en raison de son renoncement à la science; enfin puisant dans cette ignorance absolue une connaissance que l’entendement ne saurait conquérir. »
L’approche mystique étant difficile, il faut par conséquent que tout soit marqué du sceau du secret, seuls les initiés ayant le droit d’accéder aux informations divines :
« Pour vous, mon fils, selon la loi sacrée de la tradition sacerdotale, recevez avec de saintes dispositions des paroles saintes; devenez divin par cette initiation aux choses divines;
cachez au fond de votre cœur les mystères de. ces doctrines d’unité, et ne les livrez pas aux profanations de la multitude.
Car, comme disent les oracles, il ne faut pas jeter aux pourceaux l’éclat si pur et la beauté si splendide des perles spirituelles. »
Or, ce qu’il découle inévitablement de tout cela, c’est que l’être humain relève de la création divine et que par conséquent, il porte une dignité lui-même, il porte lui-même l’illumination. La créature créée devient elle-même divine…
« Il est la lumière des illuminés, la sainteté des parfaits.
C’est en sa divinité que les créatures se divinisent, en sa simplicité qu’elles se simplifient, en son unité qu’elles atteignent l’unité elles-mêmes. Il est le principe radical et suréminent de tout principe; il manifeste le secret de sa perfection avec une sage bonté. En un mot, il est la vie de ce qui vit, l’essence de ce qui est, le principe et la cause de toute vie, de toute existence, par la fécondité de son amour qui a produit et qui conserve les créatures. »
Il y a ici une dynamique indirecte d’une portée essentielle pour le christianisme.