Georgi Dimitrov 2 aout 1935
Rapport au 7e congrès mondial de l’Internationale communiste: L’Offensive du fascisme et les tâches de l’Internationale communiste dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme
I. Le fascisme et la classe ouvrière
Déjà le VIe congrès de l’Internationale communiste avertissait le prolétariat international de la maturation d’une nouvelle offensive fasciste et appelait à la lutte contre elle. Le congrès indiquait que « des tendances fascistes et des germes du mouvement fasciste existent presque partout, sous une forme plus ou moins développée ».
Dans les conditions de la crise économique extrêmement profonde, de l’aggravation marquée de la crise générale du capitalisme, du développement de l’esprit révolutionnaire dans les masses travailleuses, le fascisme est passé à une vaste offensive.
La bourgeoisie dominante cherche de plus en plus le salut dans le fascisme, afin de prendre contre les travailleurs des mesures extraordinaires de spoliation, de préparer une guerre de brigandage impérialiste, une agression contre l’Union soviétique, l’asservissement et le partage de la Chine et sur la base de tout cela de conjurer la révolution.
Les milieux impérialistes tentent de faire retomber tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Ils s’efforcent de résoudre le problème des marchés par l’asservissement des peuples faibles, par l’aggravation du joug colonial et par un nouveau partage du monde au moyen de la guerre. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Ils s’efforcent de devancer la montée des forces de révolution en écrasant le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et en lançant une agression militaire contre l’Union soviétique, rempart du prolétariat mondial. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Dans une série de pays, notamment en Allemagne, ces milieux impérialistes ont réussi, avant le tournant décisif des masses vers la révolution, à infliger une défaite au prolétariat et à instaurer la dictature fasciste.
Mais ce qui est caractéristique pour la victoire du fascisme, c’est précisément la circonstance que cette victoire, d’une part, atteste la faiblesse du prolétariat, désorganisé et paralysé par la politique social-démocrate scissionniste de collaboration de classe avec la bourgeoisie, et, d’autre part, exprime la faiblesse de la bourgeoisie elle-même, qui est prise de peur devant la réalisation de l’unité de lutte de la classe ouvrière, prise de peur devant la révolution et n’est plus en état de maintenir sa dictature sur les masses par les vieilles méthodes de démocratie bourgeoise et de parlementarisme.
Au sujet de la victoire du fascisme en Allemagne, Staline a dit au XVIIe congrès du Parti communiste de l’URSS[1]:
Il ne faut pas la considérer seulement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et comme le résultat des trahisons perpétrées contre elle par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme.
Il faut la considérer aussi comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir dans sa politique intérieure, aux méthodes terroristes de gouvernement; comme un signe attestant qu’elle n’a plus la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à une politique de guerre.
Le caractère de classe du fascisme.
Le fascisme au pouvoir est, comme l’a caractérisé avec raison la XIIIe assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste, la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier.
La variété la plus réactionnaire du fascisme, c’est le fascisme du type allemand. Il s’intitule impudemment national-socialisme sans avoir rien de commun avec le socialisme. Le fascisme hitlérien, ce n’est pas seulement un nationalisme bourgeois, c’est un chauvinisme bestial.
C’est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocation et de tortures à l’égard de la classe ouvrière et des éléments révolutionnaires de la paysannerie, de la petite bourgeoisie et des intellectuels. C’est la barbarie médiévale et la sauvagerie. C’est une agression effrénée à l’égard des autres peuples et des autres pays.
Le fascisme allemand apparaît comme la troupe de choc de la contre-révolution internationale, comme le principal fomentateur de la guerre impérialiste, comme l’instigateur de la croisade contre l’Union soviétique, la grande patrie des travailleurs du monde entier.
Le fascisme, ce n’est pas une forme du pouvoir d’Etat qui, prétendument, « se place au-dessus des deux classes, du prolétariat et de la bourgeoisie », ainsi que l’affirmait, par exemple, Otto Bauer. Ce n’est pas « la petite bourgeoisie en révolte qui s’est emparée de la machine d’État », comme le déclarait le socialiste anglais Brailsford. Non.
Le fascisme, ce n’est pas un pouvoir au-dessus des classes, ni le pouvoir de la petite bourgeoisie ou des éléments déclassés du prolétariat sur le capital financier. Le fascisme, c’est le pouvoir du capital financier lui-même.
C’est l’organisation de la répression terroriste contre la classe ouvrière et la partie révolutionnaire de la paysannerie et des intellectuels. Le fascisme en politique extérieure, c’est le chauvinisme sous sa forme la plus grossière, cultivant une haine bestiale contre les autres peuples.
Il est nécessaire de souligner avec une vigueur particulière ce véritable caractère du fascisme parce que le masque de la démagogie sociale a permis au fascisme d’entraîner à sa suite, dans une série de pays, les masses de la petite bourgeoisie désaxée par la crise, et même certaines parties des couches les plus arriérées du prolétariat, qui n’auraient jamais suivi le fascisme si elles avaient compris son caractère de classe réel, sa véritable nature.
Le développement du fascisme et la dictature fasciste elle-même, revêtent dans les différents pays des formes diverses, selon les conditions historiques sociales et économiques, selon les particularités nationales et la situation internationale du pays donné.
Dans certains pays, principalement là où le fascisme n’a pas de large base dans les masses et où la lutte des différents groupements dans le camp de la bourgeoisie fasciste elle-même est assez forte, le fascisme ne se résout pas du premier coup à liquider le Parlement et laisse aux autres partis bourgeois, de même qu’à la social-démocratie, une certaine légalité.
Dans d’autres pays, où la bourgeoisie dominante appréhende la proche explosion de la révolution, le fascisme établit son monopole politique illimité ou bien du premier coup, ou bien en renforçant de plus en plus la terreur et la répression à l’égard de tous les partis et groupements concurrents.
Ce fait n’exclut pas, de la part du fascisme, au moment d’une, aggravation particulière de sa situation, les tentatives d’élargir sa base et, sans changer d’essence de classe, de combiner la dictature terroriste ouverte avec une falsification grossière du parlementarisme.
L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas la substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie ‑ la démocratie bourgeoise ‑ par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée.
Méconnaître cette distinction serait une faute grave, qui empêcherait le prolétariat révolutionnaire de mobiliser les couches laborieuses les plus étendues de la ville et de la campagne pour la lutte contre la menace de la prise du pouvoir par les fascistes, et d’utiliser les contradictions existant dans le camp de la bourgeoisie elle-même.
Mais c’est une faute non moins grave et non moins dangereuse de sous-estimer l’importance que revêtent, pour l’instauration de la dictature fasciste, les mesures réactionnaires de la bourgeoisie, qui s’aggravent aujourd’hui dans les pays de démocratie bourgeoise, et qui écrasent les libertés démocratiques des travailleurs, falsifient et rognent les droits du Parlement, accentuent la répression contre le mouvement révolutionnaire.
On ne saurait se faire de l’arrivée du fascisme au pouvoir l’idée simpliste et unie qu’un comité quelconque du capital financier déciderait d’instaurer à telle date la dictature fasciste.
En réalité, le fascisme arrive ordinairement au pouvoir dans une lutte réciproque, parfois aiguë, avec les vieux partis bourgeois ou une portion déterminée d’entre eux, dans une lutte qui se mène même à l’intérieur du camp fasciste et qui en arrive parfois à des collisions armées, comme nous l’avons vu en Allemagne, en Autriche, et dans d’autres pays.
Tout cela sans affaiblir cependant l’importance du fait qu’avant l’instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d’étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l’avènement direct du fascisme. Quiconque ne lutte pas, au cours de ces étapes préparatoires, contre les mesures réactionnaires de la bourgeoisie et le fascisme grandissant, n’est pas en état d’entraver la victoire du fascisme, mais au contraire la facilite.
Les chefs de la social-démocratie estompaient et cachaient aux masses le vrai caractère de classe du fascisme, ils n’appelaient pas à la lutte contre les mesures réactionnaires de plus en plus fortes de la bourgeoisie.
Ils portent la grande responsabilité historique du fait qu’au moment décisif de l’offensive fasciste, une partie considérable des masses travailleuses, en Allemagne et dans une série d’autres pays fascistes, n’a pas reconnu dans le fascisme le rapace financier sanguinaire, leur pire ennemi, et du fait que ces masses n’ont pas été prêtes à la riposte.
Quelle est donc la source de l’influence du fascisme sur les masses? Le fascisme réussit à attirer les masses parce qu’il en appelle, de façon démagogique, aux plus sensibles de leurs besoins et de leurs aspirations. Le fascisme ne se borne pas à attiser les préjugés profondément enracinés dans les masses; il joue aussi sur les meilleurs sentiments des masses, sur leur sentiment de justice et parfois même sur leurs traditions révolutionnaires.
Pourquoi les fascistes allemands, ces laquais de la grande bourgeoisie et ces ennemis mortels du socialisme, se font-ils passer devant les masses pour des “socialistes” et représentent-ils leur avènement au pouvoir comme une “révolution”? Parce qu’ils visent à exploiter la foi dans la révolution, l’élan vers le socialisme, qui vivent au coeur des grandes masses travailleuses d’Allemagne.
Le fascisme agit dans l’intérêt des ultra-impérialistes, mais il se montre aux masses sous le masque de défenseur de la nation lésée et en appelle au sentiment national blessé, comme, par exemple, le fascisme allemand qui entraîna les masses derrière lui avec le mot d’ordre: « Contre Versailles! ».
Le fascisme vise à l’exploitation la plus effrénée des masses, mais il aborde celles-ci avec une habile démagogie anticapitaliste, en exploitant la haine profonde des travailleurs pour la bourgeoisie rapace, les banques, les trusts et les magnats financiers, et en formulant les mots d’ordre les plus tentants au moment donné pour les masses politiquement frustes.
En Allemagne: « l’intérêt général prime l’intérêt privé »; en Italie: « notre Etat n’est pas un Etat capitaliste, mais corporatif »; au Japon: « pour un Japon sans exploitation »; aux États-Unis: « pour le partage de la richesse », etc.
Le fascisme livre le peuple à la merci des éléments vénaux les plus corrompus, mais se présente devant lui en revendiquant un « pouvoir honnête et incorruptible ».
En spéculant sur la profonde déception des masses à l’égard des gouvernements de démocratie bourgeoise, le fascisme s’indigne hypocritement contre la corruption (par exemple, les affaires Barmat et Sklarek en Allemagne, l’affaire Staviski en France, et une série d’autres).
Le fascisme capte, dans l’intérêt des cercles les plus réactionnaires de la bourgeoisie, les masses déçues qui abandonnent les vieux partis bourgeois. Mais il en impose à ces masses par la violence de ses attaques contre les gouvernements bourgeois, par son attitude intransigeante à l’égard des vieux partis de la bourgeoisie.
Dépassant en cynisme et en hypocrisie toutes les autres variétés de la réaction bourgeoise, le fascisme adapte sa démagogie aux particularités nationales de chaque pays et même aux particularités des différentes couches sociales dans un seul et même pays.
Et les masses de la petite bourgeoisie, voire une partie des ouvriers, poussés au désespoir par la misère, le chômage et la précarité de leur existence, deviennent victimes de la démagogie sociale et chauvine du fascisme.
Le fascisme arrive au pouvoir comme le parti de choc contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat, contre les masses populaires en fermentation, mais il présente son avènement au pouvoir comme un mouvement “révolutionnaire” contre la bourgeoisie au nom de “toute la nation” et pour le “salut” de la nation. (Rappelons-nous la “marche” de Mussolini sur Rome, la “marche” de Pilsudski sur Varsovie, la “révolution” nationale-socialiste de Hitler en Allemagne, etc.)
Mais quel que soit le masque dont le fascisme s’affuble sous quelque forme qu’il apparaisse, quelle que soit la voie qu’il emprunte pour arriver au pouvoir:
Le fascisme est l’offensive la plus féroce du Capital contre les masses travailleuses.
Le fascisme, c’est le chauvinisme effréné et la guerre de conquête.
Le fascisme, c’est la réaction forcenée et la contre-révolution.
Le fascisme, c’est le pire ennemi de la classe ouvrière et de tous les travailleurs!
Qu’est-ce que le fascisme vainqueur apporte aux masses?
Le fascisme avait promis aux ouvriers un “juste salaire”, mais, en fait, il leur a apporté un niveau de vie encore plus bas, un niveau de vie misérable. Il avait promis du travail aux chômeurs, mais, en fait, il leur a apporté des tortures de la faim encore plus pénibles, un travail forcé, un travail servile.
En fait, il transforme les ouvriers et les chômeurs en parias de la société capitaliste sans aucun droit; il détruit leurs syndicats; il les prive du droit de faire grève et les empêche d’éditer la presse ouvrière; il les embrigade de force dans les organisations fascistes; il dilapide les fonds de leurs assurances sociales; quant aux fabriques et aux usines, il en fait des casernes où règne l’arbitraire effréné des capitalistes.
Le fascisme avait promis à la jeunesse travailleuse de lui ouvrir largement la voie d’un brillant avenir. En fait, il a apporté les licenciements en masse de la jeunesse des entreprises, les camps de travail et le dressage militaire sans répit pour la guerre de conquête.
Le fascisme avait promis aux employés, aux petits fonctionnaires, aux intellectuels d’assurer leur subsistance, d’abolir la toute puissance des trusts et la spéculation du capital bancaire. En fait, il leur a apporté une incertitude du lendemain et un désespoir plus grands encore; il les soumet à une nouvelle bureaucratie composée de ses partisans les plus dévoués. Il établit une dictature insupportable des trusts; il sème dans des proportions inouïes la corruption, la décomposition.
Le fascisme avait promis à la paysannerie ruinée, tombée dans la misère, de liquider le joug des dettes, d’abolir les fermages et même d’aliéner sans compensation les terres des propriétaires fonciers au profit des paysans sans terre et en train de se ruiner.
En fait, il établit un asservissement inouï de la paysannerie travailleuse aux trusts et à l’appareil d’Etat fasciste, il pousse jusqu’aux dernières limites l’exploitation de la masse fondamentale de la paysannerie par les grands agrariens, les banques et les usuriers.
« L’Allemagne sera une nation paysanne, ou elle ne sera pas », déclarait solennellement Hitler. Eh bien! qu’est-ce que les paysans ont reçu en Allemagne, sous Hitler? Le moratorium, déjà annulé? Ou la loi sur l’héritage de la ferme paysanne qui pousse à évincer des campagnes des millions de fils et de filles de paysans et à en faire des mendiants? Les salariés agricoles sont convertis en demi-serfs, privés même du droit élémentaire de libre déplacement. La paysannerie laborieuse est privée de la possibilité de vendre sur le marché les produits de son exploitation.
Et en Pologne?
Le paysan polonais, écrit le journal polonais Czas, use de procédés et de moyens employés, peut-être, seulement à l’époque du Moyen âge: il fait couver le feu dans son poêle et le prête à son voisin, il divise les allumettes en plusieurs fragments, il prête sa vieille eau de savon, il fait bouillir des tonneaux à harengs pour obtenir de l’eau salée. Ce n’est pas là une fable, mais la situation réelle de la campagne, et chacun peut s’en convaincre.
Or, ce ne sont pas les communistes qui écrivent ces choses, mais un journal réactionnaire polonais!
Encore n’est-ce pas tout, loin de là.
Chaque jour, dans les camps de concentration de l’Allemagne fasciste, dans les sous-sols de la Gestapo, dans les cachots polonais, dans les Sûretés générales bulgare et finlandaise, dans la Glavniatch de Belgrade, dans la Sigouranza roumaine, dans les îles d’Italie, on fait subir aux meilleurs fils de la classe ouvrière, aux paysans révolutionnaires, aux champions d’un radieux avenir de l’humanité, des violences et des brimades si répugnantes qu’elles font pâlir les agissements les plus infâmes de l’Okhrana tsariste.
Le fascisme scélérat d’Allemagne transforme en une bouillie sanglante le corps des maris en présence de leurs femmes; aux mères, il envoie par colis postal les cendres de leurs fils assassinés. La stérilisation est transformée en un instrument de lutte politique.
Dans les salles de tortures, on injecte de force, aux antifascistes prisonniers, des substances toxiques, on leur brise les mains, on leur crève les yeux, on les suspend, on les gorge d’eau, on leur découpe le signe fasciste dans la chair.
J’ai sous les yeux le relevé statistique du SRI. ‑ Secours rouge international, ‑ concernant les hommes assassinés, blessés, arrêtés, estropiés et torturés en Allemagne, Pologne, Italie, Autriche, Bulgarie, Yougoslavie.
Dans la seule Allemagne, depuis l’accession des nationaux-socialistes au pouvoir, il a été tué plus de 4 200 personnes, on en a arrêté 317 800, blessé et soumis à de pénibles tortures 218 600: ouvriers, paysans, employés, intellectuels, antifascistes, communistes, social-démocrates, membres des organisations chrétiennes de l’opposition.
En Autriche, le gouvernement fasciste “chrétien”, depuis les combats de février de l’année dernière, a assassiné 1 900 ouvriers révolutionnaires, en a blessé et mutilé 10 000, arrêté 40 000. Et ce relevé est loin d’être complet!
Il m’est difficile de trouver les mots capables d’exprimer toute l’indignation qui s’empare de nous à l’idée des tourments que les travailleurs subissent aujourd’hui dans les pays fascistes. Les chiffres et les faits que nous citons, ne reflètent même pas la centième partie du tableau véritable de l’exploitation et des tortures de la terreur blanche, dont est pleine la vie quotidienne de la classe ouvrière dans les différents pays capitalistes.
Il n’est point de livres, si nombreux soient-ils, qui puissent donner une idée claire des férocités innombrables exercées par le fascisme sur les travailleurs.
C’est avec une émotion profonde et un sentiment de haine à l’égard des bourreaux fascistes que nous inclinons les drapeaux de l’Internationale communiste devant la mémoire inoubliable de John Scheer, Fiete Schultz, Lütgens[2] en Allemagne; Koloman Wallisch et Münichreiter[3] en Autriche; Sallai[4] et Fúrst[5] en Hongrie; Kofardjiev[6], Lutibrodski[7] et Voïkov[8] en Bulgarie; devant la mémoire des milliers et des milliers d’ouvriers, de paysans, de représentants des intellectuels avancés, communistes, social-démocrates et sans-parti, qui ont donné leur vie dans la lutte contre le fascisme. Nous saluons de cette tribune le chef du prolétariat allemand et président d’honneur de notre congrès, le camarade Thälmann.
Nous saluons les camarades Rakosi, Gramsci, Antikaïnen[9], Ionko, Panov. Nous saluons le leader des socialistes espagnols Caballero[10], jeté en prison par les contre-révolutionnaires, Thomas Mooney qui, depuis dix-huit ans déjà, languit en prison, et les milliers d’autres prisonniers du Capital et du fascisme et nous leur disons: « Frères de lutte, frères d’armes, vous n’êtes pas oubliés. Nous sommes avec vous. Chaque heure de notre vie, chaque goutte de notre sang, nous les donnerons pour vous affranchir et affranchir tous les travailleurs du honteux régime fasciste. » Lénine nous avertissait déjà que la bourgeoisie réussirait peut-être à frapper d’une terreur féroce les travailleurs et à repousser pour un temps plus ou moins bref les forces croissantes de la révolution, mais que, de toute façon, elle ne réussirait pas à échapper à sa perte.
