Rapport sur l’activité du C.E. de l’I.C. au sixième congrès de l’Internationale Communiste

[Boukharine]

Deuxième séance

(18 Juillet 1928 — après-midi)

I. Analyse générale du capitalisme contemporain et formes particulières de la crise capitaliste

Les trois périodes du développement d’après-guerre

Chers camarades,

Depuis le dernier Congrès de l’I.C., nous avons vécu bien des choses. Pour mieux comprendre ce qui s’est passé, pour mieux tracer les perspectives, il est nécessaire de considérer l’étape que nous avons passée, non pas séparément, non pas isolément, mais en liaison avec les étapes précédentes. Pour l’évaluation générale de tout le développement d’après-guerre, il est bon de diviser cette époque en trois périodes.

La première, c’est la période de la crise révolutionnaire aiguë, surtout dans les pays d’Europe. C’est dans cette période que le développement révolutionnaire atteignit son point culminant. Une vague révolutionnaire puissante déferla alors sur toute l’Europe. Les points culminants de cette période furent les années 1920-1921.

A cette première période se rapportent la révolution de février et la révolution d’octobre en Russie, la révolution ouvrière en Finlande de mars 1918, les soulèvements d’août 1918 au Japon, provoqués par les prix élevés du riz, la révolution prolétarienne en Hongrie, l’insurrection de mars 1919 en Corée, l’établissement en avril 1919 du pouvoir des Soviets en Bavière, la révolution nationale bourgeoise de janvier 1920 en Turquie, la prise des usines par les ouvriers d’Italie en 1920 ; font également partie de cette période la marche de l’armée rouge sur Varsovie et, enfin, les événements d’Allemagne en 1921.

Nous voyons que cette première période fut saturée d’événements révolutionnaires d’une ampleur et d’une portée historique des plus considérables. Ces événements ont montré avec une grande acuité le processus de décomposition du régime capitaliste et, en premier lieu, du capitalisme européen. Dans l’ordre chronologique, c’est la fin de l’année 1923 qui clôtura cette première période. En septembre 1923, le soulèvement en Bulgarie se termina par une grave défaite et, en automne 1923, le prolétariat allemand essuya une nouvelle défaite.

Les défaites du prolétariat d’Europe Occidentale constituèrent pour la bourgeoisie une prémisse politique pour son développement ultérieur. Ces défaites et, en particulier, la défaite du prolétariat allemand, furent pour l’Europe Centrale, et même pour l’Europe tout entière, le point de départ de la seconde période de développement, période d’offensive du capital, période de lutte défensive du prolétariat en général et des grèves ouvrières défensives en particulier, période d’élaboration de la stabilisation partielle du capitalisme.

Il faut dire que certains de ces combats défensifs du prolétariat ont atteint une ampleur et une importance formidables, telles par exemple, la grève générale et la grève des mineurs en Angleterre. La deuxième période apporta plus de « paix et d’ordre » au capitalisme européen et au capitalisme mondial en général. Les événements directement révolutionnaires se sont transportés du continent européen aux pays coloniaux et semi-coloniaux. En avril 1925 éclata le soulèvement au Maroc, en août 1925 celui de Syrie ; au cours de la même année s’aggrava la grande lutte en Chine.

Si, dans la première période, la situation immédiatement révolutionnaire avait un caractère nettement européen, nous voyons que, dans la seconde période, la situation immédiatement révolutionnaire s’était transportée dans la périphérie coloniale de l’impérialisme mondial.

Du point de vue économique, du point de vue de l’analyse de l’économie capitaliste, la seconde période peut être considérée comme période de reconstitution des forces productives du capitalisme. Dans cette période, le capitalisme, s’appuyant sur ses victoires politiques, sur la stabilisation politique relative, essaya d’obtenir et obtint une certaine stabilité économique.

Cette période céda la place à la troisième étape, à la période édification capitaliste qui s’exprime par un progrès quantitatif et qualitatif dépassant l’état d’avant-guerre. L’accroissement des forces productives du capitalisme découle d’une part d’un progrès technique assez considérable et, d’autre part, d’une large réorganisation des liaisons économiques capitalistes.

La reconstruction technique, la réorganisation économique et le processus intense de trustisation capitaliste sont toutefois accompagnés de l’accroissement des forces contraires au capitalisme et du développement extrêmement intense des contradictions du capitalisme. Ici il faut mentionner aussi et avant tout l’accroissement de l’U.RS.S.

Avec la période de reconstruction du capitalisme « coïncide » la période de reconstruction en U.R.S.S., période de création d’une nouvelle base technique, d’une certaine réorganisation économique dans le sens social-économique de ce terme (agrandissement du secteur collectivisé de notre économie), et de consolidation croissante de notre appareil de production.

Le développement économique et politique de l’U.RSS, le développement de la révolution chinoise, l’effervescence dans un pays comme l’Inde, enfin, l’accroissement rapide des contradictions intérieures dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale contemporaine et le danger de guerre de plus en plus grand qui résulte de tout cela : tel est l’autre aspect du développement mondial.

Il est nécessaire d’analyser soigneusement la nouvelle situation mondiale qui s’est créée dans la troisième période. Sans connaître, sans comprendre les principales modifications économiques et politiques mondiales, il nous sera impossible de tracer une ligne politique juste et d’aborder dune façon juste les problèmes tactiques du moment actuel.

Il faut établir dès le début et avec la plus grande netteté que la thèse de la stabilisation du capitalisme a actuellement un caractère quelque peu différent de celui qu’elle avait il y a quelques années et qu’en analysant la situation internationale, nous devons tenir compte de cette modification.

Je vais passer maintenant à cette analyse.

Les éléments du progrès technique

Je vais examiner avant tout la question de la technique du monde capitaliste actuel. Nous devons constater un accroissement assez considérable de l’électrification de l’économie des plus importants pays capitalistes. Des inventions très importantes ont été faites dans le domaine de la chimie appliquée. Les nouvelles méthodes de production de combustibles synthétiques, de différentes matières premières, la méthode de Bergius de production de la benzine, la fabrication artificielle de la soie, etc…, tels sont les traits caractéristiques de l’industrie capitaliste actuelle.

Parallèlement à cela, il faut noter l’emploi de plus en plus grand des métaux légers et, en particulier, de l’aluminium, l’emploi de nouvelles machines et appareils dans industrie aussi bien que dans l’agriculture, par exemple de machines agricoles combinées et très compliquées employées aux Etats-Unis d’Amérique, le développement des transports par autos, l’emploi de plus en plus considérable du système de travail à la chaîne et la nouvelle organisation du travail dans les fabriques et usines, la standardisation, typisation, normalisation, production en séries, etc… Tels sont les traits les plus caractéristiques de la technique capitaliste actuelle.

Je vais citer quelques chiffres sur la production de l’énergie électrique aux Etats-Unis d’Amérique.

Production en millions de kW heures
1912192219261927
17 57247 65973 79179 724

On peut citer d’innombrables exemples prouvant que la courbe de développement de l’économie capitaliste marque un progrès déterminé aussi bien quantitatif que qualitatif.

Voici quelques chiffres montrant la dynamique de l’accroissement de la production et du changement du rôle des divers métaux dans la production mondiale. En supposant la production totale de métaux en 1913 égale à 100 nous aurons pour l’année 1926 les chiffres suivants pour les divers métaux :

Acier122
Cuivre150
Plomb107
Aluminium310

Aux Etats-Unis et en Allemagne, l’aluminium soutient une concurrence victorieuse avec les autres métaux dans l’industrie électrotechnique, dans les constructions de chemins de fer, de tramways, etc.

Les chiffres illustrant la production de la soie artificielle sont encore plus significatifs. La production mondiale de soie artificielle s’exprime par les chiffres suivants (en milliers de kilogrammes) :

Production d’avant-guerre11 000
192130 000
192584 000
1927125 000

En mettant le chiffre d’avant-guerre égal à 100, nous obtenons les chiffres suivants :

1921173 %
1925668 %
19271 036 %

En ce qui concerne les nouvelles inventions et leur influence sur la production, citons par exemple, la méthode de Bergius : la benzine synthétique obtenue par sa méthode constitue déjà en Allemagne 12 % de la benzine consommée.

Dans plusieurs pays, ainsi en Allemagne et en Angleterre, on projette de nouvelles innovations techniques très importantes par leur conséquence économique : conduites de gaz à grande distance en Allemagne, électrification en Angleterre, etc…

Il est facile de se rendre compte que ces succès techniques, même si nous les mettons entre guillemets, signifient indiscutablement un accroissement de là productivité du travail social. C’est ainsi que Guenther Stein écrit dans le Berliner Tageblatt qu’aux Etats-Unis, la production de l’industrie de transformation a augmenté de 25 % en comparaison de l’année 1923-24, tandis que le nombre d’ouvriers a diminué de plus de 5 %. Cela veut dire que le rendement l’un ouvrier a augmente d’environ 30 à 40 %.

Le développement de l’industrie chimique acquiert une importance non seulement du point de vue économique général, mais aussi de deux points de vue que voici :

1) du point de vue de la préparation de la guerre, l’industrie chimique étant une industrie de guerre de premier ordre

et 2) du point de vue des modifications considérables possibles dans le domaine de la technique de l’agriculture. La production mondiale de produits chimiques s’élevait avant la guerre à 10 milliards de marks allemands ; en 1923-24, elle était de 18 milliards, l’indice des prix étant de 120. Vous voyez que la production de produits chimiques s’est considérablement accrue. Voici la progression de la consommation de produits azotés dans les pays capitalistes les plus importants :

(en milliers de tonnes d’azote pur)

Avant la guerreEn 1926
Allemagne260430
Anglet5461
France79152
Italie2254
Etats-Unis167341

Le développement des monopoles capitalistes, les tendances de capitalisme d’Etat et leur importance politique

Je pense que ces chiffres n’ont pas besoin de commentaires, ils parlent d’eux-mêmes. Ces modifications techniques qui, dans certains pays et, en premier lieu aux Etats-Unis et en Allemagne, se rapprochent d’une véritable révolution technique, sont liés d’une façon déterminée à la trustisation de l’économie nationale, à la formation de consortiums bancaires énormes et, depuis la fin de la guerre à l’accroissement des tendances de capitalisme d’Etat sous les formes les plus diverses. J’indiquerai ici quelques exemples.

Tout le monde connaît l’existence des trusts gigantesques, telle la société par actions de l’industrie des colorants en Allemagne et en d’autres pays. Je crois que tout le monde est au courant de la création du trust formidable de l’industrie chimique en Angleterre (le konzern Mond, d’où le fameux « mondisme » tire son origine) tous les camarades savent ce que c’est que la « Standard Oil » aux Etats- Unis.

Nous vivons actuellement non seulement dans une époque de formation et de développement rapide d’organisations gigantesques du patronat au sein des pays capitalistes, mais aussi dans une période de création de trusts géants d’un caractère international. J’ai ici, devant moi toute une liste de ces trusts qu’il serait trop long d’énumérer tous.

Il y a quelque temps, au congrès du P.C. de l’U.S., j’ai émis la thèse qu’actuellement s’opère un certain accroissement des tendances de capitalisme d’Etat, et cela non pas sous la forme du « capitalisme de guerre » (que les imposteurs réformistes de divers poils osaient appeler « socialisme de guerre » !) avec le système des cartes et les traits spécifiques déterminés par la guerre. C’est sous une forme nouvelle ou plutôt sous des formes nouvelles que se développe actuellement le processus de fusion, l’interpénétration de plus en plus marquée des trusts, des cartels, des consortiums bancaires avec les organes étatiques de la bourgeoisie capitaliste.

Peu importe d’ailleurs la forme, l’enveloppe sous laquelle se développe ce processus : que ce soit l’Etat qui possède des entreprises industrielles et augmente son intervention dans la vie économique ou que ce soient les organisations économiques capitalistes qui entreprennent « par en bas », selon l’expression des libéraux. « la conquête de l’Etat ».

Il est de toute-évidence que nous devons repousser énergiquement cette dernière thèse : la bourgeoisie impérialiste n’a pas à conquérir l’Etat puisque l’appareil gouvernemental est déjà entre ses mains. Il s’agit des formes d’organisation de la fusion des organes économiques de la bourgeoisie impérialiste avec ses organes gouvernementaux. Ainsi, la question de la forme de ce processus n’a qu’un caractère secondaire. Ici, je tiens seulement à constater et à souligner que ce processus est un fait certain. Nous l’observons en Italie, au Japon, aux Etats-Unis, en Allemagne, et sous des formes les plus variées.

Mais le fait que ce processus existé est incontestable. Certains camarades avaient auparavant exprimé des doutes à ce sujet ; Mais depuis ont paru des études spéciales de camarades s’occupant de ce problème. J’ai particulièrement en vue les travaux des camarades Vurms et Lapinsky qui ont étudié cette question du point de vue tant de la structure du budget d’Etat que du développement de l’industrie étatisée et municipalisée ainsi que des rapports .entre les organisations patronales et gouvernementales de la bourgeoisie impérialiste.

Toutes les données sur cette question dont nous disposons actuellement confirment l’existence d’une tendance de capitalisme d’Etat dans le développement actuel de l’économie impérialiste.

Quels sont les résultats politiques de ce processus ? Nous pouvons le voir à l’exemple américain suivant : voici en effet ce qu’un nommé Théodore Knappen écrit dans un article publié dans le Magazin of Wall Street du 19 mai 1928 et intitulé : « Les qualités de businessmen des principaux candidats à la présidence » : Il n’est pas exagéré de dire qu’il (Hoover) se considère et qu’il est réellement le dirigeant du monde d’affaires américain. Il n’y eut encore jamais et nulle part une institution aussi étroitement liée au monde d’affaires que précisément le département de Hoover… Il respecte le grand capital (big business) et admire les big businessmen (capitalistes). Il est d’avis qu’une seule personne faisant une grande chose est meilleure qu’une dizaine de rêveurs savants qui parlent de ce qu’ils n’ont jamais tente de faire et qu’ils ne sauront jamais faire. Il est incontestable que Hoover, président, ne ressemblera à aucun de ses prédécesseurs. Il sera un businessman-président dynamique, tandis que Coolidge était un business-président statique. Il sera le premier business-président, en opposition aux présidents politiques que nous avons eus jusqu’à présent.

Hoover, ainsi caractérise comme directeur général des trusts, constitue une expression politique du processus de fusion entre les organisations trustisées du capital et les organisations gouvernementales politiques de ce dernier.

Les modifications de structure

Dans cette circonstance, la question suivante s’impose : si tous ces faits correspondent à la réalité, que devient l’analyse de ce qu’on a coutume d’appeler « stabilisation du capitalisme » : Que deviennent nos thèses sur la stabilisation partielle, temporaire, sur la stabilisation avec toutes ses définitions et épithètes ?

