Quetzalcoatl et Jésus, qui voyagent du Ciel aux enfers

Quetzalcoatl est un des principaux dieux de la Mésoamérique. Dans la langue des aztèques, cela signifie oiseau et serpent, ce qui est une allusion bien sûr à sa capacité de passer du Ciel aux enfers, et de remonter.

On a ici un rôle ultime, car ce n’est pas simplement une divinité placée dans les cieux, apportant du bien, c’est aussi une force capable d’aller chercher ceux qui sont prisonniers, pour les libérer.

Les Mayas avaient pareillement un souverain dénommé Oiseau-Jaguar ; en fait, la caractéristique d’un bon souverain, c’est qu’il est capable d’arracher, depuis le haut, les gens aux prises de l’infra-monde, par un règne juste apportant la paix et la prospérité.

Quetzalcóatl représenté dans le Codex Magliabechiano, milieu du 16e siècle

Et si on sait très peu de choses sur le culte de Quetzalcoatl, on en sait bien entendu beaucoup sur Jésus, qui est son strict équivalent. Jésus vient du Ciel, et il affronte l’enfer ; lui-même connaît le doute et la tentation.

Jésus est une grande figure, car il est descendu du ciel pour arracher les brebis égarées (c’est-à-dire pour nous l’humanité dénaturée), pour les ramener « à la vie ».

Jésus lui-même est, selon la tradition chrétienne occidentale qui suivra la mise en place de la religion, « descendu aux enfers ». Sa mort est ici perçue comme un voyage avec un « retour », preuve de sa capacité à transcender le mal au nom du bien.

On remarquera ici que le double de Quetzalcoatl, Xolotl, laid et infirme, va pareillement aux enfers : il transporte le soleil sur son dos chaque nuit. Le parallèle est saisissant, mais on ne peut que le retrouver partout du moment où le sauveur est celui qui apporte la lumière et ose affronter l’obscurité.

On remarquera ici que sur le plan idéologique, la série « Star Wars » s’appuie entièrement sur cette logique d’un être lumineux happé par l’obscurité mais refaisant surface pour agir en sauveur.

Jésus, en bon pasteur portant la brebis égarée, fresque du 3e siècle, catacombe romaine de Saint-Calixte

Autrement dit, la religion, dans sa vocation thérapeutique, a besoin d’une figure du super-thérapeute, qui ne se contente pas d’arracher aux enfers, mais triomphe lui-même d’eux. Bien entendu, la situation de ce super-thérapeute est impossible, aussi doit-il partir, comme Quetzalcoatl et Jésus, pour revenir plus tard, lorsque les temps seront mûrs.

Si on relit ce qui est dit sur Jésus à partir de cet aspect thérapeutique, sa figure apparaît comme finalement très claire. Voici par exemple un épisode raconté par l’évangéliste Jean (une hypothèse très partagée des experts est qu’il s’agit du nom collectif d’un groupe particulièrement mystique de premiers disciples de Jésus).

1 Après cela, il y eut une fête des Juifs, et Jésus monta à Jérusalem.

2 Or, à Jérusalem, près de la porte des brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques. 

3 Sous ces portiques étaient couchés en grand nombre des malades, des aveugles, des boiteux, des paralytiques, qui attendaient le mouvement de l’eau ; 

4 car un ange descendait de temps en temps dans la piscine, et agitait l’eau; et celui qui y descendait le premier après que l’eau avait été agitée était guéri, quelle que fût sa maladie. 

5 Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans. 

6 Jésus, l’ayant vu couché, et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : Veux-tu être guéri? 

7 Le malade lui répondit : Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau est agitée, et, pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. 

8 Lève-toi, lui dit Jésus, prends ton lit, et marche. 

9 Aussitôt cet homme fut guéri ; il prit son lit, et marcha. C’était un jour de sabbat. 

10 Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : C’est le sabbat ; il ne t’est pas permis d’emporter ton lit. 

11 Il leur répondit : Celui qui m’a guéri m’a dit : Prends ton lit, et marche. 

12 Ils lui demandèrent : Qui est l’homme qui t’a dit : Prends ton lit, et marche ? 

13 Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’était ; car Jésus avait disparu de la foule qui était en ce lieu. 

14 Depuis, Jésus le trouva dans le temple, et lui dit : Voici, tu as été guéri ; ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire. 

15 Cet homme s’en alla, et annonça aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri.

C’est systématique : lorsque Jésus guérit quelqu’un, ici un paralysé mais plus vraisemblablement un dépressif, il dit toujours qu’il ne faut pas dire que c’est lui qui l’a fait. Jésus part d’ailleurs directement après la guérison.

Cette démarche est bien connue chez les guérisseurs, au sens psychologique du terme : il faut maintenir une distance et l’acte doit être purement gratuit, sans arrière-pensées. On prend sur soi, sans états d’âme, ni attente.