La vie, écrivait Lénine[11], l’emportera. La bourgeoisie a beau se démener, s’exaspérer à en perdre la raison, dépasser toutes les bornes, commettre sottise sur sottise, se venger d’avance des bolchéviks et s’efforcer de massacrer une fois de plus comme aux Indes, en Hongrie, en Allemagne et ailleurs des centaines, des milliers, des centaines de milliers de bolchéviks jeunes et vieux: elle fait en agissant ainsi ce qu’ont toujours fait les classes condamnées par l’histoire.
Les communistes doivent savoir que l’avenir leur appartient, quoi qu’il arrive. C’est pourquoi nous pouvons et nous devons unir dans la grande lutte révolutionnaire l’ardeur la plus passionnée au sang-froid le plus grand et à l’estimation la plus froide des agitations forcenées de la bourgeoisie.
Oui, si nous-mêmes et le prolétariat du monde entier marchons d’un pas ferme dans la voie .que nous indiquent Lénine et Staline, la bourgeoisie périra quoi qu’elle fasse.
La victoire du fascisme est-elle inévitable?
Pourquoi et de quelle façon le fascisme a-t-il pu vaincre?
Le fascisme est le pire ennemi de la classe ouvrière et des travailleurs. Le fascisme est l’ennemi des neuf dixièmes du peuple allemand, des neuf dixièmes du peuple autrichien, des neuf dixièmes des autres peuples des pays fascistes. Comment, de quelle manière, ce pire ennemi a-t-il pu vaincre?
Le fascisme a pu accéder au pouvoir avant tout parce que la classe ouvrière, par suite de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie que pratiquaient les chefs de la social-démocratie, s’est trouvée scindée, désarmée au point de vue politique et au point de vue de l’organisation, face à l’agression de la bourgeoisie.
Quant aux Partis communistes, ils étaient insuffisamment forts pour soulever les masses, sans et contre la social-démocratie, et les conduire ainsi à la bataille décisive contre le fascisme.
En effet! Que les millions d’ouvriers social-démocrates, qui, aujourd’hui, tout comme leurs frères communistes, éprouvent par eux-mêmes les horreurs de la barbarie fasciste, réfléchissent sérieusement: si, en 1918, au moment où éclata la révolution en Allemagne et en Autriche, le prolétariat autrichien et allemand n’avait pas suivi la direction social-démocrate d’Otto Bauer, de Friedrich Adler et de Renner en Autriche, d’Ebert et de Scheidemann en Allemagne, mais avait suivi la voie des bolchéviks russes, la voie de Lénine et de Staline, le fascisme n’existerait aujourd’hui ni en Autriche, ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Hongrie, ni en Pologne, ni dans les Balkans. Ce n’est pas la bourgeoisie, mais la classe ouvrière qui serait depuis longtemps déjà maîtresse de la situation en Europe.
Prenons, par exemple, la social-démocratie autrichienne. La révolution de 1918 l’avait portée à une hauteur considérable. Elle détenait le pouvoir. Elle occupait de fortes positions dans l’armée, dans l’appareil d’Etat. En s’appuyant sur ses positions, elle pouvait tuer dans l’oeuf le fascisme naissant. Mais elle a livré sans résister les positions de la classe ouvrière l’une après l’autre.
Elle a permis à la bourgeoisie de rendre son pouvoir plus fort, d’annuler la Constitution, d’épurer l’appareil d’Etat, l’armée et la police des militants social-démocrates, de retirer l’arsenal aux ouvriers. Elle a permis aux bandits fascistes d’assassiner impunément les ouvriers social-démocrates; elle a accepté les conditions du pacte de Hüttenberg[12] qui ouvrait la porte des entreprises aux éléments fascistes.
En même temps, les chefs de la social-démocratie bourraient le crâne aux ouvriers, à l’aide du programme de Linz qui prévoyait le recours éventuel à la violence armée contre la bourgeoisie et l’instauration de la dictature du prolétariat, en les assurant que le Parti répondrait par l’appel à la grève générale et à la lutte armée si les classes dirigeantes usaient de violence à l’égard de la classe ouvrière. Comme si toute la politique de préparation de l’agression fasciste contre la classe ouvrière n’était pas une succession de violences exercées contre elle, sous le voile des formes constitutionnelles.
Même à la veille des batailles de Février et pendant ces batailles, la direction de la social-démocratie autrichienne a laissé le Schutzbund[13], qui luttait héroïquement, isolé des grandes masses et elle a voué le prolétariat autrichien à la défaite.
La victoire du fascisme était-elle inévitable en Allemagne? Non, la classe ouvrière allemande pouvait la conjurer.
Mais, pour cela, elle aurait dû parvenir à réaliser le front unique prolétarien antifasciste, elle aurait dû obliger les chefs de la social-démocratie à cesser leur campagne contre les communistes et à accepter les propositions répétées du Parti communiste sur l’unité d’action contre le fascisme.
Lors de l’offensive du fascisme et de la liquidation graduelle par la bourgeoisie des libertés démocratiques bourgeoises, elle n’aurait pas dû se contenter des résolutions verbales de la social-démocratie, mais répondre par une véritable lutte de masse, qui eût entravé les plans fascistes de la bourgeoisie allemande.
Elle aurait dû empêcher l’interdiction, par le gouvernement Braun-Severing, de l’Association des combattants rouges, établir entre cette association et la Reichsbanner[14], qui comptait près d’un million de membres, une liaison de combat et obliger Braun et Severing à armer l’une et l’autre pour riposter aux bandes fascistes et les écraser.
Elle aurait dû contraindre les leaders social-démocrates placés à la tête du gouvernement prussien à prendre des mesures de défense contre le fascisme, à arrêter les chefs fascistes, à interdire leur presse, à confisquer leurs ressources matérielles et les ressources des capitalistes qui finançaient le mouvement fasciste, à dissoudre les organisations fascistes, à leur enlever leurs armes, etc.
Puis, elle aurait dû obtenir le rétablissement et l’extension de toutes les formes d’assistance sociale et l’établissement d’un moratoire et de secours de crise pour les paysans, en train de se ruiner sous l’effet des crises, en imposant les banques et les trusts, afin de s’assurer de cette façon le soutien de la paysannerie travailleuse. Cela n’a pas été fait par la faute de la social-démocratie d’Allemagne, et c’est pourquoi le fascisme a su vaincre.
La bourgeoisie et les nobles devaient-ils inévitablement triompher en Espagne, pays où se combinent si avantageusement les forces de l’insurrection prolétarienne et de la guerre paysanne?
Les socialistes espagnols étaient au gouvernement dès les premiers jours de la révolution. Ont-ils établi une liaison de combat entre les organisations ouvrières de toutes les tendances politiques, y compris communistes et anarchistes, ont-ils soudé la classe ouvrière en une organisation syndicale unique? Ont-ils exigé la confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers, de l’Eglise, des couvents au profit des paysans, pour gagner ces derniers à la révolution?
Ont-ils tenté de lutter pour le droit des Catalans et des Basques à disposer d’eux-mêmes, pour l’affranchissement du Maroc? Ont-ils procédé dans l’armée à l’épuration des éléments monarchistes et fascistes, pour préparer son passage du côté des ouvriers et des paysans? Ont-ils dissous la garde civile, exécrée du peuple et bourreau de tous les mouvements populaires? Ont-ils frappé le parti fasciste de Gil Robles, ont-ils porté des coups à l’Eglise catholique pour abattre sa puissance?
Non, ils n’ont rien fait de tout cela. Ils ont repoussé les propositions répétées des communistes sur l’unité d’action contre l’offensive de la réaction bourgeoise-agrarienne et du fascisme. Ils ont voté des lois électorales qui ont permis à la réaction de conquérir la majorité des Cortès, des lois réprimant les mouvements populaires, des lois en vertu desquelles on juge actuellement les héroïques mineurs des Asturies. Ils ont fait fusiller par la garde civile les paysans en lutte pour la terre, etc.
C’est ainsi que la social-démocratie a frayé au fascisme la route du pouvoir et en Allemagne et en Autriche et en Espagne, en désorganisant et en divisant les rangs de la classe ouvrière.
Le fascisme a vaincu aussi parce que le prolétariat s’est trouvé coupé de ses alliés naturels. Le fascisme a vaincu parce qu’il a réussi à entraîner à sa suite les grandes masses de la paysannerie, du fait que la social-démocratie pratiquait au nom de la classe ouvrière une politique en réalité anti-paysanne.
Le paysan avait vu se succéder au pouvoir une série de gouvernements social-démocrates qui, à ses yeux, personnifiaient le pouvoir de la classe ouvrière, mais pas un d’entre eux n’avait résolu le problème de la misère paysanne, pas un d’entre eux n’avait donné la terre à la paysannerie! La social-démocratie d’Allemagne n’avait pas touché aux propriétaires fonciers: elle entravait les grèves des ouvriers agricoles.
Le résultat, c’est que ceux-ci, en Allemagne, bien avant l’accession de Hitler au pouvoir, abandonnèrent les syndicats réformistes et, dans la plupart des cas, passèrent aux Casques d’acier et aux nationaux-socialistes.
Le fascisme a vaincu encore parce qu’il a réussi à pénétrer dans les rangs de la jeunesse, du moment que la social-démocratie détournait la jeunesse ouvrière de la lutte de classe, que le prolétariat révolutionnaire n’avait pas déployé parmi les jeunes le travail éducatif nécessaire et n’avait pas réservé une attention suffisante à la lutte pour ses intérêts et ses aspirations spécifiques. Le fascisme a su saisir le besoin d’activité combative, particulièrement vif chez les jeunes et il a entraîné une partie considérable d’entre eux dans ses détachements de combat.
La nouvelle génération de la jeunesse masculine et féminine n’a pas passé par les horreurs de la guerre. Elle sent peser sur ses épaules tout le fardeau de la crise économique, du chômage et de l’effondrement de la démocratie bourgeoise. Faute de perspectives d’avenir, des couches considérables de jeunes se sont avérées particulièrement sensibles à la démagogie fasciste, qui leur dessinait un avenir tentant lors de la victoire du fascisme.
Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons omettre une série de fautes commises par les Partis communistes, fautes qui ont freiné notre lutte contre le fascisme. Il y avait dans nos rangs une sous-estimation inadmissible du danger fasciste, sous-estimation qui, jusqu’à présent, n’est pas liquidée partout.
Il y avait autrefois dans nos Partis des points de vue du genre de « l’Allemagne n’est pas l’Italie »; autrement dit: le fascisme a pu vaincre en Italie, mais sa victoire est impossible en Allemagne. Ce pays étant un pays hautement développé sous le rapport de l’industrie, hautement cultivé, riche des traditions de quarante années de mouvement ouvrier, où le fascisme est impossible.
Il y avait aussi des points de vue qui existent encore aujourd’hui, du genre de celui-ci: dans les pays de démocratie bourgeoise “classique”, il n’y a pas de terrain pour le fascisme. Ces points de vue ont pu et peuvent contribuer à diminuer la vigilance à l’égard du danger fasciste et entraver la mobilisation du prolétariat dans la lutte contre le fascisme.
On peut citer également de nombreux cas où les communistes ont été pris au dépourvu par le coup d’Etat fasciste.
Souvenez-vous de la Bulgarie, où la direction de notre Parti a pris une position “neutre” et, au fond, opportuniste à l’égard du coup d’État du 9 juin 1923; de la Pologne où, en mai 1926, la direction du Parti communiste, ayant apprécié d’une façon erronée les forces motrices de la révolution polonaise, n’a pas su distinguer le caractère fasciste du coup d’Etat de Pilsudski et s’est traînée à la queue des événements; de la Finlande où notre Parti, se basant sur une idée fausse de la fascisation lente, graduelle, a laissé passer le coup d’Etat fasciste préparé par un groupe dirigeant de la bourgeoisie, coup d’Etat qui a pris le Parti et la classe ouvrière au dépourvu.
Alors le national-socialisme était déjà devenu en Allemagne un mouvement de masse menaçant, il y avait des camarades, pour qui le gouvernement de Brüning était déjà celui de la dictature fasciste, qui déclaraient avec morgue: « Si le “troisième Empire” de Hitler arrive un jour, ce ne sera qu’à un mètre et demi sous terre, avec, au-dessus de lui, le pouvoir ouvrier vainqueur. »
Les communistes d’Allemagne ont longtemps sous-estimé la blessure du sentiment national et l’indignation des masses contre Versailles; ils prenaient une attitude dédaigneuse à l’égard des flottements de la paysannerie et de la petite bourgeoisie; ils tardaient à établir un programme d’émancipation sociale et nationale, et lorsqu’ils l’eurent formulé, ils n’ont pas su l’adapter aux besoins concrets et au niveau des masses: ils n’ont pas même su le populariser largement dans les masses.
Dans plusieurs pays, on substituait à la nécessité de déployer la lutte de masse contre le fascisme des raisonnements stériles sur le caractère du fascisme « en général » et une étroitesse sectaire en ce qui concernait la manière de poser et de résoudre les tâches politiques d’actualité du Parti.
Si nous parlons des causes de la victoire du fascisme, si nous signalons la responsabilité historique de la social-démocratie pour la défaite de la classe ouvrière, si nous notons aussi nos propres erreurs dans la lutte contre le fascisme, ce n’est pas simplement parce que nous voulons fouiller le passé.
Nous ne sommes pas des historiens détachés de la vie, nous sommes des combattants de la classe ouvrière, tenus de répondre à la question qui tourmente des millions d’ouvriers: Peut-on, et par quel moyen, prévenir la victoire du fascisme? Et nous répondons à ces millions d’ouvriers: Oui, il est possible de barrer la route au fascisme. C’est parfaitement possible. Cela dépend de nous-mêmes, des ouvriers, des paysans, de tous les travailleurs!
La possibilité de prévenir la victoire du fascisme dépend avant tout de l’activité combative de la classe ouvrière elle-même, de l’union de ses forces en une armée combative unique luttant contre l’offensive du Capital et du fascisme. Le prolétariat qui aurait réalisé son unité de combat, paralyserait l’action du fascisme sur la paysannerie, la petite-bourgeoisie des villes, la jeunesse et les intellectuels; il saurait en neutraliser une partie et attirer l’autre à ses côtés.
Deuxièmement, cela dépend de l’existence d’un fort parti révolutionnaire, dirigeant de façon juste la lutte des travailleurs contre le fascisme. Un parti qui appelle systématiquement les ouvriers à reculer devant le fascisme et permet à la bourgeoisie fasciste de renforcer ses propositions, un tel parti mènera inévitablement les ouvriers à la défaite.
Troisièmement, cela dépend de la juste politique de la classe ouvrière à l’égard de la paysannerie et des masses petites-bourgeoises de la ville. Ces masses, il faut les prendre telles qu’elles sont, et non pas telles que nous voudrions les voir.
C’est seulement dans le cours de la lutte qu’elles surmonteront leurs doutes et leurs hésitations; c’est seulement si nous prenons une attitude de patience à l’égard de leurs inévitables hésitations et si le prolétariat leur accorde son appui politique qu’elles s’élèveront à un degré supérieur de conscience révolutionnaire et d’activité.
Quatrièmement, cela dépend de la vigilance et de l’action du prolétariat révolutionnaire au bon moment. Ne pas permettre au fascisme de nous prendre au dépourvu, ne pas lui abandonner l’initiative, lui porter des coups décisifs, alors qu’il n’a pas encore su rassembler ses forces, ne pas lui permettre de se consolider, lui riposter à chaque pas là où il se manifeste, ne pas lui permettre de conquérir des positions nouvelles, comme tente de le faire avec succès le prolétariat français.
Voilà les principales conditions pour prévenir le progrès du fascisme et son accession au pouvoir.
Le fascisme est un pouvoir féroce mais précaire.
La dictature fasciste de la bourgeoisie, c’est un pouvoir féroce, mais précaire.
Quelles sont les causes essentielles de la précarité de la dictature fasciste?
Le fascisme qui s’apprêtait à surmonter les divergences et les contradictions du camp de la bourgeoisie, aggrave encore davantage ces contradictions. Le fascisme s’efforce d’établir son monopole politique en détruisant par la violence les autres partis politiques. Mais la présence du système capitaliste, l’existence des classes différentes et l’aggravation des contradictions de classe amènent inévitablement le monopole politique du fascisme à s’ébranler et à éclater.
Ce n’est pas là le pays soviétique, où la dictature du prolétariat se réalise également à l’aide d’un parti sans concurrent, mais où ce monopole politique répond aux intérêts des millions de travailleurs et s’appuie de plus en plus sur l’édification d’une société sans classes.
Dans un pays fasciste, le parti des fascistes ne peut conserver longtemps son monopole, parce qu’il n’est pas en mesure de s’assigner pour tâche l’abolition des classes et des antagonismes de classe. Il anéantit l’existence légale des partis bourgeois, mais une série d’entre eux continuent à exister illégalement: quant au Parti communiste, même dans les conditions de l’illégalité, il va de l’avant, il se trempe et guide la lutte du prolétariat contre la dictature fasciste. De cette façon, le monopole politique du fascisme doit éclater sous les coups des antagonismes de classe.
Une autre cause de la précarité de la dictature fasciste consiste en ceci que le contraste entre la démagogie anticapitaliste du fascisme et la politique d’enrichissement de la bourgeoisie monopoliste par la pire des spoliations, permet de divulguer plus facilement la nature de classe du fascisme et conduit à l’ébranlement et au rétrécissement de sa base de masse.
En outre, la victoire du fascisme provoque la haine profonde et l’indignation des masses, contribue au développement de l’esprit révolutionnaire dans leur sein et donne une puissante impulsion au front unique du prolétariat contre le fascisme.
En faisant une politique de nationalisme économique (autarcie) et en accaparant la plus grande partie du revenu national pour préparer la guerre, le fascisme mine toute l’économie du pays et aggrave la guerre économique entre les Etats capitalistes. Il confère aux conflits qui éclatent au sein de la bourgeoisie le caractère de collisions violentes et fréquemment sanglantes, ce qui sape la stabilité du pouvoir d’Etat fasciste aux yeux du peuple.
Un pouvoir qui assassine ses propres partisans, comme on l’a vu le 30 juin de l’année dernière en Allemagne, un pouvoir fasciste contre lequel une autre partie de la bourgeoisie fasciste lutte les armes à la main (putsch national-socialiste en Autriche, interventions violentes de divers groupes fascistes contre le gouvernement fasciste en Pologne, en Bulgarie, en Finlande et dans d’autres pays), un tel pouvoir ne peut garder longtemps son autorité aux yeux des grandes masses petites-bourgeoises.
La classe ouvrière doit savoir utiliser les contradictions et les conflits dans le camp de la bourgeoisie, mais elle ne doit pas nourrir l’illusion que le fascisme s’épuisera de lui-même. Le fascisme ne s’écroulera pas automatiquement. Seule, l’activité révolutionnaire de la classe ouvrière aidera à utiliser les conflits qui surgissent inévitablement dans le camp de la bourgeoisie, pour miner la dictature fasciste et la renverser.