Que devient la question de la crise générale du système capitaliste mondial, puisque nous constatons nous-mêmes les succès dans le domaine de la technique, le développement des trusts et autres organisations du capital, puisque, en ce sens, nous constatons un renforcement considérable du capitalisme ? Que devient cette caractéristique spécifique de la stabilisation ? Je pense qu’il faut poser clairement cette question et y répondre avec non moins de netteté, autrement nous risquons de nous égarer dans un chaos idéologique.

Je tiens à rappeler ici quelques souvenirs politiques, quelques renseignements se rapportant à cette question. Quelles furent, il y a quelques années, nos idées sur le processus du développement ultérieur ou de la décomposition ultérieure du système capitaliste ?

J’envisage notamment la période de l’élaboration de notre premier projet de programme. Voici comment, à cette époque, nous formulions la thèse sur l’état du capitalisme : le système capitaliste est en voie de décomposition. Nous ne faisions aucune réserve à cette thèse. Notre idée sur l’avenir du capitalisme pouvait être représentée sous forme d’une courbe descendante continue.

Mais déjà lors du second examen du projet, nous comprimes la nécessité d’y apporter quelques corrections. Déjà au Ve Congrès mondial, nos thèses sur l’Etat et l’avenir de l’économie capitaliste ont été formulées d’une façon quelque peu différente. Ensuite, nous avons commencé à employer le terme « stabilisation » avec diverses réserves : partielle, provisoire, etc.

Maintenant, je pose la question suivante : quel sens ont actuellement ces définitions et ces réserves ? Ont-elles en général un sens quelconque ? Si elles en ont un, est-ce le même sens qu’auparavant ou est-il quelque peu différent ? A mon avis, ces définitions ont actuellement un sens quelque peu différent qu’auparavant.

Je pense, en somme, qu’on peut définir notre position précédente de la façon suivante :

On supposait qu’un certain accroissement de la production ne s’observait que dans tel ou tel pays, et encore à titre d’exception. Cet accroissement ne paraissait pas particulièrement caractéristique, on le considérait comme un phénomène secondaire « conditionnel », croyant que le lendemain déjà ou un avenir très proche apporterait un développement tout autre. En observant dans un pays quelconque une amélioration de la technique, un accroissement des forces productives, une bonne conjoncture, nous pensions que c’était là « un phénomène d’un jour », qu’on ne pouvait prendre au sérieux.

On peut et il faut dire qu’à cette époque il y avait des raisons déterminées pour évaluer ainsi la situation. Mais cette évaluation de la stabilisation, de la stabilisation relative, ne correspond plus en de nombreux points à la situation présente.

Voyons les différents pays.

Les Etats-Unis d’Amérique progressent Que les prophéties au sujet d’une crise en Amérique soient justes, — cela n’est pas exclu, bien plus, cela est même très probable, — n’empêche que la ligne .générale du développement est l’accroissement de la production.

C’est dans ce pays que, pour la première fois dans l’histoire mondiale, dans l’histoire du mouvement ouvrier, le « V » (le capital variable, la valeur de la force de travail), pour employer la terminologie de Marx, diminue non seulement en comparaison de « C » (le capital constant, valeur des moyens de production).- mais aussi en chiffres absolus. Le nombre d’ouvriers employés dans l’industrie diminue. Cela se produit pour la première fois sur une grande échelle dans l’histoire mondiale, dans l’histoire du mouvement ouvrier.

Certains camarades diront peut-être que c’est là une appréciation pessimiste. Mais nous devons faire la distinction entre l’optimisme et la stupidité. Ce sont deux choses différentes. Si nous ne voulons pas être stupides, nous devons tenir compte des faits. C’est la première condition obligatoire pour toute tactique non stupide.

Prenons un autre pays, l’Allemagne. Il y a quelque temps j’écrivis sur l’amélioration de la technique et sur l’accroissement des forces productives en Allemagne. L’anticommuniste « extrême-gauche » Maslow y trouva un prétexte pour m’injurier. Maintenant, il faut être aveugle pour ne pas voir que le capitalisme allemand se développe assez rapidement et que toutes ces conversations sur le néo-impérialisme, sur l’aspiration aux « mandats », la nostalgie des colonies, la construction de nouveaux cuirassés, etc., ne sont pas fortuites.

Voyons la France. Chacun peut se rendre compte qu’il y a une grande différence entre la France d’avant-guerre et la France d’après-guerre, que la vieille France usurière a acquis des qualités nouvelles, qu’elle se transforme maintenant en un pays industriel très puissant.

Et l’Angleterre ? L’Angleterre traverse une période de déclin ; ses forces sont affaiblies, la puissance de l’Empire suit une courbe descendante. Mais l’Angleterre aussi tend toutes ses forces. Sur certains secteurs, la bourgeoisie anglaise réussit à augmenter les forces productives, par exemple dans les brandies nouvelles de l’industrie.

Si ces faits sont exacts, pouvons-nous dire qu’ils signifient la reconnaissance de la liquidation de la crise du capitalisme ? Ou bien signifient-ils autre chose ? Je voudrais poser la même question sous une forme politique encore plus nette : cette analyse concorde-t-elle avec l’analyse de la social-démocratie ?

Je pense qu’il est très facile de comprendre la véritable situation. Voici la réponse juste : la crise générale du capitalisme continue, bien plus, elle se développe, bien que la forme de la crise soit actuellement différente. Auparavant, nous déterminions les symptômes les plus importants de la crise de la façon suivante : nous considérions les pays les uns après les autres et nous disions : dans tel pays, le capitalisme décline, dans le second et dans le troisième, on observe le même processus, dans un tel autre encore, le même processus se manifestera, bien qu’il ne se développe pas aussi vite.

Comme tout dans le monde, notre idée de la crise avait sa racine dans les conditions économiques de cette époque. En Allemagne, c’était le comble de la désagrégation économique. Dans plusieurs autres pays, surtout en Europe Centrale, la situation était analogue. Les anciennes formules étaient basées sur des faits réels bien que quelque peu exagérés. Maintenant, l’ancienne forme de la crise a cédé la place à une autre forme ; c est là toute la question.

Il ne faut pas se figurer que la crise générale du capitalisme et du système capitaliste c’est la ruine du capitalisme dans presque tous les pays, ou dans la majeure partie des pays. La situation est différente.

La crise du capitalisme consiste dans le fait que nous avons actuellement, à la suite de la phase précédente de guerre et d’après-guerre, des modifications radicales de structure dans toute l’économie mondiale, des modifications qui aggravent énormément et inévitablement toute contradiction dans le système, capitaliste et qui, finalement, le conduisent à sa perte.

Prenons par exemple un fait comme l’existence de l’U.R.S.S. Que signifie-t-il ? Ce fait est, premièrement, le résultat de la crise d’après-guerre du capitalisme, et, deuxièmement, il est l’expression de cet autre fait, à savoir que la crise continue. En effet, il existe et se développe un fort corps étranger, antagoniste en principe, au sein du système économique mondial du capitalisme. Oui, un corps étranger. N’est-ce pas là une modification radicale de structure dans l’économie mondiale ?

Les modifications dans la disposition des forces

J’ai déjà noté le fait du déplacement de la situation révolutionnaire immédiate vers l’Orient, vers la .périphérie coloniale, en général. Cela aussi est un résultat de la crise d’après-guerre. Car les chocs révolutionnaires puissants sur cette périphérie du capitalisme ne sont-ils pas une expression d’une crise profonde ?

Ensuite, que signifie ce que nous appelons la disproportion entre les Etats-Unis et l’Europe qui s’efforce de se soustraire à l’hégémonie de l’Amérique ? Elle traduit aussi une modification de structure dans tout le système économique mondial.

Enfin, le rétrécissement des marchés dans les pays capitalistes, la ruine et la paupérisation des colonies posent la question des rapports entre la production et la consommation d’une façon différente qui est loin d’être la même que dans les conditions du capitalisme « normal ». La situation découle du fait que tout le développement ultérieur du système capitaliste ne peut s’opérer, que dans les formes créées par les périodes critiques passées,

Le capitalisme ne peut pas se développer de la même façon que si l’U.R.S.S. n’existait pas. Il ne peut pas se développer comme il l’aurait fait si la révolution chinoise n’avait pas eu lieu, si la disproportion entre les Etats-Unis et l’Europe était inexistante, s’il n’y avait pas de rétrécissement des marchés, etc.

Ces modifications de structure ont une importance énorme pour tout le développement du système capitaliste et pour l’évaluation des perspectives. Prenons par exemple le développement de toutes les contradictions inhérentes au capitalisme : la lutte pour les marchés, l’accroissement de l’appareil de production dépassant l’augmentation de la capacité d’achat ainsi que toutes les autres contradictions bien connues. En présence des modifications de structure que nous avons notées, je vous demande la conclusion que nous pouvons en tirer.

A mon avis, la réponse suivante s’impose : si les colonies sont dans l’effervescence, si la lutte de classe s’y développe d’une façon très intense, cela veut dire que les contradictions internes du système capitalise s’aggravent en général.

Si l’on considérait la révolution chinoise comme un détail insignifiant, ainsi que le font les social-démocrates, il n’y aurait naturellement aucune crise grave du capitalisme.

Si l’U.R.S.S. n’existait pas, il n’y aurait pas, encore une fois, de crise du capitalisme. Si les social-démocrates vont jusqu’à prétendre que la phase actuelle du capitalisme n’engendre nullement la guerre, que Marx est devenu suranné pour avoir proclamé la thèse que les guerres sont inhérentes au développement du capitalisme, — en ce cas, il est naturel que les social-démocrates voient toute la situation en rose et considèrent qu’il n’y a pas de crise ! Mais, si tout cela existe, — et cela existe ! — la question se pose d’une façon différente et, naturellement, la réponse sera aussi toute autre.

Si nous disons : la stabilisation se décompose, je demande : comment peut-on tirer une telle conclusion ? Ce n’est pas parce que dans tel ou tel pays ou même dans un troisième le capitalisme se trouve à l’état de krach immédiat, mais parce que, dans la situation actuelle, le développement se fait dans le cadre créé par la phase précédente qui, à son tour, aggrave extrêmement toutes les contradictions.

Et c’est précisément cet approfondissement des contradictions qui conduit au grand krach, à la grande catastrophe. Voilà pourquoi le capitalisme est instable, voilà, pourquoi sa stabilisation ne peut être que relative .Voilà pourquoi la crise du capitalisme n’a pas disparu, est dans un état latent.

Mais elle se développe d’une façon de plus en plus menaçante. Il faut la considérer non pas sous l’angle d’un pays isolé quelconque, mais sous l’angle de l’ensemble de tous les pays liés les uns aux autres, dans les cadres de l’économie mondiale. Dans cette circonstance, il est nécessaire de tenir compte des rapports entre les impérialistes, entre le capitalisme et les colonies, entre les « capitalistes » divers et l’U.R.S.S., etc.

Les contradictions du capitalisme se développent sous la forme la plus aiguë

Ce n’est qu’ainsi que l’on peut poser clairement la question de la stabilisation. Plusieurs pays capitalistes se développent. Mais ce développement s’opère dans les formes créées par la crise de guerre, dans des conditions de l’existence de l’U.R.S.S., des révolutions en Orient, etc… Les contradictions internes s’aggravent de plus en plus. La stabilisation se décompose réellement.

Ce n’est pas que le capitalisme soit de plus en plus en déclin dans tous les pays, mais c’est que les modifications de structure de l’économie mondiale créent une nouvelle situation et conduisent fatalement à l’écroulement de tout le système.

Naturellement, ces contradictions sont liées aux contradictions internes qui existent dans divers pays, au développement et à l’aggravation de la lutte de classes, à l’accroissement des éléments dune situation révolutionnaire. Mais ce processus n’est pas actuellement en fonction du processus de désagrégation économique directe dans ces pays, mais du processus de développement des contradictions de la stabilisation aggravées considérablement par le cadre général de la crise capitaliste.

Je n’ai parlé que d’une façon superficielle de quelques-unes des modifications de structure de l’économie mondiale. Permettez- moi de faire quelques remarques sur la façon dont sont traités les phénomènes de crises dans le camp de nos adversaires.

A cette occasion, je toucherai aussi ce qu’on appelle le « problème allemand » qui, sous un certain angle, n’est autre chose que le problème des rapports entre les Etats-Unis et l’Europe. Je prends l’article d’un économiste anglais bien connu, Paish, publié dans le numéro 4 du Zeitschrift für Geo-Politik. Paish pose la question de la façon suivante : Actuellement, les pays débiteurs du monde entier ne sont pas en état d’écouler leurs marchandises dans la mesure qui serait nécessaire pour qu’ils puissent faire face à leurs engagements et pour qu’ils puissent eu même temps acheter avec l’argent réalisé par la vente des marchandises, tout ce qui leur est nécessaire pour satisfaire à leurs besoins vitaux. C’est pourquoi ils continuent à contracter, tout comme auparavant, des emprunts considérables à l’étranger. Mais les pays créditeurs ne peuvent pas accorder de nouveaux crédits dans une mesure aussi considérable qu’au cours des dernières années. S’il n’y a pas d’amélioration dans un avenir prochain, ce sera bientôt la débâcle du système tout entier…

Et plus loin : Ainsi, la débâcle du système de crédit mondial devient un danger imminent. (Souligné par l’auteur.) Cette débâcle est même inévitable si l’on ne prend pas immédiatement des mesures permettant aux pays débiteurs de faire face à leurs engagements par l’écoulement de leurs marchandises et non pas à laide de nouveaux crédits. Les symptômes de crises sont nombreux : les marchés ou les marchandises sont eu surabondance, l’augmentation du chômage aux Etats-Unis et l’importance énorme des opérations de crédits dans les pays industriels les plus importants et, avant tout, en Allemagne.

Je doute quelque peu que l’auteur ait raison en prophétisant la catastrophe sur tout le front. Il y a, dans cet article, d’autres intérêts en jeu, et il n’est pas difficile de saisir quels sont ces intérêts. Néanmoins, il y a des raisons autorisant des affirmations de ce genre.

Mais il ne faut pas oublier que ce « problème allemand » n’est qu’un problème partiel se greffant sur la base des formes de crises de l’économie mondiale. Nous observons actuellement de nombreux antagonismes des plus aigus. Ces derniers se développent dans divers sens : Amérique-Grande-Bretagne, Allemagne-France, Italie-France, etc… Toutes ces anomalies du point de vue de la tranquillité et de l’ordre au sein du système capitaliste se manifestent parce qu’après la guerre s’était créé un état de choses tel que la puissance économique de certains Etats ne correspond plus à l’étendue de leurs possessions coloniales.

Prenons comme exemple les Etats-Unis d’une part, et l’Angleterre d’autre part. Nous observons un fort développement du colonialisme anglais, tandis que les Etats-Unis n’ont pas été jusqu’à présent une grande puissance coloniale. Mais malgré son monopole colonial formidable, l’Angleterre traverse une période de déclin. La même disproportion reste vraie pour d’autres pays.

Prenons l’Allemagne actuelle. Du point de vue économique et technique, c’est un pays de premier ordre, cependant elle n’a ni colonies, ni mandats, ni protectorats. On peut également comparer l’Italie à l’Espagne, etc.