La dimension empathique est centrale et on est en plein matérialisme, car tous les êtres humains sont de la matière, ils font écho. Karl Marx a été formidable, car il a compris le premier que le communisme, c’était la communauté humaine réunifiée, où tout le monde se fait écho, donc une société sans classes ni État.

Dans l’exemple biblique, Jésus est ici tout simplement doué d’une capacité d’empathie formidable, il arrive à « lire » la psychologie et à remonter le moral. Lorsqu’il rétablit la vue, c’est qu’en fait il opérait peut-être de la cataracte ; mais bien plus souvent et vraisemblablement, il faut lire les choses sous l’angle de l’empathie, de la psychologie.

Voici un épisode conté par l’évangéliste Luc, réputé avoir été lui-même médecin justement.

31 Il se rendit à Capernaüm, une autre ville de la Galilée. Il y enseignait les jours de sabbat. 

32 Ses auditeurs étaient profondément impressionnés par son enseignement, car il parlait avec autorité.

33 Dans la synagogue se trouvait un homme sous l’emprise d’un esprit démoniaque et impur. Il se mit à crier d’une voix puissante : 

34 Ah ! Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous détruire ? Je sais qui tu es ! Tu es le Saint envoyé par Dieu !

35 Mais, d’un ton sévère, Jésus lui ordonna : Tais-toi, et sors de cet homme ! Le démon jeta l’homme par terre, au milieu des assistants, et sortit de lui, sans lui faire aucun mal. 

36 Tous furent saisis de stupeur ; ils se disaient tous, les uns aux autres : Quelle est cette parole ? Il donne des ordres aux esprits mauvais, avec autorité et puissance, et ils sortent !

37 Et la renommée de Jésus se répandait dans toutes les localités environnantes.

Un autre exemple raconté par Luc montre que, bien souvent, Jésus est incompris. Son activité thérapeutique reste incomprise, sans compter qu’ici elle a atteint une dimension mythique ou légendaire.

26 Ils abordèrent dans la région de Gérasa, située en face de la Galilée. 

27 Au moment où Jésus mettait pied à terre, un homme de la ville, qui avait plusieurs démons en lui, vint à sa rencontre. Depuis longtemps déjà, il ne portait plus de vêtements et demeurait, non dans une maison, mais au milieu des tombeaux. 

28 Quand il vit Jésus, il se jeta à ses pieds en criant de toutes ses forces : Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? Je t’en supplie : ne me tourmente pas !

29 Il parlait ainsi parce que Jésus commandait à l’esprit mauvais de sortir de cet homme. En effet, bien des fois, l’esprit s’était emparé de lui ; on l’avait alors lié avec des chaînes et on lui avait mis les fers aux pieds pour le contenir ; mais il cassait tous ses liens, et le démon l’entraînait dans des lieux déserts. 

30 Jésus lui demanda : Quel est ton nom ?

– Légion, répondit-il.

Car une multitude de démons étaient entrés en lui. 

31 Ces démons supplièrent Jésus de ne pas leur ordonner d’aller dans l’abîme.

32 Or, près de là, un important troupeau de porcs était en train de paître sur la montagne. Les démons supplièrent Jésus de leur permettre d’entrer dans ces porcs. Il le leur permit.

33 Les démons sortirent donc de l’homme et entrèrent dans les porcs. Aussitôt, le troupeau s’élança du haut de la pente et se précipita dans le lac, où il se noya.

34 Quand les gardiens du troupeau virent ce qui était arrivé, ils s’enfuirent et allèrent raconter la chose dans la ville et dans les fermes.

35 Les gens vinrent se rendre compte de ce qui s’était passé. Ils arrivèrent auprès de Jésus et trouvèrent, assis à ses pieds, l’homme dont les démons étaient sortis. Il était habillé et tout à fait sain d’esprit. Alors la crainte s’empara d’eux.

36 Ceux qui avaient assisté à la scène leur rapportèrent comment cet homme, qui était sous l’emprise des démons, avait été délivré.

37 Là-dessus, toute la population du territoire des Géraséniens, saisie d’une grande crainte, demanda à Jésus de partir de chez eux. Il remonta donc dans le bateau et repartit.

38 L’homme qui avait été libéré des esprits mauvais lui demanda s’il pouvait l’accompagner, mais Jésus le renvoya en lui disant :

39 Rentre chez toi, et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi !

Alors cet homme partit proclamer dans la ville entière tout ce que Jésus avait fait pour lui.

Si on lit les choses ainsi, alors il faut une relecture de ce qu’est la religion en soi : non pas seulement une consolation et une protestation, mais bien comme le laissait entrevoir Karl Marx, une expression d’inadéquation au monde, un intense sentiment de déchirure interne.

Le Communisme, c’est le retour d’Adam et Eve dans le jardin d’Éden – en conservant les acquis de la civilisation.

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