En liquidant les restes de démocratie bourgeoise, en érigeant la violence déclarée en un système de gouvernement, le fascisme sape les illusions démocratiques et le prestige de la légalité aux yeux des masses travailleuses. Et cela à plus forte raison dans les pays où, comme par exemple en Autriche et en Espagne, les ouvriers ont lutté les armes à la main contre le fascisme.
En Autriche, la lutte héroïque du Schutzbund et des communistes, en dépit de la défaite, a ébranlé dès le début la solidité de la dictature fasciste. En Espagne, la bourgeoisie n’a pas réussi à passer aux travailleurs la muselière fasciste. Les combats armés d’Autriche et d’Espagne ont eu pour résultat que des masses de plus en plus grandes de la classe ouvrière prennent conscience de la nécessité d’une lutte de classe révolutionnaire.
Seuls les philistins monstrueux, des laquais de la bourgeoisie comme le plus ancien théoricien de la IIe Internationale, Karl Kautsky, peuvent reprocher aux ouvriers d’avoir pris, voyez-vous, les armes en Autriche et en Espagne.
Quel aspect aurait aujourd’hui le mouvement ouvrier d’Autriche et d’Espagne, si la classe ouvrière de ces pays s’était inspirée des conseils de trahison des Kautsky? La classe ouvrière éprouverait dans ses rangs une profonde démoralisation.
L’école de la guerre civile, dit Lénine[15], n’est pas vaine pour les peuples. C’est une dure école et son cours complet renferme inévitablement des victoires de la contre-révolution, le déchaînement des réactionnaires en furie, la répression sauvage du pouvoir ancien contre les insurgés, etc.
Mais seuls les pédants invétérés et les esprits momifiés peuvent se lamenter à propos de l’entrée des peuples dans cette pénible école: cette école enseigne aux classes opprimées la conduite de la guerre civile, elle leur enseigne la révolution victorieuse, elle concentre dans la masse des esclaves modernes cette haine que les esclaves abêtis, abrutis, ignorants, recèlent en eux éternellement, et qui aboutit aux admirables prouesses historiques des esclaves parvenus à la conscience de l’opprobre de leur esclavage.
La victoire du fascisme en Allemagne, on le sait, a entraîné une nouvelle vague de l’offensive fasciste qui a abouti en Autriche à la provocation de Dollfuss, en Espagne à de nouvelles offensives de la contre-révolution visant les conquêtes révolutionnaires des masses, en Pologne à la réforme fasciste de la Constitution, et, en France, a stimulé les détachements armés des fascistes à faire une tentative de coup d’Etat en février 1934. Mais cette victoire et la frénésie de la dictature fasciste ont provoqué le réflexe du front unique prolétarien contre le fascisme à l’échelle internationale.
L’incendie du Reichstag, qui fut le signal de l’offensive générale du fascisme contre la classe ouvrière, la mainmise sur les syndicats et les autres organisations ouvrières, et le pillage de ces organisations, les gémissements des antifascistes tourmentés sans répit qui sortent des sous-sols des casernes et des camps de concentration fascistes, montrent aux masses avec la force de l’évidence à quoi a abouti le rôle scissionniste réactionnaire des chefs de la social-démocratie allemande, qui avaient repoussé les propositions communistes de lutte en commun contre le fascisme agressif, et convainquent de la nécessité d’unir toutes les forces de la classe ouvrière pour renverser le fascisme.
La victoire de Hitler a donné aussi une impulsion décisive à la réalisation du front unique de la classe ouvrière contre le fascisme en France. La victoire de Hitler n’a pas seulement éveillé chez les ouvriers la peur de partager le sort des ouvriers allemands; elle n’a pas seulement attisé en eux la haine des bourreaux de leurs frères de classe allemands, mais elle a encore affermi en eux la résolution de ne permettre en aucun cas dans leur pays ce qui est arrivé à la classe ouvrière d’Allemagne.
L’aspiration puissante au front unique dans tous les pays capitalistes montre que les leçons de la défaite ne sont pas perdues. La classe ouvrière commence à agir d’une façon nouvelle.
L’initiative du Parti communiste pour organiser le front unique et l’abnégation sans réserve des communistes, des ouvriers révolutionnaires dans la lutte contre le fascisme ont eu pour conséquence de porter à un degré sans précédent l’autorité de l’Internationale communiste. Dans le même temps, se développe la crise profonde de la IIe Internationale, qui s’est manifestée et accentuée avec un éclat particulier depuis la banqueroute de la social-démocratie allemande.
Les ouvriers social-démocrates peuvent se convaincre avec de plus en plus d’évidence que l’Allemagne fasciste, avec toutes ses horreurs et sa barbarie, c’est, en fin de compte, le résultat de la politique social-démocrate de collaboration de classe avec la bourgeoisie.
Ces masses se rendent compte de plus en plus nettement que la voie où les chefs de la social-démocratie allemande ont mené le prolétariat, ne doit pas être reprise. Jamais encore il n’y a eu dans le camp de la IIe Internationale un aussi grand désarroi idéologique qu’à l’heure actuelle. La différenciation s’opère à l’intérieur de tous les Partis social-démocrates.
Dans leurs rangs se forment deux camps principaux; à côté du camp des éléments réactionnaires, qui s’efforcent par tous les moyens de maintenir le bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie et repoussent avec rage le front unique avec les communistes, commence à se former un camp d’éléments révolutionnaires, doutant de la justesse de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie, partisan de la réalisation du front unique avec les communistes et commençant, dans une mesure de plus en plus grande, à passer sur les positions de la lutte de classe révolutionnaire.
Ainsi, le fascisme qui est apparu comme le fruit de la décadence du système capitaliste agit en dernière analyse comme un facteur de décomposition ultérieure de ce système.
Ainsi, le fascisme qui s’est chargé d’enterrer le marxisme, le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, conduit lui-même, en conséquence de la dialectique de la vie et de la lutte de classe, au développement ultérieur des forces qui doivent creuser sa fosse, la fosse du capitalisme.
II. Le front unique de la classe ouvrière contre le fascisme
Les millions d’ouvriers et de travailleurs des pays capitalistes posent la question de savoir comment empêcher la venue du fascisme au pouvoir et comment renverser le fascisme victorieux.
L’Internationale communiste répond: La première chose qu’il faut faire, par laquelle il est nécessaire de commencer, c’est de réaliser le front unique, d’établir l’unité d’action des ouvriers dans chaque entreprise, dans chaque rayon, dans chaque région, dans chaque pays, dans le monde entier. L’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale, voilà l’arme puissante qui rend la classe ouvrière capable non seulement de se défendre avec succès mais aussi de passer avec succès à la contre-offensive contre le fascisme, contre l’ennemi de classe.
L’importance du front unique.
N’est-il pas clair que l’action commune des adhérents des partis et organisations des deux Internationales, ‑ de l’Internationale communiste et de la IIe Internationale, ‑ faciliterait la riposte des masses à la poussée fasciste et augmenterait le poids politique de la classe ouvrière?
L’action commune des partis des deux Internationales contre le fascisme ne se bornerait pourtant pas à influencer leurs partisans actuels, les communistes et les social-démocrates; elle influerait puissamment sur les rangs des ouvriers catholiques, anarchistes et inorganisés, même sur ceux qui sont devenus momentanément victimes de la démagogie fasciste.
Bien plus, le puissant front unique du prolétariat exercerait une influence énorme sur toutes les autres couches du peuple travailleur, sur la paysannerie, sur la petite bourgeoisie citadine, sur les intellectuels. Le front unique inspirerait aux couches hésitantes la foi dans la force de la classe ouvrière.
Mais ce n’est pas encore tout. Le prolétariat des pays impérialistes a des alliés possibles non seulement dans la personne des travailleurs de son propre pays, mais aussi dans les nations opprimées des colonies et des semi-colonies.
Pour autant que le prolétariat est scindé à l’échelle nationale et internationale; pour autant qu’une de ses parties soutient la politique de collaboration avec la bourgeoisie et, en particulier, son régime d’oppression dans les colonies et les semi-colonies, cette circonstance écarte de la classe ouvrière les peuples opprimés des colonies et des semi-colonies et affaiblit le front anti-impérialiste mondial.
Chaque pas fait dans la voie de l’unité d’action, visant au soutien de la lutte émancipatrice des peuples coloniaux par le prolétariat des métropoles impérialistes, signifie la transformation des colonies et des semi-colonies en une des principales réserves du prolétariat mondial.
Si, enfin, nous tenons compte du fait que l’unité d’action internationale du prolétariat s’appuie sur la force sans cesse accrue de l’Etat prolétarien, du pays du socialisme, de l’Union soviétique, nous verrons quelles vastes perspectives ouvre la réalisation de l’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale.
L’établissement de l’unité d’action de tous les détachements de la classe ouvrière, indépendamment du Parti ou de l’organisation auxquels ils appartiennent, est nécessaire avant même que la majorité de la classe ouvrière s’unisse dans la lutte pour le renversement du capitalisme et la victoire de la révolution prolétarienne.
Est-il possible de réaliser cette unité d’action du prolétariat dans les différents pays et dans le monde entier? Oui, c’est possible. Et tout de suite. L’Internationale communiste ne pose à l’unité d’action aucune condition, à l’exception d’une seule, qui est élémentaire, acceptable pour tous les ouvriers. À savoir: que l’unité d’action soit dirigée contre le fascisme, contre l’offensive du Capital, contre la menace de guerre, contre l’ennemi de classe. Voilà notre condition.
Les principaux arguments des adversaires du front unique.
Que peuvent objecter et qu’objectent les adversaires du front unique?
« Pour les communistes, le mot d’ordre du front unique n’est qu’une manoeuvre », disent les uns. Mais si c’était une manoeuvre, répondrons-nous, pourquoi, précisément, ne démasqueriez-vous pas la “manoeuvre communiste” en participant honnêtement au front unique?
Nous le déclarons ouvertement: nous voulons l’unité d’action de la classe ouvrière pour que le prolétariat devienne plus fort dans sa lutte contre la bourgeoisie, pour qu’en défendant aujourd’hui ses intérêts quotidiens contre le Capital agressif, contre le fascisme, il soit en mesure demain de réaliser les prémisses de son affranchissement définitif.
« Les communistes nous attaquent », disent les autres. Eh bien! écoutez, nous l’avons déjà déclaré maintes fois: nous n’attaquons personne, ni les individus, ni les organisations, ni les partis qui sont pour le front unique de la classe ouvrière contre l’ennemi de classe. Mais, en même temps, nous sommes tenus, ‑ dans l’intérêt du prolétariat et de sa cause, ‑ de critiquer les individus, les organisations et les partis qui entravent l’unité d’action des ouvriers.
« Nous ne pouvons faire le front unique avec les communistes étant donné qu’ils ont un autre programme », disent les troisièmes. Mais n’affirmez-vous pas que votre programme est différent du programme des partis bourgeois? Or, cela ne vous a pas empêchés et ne vous empêche pas d’entrer en coalition avec ces partis.
« Les partis démocratiques bourgeois sont contre le fascisme de meilleurs alliés que les communistes », disent les adversaires du front unique et les défenseurs de la coalition avec la bourgeoisie. Mais que nous dit l’expérience d’Allemagne? Les social-démocrates n’ont-ils pas fait bloc avec ces “meilleurs” alliés? Et quels sont les résultats?
« Si nous établissons le front unique avec les communistes, les petits bourgeois auront peur du “péril rouge” et passeront aux fascistes », entendons-nous dire souvent. Mais le front unique menace-t-il les paysans, les petits commerçants, les artisans, les intellectuels travailleurs?
Non, le front unique menace la grande bourgeoisie, les magnats de la finance, les hobereaux et les autres exploiteurs, dont le règne entraîne la ruine complète de toutes ces couches sociales.
« La social-démocratie est pour la démocratie, tandis que les communistes sont pour la dictature; c’est pourquoi nous ne pouvons établir le front unique avec les communistes », disent certains leaders de la social-démocratie. Mais est-ce qu’actuellement nous vous proposons le front unique pour proclamer la dictature du prolétariat? Vous savez bien que nous ne vous le proposons pas pour l’instant.
« Que les communistes reconnaissent la démocratie, qu’ils prennent sa défense, et alors nous sommes prêts à faire le front unique. » À cela nous répondons: nous sommes partisans de la démocratie soviétique, de la démocratie des travailleurs, de la démocratie la plus conséquente du monde. Mais nous défendons et défendrons pied à pied, dans les pays capitalistes, les libertés démocratiques bourgeoises auxquelles attentent le fascisme et la réaction bourgeoise, parce que cette attitude est dictée par les intérêts de la lutte de classe du prolétariat.
« Mais les petits Partis communistes n’ajouteront rien, par leur participation, au front unique qui se trouve réalisé dans le parti travailliste », disent, par exemple, les chefs travaillistes d’Angleterre. Rappelez-vous cependant: les chefs social-démocrates autrichiens en disaient autant du petit Parti communiste autrichien.
Et qu’est-ce que les événements ont montré? Ce n’est pas la social-démocratie autrichienne avec Otto Bauer et Renner en tête, qui s’est trouvée avoir raison, mais le petit Parti communiste autrichien qui avait signalé en temps opportun le danger fasciste en Autriche et appelait les ouvriers à la lutte. Toute l’expérience du mouvement ouvrier n’a-t-elle pas montré que les communistes, même avec leur petit nombre relatif, sont le moteur de l’activité combative du prolétariat?
En outre, il ne faut pas oublier que les Partis communistes d’Autriche ou d’Angleterre, ce ne sont pas seulement les dizaines de milliers d’ouvriers qui sont pour le Parti, il s’agit de détachements du mouvement communiste mondial, il s’agit de sections de l’Internationale communiste, dont le parti dirigeant est celui du prolétariat qui a déjà vaincu et règne sur un sixième du globe.
« Mais le front unique n’a pas empêché la victoire du fascisme dans la Sarre », telle est l’objection que formulent les adversaires du front unique. Etrange logique que celle de ces messieurs! D’abord, ils font tout pour assurer la victoire du fascisme, et, ensuite, ils ricanent parce que le front unique, qu’ils ont accepté au tout dernier moment, n’a pas entraîné la victoire des ouvriers.
« Si nous constituons le front unique avec les communistes, nous devrons sortir de la coalition, et ce sont les partis réactionnaires et fascistes qui entreront au gouvernement », disent les chefs social-démocrates installés dans les gouvernements des différents pays.
Bien. La social-démocratie allemande faisait-elle partie du gouvernement de coalition? Oui. La social-démocratie autrichienne était-elle au gouvernement? Elle y était aussi. Les socialistes espagnols étaient-ils dans le même gouvernement que la bourgeoisie?
Oui, ils y étaient eux aussi. La participation de la social-démocratie aux gouvernements de coalition bourgeoise a-t-elle empêché dans ces pays le fascisme d’attaquer le prolétariat? Non, elle ne l’en a pas empêché. Donc, il est clair comme le jour que la participation des ministres social-démocrates au gouvernement bourgeois n’est pas une barrière contre le fascisme.
« Les communistes agissent en dictateurs, ils veulent constamment nous commander et nous dicter des ordres. » Non. Nous ne commandons rien et ne dictons rien. Nous apportons simplement nos propositions et nous sommes convaincus que leur application répond aux intérêts du peuple travailleur. Ce n’est pas seulement le droit, mais c’est encore le devoir de tous ceux qui parlent au nom des ouvriers.
Vous craignez la “dictature” des communistes? Présentons en commun, si vous le voulez bien, toutes les propositions aux ouvriers, les vôtres et les nôtres; étudions-les en commun avec tous les ouvriers et choisissons les propositions qui sont les plus utiles à la cause de la classe ouvrière.
Ainsi, tous ces arguments contre le front unique ne résistent pas à la moindre critique. Ce sont plutôt des échappatoires pour les chefs réactionnaires de la social-démocratie, qui préfèrent leur front unique avec la bourgeoisie au front unique du prolétariat.
Non, ces échappatoires ne prendront pas! Le prolétariat international a trop souffert des conséquences de la scission du mouvement ouvrier et il acquiert de plus en plus la conviction que le front unique, l’unité d’action du prolétariat à l’échelle nationale et internationale sont nécessaires et parfaitement possibles.
Le contenu et les formes du front unique.
Quel est et quel doit être le contenu essentiel du front unique à l’étape donnée?
La défense des intérêts économiques et politiques immédiats de la classe ouvrière, la défense de cette classe contre le fascisme doit être le point de départ et constituer le contenu essentiel du front unique dans tous les pays capitalistes.
Nous ne devons pas nous borner simplement à des appels sans lendemain en faveur de la lutte pour la dictature du prolétariat, mais trouver et formuler des mots d’ordre et des formes de lutte découlant des nécessités vitales des masses, du niveau de leur combativité à l’étape donnée du développement.
Nous devons indiquer aux masses ce qu’elles ont à faire aujourd’hui pour se défendre contre le pillage capitaliste et la barbarie fasciste.
Nous devons travailler à établir le plus vaste front unique au moyen d’actions communes des organisations ouvrières de différentes tendances pour défendre les intérêts vitaux des masses travailleuses.
Cela signifie, premièrement, lutter en commun pour faire réellement retomber les effets de la crise sur les épaules des classes dominantes, sur les épaules des capitalistes, des propriétaires, en un mot sur les épaules des riches.
Deuxièmement, lutter en commun contre toutes les formes de l’offensive fasciste, pour la défense des conquêtes et des droits des travailleurs, contre la liquidation des libertés démocratiques bourgeoises. Troisièmement, lutter en commun contre le danger imminent d’une guerre impérialiste, lutter de façon à en entraver la préparation.
Nous devons préparer inlassablement la classe ouvrière à changer rapidement de formes et de méthodes de lutte lorsque la situation change. À mesure que le mouvement se développe et que l’unité de la classe ouvrière se renforce, nous devons aller plus loin, ‑ préparer le passage de la défensive à l’offensive contre le Capital, en nous orientant vers l’organisation de la grève politique de masse. Et la condition absolue d’une telle grève doit être la participation à celle-ci des principaux syndicats de chaque pays donné.
Les communistes, évidemment, ne peuvent pas et ne doivent pas, l’espace d’une seule minute, renoncer à leur travail indépendant en matière d’éducation communiste, d’organisation et de mobilisation des masses.
Toutefois, afin d’ouvrir sûrement aux ouvriers la voie de l’unité d’action, il est nécessaire, en même temps, de travailler à réaliser des accords de brève durée comme aussi de longue durée sur les actions à engager en commun avec les Partis social-démocrates, les syndicats réformistes et les autres organisations de travailleurs contre les ennemis de classe du prolétariat.
Ce faisant, il faudra surtout fixer son attention sur le développement des actions de masse à la base, réalisées par les organisations de base, à l’aide d’accords conclus sur place. En remplissant loyalement les conditions de tous les accords conclus avec eux, nous dénoncerons sans merci tout sabotage de l’action commune par les individus et les organisations participant au front unique.
À toutes les tentatives de faire échec aux accords, ‑ et il est possible que de telles tentatives aient lieu, ‑ nous répondrons en en appelant aux masses, en continuant notre lutte inlassable pour rétablir l’unité d’action violée.