Ces contradictions étant liées à l’accroissement des forces productives et, étant donné que la lutte pour les sphères d’investissement de capitaux s’aggrave de plus en plus, il ne peut en découler autre chose que la « résurrection » terrible du problème impérialiste, du problème d’un nouveau partage du monde, des colonies ou d’autres régions.

Et cela, c’est la guerre ! De toute l’analyse de l’économie mondiale actuelle, des rapports spécifiques inter-impérialistes et de la crise capitaliste générale, se dégage le fait que la guerre est le problème central d’aujourd’hui.

Voilà pourquoi il nous faut absolument poser cette, question tant du point de vue tactique que politique. Que messieurs les social-démocrates disent que la guerre est notre programme ! Quelle bêtise impudente ! Ce n’est même pas un mensonge, mais, de la bêtise pure et simple ! Ce problème est objectivement le problème central.

Et notre tâche collective est de résoudre ce problème non pas d’une façon impérialiste, mais d’une façon prolétarienne, non pas en soutenant la guerre impérialiste, mais en la transformant en une guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie !

Les antagonismes entre les Etats

Il est tout à fait compréhensible que la manière du développement économique détermine et cristallise les rapports respectifs entre les Etats.

En analysant le complexe général des rapports politiques entre les puissances capitalistes, on remarque immédiatement les antagonismes les plus importants entre les divers groupements d’Etats : l’antagonisme entre les pays capitalistes et les colonies et surtout la Chine : l’antagonisme entre les pays capitalistes et l’U.R.S.S. et l’antagonisme entre l’Europe (surtout entre la Grande-Bretagne) et les Etats-Unis d’Amérique.

En ce qui concerne les rapports spécifiquement européens, ils dépendent dans une mesure considérable du changement de la situation de l’Allemagne et de la renaissance de l’impérialisme germanique.

J’ai déjà indiqué la disproportion considérable entre la puissance économique et politique grandissante des Etats-Unis et l’étendue relativement insignifiante de leurs possessions coloniales. Cette contradiction trouve son expression dans le caractère de plus en plus agressif des Etats-Unis d’Amérique.

Le mot d’ordre de la pénétration pacifique cède de plus en plus la place à celui de l’occupation politique et militaire. Les événements de Nicaragua traduisent nettement ce déplacement dans la politique des Etats-Unis d’Amérique. Contrairement à toutes les manifestations libérales la position des Etats-Unis en Chine n’est pas loin, en fait, de l’occupation militaire.

La politique agressive des Etats-Unis se heurte à la résistance de la Grande-Bretagne, son rival. L’antagonisme anglo-américain est actuellement l’axe de tous les antagonismes qui existent entre les Etats capitalistes.

C’est dans les sphères les plus diverses que les Etats-Unis sont aux prises, avec la Grande-Bretagne. Dans le conflit du caoutchouc, l’Angleterre a essuyé une défaite et a été obligée de conclure un traité favorable à l’Amérique. L’Angleterre fut également battue dans la lutte pour le pétrole. Actuellement, nous nous trouvons à la veille d’un conflit entre ces deux pays pour le coton.

Je pense ici aux projets du capital nord- américain visant l’Afrique, l’Abyssinie, et l’Egypte. Les Etats- Unis d’Amérique étendent même leurs tentacules jusqu’à l’Inde.

Sur le continent sud-américain, les Etats-Unis se sont déjà emparés économiquement du nord de l’Amérique latine. Actuellement, ils commencent aussi, avec assez de succès, à concurrencer l’Angleterre dans les parties méridionales de l’Amérique latine.

Je répète et je souligne que le conflit, entre les Etats-Unis et l’Angleterre est l’axe de tous les antagonismes existant dans le secteur capitaliste de l’économie mondiale.

La renaissance de l’impérialisme germanique et la crise du traité de Versailles

En Allemagne, et c’est très important du point de vue des rapports européens spécifiques, se produit une « renaissance » d’un genre particulier, la renaissance de l’impérialisme allemand. .Qu’est-ce que cela signifie ? L’Allemagne n’a pas encore d’armée, de marine de guerre, mais sa situation a considérablement changé. L’Allemagne a été battue. Le capital monopoliste allemand a été rudement malmené au cours du « jeu de guerre ».

Au point de vue politique aussi bien qu’au point de vue national, l’Allemagne était humiliée ; mais, grâce aux crédits et, en premier lieu, aux crédits américains, le capitalisme allemand a amélioré ses affaires. La technique du capital allemand, ou plutôt la dynamique du progrès technique en Allemagne, constitue un record pour l’Europe et, sur certains secteurs économiques, il bat le record à l’échelle mondiale.

Quant à la réorganisation économique, le processus de trustisation a pris en Allemagne des formes classiques. Les trusts géants, la fusion de ces trusts à l’échelle internationale, les fortes positions du capital allemand sur le marché mondial, les prix relativement bon marché des marchandises et l’accroissement de la capacité de concurrence du capitalisme et de l’industrie allemande: tous ces facteurs ne font l’objet d’aucun doute.

Il est tout à fait compréhensible que la base économique de plus en plus forte trouve aussi son expression politique : effectivement, le traité de paix de Versailles est déjà annulé en partie. La position politique du capitalisme allemand est considérablement plus forte comparativement à ce qu’elle était il y a quelques années ; dans le concert des puissances européennes, l’Allemagne joue actuellement un rôle assez considérable et dans certaines questions même un rôle prépondérant.

Il n’est pas difficile de comprendre que ce développement, ou plutôt l’orientation de tout le développement de l’Allemagne, est équivalent à l’accroissement des prétentions du capital monopoliste allemand dans le domaine de la politique extérieure. La course aux « mandats », aux protectorats et aux colonies est devenue une mode politique en Allemagne ; cependant, ce n’est pas seulement une « mode », mais quelque chose de plus sérieux.

Cette « mode » n’est pas sans perspectives réelles, car dans le jeu des divers antagonismes et des diverses forces, dans l’ensemble des rapports entre la France et l’Italie, la France et l’Angleterre, la France et l’Allemagne, l’Allemagne et la Pologne, etc., dans cet ensemble de rapports entre les Etats européens, l’Allemagne est d’un côté le sujet et d’autre part, l’objet et, dans certaines circonstances, plusieurs Etats peuvent soutenir l’Allemagne et la soutiendront.

C’est à cette orientation du développement du capitalisme allemand qu’est lié le phénomène qu’on appelle l’« orientation occidentale » du capitalisme allemand. Il y a quelques années, Allemagne se trouvait sous la menace du capital de l’Entente. Les armes françaises étaient braquées sur elle. Privé de ses positions fortifiées, le capital allemand ne voyait, pendant un certain temps, qu’une seule issue, celle d’un bloc avec l’UR.S.S. Cela s’est exprimé par le traité de Rapallo et par la politique extérieure allemande de cette période.

Actuellement, la situation a changé. A mesure que s’accroît le capital monopoliste, s’accroissent également les prétentions coloniales de l’Allemagne et se cristallise de plus en plus l’orientation occidentale du capital allemand.

Dans notre analyse, il ne faut évidemment pas trop simplifier la situation existante : cette tendance fondamentale du développement du capital allemand n’exclut nullement diverses manœuvres de l’Allemagne sur l’échiquier politique en vue de profiter le plus possible de sa situation intermédiaire entre les puissances occidentales et l’U.R.S.S. Tout cela est indiscutable. Mais ces manœuvres ne détruisent pas la tendance fondamentale du développement du capitalisme allemand qui se laissera volontiers « violer » et qui se dressera, de concert avec ses collègues, contre l’U.R.S.S.

Le changement successif des rapports entre les puissances et la lutte contre l’U.R.S.S.

La crise du capitalisme se manifeste aussi dans le changement successif et bigarré des rapports entre les Etats. Aucun bloc n’est solide et de longue durée ; bien au contraire, aux yeux de tous se produit un regroupement continu des forces.

Mais à travers tous ces regroupements, à travers tous ces changements et toutes ces constellations des puissances capitalistes européennes, perce, tel un fil rouge, la tendance fondamentale — la concentration des forces contre l’U.R.S.S. C’est à plusieurs reprises que nous avons déjà touché ce sujet. Je ne m’arrêterai donc pas aux détails de la question des divers blocs de la Petite Entente, des accords entre les divers Etats limitrophes de l’U.R.S.S. et les grandes puissances, etc… Même les bébés connaissent actuellement tous ces faits.

Si l’analyse de la base économique que j’ai donné dans la première partie de mon rapport est exacte, il est tout à fait compréhensible que ces rapports entre les Etats constituent une expression politique de la préparation de la guerre contre l’U.R.S.S. Il va de soi que nous devons fixer notre tactique en tenant compte de cet état de choses.

Sous le signe des préparatifs de guerre

Les processus intérieurs se déroulent dans les pays capitalistes les plus importants sous le même signe de la préparation à la guerre. Ces processus sont en contradiction flagrante avec les bavardages de la social-démocratie sur le pacifisme, sur l’ère « super-impérialiste » etc. Personne n’ignore les faits relatifs à l’accroissement des armements, à la promulgation de nouvelles lois dans le genre de la loi Paul-Boncour en France, aux préparatifs fiévreux de la bourgeoisie en vue de maintenir « la tranquillité et l’ordre » dans la pays en cas de guerre.

C’est à cette dernière catégorie de phénomènes qu’appartiennent le fameux bill dirigé contre les syndicats en Angleterre, la « Charte du Travail » promulguée par Mussolini, la terreur incroyable sévissant dans plusieurs pays, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie, dans les Balkans, en Italie, etc., les vastes projets de corruption de certaines couches de la paysannerie, la « paix industrielle », le « mondisme », les méthodes américaines de corruption du prolétariat, mesures réalisées d’une part à l’aide du fascisme et, d’autre part, à l’aide des Partis social-démocrates.

En connexion avec tout cela s’opère aussi une certaine modification dans l’organisation dit pouvoir d’Etat. J’ai déjà parlé de la tendance du capitalisme d’Etat, de la tendance de fusion immédiate des organisations patronales avec les organes du pouvoir d’Etat de la bourgeoisie.

Cette tendance a non seulement une importance économique mais aussi une importance politique générale : elle a une importance énorme aussi du point de vue de la préparation à la guerre. Ce serait erroné que d’affirmer que la bourgeoisie tend sciemment à la fusion des organisations du patronat avec les organes de l’Etat capitaliste parce qu’elle y voit un moyen pour préparer la guerre.

Ce processus a un caractère plus spontané, mais, objectivement, Il est certain que cette évolution du pouvoir d’Etat et l’accroissement des tendances du capitalisme d’Etat servent à la préparation de la guerre. Au cours de la première guerre mondiale, nous avons déjà vécu la phase du capitalisme d’Etat, teint de tons particuliers. Dans le langage des savants allemands, cela s’appelait « l’économie forcée ». La raison essentielle de cette réglementation était la baisse considérable des forces productives et la tendance de régler d’une façon rationnelle la consommation dans les conditions de la « forteresse assiégée ».

Plus tard, tout cela fut aboli. Actuellement, les tendances du capitalisme d’Etat se développent sur une base nouvelle, sur la base de l’accroissement des forces productives du capitalisme, sur la base de la centralisation du capital et sans les normes spécifiques de contrainte. Il n’y a aucun doute qu’en cas de nouvelle guerre, les tendances du capitalisme d’Etat seront de nouveau utilisées tout le long de la guerre en vue de mobiliser l’ensemble de l’économie nationale pour les besoins de la guerre.

Cette évolution de la forme d’organisation du pouvoir d’Etat, cette forte centralisation des organisations politiques et économiques de la bourgeoisie a une très grande importance pour tout le développement ultérieur. Ces phénomènes sont aussi d’une très grande portée du point de vue de la lutte de classes actuelle du prolétariat.

Mais tous n’ont pas encore suffisamment compris que le prolétariat a actuellement affaire non seulement à différents patrons ou même à différents trusts, mais à toute l’organisation de la bourgeoisie impérialiste, en tant que classe, et que c’est pour cette raison que la situation du prolétariat est aussi difficile et aussi compliquée dans chaque combat économique.

Etant donné que le prolétariat a affaire directement aux grands trusts et cartels fusionnés avec- l’appareil d’Etat de la bourgeoisie, chaque grève tend à se transformer en grève politique, chaque conflit partiel a tendance à se transformer en une lutte d’envergure de la classe ouvrière. Je reviendrai encore d’ailleurs à cette question.

Je passe maintenant au problème de la situation des classes dans les plus importants pays européen et, en premier lieu, dans les Etats-Unis d’Amérique.

II. Les processus politiques intérieurs dans les pays bourgeois

Aggravation des contradictions intérieures

Lors de l’analyse de la situation, j’ai indiqué que sa relativité se manifeste dans les conflits entre Etats par des menaces de guerre, par l’antagonisme entre les pays impérialistes et les pays coloniaux, par l’antagonisme entre le monde impérialiste et l’U.R.S.S.

Cependant, cet état de choses ne signifie nullement que les contradictions intérieures ne s’aggravent pas dans chaque pays. Les contradictions intérieures dans les pays capitalistes s’aggravent, doivent fatalement s’aggraver. Cependant, le caractère de ces contradictions s’est modifié. Ces contradictions; propres à chaque société capitaliste se sont aggravées maintenant, en vertu de causes spécifiques qui enveniment considérablement la lutte de classes. La perspective de la stabilisation partielle et temporaire implique la guerre.

Le processus de la stabilisation se répercute sur la situation des grands pays capitalistes d’une façon variée. La stabilisation partielle est un double processus. D’une part, il se produit une certaine, consolidation technique et économique du capitalisme et, d’autre part, — ce qui ne doit pas être oublié un seul instant, — les contradictions s’accroissent, la lutte de classes s’accentue, le chômage augmente.

Les Etats-Unis d’Amérique peuvent servir ici d’exemple classique. Le développement du capitalisme s’y effectue à un rythme des plus rapides et les forces productives s’y accroissent tandis que le chômage est organiquement lié à l’accroissement des forces productives. Il est donc absolument évident que ceci produit une aggravation de la lutte de classe aux Etats-Unis.

Quatre millions de chômeurs, ce n’est pas un chiffre insignifiant. Le chômage se répercute aussi dans les autres couches du prolétariat. C’est le fardeau du capitalisme. Mais en même temps la stabilisation permet d’améliorer la situation de certaines couches du prolétariat. En conséquence, nous devons analyser les rapports sociaux existant au sein du prolétariat. Je pose ici sous une forme générale le problème de la social-démocratie.

Nous disions et disons encore que la social-démocratie, l’opportunisme, ont fait faillite. Ceci est très juste. Cependant, la maudite social-démocratie existe encore. Dans certains pays elle augmente numériquement et prend de l’importance. L’I.C. a obtenu en Allemagne de grands succès, en particulier après les défaites passées.

Cependant, la social-démocratie a obtenu 9 millions de voix aux élections. C’est un chiffre important. Dans la période actuelle de notre développement et de notre lutte, nous devons soulever la question : quelles sont les racines de ce fait ?

