Pour comprendre le rapport à la social-démocratie du quatrième congrès de l’Internationale Communiste, il faut bien voir que, de manière unilatérale, il était considéré que la scission avec la social-démocratie était consommée. Zinoviev se moqua par exemple de Georg Ledebour comme d’un « révolutionnaire à l’ancienne mode ».
Or, si Georg Ledebour était un centriste, il avait été un opposant à la première guerre mondiale. Il avait participé à la révolution spartakiste de 1918 ; il refusa le passage dans le camp social-démocrate des restes de l’USPD n’ayant pas rejoint les communistes et fondit en conséquence l’Union Socialiste. Il appartint ensuite au Parti Ouvrier socialiste tout en soutenant des initiatives de masse des communistes, soutenant finalement en 1948 la fusion des socialistes et des communistes dans le SED dans la partie orientale de l’Allemagne.
L’incapacité à saisir de manière dialectique une figure comme Georg Ledebour est symptomatique de tout un volontarisme, d’une posture visant à forcer le cours des choses, une attitude qui était, en fait, systématique dans les organisations de l’Internationale Communiste.
Cela aboutit à la formation d’oppositions internes se querellant sur les interprétation des directives de l’Internationale Communiste. Une gauche du Parti Communiste de Tchécoslovaquie avait ainsi littéralement fait sécession contre ce qu’elle voyait comme une inaction de sa direction et donc un véritable « attentat » anti-parti.
Des conflits internes ouverts s’exprimaient dans les Partis hongrois, allemand, américain, français, tchécoslovaque, etc.
L’Italien Amadeo Bordiga formulait quant à lui les thèses gauchistes antiparlementaires et ultra-centralistes, ultra-volontarisme reflétant en fait simplement le relatif recul des communistes suite au tassement momentané de la crise révolutionnaire.
Cela était d’ailleurs parallèle au gauchisme dit germano-hollandais, éjecté de tout rapport avec l’Internationale Communiste et qui désormais rejetait toute grève, au nom de la révolution imminente considérée comme seule actualité !
On avait affaire à une fuite en avant dans un radicalisme « puriste » justement fondamentalement opposé au principe de front unique mis en avant par l’Internationale Communiste pour sortir de la période de tassement. Le radicalisme « puriste » dans l’Internationale Communiste affirmait que le front unique était une bonne ligne… mais inapplicable dans le pays concerné.
Il y au, au-delà de cette question éminemment importante, une problématique de fond travaillant l’Internationale Communiste dans toute son histoire, et qu’elle ne résoudra pour ainsi dire jamais, scellant son destin.
Comment conjuguer, en effet, l’exigence d’un Parti d’avant-garde sur le plan idéologique, avec une discipline de fer, et l’exigence d’être un Parti de masse ? Toutes les options oscillaient fondamentalement dans un sens ou dans un autre, se confrontant brutalement aux choix inverses.
Radek formule cette question substantielle de la manière suivante au quatrième congrès, exprimant le point de vue des tendances « de gauche » :
« Je suis d’avis que, dans la situation où se trouve le prolétariat à l’échelle mondiale, le danger ne vient pas de gauche, mais de droite.
Le danger de droite repose avant tout en ce qu’il est très difficile, dans une période où les masses ne partent pas à l’assaut, de mener la politique communiste.
Dans une période d’assaut, chaque ouvrier sent instinctivement la nécessité de l’action révolutionnaire et le Parti est ensuite plus le régulateur que la force de mise en branle.
Dans une telle période de préparation organique entre deux vagues de la révolution, comme nous nous trouvons désormais, le communisme signifie en premier lieu un difficile travail de préparation spirituelle du Parti.
Et avec la jeunesse de nos Partis Communistes d’un côté, et avec son passé social-démocrate de l’autre, il n’est pas seulement pas facile, mais même très difficile de relier deux choses : le caractère de masse du Parti avec son caractère communiste. »
Ayant ici l’appui de Zinoviev, le point de vue de Radek pose le problème de manière technique-pragmatique et, par conséquent, les problèmes ne furent en réalité que repoussés. Tout ce qui importait, en 1922, pour l’Internationale Communiste, c’était de se tourner fondamentalement vers les masses, pour empêcher la réduction des Partis au niveau de sectes coupés de la vie populaire, et cela alors qu’une nouvelle vague révolutionnaire allait se produire.
Les soubresauts provoqués par l’émergence de tendances conflictuelles ne furent pas analysées comme un phénomène idéologique. Cela le sera lors des prochains congrès, avec la mise en place de la bolchevisation comme solution.
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de l’Internationale Communiste