Il va de soi que la réalisation concrète du front unique dans les divers pays se fera différemment, qu’elle prendra différentes formes selon l’état et le caractère des organisations ouvrières, selon leur niveau politique, la situation concrète du pays donné, les changements intervenus dans le mouvement ouvrier international, etc.
Ces formes peuvent être, par exemple: l’action commune et concertée des ouvriers à telle ou telle occasion, pour des motifs concrets, pour des revendications isolées ou sur la base d’une plate-forme générale; l’action concertée dans diverses entreprises ou par branches de production; l’action concertée à l’échelle locale, régionale, nationale ou internationale; l’action concertée en vue d’organiser la lutte économique des ouvriers, de réaliser des actions politiques de masses, d’organiser l’autodéfense commune contre les attaques fascistes; l’action concertée en vue de porter secours aux détenus et à leurs familles; de lutter contre la réaction sociale; l’action concertée pour la défense des intérêts de la jeunesse et des femmes; dans le domaine de la coopération, de la culture, des sports, etc.
Il serait insuffisant de se contenter simplement de conclure un pacte d’action commune et de créer des commissions de contact composées des partis et organisations participant au front unique, c’est-à-dire semblable à ce que nous avons, par exemple, en France. Ce n’est là que le premier pas.
Le pacte est un moyen auxiliaire de réaliser des actions communes, mais, par lui-même, il n’est pas encore le front unique. La commission de contact entre les directions respectives des Partis communiste et socialiste est nécessaire pour faciliter la réalisation d’actions communes, mais, par elle-même, elle est loin d’être suffisante pour déployer réellement le front unique, pour entraîner les plus grandes masses à la lutte contre le fascisme.
Les communistes et tous les ouvriers révolutionnaires doivent travailler à la création d’organismes de classe hors parti du front unique dans les entreprises, parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens des villes et dans les villages, organismes élus (et, dans les pays de dictature fasciste, choisis parmi les membres les plus autorisés du mouvement de front unique).
Seuls, des organismes de cette sorte pourront englober aussi dans le mouvement de front unique l’énorme masse inorganisée des travailleurs, contribuer au développement de l’initiative des masses dans la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la réaction, et, sur cette base, à la création du vaste cadre de militants ouvriers du front unique qui est indispensable pour la formation de centaines et de milliers de bolchéviks sans-parti dans les pays capitalistes.
L’action commune des ouvriers organisés, tel est le début, telle est la base. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que les masses inorganisées constituent la majorité écrasante des ouvriers. C’est ainsi qu’en France, le nombre des ouvriers organisés,‑ communistes, socialistes, membres, des syndicats de différentes tendances ‑ n’atteint au total qu’un million environ, tandis que le nombre total des ouvriers est de 11 millions.
En Angleterre, les syndicats et les partis de toutes tendances comptent environ 5 millions d’adhérents. Or, le nombre total des ouvriers est évalué à 14 millions. Aux États-Unis d’Amérique, il y a environ 5 millions d’ouvriers organisés, tandis que le nombre total des ouvriers y est de 38 millions.
Le même rapport se retrouve à peu près dans plusieurs autres pays. En temps “normal”, cette masse reste, dans son ensemble, en dehors de la vie politique. Mais, maintenant, cette masse gigantesque entre de plus en plus en mouvement, elle est entraînée et elle intervient dans la vie et sur l’arène politiques.
La création d’organismes de classe en dehors des partis est la meilleure forme pour réaliser, élargir et consolider le front unique au plus profond des grandes masses. Ces organismes seront aussi le meilleur rempart contre toutes les tentatives des adversaires du front unique de violer l’unité d’action qui s’établit au sein de la classe ouvrière.
Le Front populaire antifasciste.
Dans l’oeuvre de mobilisation des masses travailleuses pour la lutte contre le fascisme, une tâche particulièrement importante consiste à créer un vaste Front populaire antifasciste sur la base du front unique prolétarien. Le succès de toute la lutte du prolétariat est étroitement rattaché à l’établissement d’une alliance de combat avec la paysannerie laborieuse et la masse fondamentale de la petite bourgeoisie urbaine, qui forment la majorité de la population même dans les pays d’industrie développée.
Dans son agitation, le fascisme, désireux de gagner ces masses à ses côtés, tente d’opposer les masses travailleuses de la ville et de la campagne au prolétariat révolutionnaire, de terrifier la petite bourgeoisie avec l’épouvantail du “péril rouge”.
Il nous appartient de retourner la pointe et de montrer aux paysans travailleurs, aux artisans et aux intellectuels travailleurs, d’où vient le danger réel qui les menace: de leur montrer de façon concrète qui fait peser sur le paysan le fardeau des impôts et des taxes; qui lui extorque des intérêts usuraires; qui donc, possédant la meilleure terre et toutes les richesses, chasse le paysan et sa famille de sa parcelle et le voue au chômage et à la misère.
Il faut expliquer concrètement, expliquer avec patience et persévérance, qui ruine les artisans et les petits producteurs par les impôts, les taxes, les baux élevés et une concurrence qu’ils ne peuvent supporter, qui jette à la rue et prive de travail les grandes masses d’intellectuels travailleurs.
Mais cela ne suffit pas.
Le principal, le plus décisif pour établir le Front populaire antifasciste, c’est l’action résolue du prolétariat révolutionnaire pour la défense des revendications de ces couches sociales et, en particulier, de la paysannerie laborieuse, revendications qui sont en concordance avec les intérêts fondamentaux du prolétariat et qu’il importe de coordonner dans le cours de la lutte avec les revendications de la classe ouvrière.
Lors de la création du Front populaire antifasciste, il est d’une grande importance d’aborder de manière juste les organisations et les partis auxquels adhèrent en nombre considérable la paysannerie travailleuse et les masses fondamentales de la petite bourgeoisie urbaine.
Dans les pays capitalistes, la majorité de ces partis et de ces organisations, tant politiques qu’économiques, se trouvent encore sous l’influence de la bourgeoisie et continuent à la suivre. La composition sociale de ces partis et de ces organisations n’est pas homogène. On y trouve des koulaks de taille à côté de paysans sans terre, de grands brasseurs d’affaires à côté de petits boutiquiers, mais la direction y appartient aux premiers, aux agents du grand Capital.
Cela nous oblige à aborder d’une façon différente ces organisations en tenant compte du fait que, bien souvent, la masse des adhérents ne connaît pas la physionomie politique réelle de sa direction. Dans des circonstances déterminées, nous pouvons et nous devons orienter nos efforts pour attirer, en dépit de leur direction bourgeoise, ces partis et ces organisations, ou certaines de leurs parties, aux côtés du Front populaire antifasciste.
Telle est, par exemple, la situation actuelle en France, avec le Parti radical; aux États-Unis, avec diverses organisations paysannes; en Pologne, avec le Stronitstvo Ludové; en Yougoslavie, avec le Parti paysan croate; en Bulgarie, avec l’Union agricole; en Grèce, avec les agrariens, etc. Mais, indépendamment de la question de savoir s’il existe des chances d’attirer de tels partis et de telles organisations aux côtés du Front populaire, notre tactique, dans toutes les conditions, doit être orientée de façon à entraîner les petits paysans, les petits producteurs, les artisans, etc., qui en font partie au Front populaire antifasciste.
Vous voyez donc qu’ici, sur toute la ligne, il faut en finir avec le dédain, l’attitude d’indifférence qui s’observent fréquemment dans notre pratique à l’égard des divers partis et des diverses organisations des paysans, des artisans et des masses petites bourgeoises de la ville.
Les questions cruciales du front unique dans les différents pays.
Dans chaque pays, il existe des questions cruciales qui agitent, à l’étape donnée, les plus grandes masses et autour desquelles doit se déployer la lutte pour l’établissement du front unique. Mettre le doigt sur ces points cruciaux, sur ces questions cruciales, c’est garantir et accélérer l’établissement du front unique,
a) États-Unis d’Amérique
Prenons, par exemple, un pays du monde capitaliste aussi important que les États-Unis d’Amérique. Ici, la crise a mis en mouvement des masses innombrables. Le programme d’assainissement du capitalisme s’est effondré. Des masses énormes commencent à s’écarter des partis bourgeois, et sont aujourd’hui indécises sur la voie à prendre.
Le fascisme américain naissant s’efforce d’orienter la déception et le mécontentement de ces masses vers le sillage de la réaction fasciste. En outre, la particularité du développement du fascisme américain consiste en ceci qu’au stade actuel, il s’affirme principalement sous la forme d’une opposition au fascisme, en tant que courant “non américain” importé de l’étranger.
À la différence du fascisme allemand formulant des mots d’ordre anticonstitutionnels, le fascisme américain tente de se camper dans le rôle de champion de la Constitution et de la “démocratie américaine”. Il ne représente pas encore une force constituant une menace directe. Mais s’il réussit à pénétrer dans les grandes masses déçues par les vieux partis bourgeois, il peut devenir une menace sérieuse dans le plus proche avenir.
Or que signifierait la victoire du fascisme aux États-Unis? Pour les masses travailleuses, elle signifierait, on le conçoit bien, un renforcement effréné du régime d’exploitation et l’écrasement du mouvement ouvrier. Et quelle serait la portée internationale de cette victoire du fascisme?
Les États-Unis, comme on le sait, ce n’est pas la Hongrie, ni la Finlande, ni la Bulgarie ou la Lettonie. La victoire du fascisme aux États-Unis modifierait très notablement toute la situation internationale.
Dans ces conditions, le prolétariat américain peut-il se contenter d’organiser seulement son avant-garde consciente, qui est prête à marcher dans la voie révolutionnaire? Non.
Il est tout à fait évident que l’intérêt du prolétariat américain exige que toutes ses forces se délimitent, sans retard, des partis capitalistes. Il lui est indispensable de trouver les voies et les formes adéquates pour empêcher à temps le fascisme de s’emparer des grandes masses de travailleurs mécontents.
Et, ici, nous devons dire que la création d’un parti de masse des travailleurs, d’un « Parti ouvrier et paysan » pourrait être cette forme adéquate dans les conditions américaines. Un tel parti serait une forme spécifique du Front populaire de masse en Amérique à opposer aux partis des trusts et des banques de même qu’au fascisme grandissant. Un tel parti ne sera, évidemment, ni socialiste, ni communiste. Mais il doit être antifasciste et ne doit pas être un parti anticommuniste.
Le programme de ce parti doit être dirigé contre les banques, les trusts et les monopoles, contre les principaux ennemis du peuple qui spéculent sur ses malheurs.
Un tel parti ne peut répondre à sa destination que s’il défend les revendications quotidiennes de la classe ouvrière, s’il lutte pour une véritable législation sociale, pour l’assurance contre le chômage; s’il lutte pour la terre aux fermiers blancs et noirs, et pour leur libération du fardeau des dettes, s’il s’applique à faire annuler les dettes des paysans; s’il combat pour l’égalité des Nègres, pour la défense des revendications des anciens combattants, pour la défense des intérêts des représentants des professions libérales, des petits commerçants et petits producteurs. Et ainsi de suite.
Il va de soi qu’un tel parti militera pour faire entrer ses représentants dans les municipalités, dans les organismes représentatifs des différents États, ainsi qu’au Congrès et au Sénat.
Nos camarades des États-Unis ont agi de façon juste, en faisant preuve d’initiative pour la création d’un tel parti. Mais ils auront encore à prendre des mesures effectives pour que la création de ce parti devienne l’oeuvre des masses elles-mêmes. Le problème de l’organisation d’un « Parti ouvrier-paysan » et son programme, doit être étudié dans des réunions populaires de masse. Il est nécessaire de déployer un très vaste mouvement autour de la création de ce parti, et d’en prendre la tête.
En aucun cas, il ne faut permettre que l’initiative dans le travail d’organisation du Parti passe aux mains des éléments qui veulent utiliser le mécontentement des masses innombrables déçues par les deux partis bourgeois, démocratique et républicain, pour créer un “troisième” parti aux États-Unis, comme parti anticommuniste, comme parti dirigé contre le mouvement révolutionnaire.
b) Angleterre
En Angleterre, par suite des manifestations de masse des ouvriers anglais, l’organisation fasciste de Mosley a été momentanément refoulée à l’arrière-plan. Mais nous ne devons pas perdre de vue que le “gouvernement national” prend contre la classe ouvrière une série de mesures réactionnaires à l’aide desquelles il se crée en Angleterre aussi, des conditions qui faciliteraient à la bourgeoisie, en cas de besoin, le passage au régime fasciste.
Combattre le danger fasciste en Angleterre à l’étape donnée, c’est lutter avant tout contre le “gouvernement national”: contre ses mesures réactionnaires, contre l’offensive du Capital, pour la défense des revendications des chômeurs, contre la baisse des salaires, pour l’abolition de toutes les lois à l’aide desquelles la bourgeoisie anglaise abaisse le niveau de vie des masses.
Mais la haine croissante de la classe ouvrière contre le “gouvernement national” unit des masses de plus en plus considérables, sous le mot d’ordre de formation, en Angleterre, d’un nouveau gouvernement travailliste. Les communistes peuvent-ils dédaigner cet état d’esprit des grandes masses qui gardent encore leur foi dans un gouvernement travailliste? Non. Nous devons trouver la voie qui conduit à ces masses.
Nous leur disons ouvertement, ainsi que l’a fait le XIIIe congrès du Parti communiste anglais: nous communistes, sommes partisans du pouvoir soviétique, seul pouvoir capable d’affranchir les ouvriers du joug du Capital. Mais vous voulez un gouvernement travailliste? Soit. Nous avons lutté et luttons avec vous, la main dans la main, pour la défaite du “gouvernement national”.
Nous sommes prêts à soutenir votre lutte pour la formation d’un nouveau gouvernement travailliste, encore que les deux gouvernements travaillistes précédents n’aient pas tenu les promesses faites à la classe ouvrière par le Parti travailliste. Nous n’attendons pas de ce gouvernement la réalisation de mesures socialistes. Mais, au nom de millions d’ouvriers, nous exigeons de lui qu’il défende les intérêts économiques et politiques les plus urgents de la classe ouvrière et de tous les travailleurs.
Étudions donc ensemble le programme commun de ces revendications et réalisons l’unité d’action indispensable au prolétariat pour riposter à l’offensive réactionnaire du “gouvernement national”, à l’offensive du Capital et du fascisme, à la préparation d’une nouvelle guerre. Sur cette base, les communistes anglais sont prêts à se présenter en commun avec les organisations du Parti travailliste aux prochaines élections parlementaires contre le “gouvernement national”, ainsi que contre Lloyd George qui tente à sa manière d’entraîner les masses derrière lui contre la cause de la classe ouvrière, dans l’intérêt de la bourgeoisie anglaise.
Cette position des communistes anglais est juste. Elle leur facilitera l’établissement du front unique de lutte avec les millions de travailleurs des syndicats anglais et du Parti travailliste.
Tout en restant constamment dans les premiers rangs du prolétariat en lutte, tout en indiquant aux masses la seule voie juste, ‑ la voie de la lutte pour le renversement révolutionnaire de la domination de la bourgeoisie et l’instauration du pouvoir des Soviets, ‑ les communistes, lorsqu’ils définissent leurs tâches politiques actuelles, ne doivent pas chercher à brûler les étapes nécessaires du mouvement de masse, dans le cours duquel les masses ouvrières se dégagent de leurs illusions par leur propre expérience et passent aux côtés du communisme.
c) France
La France est le pays où, comme on le sait, la classe ouvrière donne à tout le prolétariat international un exemple de la façon dont il faut combattre le fascisme. Le Parti communiste français fournit à toutes les sections de l’Internationale communiste un exemple de la façon dont il faut réaliser la tactique du front unique; les ouvriers socialistes, un exemple de ce que les ouvriers social-démocrates des autres pays capitalistes doivent faire aujourd’hui dans la lutte contre le fascisme.
La manifestation antifasciste, avec un demi-million de participants, qui s’est déroulée le 14 juillet de cette année à Paris et les nombreuses manifestations des autres villes de France, ont eu une portée énorme. Ce n’est plus seulement un mouvement de front unique ouvrier, c’est le début d’un vaste Front populaire contre le fascisme en France.
Ce mouvement de front unique augmente la foi de la classe ouvrière dans ses forces, affermit en elle la conscience de son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie, de la petite bourgeoisie des villes, des intellectuels: il élargit l’influence du Parti communiste dans les masses ouvrières et, partant, rend le prolétariat plus fort dans la lutte contre le fascisme. Il mobilise en temps opportun la vigilance des masses à l’égard du danger fasciste.
Et il servira d’exemple contagieux pour le déploiement de la lutte antifasciste dans les autres pays capitalistes; il exercera une action réconfortante sur les prolétaires d’Allemagne écrasés par la dictature fasciste.
La victoire est grande, en effet, mais elle ne décide pas encore de l’issue de la lutte antifasciste. La majorité écrasante du peuple français est incontestablement contre le fascisme. Mais la bourgeoisie sait, à l’aide de ses forces armées, violenter la volonté des peuples.
Le mouvement fasciste continue à se développer en toute liberté avec le soutien actif du capital monopoliste, de l’appareil d’État de la bourgeoisie, de l’état-major de l’armée française et des dirigeants réactionnaires de l’Église catholique, qui sont le rempart de toute réaction.
La plus forte organisation fasciste, les Croix de feu, dispose aujourd’hui de 300 000 hommes armés, dont le noyau est formé par 60 000 officiers de réserve.
Elle détient de solides positions dans la police, dans la gendarmerie, dans l’armée et l’aviation, dans tout l’appareil d’État. Les dernières élections municipales montrent qu’en France grandissent non seulement les forces révolutionnaires, mais aussi les forces du fascisme.
Si le fascisme réussit à pénétrer profondément dans la paysannerie et à s’assurer le soutien d’une partie de l’armée, l’autre restant neutre, les masses laborieuses de France ne pourront empêcher l’accession des fascistes au pouvoir.
N’oubliez pas que la faiblesse d’organisation du mouvement ouvrier français facilite le succès de l’offensive fasciste. Il n’y a aucune raison, ni pour la classe ouvrière, ni pour tous les antifascistes de France, de se rassurer à la vue des résultats obtenus.
Quelles tâches se posent devant la classe ouvrière de France?
Premièrement, obtenir la réalisation du front unique non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans le domaine économique pour organiser la lutte contre l’offensive du Capital, briser par son élan la résistance opposée au front unique par les chefs de la Confédération du travail réformiste.
Deuxièmement, obtenir la réalisation de l’unité syndicale en France: syndicats uniques sur la base de la lutte de classe.
Troisièmement, entraîner dans le mouvement antifasciste les grandes masses paysannes, les masses de la petite bourgeoisie, en réservant à leurs revendications quotidiennes une place spéciale dans le programme du Front populaire antifasciste.
Quatrièmement, consolider au point de vue de l’organisation et élargir encore le mouvement antifasciste existant déjà par la création en masse d’organismes électifs sans-parti du Front populaire antifasciste, étendant leur influence à des masses plus considérables que les partis et que les organisations de travailleurs existant actuellement en France.
Cinquièmement, faire pression pour la dissolution et le désarmement des organisations fascistes, en tant qu’organisations d’individus qui conspirent contre la République et qui sont les agents de Hitler en France.