Les causes de la vitalité de la social-démocratie

D’habitude, nous posons le problème des racines de l’opportunisme en connexion avec la question des colonies, des surprofits tirés des colonies par les capitalistes, profits qui permettent à la bourgeoisie de corrompre les couches supérieures de la classe ouvrière.

L’Allemagne ne possède pas de colonies. Quelle est donc la raison de ce renforcement de la social-démocratie allemande ou, du moins, de la solidité de ses positions ? Pourquoi cette social-démocratie perfide ne disparaît-elle pas de la scène, pourquoi possède-t-elle une telle capacité de manœuvre ? On ne peut expliquer ceci par la perfidie, le savoir. Ce n’est pas cela qui a ici une importance décisive, ce n’est pas cela qui détermine tout le reste. La vitalité de la social-démocratie se trouve en étroite liaison avec le processus de la stabilisation.

Le côté économique en est très complexe. Jusqu’à présent, nous parlions des surprofits tirés directement des colonies par tel ou tel Etat. Or, les Etats-Unis ne possèdent pas beaucoup de colonies. Réalisent-ils quand même des surprofits ? Oui.

Je ne puis m’arrêter en détail sur ce point. Je rappellerai que Marx a déjà fait l’analyse de différents cas où un pays à grande industrie, ayant une importance primordiale dans l’économie mondiale, réalise un profit différenciel grâce à la supériorité de sa technique. Or, ces derniers temps, ces surprofits du capitalisme jouent un rôle considérable.

Par conséquent, la base économique du réformisme n’est pas seulement les surprofits tirés directement des colonies, mais aussi les surprofits provenant du commerce mondial en général, de l’exportation de capitaux, non seulement dans les « propres » colonies du pays exportateur, mais dans les colonies en général, etc.

Prenons les Etats-Unis. Ceux-ci réalisent d’énormes surprofits grâce à la situation monopoliste du capitalisme américain, quoiqu’ils ne possèdent pas de grandes colonies.

L’Angleterre présente une courbe descendante de développement, mais son monopole colonial n’est pas encore disparu. La base de l’impérialisme britannique se rétrécit, mais subsiste. Dans la métropole, il se produit un processus de radicalisation du prolétariat L’influence du Parti communiste s’accroît, etc. Mais la fin de la domination monopoliste de l’impérialisme britannique n’arrive pas aussi rapidement que nous l’escomptions auparavant. Le monopole colonial du royaume britannique; offre encore une base assez vaste au réformisme anglais.

J’ai déjà parlé de l’Allemagne.

Pour se rendre compte de ce qui fait la force .de la social-démocratie, il est nécessaire d’étudier encore d’autres facteurs très importants. Parmi ceux-ci, il faut considérer les changements de politique intérieure dans différents pays. Les cadres assez nombreux des anciens fonctionnaires social-démocrates ou syndicaux deviennent dorénavant des fonctionnaires d’Etat, des municipalités, des employés des organisations patronales.

Des changements importants ont lieu dans ce domaine.. Ceux-ci s’observent dans de nombreux pays, et, en premier lieu, en Allemagne. Les tendances de fusion des organisations ouvrières réformistes avec les organisations patronales et les organes étatiques de la bourgeoisie impérialiste, reviennent en pratique à la transformation partielle de la bureaucratie syndicale et de celle du Parti en cadres de fonctionnaires d’Etat et d’employés des organisations patronales. C’est là une des méthodes originales de corruption de la part de la bourgeoisie.

Le fascisme et la social-démocratie

Dans les Etats fascistes se déroule à peu près le même processus. Prenons par exemple un Etat comme la Pologne avec l’organisation militaire des « Streletz » de Pilsudski. C’est une organisation « volontaire ». Officiellement, cela va de soi, l’organisation est composée de volontaires et, néanmoins, c’est une organisation semi-étatique. Compte-t-elle des ouvriers du P.S.P ? Oui. Voire même en grand nombre. Ils constituent une couche spéciale dans la structure de l’Etat.

Ainsi, en général, les causes essentielles de la solidité des Partis social-démocrates consistent dans les facteurs économiques, et politiques que j’ai ébauchés. Il va de soi que, dans cette question, la capacité de manœuvre des Partis social-démocrates joue aussi un rôle, de même qu’une certaine expérience et habileté dans les intrigues politiques, etc.

Tout ceci joue un rôle très important. Mais ou peut expliquer la situation exclusivement par ceci. On peut dire que le processus de stabilisation crée, d’une part, un soutien économique pour la social-démocratie. D’autre part, les contradictions de la stabilisation engendrent un terrain favorable au développement des Partis communistes. Grâce à ce fait, on observe fréquemment un accroissement parallèle de l’influence des communistes et de la social-démocratie. Bien entendu, ici jouent encore d’autres causes qu’on ne peut ignorer.

Prenons par exemple, les regroupements sociaux dans les couches influencées par la social-démocratie. La social-démocratie s’accroît parfois en gagnant de larges couches de la petite-bourgeoisie. Aux élections, la social-démocratie se développe au détriment des Partis bourgeois en gagnant les suffrages de la petite-bourgeoisie.

Mais il ne faut pas oublier que dans différents pays, y compris l’Allemagne et la France, nous n’avons gagné jusqu’à présent que des cadres encore très insuffisants, même dans les grandes entreprises, parmi les ouvriers des trusts importants où la social-démocratie est encore forte.

Accentuation de la lutte de classes

Les contradictions intérieures de la stabilisation dans chaque pays capitaliste enveniment la lutte de classes. Or, étant donné les changements survenus dans la structure organique de l’Etat et du capitalisme contemporains, ces contradictions internes transforment toute grève plus ou moins importante, en un événement politique de première importance.

Ainsi en fut-il avec la grève anglaise, avec celle des métallurgistes en Allemagne, ainsi en sera-t-il à l’avenir. La transformation d’une grève économique en grève politique est déterminée par ces particularités : par la trustisation du capital, par la fusion des organisations patronales avec l’Etat.

Ainsi se développent les contradictions internes dans chaque pays capitaliste. Elles ont pour résultat d’intensifier la lutte des classes, d’étendre l’influence communiste.

On peut illustrer et prouver ceci par de nombreux faits. Je veux parler de la vague de grèves dans différents pays, en France, en Tchécoslovaquie, en Allemagne; de la radicalisation du prolétariat, de sympathie grandissante envers l’U.R.S.S., de la décomposition des partis bourgeois que le prolétariat suivait auparavant (le Parti du centre, en Allemagne, les organisations catholiques en Italie, etc.

Les résultats des élections en France, en Allemagne, sont également une expression de l’accentuation de la lutte de classes. Le processus de stabilisation est plein de contradictions, c’est pourquoi nous nous développons également. Si ce n’est pas toujours numériquement, nous étendons du moins notre influence politique.

L’année dernière, encore, dans son rapport au Congrès de la social-démocratie allemande, Hilferding prophétisait :« Camarades, c’est la fin des communistes. Je comprends parfaitement que des gens qui, pendant plusieurs années, ont étés victimes de ce maudit chômage, je comprends que des gens poussés au désespoir, par la perte de leurs biens, dans la période d’inflation, que des gens désillusionnés en tout et qui n’ont gardé foi qu’en la violence, peuvent, en vertu d’un état d’esprit versatile, donner leur bulletin électoral aux communistes. Mais ceci n’a aucune importance pour le mouvement politique du Parti communiste. Sa fin est proche. » (Rires.)

En réalité, il n’en est pas ainsi. Les partis communistes se développent sans arrêt. Les élections en Allemagne en sont un témoignage vivant. Là, le Parti a remporté 3 ¼ millions de voix. Il est regrettable que M. Hilferding se soit trompé à ce point là !

Les élections en France sont également un témoignage de ce fait, si on les considère non pas au point de vue hybride des social-démocrates qui mesurent leur influence par le nombre des mandats obtenus au Parlement. Notre influence politique s’accroît parallèlement à la croissance des contradictions de la stabilisation capitaliste. Mais parallèlement se développe parfois l’influence de la social-démocratie et aussi la social-démocratie elle-même.

Dans le courant de ces dernières années, la social-démocratie a accompli une profonde évolution. Ce serait une erreur de la considérer comme étant encore ce qu’elle était en 1914. La social-démocratie du 4 août 1914 n’était que l’embryon de la social-démocratie contemporaine.

L’idéologie actuelle de la social-démocratie a perdu les restes de ses phrases quasi-marxistes. La social-démocratie se nourrit maintenant de la bimbeloterie de Macdonald. Ce faisant, les leaders social-démocrates s’efforcent de préparer ce plat d’une façon aussi appétissante que possible.

Le visage césarien de la social-démocratie

Ces jours-ci, le camarade Riazanov a publié dans l’organe central de notre Parti, la Pravda, la correspondance de Lassalle avec Bismarck. A présent, on sait parfaitement ce que fut la ligne politique de Lassalle. Dans sa lettre à Bismarck, Ferdinand Lassalle dit qu’il serait bien de fonder une monarchie sociale avec la « couronne » en tête.

Ceci rapprocha Lassalle de Bismarck et l’incita à entreprendre une intrigue politique. Néanmoins, la social-démocratie lance le mot d’ordre : « Retour à Lassalle ». Le sens de ce désir instinctif de revenir à Lassalle nous est parfaitement évident à présent. Ceci représente en quelque sorte, la base idéologique pour un rapprochement entre les idéologues à la Noske et ceux des fascistes italiens.

Le « césarisme social » avec la dynastie en tête, est une idéologie convenant beaucoup à la social-démocratie actuelle. En août 1914, la social-démocratie a trahi le marxisme, en prenant la défense de la patrie capitaliste. De notre temps, la social-démocratie est une force active qui construit consciemment la société capitaliste. Cette politique intérieure de la social-démocratie est entièrement conforme à sa politique extérieure.

A présent, elle ne défend pas seulement la patrie capitaliste, mais elle est aussi, au point de vue capitaliste, l’expression la plus vive des aspirations agressives de sa patrie. Je vous demande est-ce qu’il n’y a pas actuellement des social-démocrates qui exigent des colonies pour leur pays ? Ils sont nombreux, et ils soulèvent cette revendication tout à fait ouvertement.

L’histoire de la social-démocratie allemande nous rappelle l’affaire Hildebrand : le Congrès de Chemnitz l’exclut du Parti pour avoir exprimé de pareilles idées dans son livre. Mais aujourd’hui, les membres les plus en vue de la social-démocratie prêchent ouvertement l’idée coloniale. Ce n’est ni l’effet du hasard, ni une exception.

Prenons par exemple la dernière résolution de la IIe Internationale sur la question coloniale. Il est possible que ce soit Bauer qui l’ait rédigée, lui donnant une nuance de quasi-marxisme. Nous trouvons dans cette résolution les subdivisions suivantes : certaines colonies doivent recevoir l’autonomie, d’autres doivent être laissées sous le protectorat, d’autres encore sont à un tel degré de leur développement qu’il est nécessaire d’y maintenir le statu quo.

C’est donc, autant que je le sache, la même chose qui est dite dans les documents de la S.D.N. Il s’ensuit qu’il n’existe aucune différence entre ces quasi-socialistes et les aventuriers du camp de la bourgeoisie impérialiste.

Ou bien, prenons par exemple la question de la guerre, de l’attitude envers la S.D.N., de l’attitude envers l’U.R.S.S. Comparez M. Kautsky de 1914 avec le Kautsky actuel : à présent c’est un tout autre homme qui manifeste des aspirations nettement contre-révolutionnaires.

L’activité anti-soviétique de la social-démocratie

Tous les communistes doivent comprendre que dans les prochaines guerres, le rôle de la social-démocratie dépassera toutes nos prévisions par son ignominie. Bien entendu, il faut distinguer entre le sommet de la social-démocratie et le prolétariat social-démocrate, dans les rangs duquel on observe de sérieuses crises, des scissions, des effervescences, des regroupements, etc.

Mais la clique qui est à la tête agira de concert avec les grands criminels du camp impérialiste. Il ne subsiste aucun doute à ce sujet. D’ores et déjà, M. Hilferding se permet de développer les arguments suivants : le chômage existe en Europe ; ce chômage provient de ce que les affaires du capitalisme ne vont pas trop bien ; il vaudrait mieux que l’U.R.S.S. soit intégrée dans le système général des pays capitalistes ; l’empêchement à ceci est le monopole du commerce extérieur.

La déduction qui en découle, est que le prolétariat est soi-disant intéressé à briser le monopole du commerce extérieur de l’U.R.S.S. Je vous demande : qu’est cela ?

Ce n’est rien d’autre qu’une préparation idéologique à une guerre offensive directe contre l’U.R.S.S. Pour le moment, la thèse de Hilferding contient encore beaucoup d’académisme, de théorie, etc. Mais en se développant, cette thèse économique prendra une forme très actuelle et concrète de thèse politique.

Ce qui est primitivement formulé en théorie, se transforme ensuite en action. L’expression pratique de cette formule de M. Hilferding ne signifie rien d’autre que la guerre contre l’U.R.S.S.

Il va de soi qu’une pareille évolution de la social-démocratie doit provoquer une réaction correspondante de notre part. Tous les camarades savent que la dernière séance plénière du C.E. de l’I.C. a effectué un revirement de tactique dans la politique des Partis communistes français et britannique et, jusqu’à un certain point, à l’échelle générale.

Ceci a eu lieu sur l’initiative du C.E. Certains camarades établissent une corrélation entre ce revirement et certains facteurs secondaires. C’est faux, car le changement de tactique est déterminé par les facteurs dont j’ai parlé plus haut, il est déterminé par toute l’évolution de la social-démocratie. Il serait enfantin de penser que nous nous efforçons de nous « radicaliser » après le reproche que nous a fait l’opposition. Ces arguments ne méritent même qu’on y réponde.

La seule cause importante qui détermine notre tactique est le changement de la situation objective, est la modification dans le rapport des forces entre les différentes classes, les différents partis, etc… Il faut aborder cette question comme suit : les rapports entre nous et la social-démocratie ont-ils changé ou non ?

La réponse est : oui, ils ont changé. En découle-t-il des déductions pratiques quelconques ? Oui, il en découle. Pourquoi dans les syndicats et les autres organisations les social-démocrates nous attaquent-ils plus violemment qu’avant ?

Non seulement dans les grandes questions politiques extérieures, mais dans n’importe quelle question, notre ligne politique est directement opposée à la leur. Prenons par exemple la situation dans les fabriques. Quelle est la politique de la social-démocratie dans les fabriques ?

La paix sociale, le désir de ne pas faire de grève, la fusion du comité d’entreprise avec les organisations capitalistes, du « mondisme » sur toute la ligne, — telle est la position de la social-démocratie dans les fabriques, mais non pas seulement dans les fabriques.