Sixièmement, faire en sorte que l’appareil d’Etat, l’armée, la police soient épurés des conspirateurs qui préparent un coup d’État fasciste.
Septièmement, développer la lutte contre les dirigeants des cliques réactionnaires de l’Église catholique, un des principaux remparts du fascisme français.
Huitièmement, lier l’armée au mouvement antifasciste en créant, dans son sein, des comités de défense de la République et de la Constitution contre ceux qui veulent se servir de l’armée pour un coup d’État anticonstitutionnel, ne pas permettre aux forces réactionnaires de France de faire échec à l’accord franco-soviétique qui défend la cause de la paix contre l’agression du fascisme allemand.
Et si, en France, le mouvement antifasciste aboutit à la création d’un gouvernement qui applique une lutte véritable, ‑ non pas en paroles, mais en fait, ‑ contre le fascisme français, qui fasse passer dans la réalité le programme de revendications du Front populaire antifasciste, les communistes, tout en restant les ennemis irréconciliables de tout gouvernement bourgeois et les partisans du pouvoir des Soviets, seront prêts, néanmoins, en face du danger fasciste grandissant, à soutenir un tel gouvernement.
Le front unique et les organisations fascistes de masse.
La lutte pour la réalisation du front unique dans les pays où les fascistes sont au pouvoir est, peut-être, le problème le plus important qui s’offre à nous. Là-bas, cette lutte, on le conçoit, se déroule dans des conditions beaucoup plus pénibles que dans les pays à mouvement ouvrier légal.
Et cependant, dans les pays fascistes, toutes les conditions sont réunies pour déployer un véritable Front populaire antifasciste dans la lutte contre la dictature fasciste étant donné que les ouvriers social-démocrates, catholiques et autres, en Allemagne par exemple, peuvent prendre plus directement conscience de la nécessité de mener la lutte en commun avec les communistes contre la dictature fasciste.
Les grandes masses de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, qui ont déjà goûté aux fruits amers de la domination fasciste, éprouvent un mécontentement et une déception toujours plus grands, ce qui facilite leur adhésion au Front populaire antifasciste.
Ainsi, la tâche essentielle dans les pays fascistes, particulièrement en Allemagne et en Italie, où le fascisme a su s’assurer une base de masse et a embrigadé de force les ouvriers et les autres travailleurs dans ses organisations, consiste à combiner judicieusement la lutte contre la dictature fasciste de l’extérieur avec le travail de sape exécuté contre elle de l’intérieur, dans les organisations et organismes fascistes de masse.
Il est nécessaire d’étudier, de s’assimiler et d’appliquer, suivant les conditions concrètes de ces pays, les méthodes et moyens particuliers qui contribuent à la désagrégation la plus rapide de la base de masse du fascisme et préparent le renversement de la dictature fasciste. Voilà ce qu’il faut étudier, s’assimiler et appliquer, au lieu de crier simplement: « À bas Hitler! » et « À bas Mussolini! »
Oui, étudier, assimiler et appliquer! C’est là une tâche difficile et compliquée. D’autant plus difficile que notre expérience d’une lutte couronnée de succès contre la dictature fasciste est extrêmement limitée. Nos camarades italiens, par exemple, luttent depuis treize ans environ dans les conditions de la dictature fasciste.
Et, cependant, ils n’ont pas encore réussi à déployer une véritable lutte de masse contre le fascisme; c’est pourquoi, malheureusement, ils n’ont guère pu, sous ce rapport, aider, par une expérience positive, les autres Partis communistes des pays fascistes.
Les communistes allemands et italiens et les communistes des autres pays fascistes, de même que les Jeunesses communistes, ont accompli des prodiges d’héroïsme; ils ont consenti et consentent chaque jour des sacrifices énormes. Nous nous inclinons tous devant cet héroïsme et ces sacrifices.
Mais l’héroïsme seul ne suffit pas. Cet héroïsme, il est nécessaire de le coordonner avec un travail quotidien dans les masses, avec une lutte concrète contre le fascisme, telle qu’elle nous permette d’obtenir ici les résultats les plus tangibles. Dans notre lutte contre la dictature fasciste, il est particulièrement dangereux de prendre nos désirs pour des réalités, il faut partir des faits, de la situation concrète, réelle.
Or, quelle est aujourd’hui la réalité, par exemple, en Allemagne?
Dans les masses grandissent le mécontentement et la déception contre la politique de la dictature fasciste, revêtant même la forme de grèves partielles et d’autres manifestations. Malgré tous ses efforts, le fascisme n’a pas réussi à gagner politiquement la masse fondamentale des ouvriers; il perd et perdra de plus en plus jusqu’à ses anciens partisans.
Néanmoins, nous devons nous rendre compte du fait que les ouvriers, convaincus de la possibilité de renverser la dictature fasciste et prêts dès aujourd’hui à lutter activement pour atteindre ce but, sont encore pour le moment en minorité; c’est nous, les communistes, et la partie révolutionnaire des ouvriers social-démocrates.
Quant à la majorité des travailleurs, elle n’a pas encore pris conscience des possibilités réelles et concrètes, ni des voies qui conduisent au renversement de cette dictature; elle reste encore dans l’expectative. Il faut tenir compte de ce fait lorsque nous fixons nos tâches dans la lutte contre le fascisme en Allemagne et que nous nous disposons à chercher, à étudier et à appliquer les procédés spéciaux propres à ébranler et à renverser la dictature fasciste en Allemagne.
Pour porter un coup sensible à la dictature fasciste, nous devons connaître son point le plus vulnérable. Où se trouve le talon d’Achille de la dictature fasciste? Dans sa base sociale. Cette dernière est extrêmement hétérogène. Elle englobe diverses classes et diverses couches de la société. Le fascisme s’est proclamé l’unique représentant de toutes les classes et couches de la population: du fabricant et de l’ouvrier, du millionnaire et du chômeur, du junker et du petit paysan, du grand capitaliste et de l’artisan.
Il fait semblant de défendre les intérêts de toutes ces couches, les intérêts de la nation. Mais, étant la dictature de la grande bourgeoisie, le fascisme doit inévitablement entrer en conflit avec sa base sociale de masse, d’autant plus que c’est précisément sous la dictature fasciste qu’apparaissent avec le plus de relief les contradictions de classe entre le ramassis des magnats de la finance et la majorité écrasante du peuple.
Amener les masses à la lutte résolue pour le renversement de la dictature fasciste, nous ne le pouvons qu’en entraînant les ouvriers embrigadés de force ou entrés par inconscience dans les organisations fascistes, aux mouvements les plus élémentaires pour la défense de leurs intérêts économiques, politiques et culturels.
C’est précisément pour cette raison que les communistes doivent travailler dans ces organisations comme les meilleurs défenseurs des intérêts quotidiens de la masse des adhérents, en tenant compte du fait que, à mesure que les ouvriers adhérant à ces organisations se mettent de plus en plus souvent a revendiquer leurs droits et à défendre leurs intérêts, ils se heurtent inévitablement à la dictature fasciste.
Sur le terrain de la défense des intérêts quotidiens et, au début, des intérêts les plus élémentaires, des masses travailleuses de la ville et de la campagne, il est relativement plus facile de trouver un langage commun non seulement avec les antifascistes conscients, mais aussi avec ceux des travailleurs qui sont encore partisans du fascisme, et qui, pourtant, déçus et mécontents de sa politique, murmurent et cherchent une occasion d’exprimer leur mécontentement.
En général, nous devons nous rendre compte que toute notre tactique dans les pays de dictature fasciste doit revêtir un caractère tel qu’il n’écarte pas de nous les simples partisans du fascisme, qu’il ne les rejette pas dans ses bras, mais approfondisse l’abîme entre le sommet fasciste et la masse des simples partisans déçus du fascisme, qui sortent des couches travailleuses.
Il n’y a pas de quoi perdre contenance s’il arrive que les gens mobilisés autour de ces intérêts quotidiens se considèrent ou bien comme des indifférents en politique, ou bien même comme des partisans du fascisme.
Ce qui importe pour nous, c’est de les entraîner à un mouvement qui, tout en ne s’affirmant pas ouvertement au début sous des mots d’ordre de lutte contre le fascisme, n’en est pas moins déjà, objectivement, un mouvement antifasciste, puisqu’il oppose ces masses à la dictature fasciste.
L’expérience nous enseigne que c’est un point de vue nuisible et erroné que de croire que dans les pays de dictature fasciste, il est prétendument impossible en général d’agir légalement ou semi-légalement. Insister sur un point de vue de ce genre, c’est tomber dans la passivité, c’est renoncer en général à tout travail de masse réel.
Il est vrai que trouver dans les conditions de la dictature fasciste les formes et les méthodes d’une action légale ou semi-légale, est une tâche difficile, compliquée. Mais, comme dans beaucoup d’autres questions, la voie nous est indiquée par la vie elle-même et par l’initiative des masses elles-mêmes, qui ont déjà fourni une série d’exemples que nous devons généraliser, appliquer d’une façon organisée et judicieuse.
Il est nécessaire de mettre un terme de la façon la plus résolue à la sous-estimation du travail dans les organisations fascistes de masse. En Italie comme en Allemagne et dans plusieurs autres pays fascistes, les communistes ont couvert leur passivité et souvent même leur refus direct, dans la pratique, de travailler au sein des organisations fascistes de masse en opposant le travail dans les entreprises au travail dans les organisations fascistes de masse.
En réalité, cette opposition schématique a justement abouti à ceci que le travail était mené avec une mollesse extrême et parfois même n’était pas mené du tout, ni dans les organisations fascistes de masse ni dans les entreprises.
Or, dans les pays fascistes, il est particulièrement important pour les communistes d’être partout où sont les masses. Le fascisme a supprimé aux ouvriers leurs organisations légales propres. Il leur a imposé les organisations fascistes et c’est là que se trouvent les masses, de force ou, en partie, volontairement.
Ces organisations fascistes de masse peuvent et doivent être notre champ d’action légal ou semi-légal le champ où nous serons en rapport avec les masses. Elles peuvent et doivent devenir pour nous le point de départ légal ou semi-légal de la défense des intérêts quotidiens des masses.
En vue d’utiliser ces possibilités, les communistes doivent travailler à obtenir des postes électifs dans les organisations fascistes de masse dans le but d’assurer la liaison avec la masse, et s’affranchir une fois pour toutes du préjugé d’après lequel un tel genre d’activité ne sied pas à un ouvrier révolutionnaire, est indigne de lui.
En Allemagne, par exemple, il existe un système de « délégués d’usine ». Où donc est-il dit que nous devions laisser aux fascistes le monopole de ces organisations?
Est-ce que nous ne pouvons pas tenter d’unir dans l’entreprise les ouvriers communistes, social-démocrates, catholiques et autres ouvriers antifascistes pour que, au moment du vote sur la liste des « délégués d’usine », ils rayent les agents manifestes du patron et y portent d’autres candidats, jouissant de la confiance des ouvriers? La pratique a déjà prouvé que la chose est possible.
Est-ce que la pratique ne nous dit pas aussi qu’il est possible, en commun avec les ouvriers social-démocrates et les autres ouvriers mécontents, d’exiger des « délégués d’usine » qu’ils défendent réellement les intérêts des ouvriers?
Prenez le Front du travail en Allemagne ou les syndicats fascistes en Italie. N’est-il pas possible d’exiger l’élection, au lieu de la nomination, des fonctionnaires du Front du travail, d’insister pour que les organismes dirigeants des groupes locaux rendent compte de leur activité aux assemblées des membres des organisations, de présenter sur décision du groupe ces revendications au patron, à l' »inspecteur du travail », aux organismes supérieurs du Front du travail?
C’est possible, à condition que les ouvriers révolutionnaires travaillent réellement dans le Front du travail et cherchent à y obtenir des postes.
Des méthodes de travail analogues sont possibles et nécessaires aussi dans les autres organisations fascistes de masse, ‑ dans l’union hitlérienne des jeunesses, dans les organisations sportives, dans l’organisation Kraft durch Freude en Allemagne. Dopo lavoro en Italie, dans les coopératives, etc.
Vous vous souvenez de l’antique légende de la prise de Troie. Troie, pour se mettre à l’abri de l’armée qui l’attaquait, s’était entourée de murailles inabordables. Et l’armée attaquante, après avoir perdu nombre de victimes, ne put remporter la victoire tant qu’elle n’eut pas pénétré, à l’aide du fameux cheval de Troie, à l’intérieur, au coeur même de la place ennemie.
Il me semble que nous, ouvriers révolutionnaires, ne devons pas nous sentir gênés à l’idée d’appliquer la même tactique à l’égard de notre ennemi fasciste, qui recourt pour se défendre contre le peuple au mur vivant de ses égorgeurs.
Quiconque ne comprend pas la nécessité d’appliquer une telle tactique à l’égard du fascisme, quiconque tient cette façon d’agir pour “humiliante”, peut être un excellent camarade, mais permettez-moi de vous dire que c’est un bavard et non un révolutionnaire, et qu’il ne saura pas conduire les masses au renversement de la dictature fasciste.
Le mouvement de masse du front unique, qui prend naissance à l’extérieur et à l’intérieur des organisations fascistes d’Allemagne, d’Italie et des autres pays où le fascisme possède une base de masse ‑ en partant de la défense des besoins les plus élémentaires, en changeant ses formes et ses mots d’ordre de lutte au fur et à mesure de l’extension et de la montée de cette lutte, ‑ sera le bélier qui détruira la forteresse de la dictature fasciste tenue aujourd’hui par beaucoup de gens pour inexpugnable.
Le front unique dans les pays où les social-démocrates sont au gouvernement.
La lutte pour l’établissement du front unique soulève encore un autre problème très important, celui du front unique dans les pays où il y a au pouvoir des gouvernements social-démocrates ou des gouvernements de coalition avec participation socialiste, comme, par exemple, au Danemark, en Norvège, en Suède, en Tchécoslovaquie et en Belgique.
On connaît notre attitude absolument négative à l’égard des gouvernements social-démocrates qui sont des gouvernements de conciliation avec la bourgeoisie.
Néanmoins, nous ne considérons pas la présence d’un gouvernement social-démocrate ou d’une coalition gouvernementale du Parti social-démocrate avec les partis bourgeois comme un obstacle insurmontable à l’établissement du front unique avec les social-démocrates sur des questions déterminées.
Nous estimons que, dans ce cas également, le front unique est parfaitement possible et indispensable pour la défense des intérêts quotidiens du peuple travailleur et dans la lutte contre le fascisme. Il va de soi que dans les pays où les représentants des partis social-démocrates participent au gouvernement, la direction social-démocrate oppose la plus forte résistance au front unique prolétarien.
Cela est tout à fait compréhensible; ne veulent-ils pas montrer à la bourgeoisie que ce sont eux qui, précisément, savent mieux et plus habilement que tous les autres tenir en bride les masses ouvrières mécontentes et les protéger de l’influence du communisme? Cependant, le fait que les ministres social-démocrates ont une attitude négative à l’égard du front unique prolétarien, ne saurait justifier le moins du monde l’état de choses où les communistes ne font rien pour créer le front unique du prolétariat.
Nos camarades des pays Scandinaves suivent souvent la voie du moindre effort, en se bornant à dénoncer dans leur propagande le gouvernement social-démocrate. C’est une faute.
Au Danemark, par exemple, voilà dix ans déjà que les chefs social-démocrates sont installés au gouvernement, et voilà dix ans que, de jour en jour, les communistes répètent que c’est un gouvernement bourgeois, capitaliste. Il faut supposer que cette propagande est connue des ouvriers danois.
Le fait qu’une majorité considérable donne quand même ses suffrages au Parti social-démocrate gouvernemental, ne montre qu’une chose: c’est qu’il ne suffit pas pour les communistes de dénoncer le gouvernement dans leur propagande; cependant, cela ne montre pas que ces centaines de milliers d’ouvriers soient contents de toutes les mesures gouvernementales des ministres social-démocrates.
Non, ils sont mécontents du fait que le gouvernement social-démocrate, par son “accord de crise”, vient en aide aux grands capitalistes et aux propriétaires fonciers, et non pas aux ouvriers et à la paysannerie pauvre; que par son décret de janvier 1933, il ait retiré aux ouvriers le droit de grève; que la direction social-démocrate projette une dangereuse réforme électorale antidémocratique (avec une réduction considérable du nombre des députés).
Je ne me tromperai guère en affirmant que 99 % des ouvriers du Danemark n’approuvent pas de telles démarches politiques de la part des chefs et des ministres social-démocrates.
Les communistes ne peuvent-ils pas appeler les syndicats et les organisations social-démocrates du Danemark à étudier telle ou telle question d’actualité, à formuler leur opinion et à intervenir en commun pour le front unique prolétarien dans le but de faire aboutir les revendications ouvrières?
Au mois d’octobre de l’an dernier, lorsque nos camarades danois firent appel aux syndicats pour engager l’action contre la réduction des secours de chômage et pour les droits démocratiques des syndicats, près de cent organisations syndicales locales ont adhéré au front unique.
En Suède, c’est la troisième fois que le gouvernement social-démocrate se trouve au pouvoir; mais les communistes suédois se sont longtemps refusés, dans la pratique, à appliquer la tactique du front unique. Pourquoi? Étaient-ils donc contre le front unique? Non, évidemment, ils étaient en principe pour le front unique, pour le front unique en général, mais ils n’avaient pas compris à quel propos, dans quelles questions, pour la défense de quelles revendications il serait possible de mettre sur pied avec succès le front unique prolétarien, à quoi et comment s’accrocher.
Quelques mois avant la constitution du gouvernement social-démocrate, le Parti social-démocrate avait formulé, pendant la lutte électorale, une plate-forme renfermant une série de revendications qui auraient justement pu être comprises dans la plate-forme du front unique prolétarien. Par exemple, les mots d’ordre: Contre les droits de douane. Contre la militarisation.
« En finir avec les atermoiements dans la question des assurances contre le chômage. » « Assurer aux vieillards une pension suffisante pour vivre. » « Ne pas tolérer l’existence d’organisations telles que Munch-Korps » (organisation fasciste). « À bas la législation antisyndicale de classe réclamée par les partis bourgeois. »
Plus d’un million de travailleurs de Suède ont voté en 1932 pour ces revendications formulées par la social-démocratie, et ont salué en 1933 la formation du gouvernement social-démocrate, dans l’espoir que, maintenant, ces revendications allaient être réalisées.
Quoi de plus naturel dans cette situation et quel moyen de répondre à un plus haut degré aux désirs des masses ouvrières, qu’un message du Parti communiste à toutes les organisations social-démocrates et syndicales, avec la proposition d’entreprendre des actions communes en vue de réaliser ces revendications formulées par le parti social-démocrate?
Si, aux fins de réalisation des revendications formulées par les social-démocrates eux-mêmes, on avait réussi à mobiliser réellement les grandes masses, à souder les organisations ouvrières social-démocrates et communistes dans un front unique, il n’est pas douteux que la classe ouvrière de Suède y aurait gagné.
Les ministres social-démocrates de Suède, évidemment, ne s’en seraient pas trop réjouis. Car, dans ce cas, le gouvernement aurait été contraint de satisfaire ne fût-ce que quelques revendications.