Telle est aussi son attitude envers les trusts, envers l’Etat, envers la S.D.N. Cette ligne n’a pas pris naissance d’emblée. Elle s’est cristallisée progressivement. Mais du fait qu’elle est ainsi, devons-nous en déduire certaines conclusions déterminées ou non ? Evidemment, nous devons faire des déductions pratiques. Autrement, l’ennemi nous battra,

III. Notre orientation tactique

Un changement brusque est la réponse juste aux modifications objectives

Les modifications de la situation objective nous ont obligés à accomplir ce revirement tactique. Ce fut une réaction juste à un changement de situation. Le meilleur exemple en est l’Angleterre. Le Parti travailliste qui fut jadis une organisation diffuse, sans discipline de Parti, se transforme maintenant en véritable Parti social-démocrate de type continental.

Il possède un programme, une discipline de Parti, il aspire et s’évertue à nous lier par des décisions de Parti, à nous paralyser politiquement par son influence dans les syndicats. Il nous exclut, il nous attaque.

Si, dans ces conditions, nous maintenons notre mot d’ordre précédent et conservons nos rapports antérieurs, pour ne pas faire échouer le front commun du prolétariat organisé, nous sommes perdus : nous perdrons notre physionomie politique et, de ce fait, nos droits à une existence indépendante. L’ennemi nous battrait. Il serait donc absurde de ne pas tirer les déductions de cette situation.

Nous devons dire : Le tournant dans le Parti britannique est déterminé par le changement de la situation objective, par les nouvelles méthodes d’organisation du Labour Party, les nouveaux rapports existant entre celui-ci et notre Parti. Ce sont là des facteurs politiques d’importance primordiale.

La même chose est vraie pour la France. Les représentants actuels de la social-démocratie, Paul-Boncour avec sa loi militaire, Albert Thomas qui porte aux nues Mussolini, — tout cela n’est pas le fait du hasard. On n’exclut pas les Thomas et les Boncour, au contraire, on cherche à les justifier : le « gauchiste » Fritz Adler écrit un article dans lequel il défend en fait ce même Thomas qui chantait les louanges du fascisme.

Ainsi agissent les éléments les plus « gauches » de la IIe Internationale, ainsi écrit un homme qui, pendant la guerre, a brûlé la cervelle à un ministre en signe de protestation contre la tuerie !

En ce qui concerne le Parti communiste de France, il y eut encore d’autres facteurs qui nous incitèrent à changer de tactique. Chacun sait que l’on observe encore dans le Parti français certains vestiges des illusions parlementaires.

Les élections récentes furent un tournant pour le Parti, lequel doit être considéré non pas sous l’angle des élections, mais sous celui de la politique ultérieure du Parti communiste de France. Du fait que nous aurons à faire face à de grands combats de classe, pendant lesquels le parlementarisme, au pire sens de ce mot, pourra jouer un rôle très pernicieux, nous devions faire tout ce qui dépendait de nous pour rompre avec cette tradition.

Ainsi, notre changement de tactique est en liaison avec le changement objectif de la situation. Ce fut ce changement qui a donné le signal du revirement dans nos Partis communistes les plus importants. L’axe politique de ce tournant est le changement d’attitude envers les Partis social-démocrates.

La question de l’attitude envers les Partis social-démocrates est une question politique essentielle. L’intensification de la lutte contre la social-démocratie telle est l’orientation politique de l’Internationale communiste, et j’estime, que ce mot d’ordre, cette orientation politique, doivent être adoptés aussi par le VIe Congrès. En même temps je dois souligner que l’acuité des méthodes de lutte contre les Partis social-démocrates ne signifie nullement un renoncement à la tactique du front unique connue le pensent certains camarades.

Au contraire, plus nous nous dresserons violemment contre la social-démocratie, contre sa ligne politique, plus nous devons soulever avec force le problème de la conquête des masses, y compris les masses social-démocrates et les masses ouvrières qui les suivent, plus nous devons lutter énergiquement pour gagner ces masses.

A cet effet, nous devons employer des méthodes adéquates pour nous rapprocher d’elles. Il n’y a que les sots qui peuvent penser que parce que nous menons une lutte acharnée contre la social-démocratie, il est inutile de causer avec les ouvriers social-démocrates. Tout le monde ne s’est pas encore assimilé cette double tâche.

Tous n’y ont pas encore réfléchi sérieusement. Mais c’est là une de nos tâches essentielles et fondamentales dans la période actuelle.

IV. Les questions de la révolution dans les colonies et les semi-colonies

La justesse de la ligne fondamentale et les erreurs de sa réalisation en Chine

Avant d’aborder l’analyse de nos tâches fondamentales en général, je voudrais encore traiter des problèmes des mouvements coloniaux. J’aborderai la Chine et l’Inde, tout en me bornant à quelques remarques, car ces problèmes seront examinés lors de la discussion du programme et, en particulier, de la question coloniale.

Nous avons eu une large discussion de principe avec notre opposition sur la question de la révolution chinoise. Nous pouvons de nouveau éclairer d’une façon rétrospective certains problèmes fondamentaux de la révolution chinoise.

Comme on le sait, le Parti communiste chinois a essuyé une grave défaite. C’est un fait indéniable. On est en droit de se demander si cette défaite ne découle pas de la tactique erronée de l’I.C. dans la révolution chinoise. Peut-être bien qu’il n’était vraiment pas rationnel de constituer un bloc avec la bourgeoisie, peut-être bien que c’est là la faute essentielle qui détermina toutes les autres et qui, progressivement, aboutit à la défaite de la révolution chinoise ?

Probablement nous analyserons minutieusement cette question à notre Congrès lorsque nous examinerons spécialement la question coloniale, car cette question est fondamentale et il est nécessaire de l’éclaircir d’une façon consciencieuse et critique. Mais je pense, que l’erreur ne consiste pas en ceci et l’analyse nous le montrera.

En général, l’erreur consiste non pas dans la ligne fondamentale de l’orientation tactique, mais dans les actes politiques et dans la ligne pratique effectivement réalisés en Chine,

1) Dans la période de début de la révolution chinoise, dans la période de collaboration avec le Kuomintang, l’erreur consista dans un manque d’indépendance de notre Parti, dans une critique insuffisante du Kuomintang par notre Parti ; parfois notre Parti se transformait d’allié en appendice du Kuomintang.

2) L’erreur fut que notre Parti chinois ne comprit pas le changement de la situation objective, la transition d’une étape à une autre. Ainsi, par exemple, pendant un certain temps, on pouvait marcher de concert avec la bourgeoisie, mais à une certaine étape, il fallait prévoir les prochains changements qui surviendraient.

Il fallait s’y préparer. En concluant n’importe quel bloc, on doit prévoir la possibilité de pareils changements et, par conséquent, se préparer à la lutte. Dans l’analyse critique de toutes les étapes de la révolution chinoise, nous constatons que le C.C. chinois et, en partie, notre délégué en Chine, ont commis de graves erreurs, ils n’ont pas tenu compte de ce changement de situation, ils n’ont pas remarqué la métamorphose de leur ancien allié en leur ennemi acharné. Aussi n’ont-ils pas changé à temps leur tactique.

3) Par suite de cette erreur, notre Parti a parfois joué le rôle d’entrave au mouvement de masse, d’entrave à la révolution agraire et d’entrave au mouvement ouvrier. Ces erreurs furent fatales et, bien entendu, contribuèrent à la défaite du Parti communiste et du prolétariat chinois. Après une suite de défaites, le Parti corrigea ses erreurs opportunistes, avec assez d’énergie d’ailleurs.

Mais cette fois-ci, — cela arrive assez fréquemment — certains camarades donnèrent dans l’extrémité contraire : ils ne préparèrent pas l’insurrection d’une façon assez sérieuse, firent preuve de tendances putschistes, d’aventurisme de la pire espèce.

La IXe séance plénière de l’I.C. marqua un changement dans la tactique du P.C. chinois, mais dans une autre direction que les Partis d’Europe occidentale.

En opérant avec les termes de « gauche », « droite », etc., nous pouvons dire qu’en France et en Angleterre, il s’opéra un changement vers la « gauche » et en Chine vers la « droite ». Je dois cependant faire une réserve : je ne suis pas très épris de cette terminologie.

Elle convient peu et n’explique rien. L’analyse devra mettre en lumière non pas le caractère de « droite » ou de «  gauche » de la tactique, mais de sa justesse ou de sa fausseté, de sa concordance à la situation objective ou non.

Le flux de la vague révolutionnaire est inévitable en Chine

La période en cours de la révolution chinoise est considérée par nous comme l’achèvement d’une grande période pendant laquelle les vagues de la révolution s’élevèrent très haut, et le commencement d’une période qui a pour tâche principale le groupement des masses, l’accumulation des forces et la préparation à une nouvelle et forte poussée révolutionnaire.

Tous les indices objectifs attestent que la poussée révolutionnaire est inévitable. L’expérience de la lutte passée montre que, sans mouvements gigantesques de masse, on ne peut résoudre les problèmes de la révolution chinoise et que nous sommes en présence de prémisses objectives pour son achèvement triomphal.

Mais ceci nous impose la tâche essentielle, de grouper les masses afin de priver progressivement l’ennemi de la possibilité de détruire physiquement notre armée prolétarienne, détachement par détachement. La nécessité impérieuse exigea du Parti d’abandonner la position de la réalisation immédiate de l’insurrection pour adopter celle d’une préparation de masse de l’insurrection avec le maximum de chances de succès.

J’estime que la résolution adoptée par la IXe séance plénière sur la question chinoise a considérablement contribué au développement ultérieur du P.C chinois. J’espère que les décisions du Congrès seront conformes à l’esprit de cette résolution.

Les nouveaux processus dans l’Inde

La situation dans l’Inde est tout autre : l’état de choses et les rapports des forces sont autres qu’en Chine où, dans le courant de toute une période, dans le courant de nombreuses années, la bourgeoisie lutta contre les impérialistes, les armes à la main. C’est un fait avéré. Il en est autrement dans l’Inde.

La possibilité d’une longue période pendant laquelle la bourgeoisie hindoue jouerait un pareil rôle révolutionnaire, est totalement exclue. Il va de soi, que ceci ne concerne pas les différents Partis petit-bourgeois ou les organisations terroristes qui existent aux Indes. Je veux parler des principaux cadres de la bourgeoisie, du Parti svaradjiste.

Je ne suis pas en état de donner une analyse économique de la situation aux Indes, mais je dois signaler que je ne partage pas le point de vue qui prétend que l’Inde a cessé d’être un pays colonial, qu’on y observe un processus de décolonisation.

Ce serait là une assertion unilatérale. Au contraire, ces derniers temps, après la période de concessions faites par les impérialiste, l’impérialisme britannique a intensifié son joug colonial sur l’Inde en général, et sur la bourgeoisie hindoue en particulier.

Ceci oblige le Parti svaradjiste à fronder de nouveau contre l’impérialisme britannique. Elle fronde donc. Mais de là à la lutte à main armée, il y a du chemin.

Dès la première intervention des masses, le Parti svaradjiste se tournera vers l’impérialisme britannique et conclura un accord avec lui. Par intervention des masses j’entends une intervention où celles-ci lancent leurs mots d’ordre radicaux indépendants, tel celui de la confiscation des terres, ou des mots d’ordre radicaux pour la défense des intérêts des ouvriers.

Je pense que lors d’une intervention indépendante des masses avec des mots d’ordre plus ou moins révolutionnaires, la bourgeoisie svaradjiste s’entendra vite et conclura un compromis avec l’impérialisme britannique. En ce moment, elle fronde.

A certains moments, elle peut même jouer un rôle révolutionnaire objectif, mais on ne peut s’attendre à ce qu’elle joue un rôle révolutionnaire pendant toute une période. Il est incontestable — ce qui doit être souligné d’ailleurs — que la bourgeoisie passera au camp de la contre-révolution lors de la première manifestation de masse.

Le Parti communiste doit dès le début mettre en lumière les tergiversations de la bourgeoisie, lancer des mots d’ordre radicaux, intervenir dès le début contre la bourgeoisie en ouvrant les yeux des ouvriers sur la conduire ultérieure de la bourgeoisie svaradjiste hindoue. Il serait des plus dangereux d’appliquer automatiquement à l’Inde la tactique employée en Chine. Il faut procéder ici à une analyse spéciale, il faut employer une tactique, particulière établie conformément à la situation particulière dans l’Inde.

Vu l’heure avancée on propose au camarade Boukharine d’interrompre son rapport et de le terminer dans la prochaine séance.

Troisième séance

(19 Juillet 1928)

Le président Foster ouvre la séance et donne la parole au camarade Boukharine.

V. Nos tâches essentielles et nos défauts

Plus d’internationalisme !

Camarades,

Je passe à la question de nos tâches essentielles et de nos défauts. De l’analyse de la situation mondiale que j’ai déjà faite résultent des déductions déterminées concernant notre orientation fondamentale dans le domaine des problèmes de tactique. Je m’arrêterai avant tout à la question de l’internationalisme de notre mouvement.

Il va de soi que dans la période actuelle, lorsque ce sont les questions de la grande politique qui se trouvent au centre de l’attention des partis communistes, lorsque le problème de la guerre est un problème central, la question de l’éducation internationale et des tâches des partis communistes qui s’en dégagent doit être au centre de l’activité de l’Internationale communiste.

En considérant la vie de nos partis de ce point de vue, il faut noter que malgré les effectifs peu considérables des partis communistes, nous avons indubitablement obtenu des succès assez importants dans le domaine de la bolchévisation des partis communistes.

Nous avons fait des conquêtes assez appréciables et pouvons constater un accroissement de notre influence ; idéologiquement, nous avons conquis de nouveaux territoires au communisme, etc. Néanmoins, le degré de l’internationalisme des partis communistes est encore insuffisant comparativement aux tâches qui se dressent devant l’Internationale communiste et ses sections.

L’expérience de ces dernières années a montré ces lacunes. Je pense qu’il est de notre devoir de nous prononcer tout à fait ouvertement sur cette question, puisque la reconnaissance franche de ce fait est la condition nécessaire pour remédier à ce défaut.

Pendant la grève anglaise, nous avons constaté, et cela est fixe dans les résolutions des C.E. élargis de l’Internationale communiste, que plusieurs partis n’ont pas soutenu comme il le fallait, la classe ouvrière anglaise. A l’exception de quelques partis peu nombreux et, en premier lieu, du P.C. de l’U.S., tous les autres partis ont donné une aide par trop molle au prolétariat anglais.

Pendant les événements de Chine, nous avons assisté au même phénomène. L’ampleur de la campagne internationale pour la défense de la révolution chinoise n’a pas correspondu aux besoins objectifs de cette période et aux devoirs révolutionnaires des partis communistes.

L’intérêt pour la révolution chinoise n’a pas trouve une expression conforme. En ce qui concerne la presse, elle n’a pas donné une information suffisante sur la bolchévisation du parti communiste chinois, sur la bolchévisation du mouvement ouvrier et paysan en Chine.