En tout cas, il ne se serait pas produit ce qui est arrivé maintenant, à savoir que le gouvernement, au lieu de supprimer les droits de douane, a majoré certaines taxes; au lieu de limiter le militarisme, a augmenté le budget de la Guerre et, au lieu de repousser toute législation dirigée contre les syndicats, a lui-même présenté au Parlement un projet de loi de ce genre.
Il est vrai qu’en rapport avec cette dernière question, le Parti communiste suédois a réalisé une bonne campagne de masse dans le sens du front unique prolétarien, et a obtenu, en fin de compte, que même la fraction social-démocrate du Parlement se sente obligée de voter contre le projet de loi gouvernemental, si bien que celui-ci, pour l’instant, a avorté.
Les communistes norvégiens ont agi de façon juste en appelant lors du Premier Mai les organisations du Parti ouvrier à manifester en commun, et en formulant une série de revendications qui, dans le fond, coïncidaient avec les revendications de la plate-forme électorale du Parti ouvrier norvégien.
Bien que cette démarche en faveur du front unique ait été faiblement préparée et que la direction du Parti ouvrier norvégien y ait été opposée, des manifestations de front unique ont eu lieu dans trente localités.
Les communistes étaient nombreux autrefois à craindre que ce fût une manifestation d’opportunisme de leur part que de s’abstenir d’opposer à n’importe quelle revendication partielle des social-démocrates des revendications à eux, deux fois plus radicales.
C’était là une faute naïve. Si les social-démocrates revendiquent, par exemple, la dissolution des organisations fascistes, point n’est besoin pour nous d’ajouter « et la dissolution de la police d’État » (pour la raison qu’il serait opportun de formuler cette revendication dans une autre situation), mais nous devons dire aux ouvriers social-démocrates: nous sommes prêts à accepter ces revendications de votre Parti comme revendications du front unique prolétarien et à lutter jusqu’au bout pour la réalisation de ce dernier. Engageons la lutte en commun.
En Tchécoslovaquie également, on peut et on doit utiliser, pour établir le front unique de la classe ouvrière, des revendications déterminées, formulées par la social-démocratie tchèque et allemande et les syndicats réformistes.
Lorsque la social-démocratie revendique, par exemple, du travail pour les chômeurs ou l’abolition, ‑ comme elle le demande depuis 1927, ‑ des lois limitant l’autonomie des municipalités, il faut, à la base et dans chaque arrondissement, concrétiser ces revendications et, d’un commun accord avec les organisations social-démocrates, lutter pour obtenir réellement satisfaction.
Ou bien, lorsque les Partis social-démocrates fulminent “en général” contre les agents du fascisme dans l’appareil d’Etat, il convient dans chaque arrondissement de tirer au grand jour les porte-parole du fascisme en chair et en os et d’exiger en commun avec les ouvriers social-démocrates leur renvoi des institutions d’Etat.
En Belgique, les chefs du parti socialiste avec Emile Vandervelde en tête, sont entrés dans le gouvernement de coalition. Ils ont remporté ce “succès” grâce à leur longue et vaste campagne pour deux revendications essentielles: 1. annulation des décrets-lois et 2. réalisation du plan De Man. La première question est très importante. L’ancien gouvernement avait pris, au total, 150 décrets-lois réactionnaires, qui font peser un fardeau extrêmement lourd sur le peuple travailleur. On se proposait de les annuler aussitôt.
Le parti socialiste l’exigeait. Eh bien! Y a-t-il beaucoup de décrets-lois annulés par le nouveau gouvernement? Celui-ci n’en a aboli aucun; il a simplement atténué un peu quelques lois d’exception, afin de payer une sorte de rançon “symbolique” pour les nombreuses promesses faites par les chefs socialistes de Belgique (à l’instar du “dollar symbolique” que certaines puissances européennes proposaient à l’Amérique en paiement des dettes de guerre qu’elles avaient contractées par millions).
En ce qui concerne la réalisation du plan prometteur De Man, les choses ont pris un tour tout à fait inattendu pour les masses social-démocrates: les ministres socialistes ont déclaré qu’il fallait d’abord surmonter la crise économique et n’appliquer que celles des parties du plan De Man qui améliorent la situation des capitalistes industriels et des banques, — et ce n’est qu’après qu’il sera possible d’appliquer les mesures visant à alléger la situation des ouvriers.
Mais combien de temps les ouvriers devront-ils attendre leur part de “prospérité”, que leur promet le plan De Man? Une véritable pluie d’or s’est déjà répandue sur les banquiers belges.
On a déjà réalisé la dévaluation du franc belge à 28 %; grâce à cette manipulation, les banquiers ont pu s’approprier en guise de trophée quatre milliards et demi de francs, aux frais des salariés et des petits épargnants. Comment donc cela s’accorde-t-il avec le contenu du plan De Man? Car, à en croire le plan à la lettre, il promet de « poursuivre les excès monopolistes et les manoeuvres spéculatrices ».
En vertu du plan De Man, le gouvernement a nommé une commission chargée de contrôler les banques, mais elle est composée de banquiers qui aujourd’hui, joyeux et insouciants, se contrôlent eux-mêmes!
Le plan De Man promet encore d’autres bonnes choses: « réduction du temps de travail« , « normalisation du salaire« , « minimum de salaire« , » organisation d’un système universel d’assurances sociales « , « extension des commodités de la vie grâce à de nouvelles constructions d’habitations« , etc. Autant de revendications que nous, communistes, pouvons soutenir.
Nous devons nous adresser aux organisations ouvrières de Belgique et leur dire: les capitalistes ont déjà suffisamment touché, et même beaucoup trop. Exigeons des ministres social-démocrates qu’ils tiennent les promesses qu’ils ont faites aux ouvriers.
Groupons-nous en un front unique pour le succès de la défense de nos intérêts. Ministre Vandervelde, nous soutenons les revendications pour les ouvriers contenues dans votre plate-forme, mais nous le déclarons ouvertement: ces revendications, nous les prenons au sérieux, nous voulons des actes et non des paroles vaines, et c’est pourquoi nous groupons des centaines de milliers d’ouvriers dans la lutte pour qu’elles soient satisfaites!
Ainsi, dans les pays à gouvernement social-démocrate, les communistes, utilisant telles revendications correspondantes qui sont contenues dans les plates-formes des partis social-démocrates eux-mêmes, et les promesses faites lors des élections par les ministres social-démocrates, comme point de départ pour réaliser l’action commune avec les partis et organisations social-démocrates, pourront ensuite plus aisément déployer la campagne pour l’établissement du front unique, cette fois sur la base d’une série d’autres revendications des masses en lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace de guerre.
En outre, il ne faut pas perdre de vue que si, d’une façon générale, l’action commune avec les partis et les organisations social-démocrates, exige des communistes qu’ils fassent une critique sérieuse et fondée de la social-démocratie en tant qu’idéologie et pratique de la collaboration de classe avec la bourgeoisie, et qu’ils éclairent fraternellement, inlassablement les ouvriers social-démocrates sur le programme et les mots d’ordre du communisme, cette tâche est particulièrement importante dans la lutte pour le front unique dans les pays où existent justement des gouvernements social-démocrates.
La lutte pour l’unité syndicale.
La réalisation de l’unité syndicale à l’échelle nationale et internationale doit devenir l’étape essentielle dans l’affermissement du front unique.
Comme on le sait, c’est dans les syndicats que la tactique scissionniste des chefs réformistes a été appliquée avec le plus d’acuité. Et cela se conçoit: c’est là que leur politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie trouvait son couronnement pratique, directement à l’entreprise, aux dépens des intérêts vitaux des masses ouvrières.
Cela a provoqué, bien entendu, une critique violente et une riposte à cette pratique de la part des ouvriers révolutionnaires guidés par les communistes. Voilà pourquoi c’est dans le domaine syndical que la lutte la plus vigoureuse s’est engagée entre le communisme et le réformisme.
Plus la situation du capitalisme devenait pénible et compliquée, et plus la politique des chefs des syndicats d’Amsterdam devenait réactionnaire, plus agressives leurs mesures à l’égard de tous les éléments d’opposition à l’intérieur des syndicats!
Même l’instauration de la dictature fasciste en Allemagne et l’offensive renforcée du Capital dans tous les pays capitalistes n’ont pas diminué cette agressivité. N’est-ce pas un fait caractéristique que, dans la seule année 1933, en Angleterre, en Hollande, en Belgique, en Suède, des circulaires infâmes aient été lancées avec le but d’exclure des syndicats les communistes et les ouvriers révolutionnaires?
En Angleterre, en 1933, paraît une circulaire interdisant aux sections syndicales locales d’adhérer aux organisations anti-guerrières et autres organisations révolutionnaires. C’était le prélude de la fameuse “circulaire noire” du Conseil général des syndicats qui proclamait hors la loi tout conseil syndical qui admettrait dans son sein des délégués « liés d’une façon ou d’une autre aux organisations communistes ».
Que dire encore de la direction des syndicats allemands usant de moyens de répression inouïs contre les éléments révolutionnaires des syndicats!
Mais notre tactique doit se fonder non pas sur la conduite des différents chefs des syndicats d’Amsterdam, quelques difficultés que cette conduite crée à la lutte de classe, mais, avant tout, sur la question de savoir où se trouvent les masses ouvrières. Et, ici, nous devons le déclarer ouvertement: le travail dans les syndicats est la question la plus brûlante pour tous les Partis communistes. Nous devons obtenir un tournant réel dans le travail syndical, en plaçant au centre le problème de la lutte pour l’unité syndicale.
Il y a déjà dix ans que Staline nous a dit[16]:
En quoi consiste la force de la social-démocratie en Occident?
En ce qu’elle s’appuie sur les syndicats.
En quoi consiste la faiblesse de nos Partis communistes en Occident?
En ce qu’ils ne se sont pas encore soudés, et que certains éléments de ces Partis communistes ne veulent pas se souder aux syndicats.
C’est pourquoi la tâche fondamentale des Partis communistes d’Occident, au moment actuel, consiste à déployer et à mener jusqu’au bout la campagne pour l’unité du mouvement syndical; tous les communistes sans exception doivent adhérer aux syndicats, y engager un travail patient, méthodique, en vue de rassembler la classe ouvrière contre le Capital et de faire en sorte que les Partis communistes puissent s’appuyer sur les syndicats.
Cette directive de Staline a-t-elle été appliquée? Non, elle n’a pas été appliquée.
Méconnaissant l’attraction que les syndicats exercent sur les ouvriers et placés devant les difficultés du travail à mener à l’intérieur des syndicats d’Amsterdam, beaucoup de nos camarades ont décidé de passer outre à cette tâche compliquée.
Ils parlaient invariablement de la crise d’organisation des syndicats d’Amsterdam, de l’abandon précipité des syndicats par les ouvriers, et ils ont perdu de vue qu’après une certaine chute des syndicats au début de la crise économique mondiale, ceux-ci ont ensuite recommencé à grandir.
La particularité du mouvement syndical consistait précisément en ce que l’offensive de la bourgeoisie contre les droits syndicaux, la tentative faite dans plusieurs pays pour unifier les syndicats (Pologne, Hongrie, etc.), la compression des assurances sociales, le vol des salaires, malgré l’absence de résistance de la part des chefs syndicaux réformistes, obligeaient les ouvriers à se grouper encore plus étroitement autour des syndicats, car les ouvriers voulaient et veulent voir dans le syndicat le défenseur combatif de leurs intérêts de classe les plus urgents.
Voilà ce qui explique que la plupart des syndicats d’Amsterdam, ‑ en France, en Tchécoslovaquie, en Belgique, en Suède, en Hollande, en Suisse, etc., ‑ se soient développés numériquement dans ces dernières années. La Fédération américaine du travail a aussi considérablement augmenté le nombre de ses adhérents depuis deux ans.
Si les camarades allemands avaient mieux compris leur tâche syndicale, dont le camarade Thaelmann leur a parlé maintes fois, nous aurions certainement eu dans les syndicats une situation meilleure que celle qui existait en fait au moment de l’avènement de la dictature fasciste.
Vers la fin de 1932, environ dix pour cent seulement des membres du Parti adhéraient aux syndicats libres. Et cela, bien que les communistes, après le VIe congrès de l’Internationale communiste, se fussent placés à la tête de toute une série de grèves.
Dans la presse, nos camarades parlaient de la nécessité de réserver 90 % de nos forces au travail dans les syndicats; mais, en pratique, tout se concentrait autour de l’opposition syndicale révolutionnaire qui visait en fait à remplacer les syndicats. Et après la prise du pouvoir par Hitler? Depuis deux ans, beaucoup de nos camarades ont résisté, avec ténacité et d’une façon systématique au mot d’ordre juste de lutte pour le rétablissement des syndicats libres.
Je pourrais citer des exemples analogues pour presque tous les autres pays capitalistes.
Mais déjà nous avons aussi le premier acquit sérieux dans la lutte pour l’unité du mouvement syndical dans les pays européens. J’ai en vue la petite Autriche, où, sur l’initiative du Parti communiste, une base a été créée pour le mouvement syndical illégal.
Après les batailles de Février, les social-démocrates, avec Otto Bauer en tète, ont lancé le mot d’ordre: « Les syndicats libres ne peuvent être rétablis qu’après la chute du fascisme. » Les communistes se sont mis à travailler au rétablissement des syndicats.
Chaque phase de ce travail a été un fragment du front unique vivant du prolétariat autrichien. Le succès du rétablissement des syndicats libres illégaux fut une défaite sérieuse du fascisme. Les social-démocrates hésitaient sur le chemin à prendre.
Une partie d’entre eux tentèrent d’engager des pourparlers avec le gouvernement. L’autre partie, voyant nos succès, créa parallèlement ses propres syndicats illégaux. Mais il ne pouvait y avoir qu’un seul chemin: ou bien capituler devant le fascisme ou bien lutter en commun contre le fascisme, dans le sens de l’unité syndicale. Sous la pression des masses, la direction hésitante des syndicats parallèles qui avaient été créés par les anciens chefs syndicaux, a résolu d’accepter l’union.
La base de cette union est la lutte irréconciliable contre l’offensive du Capital et du fascisme et la garantie de la démocratie syndicale. Nous saluons ce fait d’unification syndicale qui est le premier depuis la scission formelle du mouvement syndical après la guerre et qui, pour cette raison, a une importance internationale.
Le front unique en France a donné sans aucun doute une impulsion gigantesque à la réalisation de l’unité syndicale: les dirigeants de la Confédération générale du Travail ont freiné et freinent par tous les moyens la réalisation de l’unité, en opposant à la question fondamentale relative à la politique de classe des syndicats des questions ayant une importance subordonnée et secondaire ou formelle.
Ça a été un succès indubitable de la lutte pour l’unité syndicale que la création de syndicats uniques à l’échelle locale, qui englobent, par exemple, chez les cheminots, près des trois quarts des effectifs des deux syndicats.
Nous nous affirmons résolument pour le rétablissement de l’unité syndicale dans chaque pays et à l’échelle internationale.
Nous sommes pour le syndicat unique dans chaque industrie.
Nous sommes pour l’unification syndicale dans chaque pays.
Nous sommes pour l’unification syndicale internationale par industrie.
Nous sommes pour une Internationale syndicale unique sur la base de la lutte de classe.
Nous sommes pour les syndicats de classe uniques, comme étant l’un des principaux remparts de la classe ouvrière contre l’offensive du Capital et du fascisme. Ceci posé, nous ne mettons qu’une condition à l’unification des organisations syndicales: la lutte contre le Capital; la lutte contre le fascisme et la démocratie à l’intérieur des syndicats.
Le temps presse. Pour nous, le problème de l’unité du mouvement syndical, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, est un problème de la grande oeuvre d’unification de notre classe dans de puissantes organisations syndicales uniques contre l’ennemi de classe.
Nous saluons le message adressé par l’Internationale syndicale rouge à l’Internationale d’Amsterdam, ‑ à la veille du Premier Mai de cette année, ‑ pour lui proposer d’étudier en commun les conditions, les méthodes et les formes d’unification du mouvement syndical mondial.
Les chefs de l’Internationale d’Amsterdam ont repoussé cette proposition, en prenant pour prétexte cet argument rebattu que l’unité du mouvement syndical n’est possible que dans les rangs de l’Internationale d’Amsterdam, laquelle, soit dit en passant, ne groupe guère que les organisations syndicales d’une partie des pays européens.
Les communistes qui travaillent dans les syndicats, doivent poursuivre sans se lasser la lutte pour l’unité du mouvement syndical.
La tâche des syndicats rouges et de l’Internationale syndicale rouge est de faire tout ce qui dépend d’eux pour que vienne au plus vite l’heure de la réalisation de la lutte commune de tous les syndicats contre l’offensive du Capital et du fascisme, pour réaliser l’unité du mouvement syndical en dépit de l’opposition obstinée des chefs réactionnaires de l’Internationale d’Amsterdam. Les syndicats rouges et l’ISR doivent recevoir en ce sens notre aide pleine et entière.
Nous recommandons, dans les pays où existent de petits syndicats rouges, de travailler à leur affiliation aux grands syndicats réformistes, en revendiquant la liberté de défendre leurs opinions et la réintégration des exclus, et dans les pays où existent parallèlement de grands syndicats rouges et réformistes, de convoquer un congrès d’unification sur la base d’une plate-forme de lutte contre l’offensive du Capital et de la garantie de la démocratie syndicale.
Nous devons déclarer de la façon la plus catégorique que l’ouvrier communiste, l’ouvrier révolutionnaire qui n’adhère pas au syndicat de masse de sa profession, qui ne lutte pas pour transformer le syndicat réformiste en une véritable organisation syndicale de classe, qui ne lutte pas pour l’unité du mouvement syndical sur la base de la lutte de classe, cet ouvrier communiste, cet ouvrier révolutionnaire ne s’acquitte pas de son premier devoir prolétarien.
Le front unique et les jeunes.
J’ai déjà indiqué le rôle qu’a joué pour la victoire du fascisme l’intégration des jeunes aux organisations fascistes. Parlant des jeunes, nous devons le déclarer ouvertement: nous avons dédaigné la tâche qui nous incombait d’entraîner les masses de la jeunesse travailleuse dans la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace de guerre; nous avons dédaigné ces tâches dans plusieurs pays.
Nous avons sous-estimé l’importance énorme de la jeunesse dans la lutte contre le fascisme. Nous n’avons pas toujours tenu compte des intérêts particuliers, économiques, politiques et culturels de la jeunesse. Nous n’avons pas, non plus, prêté l’attention voulue à l’éducation révolutionnaire des jeunes.
Tout cela, le fascisme l’a utilisé fort habilement, en attirant dans certains pays, notamment en Allemagne, d’importants contingents de jeunes sur une voie opposée à celle du prolétariat.
Il faut tenir compte du fait que le fascisme n’attire pas seulement la jeunesse par le romantisme militaire. De-ci delà il donne à manger, il distribue des effets aux membres de ses formations, il donne du travail à tel ou tel, il fonde même des institutions dites culturelles à l’usage de la jeunesse, pour lui faire croire qu’il veut et peut réellement nourrir, habiller, instruire et faire travailler la masse de la jeunesse laborieuse.