On n’a pas remarqué un travail plus ou moins approfondi et systématique dans ce domaine ; on n’a pas fait de large campagne politique à la hauteur des circonstances. Des tentatives ont été faites pour supprimer ces lacunes, mais il n’y avait pas de travail systématique obstiné. En conséquence, les partis n’ont pas toujours été à la hauteur des grandes campagnes.

Voyons la question du fascisme, non pas du fascisme italien, mais de la question fasciste eu général. Ici il faut souligner que la lutte des partis communistes contre le fascisme, et l’attention accordée à cette question, furent absolument insuffisantes.

Des événements comme l’intervention des Etats-Unis au Nicaragua n’ont pas provoqué de réaction appréciable, même pas de la part du parti communiste des Etats-Unis. Si le parti frère des Etats-Unis, pour lequel cette question devait être la question centrale, n’était pas à même de développer la campagne d’envergure qui s’imposait, il en fut de même des autres partis.

Le Nicaragua est loin de l’Europe, mais les conditions géographiques ne doivent pas jouer un rôle décisif dans l’activité des partis communistes. Il y a encore dans certains partis, surtout en Europe, dans les grands partis aussi bien que dans les petits, des vestiges de provincialisme, des lacunes dans la compréhension de l’importance de la grande politique internationale.

Si nous voulons réellement nous préparer aux événements d’une importance historique mondiale comme la guerre future, nous devons dès maintenant concentrer notre attention sur les questions de la grande politique internationale.

Autrement, nous ne pourrons pas nous préparer sérieusement à la guerre, Naturellement, pour bien mener cette campagne, pour la développer avec l’énergie nécessaire, nous devons lier les questions de la grande politique internationale aux questions de la vie journalière et au travail révolutionnaires dans les pays respectifs. Là encore apparaît la question de la guerre. Presque toutes les questions politiques intérieures, y compris les questions du mouvement ouvrier dans chaque pays, touchent à ce problème.

L’offensive du capital est liée aux préparatifs de guerre de la bourgeoisie ; elle est provoquée par la nécessité pour la bourgeoisie de renforcer ses positions, d’établir la paix civile, de se créer des garanties contre les ouvriers, etc.

En général, c’est un problème très compliqué. Il est indispensable de partir des questions journalières pour en faire la base du développement ultérieur de nos tâches et de nos mots d’ordre plus généraux. Cela exige un certain art politique et tactique.

Mais c’est là précisément un argument pour que soient posées les grandes questions politiques. L’art de la tactique bolchéviste consiste précisément à soulever de grandes questions en partant de choses de peu d’importance.

Si nous n’apprenons pas cet art, si nous ne réagissons pas suffisamment aux grandes questions internationales, nous ne ferons pas de travail systématique pour la préparation à la lutte contre la guerre. Nous devons comprendre cela et le fixer dans notre résolution.

La question de la guerre, la question de la défense de la révolution en U.R.S.S. et en Chine sont d’une importance centrale, décisive. Le travail systématique en ce sens est une tâche primordiale que tous les partis, toutes les sections de l’Internationale communiste ont à accomplir dans leurs pays.

La question de la ligne générale des partis communistes est celle de l’attitude envers la forme actuelle du capitalisme et envers l’Etat capitaliste. Aussi, dans ce domaine, les questions de peu d’importance se transforment imperceptiblement en grands problèmes politiques.

En considérant, par exemple, l’orientation de la tactique des partis social-démocrates. — j’en ai déjà, parlé brièvement— nous voyons une ligne tout à fait conséquente. Elle tend à la fusion avec les organisations patronales. Cette ligne s’étend de chaque fabrique jusqu’à la S.D.N. Les social-démocrates font de la propagande pour la « paix industrielle », pour la méthode « américaine » de collaboration entre le travail et le capital.

Telle est la ligne fondamentale de la social-démocratie contemporaine. Cette orientation fondamentale se répercute tant dans le domaine politique extérieur que dans les questions politiques intérieures, dans la question des rapports avec l’Etat, dans la question de coalition, de l’attitude vis-à-vis des organisations du patronat, c’est-à-dire vis-à-vis des magnats du capital trustisé. Le mot d’ordre social-démocrate préconise l’union avec le capital trustisé. La question de la lutte de classes n’existe plus pour eux.

Dans le domaine économique, ils sont contre les grèves qu’ils veulent remplacer par paix industrielle ; au lieu de l’accentuation des grèves, ils sont pour l’arbitrage obligatoire. La question de l’indépendance ou de la subordination des organisations ouvrières est résolue par eux sous forme de collaboration des organisations ouvrières avec les associations patronales. C’est tout un système de tactique. Les organisations ouvrières, du point de vue du réformisme, doivent perdre leur indépendance de classe.

Pour ces messieurs, la lutte de classes est « périmée ». La ligne de la social-démocratie tend à la fusion des organisations ouvrières réformistes avec les organisations du capital monopoliste et les organes de l’Etat- capitalisme monopoliste. Nous voyons cette ligne conséquente de la tactique social-démocrate sur tout le front.

Tactique du front unique seulement par en bas

Quelle est donc notre orientation de tactique ? Dans toutes ces questions, de la cellule d’entreprise jusqu’à la S.D.N., l’orientation de notre tactique est complètement opposée a celle de la social-démocratie.

C’est une orientation absolument antagoniste par rapport à celle de la social-démocratie. Non pas paix industrielle, mais lutte de classe ; non pas arbitrage, mais lutte contre l’arbitrage obligatoire, contre toutes les entraves que les organisations capitalistes ou l’Etat capitaliste dressent devant la classe ouvrière ; lutte contre toutes les chaînes qui paralysent le mouvement gréviste !

Telle est notre orientation tactique. Nous avons déjà discuté ces questions à plusieurs reprises, aussi la réponse à ces questions est-elle tout à fait claire. La dernière déduction de cette ligne tactique est l’orientation vers la destruction de l’Etat bourgeois, vers la révolution.

Cette ligne ne signifie nullement l’abolition de la tactique du front unique. Mais vu l’intensification de notre lutte contre la social-démocratie, nous devons y apporter la modification suivante : actuellement, dans la majeure partie des cas, il nous faut employer exclusivement la tactique du front unique par en bas.

Nous ne devons faire aucun appel aux centres des partis social-démocrates. Les exceptions ne sont admissibles que dans des cas extrêmement rares et seulement applicables aux organisations locales des partis social-démocrates. Mais la base de notre tactique doit être l’appel aux masses social- démocrates, aux simples ouvriers social-démocrates.

La tactique du front unique est étroitement liée aux questions du travail systématique que nous avons à faire.

Le travail dans les syndicats est un problème de la plus haute importance

Il ne s’agit pas seulement de telle ou telle campagne à l’occasion de tel ou tel événement. Toutes ces questions de tactique sont précisément et en premier lieu des questions du travail systématique. Tout le monde connaît la thèse exposée dans plusieurs résolutions de l’I.C. que le principal problème est celui du travail dans les syndicats. Nous avons toujours noté de nombreuses lacunes dans ce domaine.

A ce congrès aussi nous, discuterons le problème du travail syndical, nous examinerons soigneusement, minutieusement l’expérience de nos partis, nous essayerons de l’analyser en toute conscience, d’établir quelles sont les causes, quelles sont les origines de nos lacunes dans ce domaine.

Si nous voulons faire de l’autocritique, je pense qu’il y a peu de secteurs sur le front de notre lutte et de notre activité où elle puisse avoir autant d’importance et soit aussi nécessaire que dans le secteur de notre travail dans les syndicats. Notre influence idéologique s’accroît au sein des syndicats.

Mais jusqu’à présent nos camarades jouissent encore de trop peu d’autorité en tant que militants syndicaux. L’autorité de nos militants s’accroît, mais leur autorité est celle de leaders politiques, d’initiateurs de larges campagnes politiques, de combattants de la lutte révolutionnaire de classe du prolétariat, de défenseurs de ses grands intérêts historiques.

Mais leur autorité spécifique de militants syndicaux, de bons dirigeants du mouvement gréviste est encore insuffisante. La disproportion entre l’autorité politique de nos camarades et leur autorité syndicale est encore très grande. Cela s’explique par les différentes défectuosités qui existent dans notre travail dans les syndicats. Tenez, quelques exemples. Prenons la France.

Nous y constatons de nombreuses erreurs commises par les communistes dans le domaine syndical. Les rapports entre les communistes et les syndiqués sans parti ne sont pas ce qu’ils devraient être : les communistes commandent trop, agissent trop peu par la conviction, ne travaillent pas d’une façon assez systématique. Il y a aussi d’autres sortes de défauts.

Certains militants syndicaux font « bien » leur travail dans les syndicats. Mais ce travail syndical est presque du travail social-démocrate et l’on y chercherait en vain la manière spécifiquement bolchéviste de poser les problèmes syndicaux. Les problèmes spécifiquement communistes y font presque complètement défaut.

Un tel militant syndical peut avoir une très bonne réputation dans les larges masses syndicales, mais il ne mérite guère d’être approuvé du point de vue communiste. En Allemagne, par exemple, certains camarades se sont tellement habitués aux méthodes social-démocrates de travail qu’ils n’ont pas suivi les directives du parti, n’ont pas publié les appels électoraux de notre parti, etc.

Ils se soumettaient à la discipline syndicale générale afin de rester de « bons » militants syndicaux. C’est là une autre variété de travail non satisfaisant des communistes dans les syndicats.

Pendant le mouvement gréviste, et c’est là une des questions de la plus haute importance du travail syndical, nous avons aussi observé diverses fautes assez graves de la part de nos militants syndicaux. Parfois nous nous heurtions « à la politique de la remorque », c’est-à-dire à l’absence d’initiative, à l’incapacité de jouer le rôle dirigeant dans le mouvement gréviste.

Pendant la grève, nous nous traînions souvent à la remorque de la masse au lieu de la diriger. Dans la période écoulée, il y a eu pas mal de ces exemples en France, où des grèves se déroulaient en dehors de nous.

D’autre part, nous opérons trop souvent dans le mouvement gréviste avec des phrases révolutionnaires, mais nous ne portons pas assez d’attention à la préparation sérieuse des grèves, nous ne tenons pas suffisamment compte de la conjoncture et de toutes les possibilités de grève, nous ne savons pas choisir le moment du déclenchement ou de la cessation de la grève, nous ne savons pas la diriger habilement, etc.

Cependant, toutes ces qualités sont absolument nécessaires, surtout à l’heure actuelle, car dans ce domaine, dans le domaine de la direction des grèves, la situation est très difficile. Presque chaque grève a, dans une mesure plus ou moins considérable, la tendance de se transformer en un grand événement politique.

Dans ces conditions, on ne peut bien mener la grève qu’en étant bien au courant de la conjoncture, qu’en calculant toutes les possibilités du mouvement dans tous les détails. Il ne faut pas seulement du tempérament révolutionnaire : celui-ci est nécessaire, mais il n’est pas suffisant.

Ce qu’il faut aussi, c’est la connaissance des conditions économiques et politiques de la lutte. Les questions du mouvement syndical n’ont jamais été aussi compliquées qu’actuellement. A la base de ce problème compliqué se trouve notamment le rapport entre les forces du capital et les forces unies de la classe ouvrière.

Or, camarades, nous avons actuellement une situation telle, que ces conditions spécifiques ne sont souvent pas comprises. C’est ainsi que le problème de l’unification des comités de fabriques et d’usines en une organisation correspondant à l’organisation des trusts n’est pas encore résolu, et nos partis communistes des pays capitalistes les plus avancés ne font pas assez de propagande pour une telle concentration du mouvement ouvrier.

Cependant, la propagande pour cette union, pour cette centralisation de la lutte, doit former notre réponse à la concentration du capital trustisé. Dans le domaine syndical, nous luttons actuellement moins contre tels ou tels patrons isolés, que contre le capital trustisé uni. Le terme « trust » doit être souligné toujours de nouveau. C’est là la particularité spécifique à laquelle nous avons actuellement affaire.

La question des jeunes est un des principaux problèmes

Camarades, il y a encore chez nous d’autres lacunes. Elles concernent nos organisations de masse et cela malgré les grands succès que nous y avons remportés. Je prends, par exemple, un autre domaine de notre activité, — notre mouvement des jeunes. Nous pouvons enregistrer certains progrès importants, surtout dans le domaine de la lutte antimilitariste au cours des différentes campagnes militaires.

Prenez l’action de la Fédération des Jeunesses communistes de France pendant la guerre du Maroc, et celle de nos J.C. en général, dans la lutte contre la menace de guerre. Malheureusement, nous observons aussi de grands défauts.

Tantôt le nombre des jeunes camarades fléchit, tantôt il reste stationnaire. Il est incontestable que le mouvement des jeunes se distingue par des méthodes trop sectaires, que notre Internationale des Jeunes n’est pas à même de pénétrer dans toutes les organisations de masses de la jeunesse ouvrière et d’y étendre son influence.

Jusqu’à présent, notre tactique dans l’organisation des jeunes a été caractérisée par une certaine étroitesse. Je crois que ces lacunes se sont encore accentuées ces derniers temps. C’est là un des points les plus dangereux de notre travail. Certains camarades ayant constaté les grandes fautes commises voudraient animer le travail par des méthodes qui feraient perdre la physionomie politique et communiste aux J.C. Je pense que c’est faux.

Nos jeunesses doivent rester une organisation communiste qui, naturellement, ne doit pas doubler le parti. Cependant, l’orientation communiste générale doit rester la base du développement futur des J.C.

Pour le maximum de variété et de souplesse dans les méthodes de travail

Ce qui nous manque et ce que nous devons tâcher d’obtenir, c’est la variété dans les méthodes de travail.

Nous devons tendre à ce que l’organisation des jeunes réagisse non seulement sur les questions de grande politique, sur les grandes campagnes politiques, mais aussi sur les questions politiques et culturelles, sur toutes les questions qui intéressent la jeunesse ; dans tous les domaines, à commencer par les sports jusqu’à la révolution chinoise, nos jeunes camarades doivent dire leur mot, réagir organiquement et politiquement comme l’exigent les directives sur la pénétration de notre influence dans toutes les organisations de jeunes ouvriers.

Pas de sectarisme, pas de méthodes bornées qui, en fait, ne font que détruire le front unique du mouvement des jeunes.

Camarades, le problème des jeunes est un des principaux problèmes de notre époque. En Europe occidentale, en Amérique et en d’autres pays, ce problème est pour nous d’une importance sérieuse.

Pour gagner la jeunesse, la bourgeoisie lutte avec une énergie fiévreuse et avec plus d’habileté que nous. Toutes ces grandes organisations sportives que certains considèrent comme une méthode de civilisation bourgeoise, ont une grande signification politique.

Leur importance est en liaison étroite avec les questions centrales de la politique, tout particulièrement avec celle de la guerre. Par les associations sportives, la bourgeoisie impérialiste entraîne la jeunesse à la guerre, parfois sous une forme bénigne et apolitique.

En considérant ces processus, d’un point de vue non pas isolé mais du développement général, ou s’aperçoit qu’ils jouent à notre époque un rôle politique considérable.

Le jeune ouvrier raconte avec enthousiasme comme il joue bien au football, mais il est déjà pris dans le filet de l’organisation bourgeoise. Les exercices de gymnastique sont en quelque sorte un entrainement militaire, non seulement au point de vue de la technique, mais aussi de la politique et de la guerre.

Or, si nous consacrons principalement notre attention aux grands problèmes politiques, sans essayer de pénétrer en même temps dans toutes les organisations de masse, — je ne parle pas absolument d’une pénétration organique, mais de notre influence et de notre autorité politique, — nous perdrons pour notre cause les grandes masses de la jeunesse.

Pourquoi dis-je que le problème de la jeunesse est un des principaux problèmes ? Premièrement, parce que, ces derniers temps, nous causons beaucoup du problème syndical, par exemple, tandis que nous portons trop peu d’attention au mouvement de la jeunesse. Mais réfléchissez, sur quelques faits essentiels tels que celui-ci : à présent, la jeunesse est plus mal organisée que le prolétariat adulte, chez les social-démocrates aussi bien que chez nous.

C’est là un des grands paradoxes historiques que la génération d’après-guerre, née pendant la guerre, soit plus mal organisée que la génération précédente. Je pense que cela provient en partie de ce que de larges couches de la jeune génération ont été neutralisées, soit directement ou indirectement par la bourgeoisie, ou bien que la jeunesse est sous l’emprise d’un état d’esprit apolitique. Mais ceci s’explique aussi par l’influence de la bourgeoisie impérialiste ; l’essentiel pour elle est de neutraliser la jeunesse.

C’est pourquoi, il est absolument nécessaire que nous améliorions notre travail dans le domaine d’organisation de la jeunesse. Nous devons le dire bien haut et le congrès doit donner à l’I.C.J. les directives nécessaires dans ce sens.

Plus d’attention à la question paysanne

Abordons à présent la question des organisations sympathisantes. S’il est vrai que nous approchions de catastrophes, quoique nous ne pouvions pas en déterminer la date précise, — il serait absurde d’ailleurs de chercher à prévoir les dates, — nous devons comprendre en tous cas que, sous cette perspective, la question des organisations auxiliaires jouera un rôle considérable.

Peut-être bien que spécialement dans un avenir prochain, nous devrons analyser la question du mouvement paysan et de l’Internationale paysanne. Les résultats des élections en Allemagne et en France nous ont montré que notre influence n’a pas augmenté parmi les paysans, mais a plutôt fléchi.

C’est un symptôme important. Naturellement, notre travail parmi les paysans de nombreux pays capitalistes n’est pas chose facile. Pourtant, ce sont précisément les légions paysannes qui sont utilisées contre nous dans la lutte et la bourgeoisie travaille avec une énergie redoublée dans ce domaine.

Elle fait tout son possible pour gagner les masses paysannes, tandis que les partis communistes ont négligé quelque peu leur travail parmi la paysannerie. Dans certains pays nous avons laissé échapper le moment opportun. Rappelons le grand mouvement paysan en Roumanie. Il est vrai que notre parti communiste de Roumanie était brisé, mais personne n’a même signalé que nous étions à la veille de pareils événements aussi importants dans ce pays.

L’I.C. dans son ensemble, y compris le Comité exécutif, n’ont pas prévu cela, n’ont pas pris en temps voulu les mesures nécessaires, ce qui est une grande faute, même en tenant compte que la situation était très difficile, qu’il n’y avait presque aucune liaison, etc. Ces événements se sont déroulés presque en dehors de l’influence de notre parti.

C’est pourquoi nous devons en tirer des enseignements déterminés en ce qui concerne le mouvement paysan dans les pays balkaniques, en Roumanie, en Yougoslavie, en Bulgarie et en Pologne également.

Nous devons concentrer notre attention sur la question paysanne et, sous cet angle, nous devons aider l’Internationale paysanne à se transformer en une véritable organisation vivante. Je ne puis vous présenter un rapport sur l’activité de cette organisation, mais je vais dire qu’elle est plus ou moins une organisation de propagande, que son travail se borne principalement à éditer des matériaux divers. Ses liaisons organiques sont très insuffisantes. L’effectif de cette organisation est infime.

Malgré tout, elle obtient certains succès. Je pense que c’est non seulement la faute de l’Internationale paysanne, mais aussi celle de l’I.C., notre faute collective. Nous n’avons pas délégué dans cette organisation des forces suffisantes, nous n’avons pas consacré assez d’attention à son travail. Les événements de Roumanie et les résultats des élections en France et en Allemagne en sont un témoignage évident. Nous devrons soulever cette question dans un prochain avenir et faire tout le nécessaire pour obtenir des améliorations.

Je pense que l’appui que nous accordons à la Ligue anti-impérialiste n’est pas suffisant pour une organisation de ce genre. Certains camarades pensent que cette Ligue n’est pas une institution très vitale. En réalité, l’expérience montre le contraire : elle montre toute l’ampleur des forces potentielles et des possibilités de développement de cette organisation. L’aide que nous lui apportons est insuffisante.

On prétend que le congrès de la Ligue fut une grande parade, une grande manifestation politique. Il en fut ainsi parce que cette parade était une nécessité objective et que les forces révolutionnaires éprouvaient le besoin de s’unir.

Au point de vue de notre stratégie générale, nous devons déclarer que plus nous aurons de points de ralliement dans notre ligne et dans celle des forces sympathisantes, — que ce soit en Europe, en Asie, on Afrique ou dans d’autres pays, — d’autant plus nous serons prêts au moment des catastrophes, d’autant plus nous grouperons de véritables et vivantes organisations dans le camp de la révolution.

Pourquoi occuper dans cette question un point de vue liquidateur, c’est là une chose que je ne puis comprendre. Parfois les gens s’efforcent de faire retomber la responsabilité sur un état de choses objectif, sur des forces et des événements indépendants de notre volonté. C’est 1à une très mauvaise méthode. Nous sommes les premiers, coupables car nous avons trop peu aidé cette organisation.

La liaison du travail légal avec le travail illégal

Maintenant, j’aborderai une autre question : le problème de la liaison du travail légal avec le travail illégal. De nouveau, si notre analyse est juste en général, nous devons dès à présent commencer le travail illégal, poser la tâche de la liaison du travail légal avec le travail illégal. En ce qui concerne l’expérience du travail illégal, nous pouvons dire que dans de nombreux pays elle est assez vaste.

Nous possédons cette expérience en Pologne, dans les pays balkanique, en Italie, au Japon et en Chine. Certains partis ne sont pas encore expérimentés en ce domaine. Ceci concerne avant tout les partis du prolétariat occidental. Mais, camarades, l’offensive contre nos partis s’accentuera.

Notre parti frère français a déjà senti ce qui l’attend à l’avenir. Les attaques contre notre parti deviendront progressivement plus violentes. Il ne subsiste aucun doute qu’à la veille de la guerre, voire même quelque temps avant, nos partis tomberont sous le coup de lois d’exception. C’est une chose incontestable qu’il faut prévoir.

Aussi est-il nécessaire de jeter dès à présent la base de nos organisations illégales, en particulier dans la flotte, dans l’armée, etc. Dans le cas contraire, les événements nous prendront au dépourvu et nous, perdrons beaucoup du fait de notre préparation insuffisante.

La question des organisations illégales, y compris celle des organisations de liaison légales et illégales dans l’armée et la flotte, est une question de grande actualité. Vous comprendrez pourquoi je ne m’étendrai pas sur ce sujet, pourquoi je ne puis donner des détails, des conseils et des directives.

Mais, cette tâche se pose au premier plan et il faut la mettre en relief autant que possible. On ne doit pas se borner à des lieux communs; il faut élaborer des directives concrètes pour notre travail pratique et ces directives doivent être appliquées.

Si nous appliquons comme il faut la tactique du front unique dans le travail syndical, dans les organisations des jeunes et sympathisantes, nous saurons détruire la fameuse disproportion qui existe entre l’accroissement de notre influence politique et sa consolidation organique.

Les symptômes de bureaucratisme

En corrélation avec ceci, on voudrait encore toucher à certains autres de nos défauts. Il me semble, – et je dois le déclarer ouvertement – que ces derniers temps, non seulement dans notre parti, le P.C. de l’U.R.S.S, mais aussi dans de nombreux autres partis.

Les symptômes de bureaucratisme se sont accrus : ceci se manifeste parfois par un ultra-centralisme de la direction, par une absence totale d’initiative dans les organisations locales, etc. Il va de soi que le centralisme est indispensable de même qu’une direction centralisée. Les comités centraux doivent être de puissants organes de direction. C’est là une vérité élémentaire.

Mais il arrive fréquemment que les organisations locales ne font preuve d’aucune initiative, que la vie politique ne bat pas dans les cellules de base, que de nombreuses campagnes et les questions de l’action syndicale y jouent [il manque ici des mots ou une ligne] n’est pas difficile de voir que le pourcentage des militants du rang; mènent une action faible et que la vie intérieure du partit n’embrasse qu’un milieu restreint de fonctionnaires.

C’est là une grande lacune qui est liée à d’autres défauts. Nous prêchons sans relâche : animez les cadres, gagnez de nouveaux hommes à la direction, attirez de nouveaux membres dans les cadres du parti.

Mais, ces nouveaux hommes ne peuvent nous tomber du ciel comme des militants tout préparés. Ils doivent s’éduquer dans le processus de la vie intense du parti, de même que la masse du parti et les fonctionnaires. Si nous ne parvenons pas à remédier à ces défauts, la sélection de nouveaux cadres du parti sera rendue très difficile.

Etant donnée l’absence de vie à la base du parti, il est très difficile d’assurer avec succès la sélection de leaders ou de cadres du parti. Si l’on jette un regard sur les congrès des partis et de l’I.C, il n’est pas difficile de voir que le pourcentage des militants du rang qui y prennent part, n’a pas augmenté.

Il se manifeste donc la tendance de n’envoyer comme délégués exclusivement que des fonctionnaires ou parti, des syndicats et des fonctionnaires rétribués du parti. Cette tendance existe. Evidemment, il ne faut pas exagérer ce danger, mais il est nécessaire de le constater.

Ceci se trouve en corrélation étroite avec différentes problèmes compliqués de la, vie intérieure du parti, il faut souligner l’animation insuffisante de la vie intérieure du parti, en particulier à la base, dans les-cellules de fabriques, etc. II faut constater ce fait afin de pouvoir y remédier.

La lutte pour l’amélioration des cadres

Encore quelques mots sur le niveau culturel et politique de nos partis, sur nos cadres du parti. Il y a là aussi un écart entre les besoins objectifs de la masse des membres et la capacité et la qualification de nos cadres du parti.

Il me semble que nous avons ignoré de nombreux problèmes théoriques, que nos camarades du parti étudient peu, que la littérature est insuffisante et n’est pas appropriée aux besoins objectifs actuels, que nous réservons peu de temps à l’étude; que nous n’étudions pas assez profondément et sérieusement les questions.

Tout cela se répercute sur les méthodes de discussion. Au congrès et à la séance plénière précédente du C.E. de l’I.C., j ai déjà dit que nos discussions intérieures consistent surtout à lancer de grands mots.

Ces discussions superficielles sont la preuve que les problèmes examinés n’ont pas été étudiés avec tout le sérieux nécessaire par ceux qui participent aux discussions. Effectuer des opérations avec les différents genres de déviations, cela nous l’avons parfaitement appris et le réalisons brillamment.

En ce qui concerne la véritable étude des problèmes, la véritable argumentation et non pas la lutte automatique contre un adversaire, cela nous ne l’avons pas encore appris dans la mesure nécessaire.

Cependant, chaque pas dans la voie du développement de notre parti exige que -nous approfondissions notre pensée politique, que nous louvoyions, manœuvrions et réagissions à chaque nouvelle situation avec toute l’attention voulue.

Cet là un problème fondamental. A mon avis, nous devons porter une attention sérieuse à notre niveau théorique, à une meilleure organisation de notre presse et au relèvement de l’instruction dans nos partis.

VI. Les déviations dans l’Internationale communiste.

La déviation de droite est le principal danger

A présent camarades, quelques mots concernant les différents genres de déviations dans l’Internationale communiste. Il y a quelques temps, l’Internationale communiste était principalement menacée du côté des « extrêmes-gauchistes » qui essayèrent de constituer une organisation internationale.

Après la défaite de l’opposition du P.C. de l’U.R.S.S., ces initiatives furent brisées. Mais la défaite même de l’opposition et le point culminant de ce processus, à savoir la décomposition du « Leninbund », nous obligent à tirer quelques conclusions.

Nous avons affirmé que le trotskisme est une déviation social-démocrate. Certains camarades pensaient dans le fond que c’était une forte exagération. Mais l’histoire du Leninbund montra que le centre de l’opposition passa aux social-démocrates. Fut-ce l’effet du hasard ? Non.

La dialectique des rapports entre les soi-disant « extrême-gauchiste » et la droite est évidente. Maintenant, le principal danger est la déviation de droite, si l’on prend l’Internationale communiste dans son ensemble. La période de stabilisation que je viens d’analyser, les vestiges du parlementarisme, l’influence de la social-démocratie, certains traits spécifiques du travail syndical, — tels sont les facteurs principaux qui engendrent ce danger.

Ce danger revêt des formes variées dans les différents partis. Comment s’est il manifesté ? Premièrement, par le désir de travailler légalement à tout prix, par la crainte de sortir des cadres de la légalité bourgeoise, même dans les cas où cela était indispensable, par la soumission exagérée aux lois bourgeoises. Cette déviation de droite s’est également manifestée par l’incompréhension de la nécessité d’accentuer la lutte de classe.

C’est ainsi que par exemple, pendant les grèves on a négligé d’organiser des grèves là où il aurait fallu le faire. Cette déviation s’est manifestée aussi par une ligne erronée à l’égard de la social-démocratie, par une lutte insuffisamment accentuée contre ses leaders de « gauche ».

Elle se manifeste également par un internationalisme insuffisant dans les partis. Nous voyons que même les partis dont l’orientation est généralement juste, oublient de remplir leur devoir international, comme: cela fut le cas à l’égard de la révolution chinoise.

C’est là sans conteste une déviation de droite prononcée. La même déviation se manifeste aussi dans le travail syndical où la discipline syndicale générale est placée parfois au-dessus de la discipline de notre parti, et encore sous d’autres formes auxquelles je ne m’arrêterai pas ici.

Les déviations de gauche

Le fait de ne pas comprendre les rapports exacts qui doivent exister entre le parti et les syndicats aboutit à ce que le parti commande parfois directement les masses en sa qualité d’avant-garde communiste, sans essayer de convaincre, sans mener un travail systématique. De plus, il y a certaines tendances à renoncer absolument à la tactique du front unique.

Des déviations de gauche furent observées en Chine après la phase des grossières déviations de droite. Elles prirent la forme d’un état d’esprit putschiste, de la tactique putschiste, etc. Mais, en général, les déviations de la ligne exacte vers la droite sont aujourd’hui plus fréquentes que vers la gauche. Prenons par exemple la France.