Nos Fédérations communistes de jeunes, dans une série de pays capitalistes, sont encore maintenant des organisations éminemment sectaires, détachées des masses. Leur faiblesse fondamentale consiste en ce qu’elles s’efforcent encore de copier les Partis communistes, leurs formes et leurs méthodes de travail, oubliant que la Jeunesse communiste n’est pas le Parti communiste de la jeunesse.
Elles ne tiennent pas suffisamment compte du fait qu’il s’agit d’une organisation avec ses tâches particulières bien à elle. Ses méthodes et ses formes de travail, d’éducation et de lutte doivent être adaptées au niveau concret et aux aspirations de la jeunesse.
Nos jeunes communistes ont donné des exemples inoubliables d’héroïsme dans la lutte contre les violences fascistes et la réaction bourgeoise. Mais ce qui leur manque encore, c’est la capacité d’arracher concrètement et obstinément les masses de jeunes à l’influence ennemie.
On le voit à la résistance, insurmontée jusqu’à présent, que rencontre le travail à faire dans les organisations fascistes de masse, à la façon pas toujours juste d’aborder la jeunesse socialiste ou les autres jeunes non communistes.
En tout cela, une grande responsabilité incombe aussi, bien entendu, aux Partis communistes, qui doivent guider et soutenir les Jeunesses communistes dans leur travail. Car le problème de la jeunesse n’est pas seulement le problème des Jeunesses communistes. C’est le problème du mouvement communiste tout entier.
Dans le domaine de la lutte pour la jeunesse, il est nécessaire que les Partis communistes et les organisations de Jeunesses communistes opèrent effectivement un tournant décisif. La tâche principale du mouvement communiste de la jeunesse dans les pays capitalistes est de marcher hardiment à la réalisation du front unique, à l’organisation et l’union de la jeune génération travailleuse.
Les exemples de la France et des Etats-Unis dans ces derniers temps montrent l’influence énorme qu’exercent sur le mouvement révolutionnaire de la jeunesse même les premiers pas qu’on fait dans cette voie. Dans ces pays, il a suffi de procéder à la réalisation du front unique pour enregistrer aussitôt des succès considérables.
Sous ce rapport, notre attention est légitimement retenue dans le domaine du front unique international par l’initiative couronnée de succès du comité parisien de lutte contre la guerre et le fascisme en vue de réaliser la collaboration internationale de toutes les organisations non fascistes de la jeunesse.
Ces démarches heureuses faites depuis quelque temps dans le mouvement du front unique des jeunes montrent aussi que les formes du front unique des jeunes ne doivent pas suivre un modèle stéréotypé; elles ne doivent pas être nécessairement les mêmes que celles qui sont pratiquées par les Partis communistes.
Les Fédérations de Jeunesses communistes doivent tendre par tous les moyens à l’union des forces de toutes les organisations de masse non fascistes de la jeunesse, en allant jusqu’à créer des organisations communes de toute sorte pour la lutte contre le fascisme, contre la privation inouïe de droits dont souffre la jeunesse et contre sa militarisation, pour les droits économiques et culturels de la jeune génération, pour le ralliement au front anti-fasciste de cette jeunesse où qu’elle soit: dans les entreprises, dans les camps de travail forcé, dans les Bourses du travail, dans les casernes et la flotte, dans les écoles ou les diverses organisations sportives, culturelles et autres.
En développant et en renforçant les Jeunesses communistes, nos jeunes communistes doivent travailler à la création d’associations antifascistes entre les Fédérations communistes et socialistes de jeunes sur la plate-forme de la lutte de classe.
Le front unique et les femmes.
Tout autant que dans le cas des jeunes, on a sous-estimé le travail parmi les femmes laborieuses, parmi les ouvrières, les chômeuses, les paysannes et les ménagères.
Et cependant, si le fascisme frustre les jeunes plus que tous les autres, il asservit la femme d’une façon particulièrement impitoyable et cynique, en se jouant des sentiments les plus douloureux de la mère, de la ménagère, de l’ouvrière seule dans la vie, qui vivent dans l’incertitude du lendemain. Le fascisme, jouant le rôle de bienfaiteur, jette de misérables aumônes à la famille affamée, pour chercher à étouffer ainsi l’amertume que provoque, surtout chez les femmes laborieuses, l’esclavage inouï que leur apporte le fascisme.
Il chasse les ouvrières de la production. Il expédie de force les jeunes filles nécessiteuses à la campagne, en les condamnant à devenir des domestiques sans salaire chez les koulaks et les propriétaires fonciers. Tout en promettant à la femme un foyer familial heureux, il la pousse, plus qu’aucun autre régime capitaliste, sur la voie de la prostitution.
Les communistes et, avant tout, nos femmes communistes, ne doivent pas oublier qu’il ne peut y avoir de lutte victorieuse contre le fascisme et contre la guerre sans l’intégration dans cette lutte des grandes masses féminines.
Or, pour arriver à cela, l’agitation seule ne suffit pas. En tenant compte de toute situation concrète, nous devons trouver la possibilité de mobiliser la masse des femmes travailleuses autour de leurs intérêts quotidiens et de leurs revendications, dans la lutte pour les revendications contre la vie chère, pour le relèvement des salaires sur la base du principe « à travail égal salaire égal », contre les licenciements en masse, contre toute manifestation de l’inégalité des femmes et de leur asservissement au fascisme.
Tout en visant à entraîner les femmes travailleuses dans le mouvement révolutionnaire, nous ne devons pas craindre dans ce but, là où il sera nécessaire, de créer aussi des organisations féminines distinctes.
Le préjugé d’après lequel il est nécessaire de liquider dans les pays capitalistes lés organisations féminines placées sous la direction des Partis communistes au nom de la lutte contre le “séparatisme féminin” dans le mouvement ouvrier, ce préjugé a bien souvent causé un grand préjudice.
Il importe de trouver les formes les plus simples, les plus souples, qui permettent d’établir le contact et la lutte commune des organisations féminines anti-guerrières et antifascistes révolutionnaires, social-démocrates et progressistes.
Nous devons coûte que coûte faire en sorte que les ouvrières et les femmes travailleuses luttent coude à coude avec leurs frères de classe dans les rangs du front unique de la classe ouvrière et du Front populaire antifasciste.
Le front unique anti-impérialiste.
Du fait de la situation internationale et intérieure modifiée, le problème du front unique antiimpérialiste acquiert une importance exceptionnelle dans tous les pays coloniaux et semi-coloniaux.
En formant un vaste front unique anti-impérialiste de lutte dans les colonies et les semi-colonies, il est avant tout nécessaire de tenir compte de la variété des conditions où se déroule la lutte antiimpérialiste des masses, du degré variable de maturité du mouvement de libération nationale, du rôle qu’y joue le prolétariat et de l’influence du Parti communiste sur les grandes masses.
La question se pose au Brésil d’une autre façon qu’aux Indes et en Chine, etc.
Au Brésil, le Parti communiste, qui a débuté justement dans le développement du front unique antiimpérialiste en créant l’Alliance de l’émancipation nationale doit consacrer tous ses efforts à élargir encore ce front, en y attirant, en premier lieu, les millions de paysans, en orientant les choses vers la création d’unités de l’armée révolutionnaire populaire dévouées jusqu’au bout à la révolution, et vers l’établissement du pouvoir de l’Alliance de l’émancipation nationale.
Aux Indes, les communistes doivent participer à toutes les actions anti-impérialistes de masse sans en excepter celles qui sont guidées par les nationaux-réformistes, les soutenir et les amplifier.
Tout en gardant leur indépendance en matière politique et d’organisations, ils doivent faire un travail actif à l’intérieur des organisations qui prennent part au congrès national de l’Inde, en contribuant à la cristallisation dans leur sein de l’aile nationale révolutionnaire, en vue de déployer dans la suite le mouvement de libération nationale des peuples de l’Inde contre l’impérialisme britannique.
En Chine, où le mouvement populaire a déjà abouti à la création de régions soviétiques sur une vaste étendue du pays et à l’organisation d’une puissante Armée rouge, l’attaque de brigandage lancée par l’impérialisme japonais et la trahison du gouvernement de Nankin ont mis en péril l’existence nationale du grand peuple chinois.
Seuls les Soviets chinois peuvent intervenir comme centre unificateur dans la lutte contre l’asservissement et le partage de la Chine par les impérialistes, comme centre unificateur destiné à rassembler toutes les forces anti-impérialistes pour la lutte nationale du peuple chinois.
C’est pourquoi nous approuvons l’initiative de notre courageux Parti communiste frère de Chine dans son travail pour réaliser le plus vaste front unique anti-impérialiste contre l’impérialisme japonais et ses agents chinois avec toutes les forces organisées qui existent sur le territoire de la Chine et qui sont prêtes à mener réellement la lutte pour le salut de leur pays et de leur peuple.
Je suis certain d’exprimer le sentiment et la pensée de tout notre congrès en déclarant: nous adressons un salut fraternel ardent, au nom du prolétariat révolutionnaire du monde entier, à tous les Soviets de Chine, au peuple révolutionnaire chinois.
Nous adressons un salut fraternel ardent à l’héroïque Armée rouge de Chine, éprouvée dans des milliers de batailles. Et nous assurons le peuple chinois de notre ferme résolution de soutenir sa lutte pour son affranchissement total de tous les rapaces impérialistes et de leurs agents chinois.
Le gouvernement de front unique.
Nous nous orientons résolument, hardiment vers le front unique de la classe ouvrière, et nous sommes prêts à le mettre en pratique avec tout l’esprit de suite nécessaire.
À la question de savoir si, sur le terrain du front unique, nous, communistes, pour préconisons seulement la lutte pour les revendications partielles, ou si nous sommes prêts à partager les responsabilités même au moment où il s’agira de former un gouvernement sur la base du front unique, nous répondrons, pleinement conscients de nos responsabilités: oui, nous envisageons l’éventualité d’une situation telle que la formation d’un gouvernement de front unique prolétarien ou de Front populaire antifasciste devienne non seulement possible, mais indispensable dans l’intérêt du prolétariat.
Et, dans ce cas, nous interviendrons sans aucune hésitation pour la formation d’un tel gouvernement.
Je ne parle pas ici du gouvernement qui peut être formé après la victoire de la révolution prolétarienne. Evidemment, la possibilité n’est pas exclue que, dans un pays quelconque, aussitôt après le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, un gouvernement soviétique puisse être formé sur la base d’un bloc gouvernemental du Parti communiste avec tel autre parti (ou son aile gauche) qui participe à la révolution.
On sait qu’après la Révolution d’Octobre, le Parti des bolchéviks russes vainqueur a fait aussi entrer dans la composition du gouvernement soviétique les représentants des socialistes révolutionnaires de gauche. Telle fut la partie du premier gouvernement soviétique constitué après la victoire de la Révolution d’Octobre.
Il ne s’agit pas d’un cas de ce genre, mais de la formation possible d’un gouvernement de front unique à la veille de la victoire de la révolution soviétique et avant cette victoire.
Qu’est-ce que ce gouvernement? Et dans quelle situation peut-il en être question?
C’est avant tout un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Ce doit être un gouvernement qui prend naissance comme fruit du mouvement de front unique et ne limite en aucune manière l’activité du Parti communiste et des organisations de masse de la classe ouvrière, mais, au contraire, prend des mesures résolues contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes.
Au moment propice, en s’appuyant sur le mouvement grandissant de front unique, le Parti communiste du pays donné interviendra pour la formation d’un tel gouvernement sur la base d’une plate-forme antifasciste déterminée.
Dans quelles conditions objectives la formation d’un tel gouvernement sera-t-elle possible? À cette question, on peut répondre sous la forme la plus générale: dans les conditions d’une crise politique, le jour où les classes régnantes ne sont plus en état de maîtriser le puissant essor du mouvement antifasciste de masse.
Mais ce n’est là que la perspective générale sans laquelle il ne sera guère possible en pratique de former un gouvernement de front unique. Seule, la présence de conditions particulières déterminées peut inscrire à l’ordre du jour la question de former ce gouvernement comme une tâche politiquement indispensable. Il me semble qu’en l’occurrence les conditions suivantes méritent la plus grande attention:
Premièrement, que l’appareil d’Etat de la bourgeoisie soit suffisamment désorganisé et paralysé, en sorte que la bourgeoisie ne puisse empêcher la formation d’un gouvernement de lutte contre la réaction et le fascisme.
Deuxièmement, que les grandes masses de travailleurs, et particulièrement les syndicats de masse, se dressent impétueusement contre le fascisme et la réaction, mais sans être encore prêtes à se soulever pour lutter sous la direction du Parti communiste pour la conquête du pouvoir soviétique.
Troisièmement, que la différenciation et l’évolution à gauche dans les rangs de la social-démocratie et des autres partis participant au front unique aient déjà abouti à ce résultat qu’une partie considérable d’entre eux exigent des mesures implacables contre les fascistes et les autres réactionnaires, luttent en commun avec les communistes contre le fascisme et interviennent ouvertement contre les éléments réactionnaires de leur propre Parti hostiles au communisme.
Quand et dans quels pays interviendra en fait une situation de ce genre, avec ces conditions données dans une mesure suffisante, c’est ce qu’on ne saurait dire à l’avance, mais une telle possibilité n’étant exclue dans aucun des pays capitalistes, nous devons en tenir compte, et non seulement nous orienter nous-mêmes vers elle et nous y préparer, mais orienter aussi en conséquence la classe ouvrière.
Si, d’une façon générale, nous mettons aujourd’hui cette question à l’étude, c’est évidemment en rapport avec notre appréciation de la situation et de la perspective de développement immédiat, comme avec le développement réel du mouvement de front unique dans une série de pays dans les derniers temps. Pendant plus de dix années, la situation dans les pays capitalistes a été telle que l’Internationale communiste n’avait pas à examiner des problèmes de ce genre.
Vous vous rappelez, qu’à notre IVe congrès, en 1922 et encore au Ve congrès en 1924, nous avons étudié le mot d’ordre du gouvernement ouvrier ou ouvrier et paysan.
En cela, il s’agissait primitivement, au fond, d’une question presque analogue à celle que nous posons aujourd’hui. Les débats qui s’engagèrent alors dans l’Internationale communiste autour de cette question et surtout, les fautes politiques commises dans ce domaine ont maintenant encore de l’importance pour accentuer notre vigilance contre le danger de dévier à droite ou à “gauche” de la ligne bolchévik dans cette question.
C’est pourquoi je signalerai brièvement certaines de ces fautes, afin d’en tirer les enseignements nécessaires pour la politique actuelle de nos Partis.
La première série de fautes résultait précisément du fait que la question du gouvernement ouvrier n’était pas rattachée clairement et fermement à l’existence d’une crise politique. Grâce à cette circonstance, les opportunistes de droite pouvaient interpréter les choses de façon à faire croire qu’il convient de viser à la formation d’un gouvernement ouvrier soutenu par le Parti communiste dans n’importe quelle situation, comme on dit: dans une situation “normale”.
Les ultra-gauches, au contraire, ne reconnaissaient que le gouvernement ouvrier susceptible d’être créé uniquement par le moyen de l’insurrection armée, après le renversement de la bourgeoisie.
L’un et l’autre points de vue étaient faux et c’est pourquoi, afin d’éviter la répétition de pareilles erreurs, nous mettons aujourd’hui si fortement l’accent sur le décompte exact des conditions concrètes particulières de la crise politique et de l’essor du mouvement de masse dans lesquelles la création d’un gouvernement de front unique peut s’avérer possible et politiquement indispensable.
La deuxième série de fautes résultait du fait que la question du gouvernement ouvrier n’était pas liée au développement d’un vaste mouvement combatif de front unique du prolétariat.
C’est pourquoi les opportunistes de droite avaient la possibilité de déformer la question en la ramenant à une tactique sans principe de blocage avec les Partis social-démocrates sur la base de combinaisons purement parlementaires. Les ultra-gauches, au contraire, criaient: « Aucune coalition avec la social-démocratie contrerévolutionnaire! » en considérant, par essence, tous les social-démocrates comme des contre-révolutionnaires.
L’un et l’autre points de vue étaient faux; et maintenant nous soulignons, d’une part, que nous ne voulons pas le moins du monde d’un “gouvernement ouvrier” qui soit purement et simplement un gouvernement social-démocrate élargi.
Nous préférons même renoncer à la dénomination de “gouvernement ouvrier” et nous parlons d’un gouvernement de front unique, qui, par son caractère politique, est tout à fait différent, différent en principe, de tous les gouvernements social-démocrates qui ont coutume de s’intituler “gouvernement ouvrier”.
Alors que le gouvernement social-démocrate représente une arme de la collaboration de classe avec la bourgeoisie dans l’intérêt de la conservation du régime capitaliste, le gouvernement de front unique est un organisme de collaboration de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat avec les autres partis antifascistes dans l’intérêt du peuple travailleur tout entier, un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction. Il est clair que ce sont là deux choses foncièrement différentes.
D’un autre côté, nous soulignons la nécessité de voir la différence qu’il y a entre les deux camps distincts de la social-démocratie.
Comme je l’ai déjà indiqué, il existe un camp réactionnaire de la social-démocratie, mais, en même temps, il existe et grandit un camp de social-démocrates de gauche (sans guillemets), d’ouvriers en train de devenir révolutionnaires. La différence décisive qu’il y a entre eux réside pratiquement dans leur attitude à l’égard du front unique de la classe ouvrière.
Les social-démocrates réactionnaires sont contre le front unique, ils calomnient le mouvement de front unique, ils le sabotent et le désagrègent, parce qu’il fait échec à leur politique de conciliation avec la bourgeoisie. Les social-démocrates de gauche sont pour le front unique; ils défendent, développent et renforcent le mouvement de front unique.
Ce mouvement de front unique étant un mouvement de combat contre le fascisme et la réaction, constituera une force motrice permanente poussant le gouvernement de front unique à la lutte contre la bourgeoisie réactionnaire.
Plus ce mouvement de masse se développera puissamment, et plus grande sera la force qu’il pourra mettre à la disposition du gouvernement pour combattre les réactionnaires. Mieux ce mouvement de masse sera organisé à la base, plus vaste sera le réseau des organismes de classe hors-parti du front unique dans les entreprises parmi les chômeurs, dans les quartiers ouvriers, parmi les petites gens de la ville et de la campagne, et plus on aura de garantie contre la dégénérescence possible de la politique du gouvernement de front unique.
La troisième série de points de vue erronés qui est apparue dans les débats précédents, concernait précisément la politique pratique du “gouvernement ouvrier”.
Les opportunistes de droite estimaient que le “gouvernement ouvrier” doit se tenir “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”; que, par conséquent, il ne doit entreprendre aucune démarche débordant de ce cadre. Les ultra-gauches, au contraire, se refusaient en fait à toute tentative de former un gouvernement de front unique.
En Saxe et en Thuringe, on a pu voir, en 1923, un tableau très édifiant de la pratique opportuniste de droite du “gouvernement ouvrier”. L’entrée des communistes dans le gouvernement de Saxe avec les social-démocrates de gauche (groupe de Zeigner) n’était pas une faute par elle-même; au contraire, la situation révolutionnaire de l’Allemagne justifiait pleinement cette démarche.