Dans notre parti français existaient et existent encore des traditions parlementaires, au mauvais sens de ce mot. Elles se sont manifestées lors des dernières élections. On a pu constater une tendance à saboter notre changement de tactique, à s’opposer à cette tactique. Ceci provient naturellement d’une orientation par trop forte vers le parlementarisme, de certaines déviations opportunistes par rapport à la juste ligne politique. Dans le parti français, ces déviations s’expliquent par des traditions historiques profondément ancrées.

Il va de soi que notre parti français frère doit continuer à l’avenir à lutter systématiquement contre ce fait, en s’efforçant avant tout de convaincre ses membres. Il est question non seulement de lutter contre telle ou telle personne, mais aussi de lutter contre les vieilles traditions fortement ancrées de la vie sociale française et de la vie antérieure du parti socialiste, dont une grande partie des membres a adhéré au P.C.

Ces divergences se rencontrent dans le P.C.F. On les a observées lors de la discussion sur la répression, quand certains camarades français et tout le parti ont commis des erreurs, rectifiées par la suite. Nous retrouvons ces mêmes erreurs dans le parti frère de Tchécoslovaquie, véritable parti de masse, mais qui souffre dans une grande mesure de la « légalité ».

Parfois, le parti tchèque ne peut se décider à s’adresser aux masses pour organiser une protestation contre les différentes lois dirigées contre lui.

Si l’on fait constamment des concessions au gouvernement, si l’on ne déploie pas des efforts suffisants pour la mobilisation des masses contre les lois et les décrets anticommunistes du gouvernement, il est évident qu’on ne parviendra pas à établir une base quelconque pour préparer des actions de masses plus importantes, absolument contraires à la conception de la légalité bourgeoise.

Certains camarades n’ont aucune idée de la façon dont se dérouleront les événements. Ils raisonnent ainsi : nous travaillerons dans les cadres de la légalité jusqu’à tel ou tel jour, par exemple, jusqu’à la déclaration de la guerre, ensuite nous changerons notre tactique. Non, camarade, il faut se préparer d’avance. Il faut considérer l’action de masse comme un de nos meilleurs moyens de lutte.

Mobiliser les masses, devenir maître de la rue, attaquer toujours de nouveau l’Etat bourgeois et le détruire, conquérir la rue par des moyens révolutionnaires, — au sens strict de ce mot — ensuite aller plus loin, — c’est seulement sur la base de pareils événements et du développement de ces événements, c’est seulement sur la base des actions de masses, etc… que nous nous préparerons à des combats plus acharnés et plus tenaces.

En ce qui concerne les grèves et leur conduite peu satisfaisante, il y des cas où certaines organisations du parti ne savaient même pas qu’une grève se préparait dans telle ou telle fabrique importante. De pareils cas eurent lieu eu France. En ce qui concerne la position erronée à l’égard de la social-démocratie, nous avons certains exemples frappants d’erreurs commises en Allemagne, en France, en Tchécoslovaquie, etc…

Ces déviations politiques prirent partout la forme de mots d’ordre erronés. Ainsi et surtout en Allemagne où certains camarades lancèrent le mot d’ordre du contrôle sur la production, tandis que la situation révolutionnaire indispensable manquait absolument : objectivement, ce n’était rien moins qu’un pas vers la tactique de la « démocratie économique » de la social-démocratie, vers la « paix industrielle ».

Dans l’absence d’une situation révolutionnaire, un mot d’ordre vraiment juste et révolutionnaire se transforme en son contraire. Il cesse alors d’être un mot d’ordre inexact et signale déjà une ligne politique erronée.

Actuellement, ce danger de droite se présente à nous au tout premier plan, et il est parfaitement compréhensible qu’après avoir brisé l’opposition trotskiste, nous devons mener maintenant une ligne, politique déterminée contre ces déviations de droite et contre les petits groupements d’opposition de droite.

A présent, examinons d’une façon critique et à la loupe nos autres défauts. Dans certains partis, voire même dans un grand nombre d’entre eux, nous observons qu’ils ne s’assimilent pas les nouvelles situations et, en général, ne voient pas quand se produit quelque chose de nouveau. Tel a été le cas en France lorsque Poincaré est venu au pouvoir.

Nous retrouvons un exemple semblable en Angleterre, lorsque le Labour Party et le Conseil général accomplirent un brusque changement de tactique. La même faute a été commise en Angleterre, lorsque survint une nouvelle phase dans le rapport des forces sociales. En Allemagne également, nous n’avons pas réagi assez rapidement lors de la constitution du « Burgerblock » (bloc bourgeois), etc.

Plus d’attention à la situation concrète

Ainsi, presque tous les partis sans exception réagissent trop tard aux changements de situation. Quand survient une nouvelle constellation, le parti n’agit pas d’emblée, ou réagit trop tard, lance trop tard des directives ou des mots d’ordre, etc. Il me semble que ceci concerne également l’I.C. et sa direction. L’I.C. ne réagit pas toujours en temps voulu aux nouvelles circonstances, aux nouveaux événements, aux situations nouvellement créées.

Les mots d’ordre et les directives ne sont pas toujours donnés en temps opportun. Il arrive parfois qu’un seul et même parti lance jusqu’à 20 mots d’ordre différents. Or, si nous émettons simultanément 20 mots d’ordre, ils perdent toute leur raison d’être, l’attention du parti est divisée. Il arrive parfois que les organes dirigeants du parti ne savent pas grouper les mots d’ordre de façon à réunir les mots d’ordre secondaires autour des mots d’ordre principaux

C’est là une grande faiblesse de la direction. Dans la pratique, on réalise trop souvent d’une façon trop molle, insuffisante, des mots d’ordre qui, en eux-mêmes, sont parfaitement justes.

D’une part, nous lançons trop de mots d’ordre en n’ayant pas un mot d’ordre central. D’autre part, nous lançons des lieux communs révolutionnaires, oubliant et perdant de vue les mots d’ordre de la « petite » lutte quotidienne.

La thèse d’une accentuation de la lutte contre la social-démocratie est très juste. Mais ce qui est faux, c’est que nous ne causons pas avec les ouvriers social-démocrates eux-mêmes. Plus nous parlons des erreurs au sein du parti social- démocrate, plus nous devons convaincre les ouvriers social-démocrates de la justesse de notre tactique politique.

Jusqu’à présent, les partis n’ont pas encore appris à lier les questions du travail quotidien à nos buts et tâches principaux. Ou bien nous parlons très haut des problèmes mondiaux et ne faisons rien pour résoudre les questions quotidiennes, ou bien nous nous bornons à celles-ci et oublions qu’il faut les lier aux grandes questions politiques; en outre, nos partis sont souvent incapables d’apprécier exactement et en temps voulu la période en cours et tous ses traits caractéristiques.

Le défaut de nos partis consiste en ce qu’ils ne réagissent pas immédiatement sur la nouvelle conjoncture, en ce qu’ils ne la saisissent pas assez rapidement, ne la caractérisent pas nettement, ne donnent pas toujours le mot d’ordre convenable.

J’ai tant parlé de ces lacunes pour que nous puissions les soumettre à une critique pratique.

Comme la période qui s’est écoulée depuis le dernier congrès est assez longue, nous devons souligner nos défauts et côtés faibles également à l’égard de l’I.C. Prenons la question des faiblesses d’organisation et de l’exécution insuffisante de nos décisions : nous adressons des circulaires, des lettres ouvertes et fermées et nous ne vérifions pas si tout a été exécute, réalisé. Nous dépensons une grande quantité de papier, mais nous ne nous assurons que très peu de l’exécution effective de nos décisions.

Nous avons décidé maintes fois que notre direction devait être vraiment internationale, que les partis devaient envoyer au C.E. de l’I.C. leurs meilleurs représentants pour s’y adonner à un travail permanent. En fait, cette décision est toujours sur le papier.

Contre la lutte de fraction

Je dois souligner une autre chose qui, il est vrai, est plus ou moins étrangère à la question envisagée, mais qui, néanmoins, a une importance considérable dans la vie des partis communistes.

Je veux parler de la lutte fractionnelle qui est menée sans fondement politique suffisant. Les causes profondes en sont très compliquées : elles sont liées en partie à des traditions historiques. Dans certains partis, le danger de la lutte fractionnelle est si grand qu’il faudra, à mon avis prendre des mesures exceptionnelles pour y mettre fin.

Permettez-moi de vous citer deux exemples.

Prenons la situation au sein du parti yougoslave, où, depuis sept ans, sévit une lutte fractionnelle violente qui a fortement affaibli le parti. Dans toutes les conférences, congrès et séances plénières internationales, etc., nous avons constaté à l’unanimité que les divergences s’atténuent toujours plus.

Mais malgré toutes les déclarations solennelles que, dorénavant, la lutte fractionnelle cesserait, cette lutte continua avec toujours plus d’acharnement, jusqu’à ruiner le parti, — non pas tant par la terreur de la police que par la lutte fractionnelle.

La réorganisation du parti s’effectue actuellement sur la base d’un regroupement complet au sein même du parti : nouveaux hommes, nouvelle direction. Heureusement, on peut encore sauver le parti par ce moyen. Mais il me semble qu’il faut s’arrêter à cette question pour en tirer certaines leçons. La crise au sein du parti yougoslave, qui a duré si longtemps, a été surmontée plus ou moins par les moyens exceptionnels indiqués.

En ce moment, nous sommes en face d’un nouveau danger considérable, menaçant un parti très important, à savoir le parti communiste polonais. Jusqu’à présent, je n’ai pas parlé des partis isolément, mais j’ai simplement fait la somme des faiblesses de certains de nos partis, que j’ai cités à titre d’exemple. J’estime pourtant-de mon devoir de m’arrêter à la question polonaise.

Dans l’état actuel des choses, notre parti polonais est à un poste très responsable. Le rôle considérable que ce parti frère aura à jouer au cas de guerre est évident. Ce parti sera une des principales forces dont disposera, l’Internationale communiste. Lors du coup d’Etat de Pilsudski, le parti polonais a commis une grave erreur opportuniste.

Les leaders de toutes les tendances, sans exception, ont commis cette erreur. On ne peut faire retomber la responsabilité de cette erreur opportuniste sur un .groupe quelconque, fait que nous, I.C., avons déjà constaté.

Au dernier congrès du parti communiste polonais, qui dura plus de trois mois, car à chaque occasion et sur chaque question surgissent des divergences et des discussions entre les deux fractions, — les représentants de l’I.C. ont constaté unanimement que les divergences politiques au sein du parti polonais se réduisent en fait presque à zéro.

Néanmoins, après ce congrès, la scission du parti polonais n’a été évitée que grâce à la forte pression exercée par le C.E., par toute l’I.C.

Si nous n’étions pas intervenus, il y aurait dès à présent deux partis dans le mouvement communiste polonais, malgré que les divergences politiques furent réduites au minimum, — je le déclare en pleine conscience de ma responsabilité.

Ceci s’est passé tout dernièrement, au moment où Pilsudski et ses partisans préparent ouvertement la guerre, où chacun doit comprendre que toutes ces attaques contre la Diète, etc…, ne sont pas de grossières interventions de la part d’un homme devenu fou, mais que c’est là le système d’une ligne césarienne, dirigée en premier lieu contre l’U.R.S.S.

Cette ligne césarienne est d’ailleurs très intelligente et très habile. Pilsudski et ses partisans ont réussi à briser certains partis d’opposition, à briser notre parti ukrainien, à briser l’opposition de la Hromada de Russie Blanche, etc…

Enfin, dans le domaine international, Pilsudski et ses partisans ont su mener une politique très habile. (Une voix : « Ils ont su inoculer leur politique à la classe ouvrière »), ils ont su pénétrer au sein de là classe ouvrière. En effet, ce n’est pas notre parti seul qui a remporté une victoire électorale en Pologne ; un grand nombre d’ouvriers de Varsovie ont voté pour Pilsudski.

Quoique notre parti ait remporté un grand succès dans l’état actuel des choses, un brillant succès vraiment, nous voyons cependant, d’après les derniers comptes rendus reçus il y trois jours, qu’il existe déjà deux comités dans l’organisation de Varsovie. J’estime que ce n’est pas à l’honneur du parti communiste et de l’Internationale communiste. (Applaudissements.)

Camarades, je pense également, — quoique je n’aie pas établi le projet de thèses — que le Congrès chargera spécialement le comité exécutif de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’unité. (Vifs applaudissements.)

Il sera préférable d’avoir un parti unique dirigé par de simples ouvriers qui, lors de la guerre, combattront courageusement comme des soldats de la révolution, qu’une organisation de leaders en lutte constante entre eux qui, au moment du danger, mèneront le parti à sa perte. (Applaudissements.)

VII. Les perspectives sont favorables

En avant vers la lutte, vers la victoire !

Camarades, si je parle tant de nos défauts ce n’est pas que je considère la situation et les prémisses générales comme défavorables pour notre activité. Bien au contraire.

Les grandes questions politiques, telles la menace de guerre, la situation créée par les contradictions croissantes de la stabilisation du capitalisme, nous offrent un terrain plus ou moins favorable pour notre travail dans toute la classe ouvrière.

Notre influence est incontestable dans les pays coloniaux, surtout en Chine; nous sommes à la veille du jour où elle sera incontestable aussi dans l’Inde ; nous obtenons une influence prépondérante et incontestable parmi la classe ouvrière d’Europe occidentale que nous mettons en présence de questions aussi importantes que celle de la menace de guerre.

C’est pourquoi, parallèlement à l’aggravation des contradictions générales, à l’aggravation des contradictions inhérentes au capitalisme et de la lutte de classes, c’est-à-dire en corrélation avec les contradictions qui existent objectivement en ce moment, il se crée un terrain propice, des perspectives favorables pour notre action, pour nos succès.

Il n’existe aucune raison de dire que le progrès technique, la consolidation partielle de l’organisme capitaliste, le processus de stabilisation du capitalisme nous casseront le cou, comme le prédisent les social-démocrates. Au contraire, plus les contradictions propres à la situation présente s’accentueront, plus s’étendra et se consolidera notre influence.

Lorsque nous apprendrons, — et nous finirons bien par l’apprendre — à combiner notre travail quotidien et les grandes questions politiques, nous étendrons notre influence aux larges masses de la classe ouvrière d’Europe occidentale, nous soumettrons à notre influence le mouvement ouvrier des grands Etats capitalistes et saurons le relier au mouvement des peuples opprimés qui est d’une importance historique.

Lorsque l’heure viendra et que se dresseront les drapeaux de l’impérialisme guerrier, notre Internationale communiste, tous nos partis, la multitude des travailleurs du monde entier diront leur mot. Ce mot sera le mot d’ordre de la guerre civile, le mot d’ordre de lutte à mort contre l’impérialisme, ce sera le cri de victoire de l’Internationale communiste !

(Vifs applaudissements. Ovation. Les délégués se lèvent et chantent « l’internationale »).

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de l’Internationale Communiste