Mais, faisant partie du gouvernement, les communistes auraient dû utiliser leurs positions avant tout pour armer le prolétariat. Ils ne l’ont pas fait.
Ils n’ont pas même réquisitionné un seul des appartements des riches, bien que la pénurie de logements chez les ouvriers fût si grande que beaucoup d’entre eux, avec leurs enfants et leur femme, restaient sans abri.
Ils n’ont rien entrepris non plus pour organiser le mouvement révolutionnaire des masses ouvrières. Ils se conduisaient en général comme de vulgaires ministres parlementaires “dans le cadre de la démocratie bourgeoise”. C’était là le fruit, comme on le sait, de la politique opportuniste de Brandler et de ses partisans.
Il en est résulté une telle banqueroute que, maintenant encore, nous nous voyons obligés de nous référer au gouvernement de Saxe comme à un exemple classique de la façon dont les révolutionnaires ne doivent pas se conduire au gouvernement.
Nous exigeons de chaque gouvernement de front unique une tout autre politique. Nous exigeons de lui qu’il réalise des revendications révolutionnaires radicales, déterminées, répondant à la situation. Par exemple, le contrôle de la production, le contrôle des banques, la dissolution de la police, son remplacement par la milice ouvrière armée, etc.
Il y a quinze ans, Lénine nous appelait à concentrer toute notre attention sur la « recherche des formes de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne ».
Le gouvernement de front unique s’avérera peut-être, dans une série de pays, une des principales formes de transition. Les doctrinaires “de gauche” ont toujours passé outre à cette indication de Lénine; tels des propagandistes bornés, ils ne parlaient que du “but”, sans jamais se préoccuper des « formes de transition ».
Quant aux opportunistes de droite, ils tendaient à établir un certain “stade intermédiaire démocratique” entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat, pour inculquer aux ouvriers l’illusion d’une paisible promenade parlementaire d’une dictature à une autre. Ce “stade intermédiaire” fictif, ils l’intitulaient aussi “forme transitoire”, et ils se référaient même à Lénine!
Mais il n’était pas difficile de dévoiler cette filouterie; car Lénine parlait d’une forme de transition et de rapprochement conduisant à la “révolution prolétarienne”, c’est-à-dire au renversement de la dictature bourgeoise, et non pas d’on ne sait quelle forme de transition entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne.
Pourquoi Lénine attribuait-il une importance aussi considérable à la forme de transition conduisant à la révolution prolétarienne?
Parce qu’il avait en vue la « loi fondamentale de toutes les grandes révolutions« , la loi d’après laquelle la propagande et l’agitation seules ne peuvent remplacer pour les masses leur propre expérience politique, lorsqu’il s’agit de faire ranger véritablement les grandes masses de travailleurs aux côtés de l’avant-garde révolutionnaire, sans quoi la lutte victorieuse pour le pouvoir est impossible.
La faute ordinaire d’acabit gauchiste, c’est l’idée que, dès que surgit une crise politique (ou révolutionnaire), il suffit à la direction communiste de lancer le mot d’ordre de l’insurrection révolutionnaire pour que les grandes masses le suivent. Non, même quand il s’agit d’une crise de ce genre, les masses sont loin d’y être toujours préparées. Nous l’avons vu par l’exemple de l’Espagne.
Aider les masses innombrables à comprendre le plus vite possible, par leur propre expérience, ce qu’il leur faut faire, où trouver l’issue décisive, quel parti mérite leur confiance: voilà pourquoi sont nécessaires entre autres les mots d’ordre transitoires, ainsi que les « formes » particulières « de transition ou de rapprochement conduisant à la révolution prolétarienne ».
Sinon, les grandes masses populaires, soumises à l’influence des illusions et des traditions démocratiques petites-bourgeoises, peuvent, même en présence d’une situation révolutionnaire, hésiter, temporiser et errer sans trouver la voie de la révolution, ‑ pour tomber ensuite sous les coups des bourreaux fascistes.
C’est pourquoi nous envisageons la possibilité de former dans les conditions d’une crise politique, un gouvernement de front unique antifasciste. Dans la mesure où ce gouvernement engagera réellement la lutte contre les ennemis du peuple, accordera la liberté d’action à la classe ouvrière et au Parti communiste, nous, communistes, nous le soutiendrons par tous les moyens et, en soldats de la révolution, nous nous battrons en première ligne.
Mais nous le disons ouvertement aux masses: ce gouvernement-là ne peut pas apporter le salut définitif. Il n’est pas en mesure de renverser la domination de classe des exploiteurs, et c’est pourquoi il ne peut pas non plus écarter définitivement le danger de la contre-révolution fasciste. En conséquence, il est nécessaire de se préparer pour la révolution socialiste. Le salut ne viendra que du pouvoir soviétique, de lui seul!
En appréciant le développement actuel de la situation mondiale, nous voyons qu’une crise politique mûrit dans tout un ensemble de pays. Et c’est là ce qui détermine la haute actualité et la haute importance de la ferme résolution prise par notre congrès sur la question du gouvernement de front unique.
Si nos Partis savent utiliser, à la manière bolchévik, la possibilité de former un gouvernement de front unique, la lutte autour de sa formation, de même que l’exercice du pouvoir par un tel gouvernement, pour la préparation révolutionnaire des masses, on aura là, également, la meilleure justification politique de notre orientation vers la création d’un gouvernement de front unique.
La lutte idéologique contre le fascisme.
Un des côtés les plus faibles de la lutte antifasciste de nos Partis consiste en ce qu’ils ne réagissent pas suffisamment et en temps opportun à la démagogie du fascisme et continuent jusqu’à présent à considérer avec dédain les questions de la lutte contre l’idéologie fasciste.
Beaucoup de camarades ne croyaient pas qu’une variété de l’idéologie bourgeoise aussi réactionnaire que l’idéologie du fascisme, arrivant dans son absurdité bien souvent jusqu’à la démence, fût, en général, capable de conquérir une influence de masse. Ce fut une grande faute.
La décomposition très avancée du capitalisme pénètre jusqu’au coeur même de son idéologie et de sa culture, et la situation désespérée des grandes masses populaires rend certaines de leurs couches sujettes à la contagion des déchets idéologiques de cette décomposition.
Cette force de contagion idéologique que possède le fascisme nous ne devons en aucun cas la sous-estimer. Nous devons, au contraire, pour notre part, déployer une ample lutte idéologique sur la base d’une argumentation claire, populaire et d’une attitude juste et bien réfléchie à l’égard de la psychologie nationale particulière des masses populaires.
Les fascistes fouillent dans toute l’histoire de chaque peuple pour se présenter comme les héritiers et les continuateurs de tout ce qu’il y a eu de sublime et d’héroïque dans son passé; tout ce qu’il y a eu d’humiliant et d’injurieux pour les sentiments nationaux du peuple, ils s’en servent comme d’une arme contre les ennemis du fascisme.
En Allemagne, on édite des centaines de livres n’ayant qu’un seul but: falsifier à la manière fasciste l’histoire du peuple allemand.
Les historiens nationaux-socialistes frais émoulus s’efforcent de représenter l’histoire de l’Allemagne de façon à faire croire que, en vertu d’on ne sait quelle “continuité historique”, on voit courir tout au long de deux mille années, comme un fil rouge, une ligne de développement qui a abouti à l’apparition sur la scène historique du “sauveur” national, du “Messie” du peuple allemand le “caporal” bien connu d’origine autrichienne!
Dans ces livres, on représente les plus grandes personnalités du peuple allemand, dans le passé, comme fascistes, et les grands mouvements paysans comme les précurseurs directs du mouvement fasciste.
Mussolini s’applique de toutes ses forces à se constituer un capital politique avec la figure héroïque de Garibaldi. Les fascistes français mettent en avant Jeanne d’Arc comme leur héroïne.
Les fascistes américains en appellent aux traditions des guerres américaines de l’indépendance, aux traditions de Washington, de Lincoln. Les fascistes bulgares utilisent le mouvement d’émancipation nationale de 1870‑1880 et ses héros populaires favoris Vassil Levskoï, Stefan Karadj, etc.
Les communistes qui estiment que tout cela n’intéresse pas la cause de la classe ouvrière, qui ne font rien pour éclairer de façon juste, au point de vue historique, dans le véritable sens marxiste, léniniste-marxiste, léniniste-staliniste, les masses travailleuses sur le passé de leur propre peuple, pour rattacher sa lutte actuelle à ses traditions et à son passé révolutionnaire, ces communistes abandonnent volontairement aux falsificateurs fascistes tout ce qu’il y a de précieux dans le passé historique de la nation, pour berner les masses populaires.
Non! nous sommes intéressés dans chaque question importante, non seulement du présent et de l’avenir, mais aussi du passé de notre propre peuple. Car nous, communistes, n’appliquons pas une politique étroite faite des intérêts corporatifs des ouvriers.
Nous ne sommes pas les hommes bornés des trade-unions ou les dirigeants de guildes médiévales d’artisans et de compagnons.
Nous sommes les représentants des intérêts de classe de la classe la plus importante, la plus grande de la société moderne, de la classe ouvrière appelée à affranchir l’humanité des tortures du régime capitaliste, de la classe qui, sur un sixième du globe, a déjà renversé le joug du capitalisme, et est la classe régnante. Nous défendons les intérêts vitaux de toutes les couches travailleuses exploitées, c’est-à-dire de la majorité écrasante du peuple dans n’importe quel pays capitaliste.
Nous, communistes, nous sommes les irréconciliables adversaires de principe du nationalisme bourgeois sous toutes ses formes. Mais nous ne sommes pas les partisans du nihilisme national, et ne devons jamais nous affirmer comme tels. Le problème de l’éducation des ouvriers et de tous les travailleurs dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien est une des tâches fondamentales de tout Parti communiste.
Mais quiconque pense que cela lui permet de cracher, et même l’oblige à cracher sur tous les sentiments nationaux des grandes masses travailleuses, est loin du bolchévisme authentique, il n’a rien compris à la doctrine de Lénine et de Staline dans la question nationale.
Lénine qui a toujours combattu, résolument et avec esprit de suite, le nationalisme bourgeois, nous a donné un exemple de la façon juste dont il convient d’aborder le problème des sentiments nationaux, dans son article: De la fierté nationale des Grands-Russes, écrit en 1914. Voici ce qu’il écrivait[17]:
Le sentiment de fierté nationale nous est-il étranger, à nous, prolétaires grand-russes conscients? Evidemment non.
Nous aimons notre langue et notre patrie; ce à quoi nous travaillons le plus c’est à élever ses masses laborieuses (c’est-à-dire les 9/10 de sa population) à la vie consciente de démocrates et de socialistes. Le plus pénible pour nous, c’est de voir et de sentir quelles violences, quelle oppression et quelles vexations les bourreaux tsaristes, les nobles et les capitalistes font subir à notre belle patrie.
Nous sommes fiers que ces violences aient provoqué des résistances dans notre milieu, dans le milieu des Grand‑Russes; que ce milieu ait produit Radichtchev, les décembristes, les révolutionnaires roturiers de 1870‑1880; que la classe ouvrière grand-russe ait créé en 1905 un puissant parti révolutionnaire de masse…
Nous sommes tout pénétrés d’un sentiment de fierté nationale: la nation grand-russe a créé, elle aussi, une classe révolutionnaire, elle aussi a prouvé qu’elle est capable de fournir à l’humanité de grands exemples de lutte pour la liberté et pour le socialisme, et pas simplement de grands pogroms, des rangées de potences, des cachots, de grandes famines et une grande servilité devant les popes, les tsars, les propriétaires fonciers et les capitalistes.
Nous sommes tout pénétrés d’un sentiment de fierté nationale, et c’est pourquoi nous haïssons tant notre passé d’esclaves… et notre présent d’esclaves, quand ces mêmes propriétaires, secondés par les capitalistes, nous mènent à la guerre pour étrangler la Pologne et l’Ukraine, écraser le mouvement démocratique en Perse et en Chine, renforcer la clique des Romanov, des Bobrinski, des Pourichkévitch, qui déshonorent notre dignité nationale de Grand-Russes.
Voilà ce que Lénine écrivait à propos de la fierté nationale.
Je pense, camarades, ne pas avoir agi incorrectement au procès de Leipzig lorsque, les fascistes ayant tenté de calomnier le peuple bulgare en le traitant de peuple barbare, j’ai pris la défense de l’honneur national des masses travailleuses de ce peuple qui lutte avec abnégation contre les usurpateurs fascistes, ces véritables barbares et sauvages et lorsque j’ai déclaré que je n’ai aucune raison d’avoir honte d’être Bulgare et qu’au contraire je suis fier d’être le fils de l’héroïque classe ouvrière bulgare.
L’internationalisme prolétarien doit, pour ainsi dire, « s’acclimater » dans chaque pays pour prendre profondément racine en terre natale.
Les formes nationales de la lutte prolétarienne de classe et du mouvement ouvrier des différents pays ne contredisent pas l’internationalisme prolétarien; au contraire, c’est justement sous ces formes que l’on peut défendre avec succès les intérêts internationaux du prolétariat eux aussi.
Il va de soi qu’il est nécessaire, toujours et partout, de dénoncer et de prouver concrètement aux masses que, sous prétexte de défendre les intérêts de la nation en général, la bourgeoisie fasciste réalise sa politique égoïste d’oppression et d’exploitation de son propre peuple, de même que sa politique de pillage et d’asservissement des autres peuples. Mais on ne saurait s’en tenir là.
Il est nécessaire, en même temps, par la lutte même de la classe ouvrière et les interventions des Partis communistes, de montrer que le prolétariat, qui s’insurge contre tout genre d’asservissement et d’oppression nationale, est le véritable et l’unique champion de la liberté nationale et de l’indépendance du peuple.
Les intérêts de la lutte de classe du prolétariat contre les exploiteurs et les oppresseurs à l’intérieur du pays ne contredisent pas les intérêts de l’avenir libre et heureux de la nation.
Au contraire: la révolution socialiste signifiera le salut de la nation et lui ouvrira la voie d’un plus grand essor.
Du fait que la classe ouvrière édifie actuellement ses organisations de classe et fortifie ses positions, qu’elle défend contre le fascisme les droits démocratiques et la liberté, qu’elle lutte pour le renversement du capitalisme, de ce fait même, elle lutte pour cet avenir de la nation.
Le prolétariat révolutionnaire lutte pour la sauvegarde de la culture du peuple, pour la libérer des chaînes du Capital monopoliste en décomposition, du fascisme barbare qui lui fait violence.
Seule, la révolution prolétarienne peut conjurer la mort de la culture, l’élever à un épanouissement supérieur en tant que culture populaire véritable, nationale par sa forme et socialiste par son contenu, ce que nous voyons se réaliser de nos propres yeux sous la direction de Staline dans l’Union des Républiques soviétiques socialistes.
L’internationalisme prolétarien non seulement ne contredit pas cette lutte des travailleurs des différents pays pour la liberté nationale, sociale et culturelle, mais encore il garantit, grâce à la solidarité prolétarienne internationale et à l’unité de combat, le soutien nécessaire pour la victoire dans cette lutte.
C’est seulement en union étroite avec le prolétariat vainqueur de la grande Union soviétique que la classe ouvrière des pays capitalistes peut vaincre. Seulement en luttant la main dans la main avec le prolétariat des pays impérialistes que les peuples coloniaux et les minorités nationales opprimées peuvent obtenir leur affranchissement.
C’est seulement par l’union révolutionnaire de la classe ouvrière des pays impérialistes avec le mouvement d’émancipation nationale des colonies et des pays dépendants que passe le chemin de la victoire de la révolution prolétarienne dans les pays impérialistes, car, selon l’enseignement de Marx, « un peuple qui en opprime d’autres, ne saurait être libre ».
Les communistes appartenant à une nation opprimée, dépendante, ne sauraient se dresser avec succès contre le chauvinisme dans les rangs de leur nation, s’ils ne montrent pas en même temps, dans la pratique du mouvement de masse, qu’ils luttent en fait pour l’affranchissement de leur nation du joug étranger.
D’autre part, les communistes de la nation qui opprime ne peuvent faire le nécessaire pour éduquer les masses travailleuses de leur nation dans l’esprit de l’internationalisme, sans mener une lutte résolue contre la politique d’oppression de leur “propre” bourgeoisie, pour le droit des nations, asservies par elle, à disposer entièrement de leur sort. S’ils ne le font pas, ils n’aideront pas les travailleurs de la nation opprimée à surmonter leurs préjugés nationalistes.
C’est seulement si nous agissons dans ce sens, c’est seulement si dans tout notre travail de masse nous montrons de façon convaincante que nous sommes affranchis du nihilisme national aussi bien que du nationalisme bourgeois, que nous pourrons mener réellement et avec succès la lutte contre la démagogie chauvine des fascistes.
Voilà pourquoi l’application juste et concrète de la politique nationale léniniste-staliniste est importante. Il y a là une condition absolument indispensable du succès de la lutte contre le chauvinisme, principal instrument de l’action idéologique des fascistes sur les masses.
III. Le renforcement des Partis communistes et la lutte pour l’unité politique du prolétariat
Dans la lutte pour l’établissement du front unique, l’importance du rôle dirigeant du Parti communiste s’accroît dans une mesure extraordinaire. Dans le fond, seul le Parti communiste est l’initiateur, l’organisateur, la force motrice du front unique de la classe ouvrière.
Les Partis communistes ne peuvent assurer la mobilisation des grandes masses de travailleurs pour la lutte commune contre le fascisme et l’offensive du Capital qu’à la condition de renforcer dans tous les domaines leurs propres rangs, de développer leur initiative, d’appliquer la politique marxiste-léniniste et la tactique juste, souple, qui tient compte de la situation concrète et de la répartition des forces de classe.
Le renforcement des Partis communistes.
Dans la période comprise entre le VIe et le VIIe congrès, nos Partis, dans les pays capitalistes, se sont incontestablement accrus et considérablement trempés. Mais ce serait une dangereuse erreur que de s’en tenir là. Plus le front unique de la classe ouvrière s’élargira, et plus nombreuses seront les tâches nouvelles, compliquées, qui se poseront à nous, plus il nous faudra travailler au renforcement politique et organique de nos Partis.
Le front unique du prolétariat pousse en avant une armée d’ouvriers qui pourra s’acquitter de sa mission à condition qu’à la tête de cette armée, il y ait une force dirigeante, lui montrant les buts et les voies. Cette force dirigeante ne peut être qu’un solide parti révolutionnaire prolétarien.
Lorsque nous communistes, nous faisons tous nos efforts pour établir le front unique, nous ne le faisons pas du point de vue étroit du recrutement de nouveaux adhérents aux Partis communistes.
Mais nous devons renforcer les Partis communistes dans tous les domaines de leur activité et augmenter leurs effectifs précisément parce que nous désirons sérieusement renforcer le front unique. Le renforcement des Partis communistes ne représente pas un étroit intérêt de parti, mais l’intérêt de la classe ouvrière tout entière.
L’unité, la cohésion révolutionnaire et la combativité des Partis communistes, c’est un capital des plus précieux qui n’appartient pas à nous seulement, mais à toute la classe ouvrière.
Notre empressement à marcher en commun avec les Partis et les organisations social-démocrates dans la lutte contre le fascisme, nous l’avons combiné et le combinerons avec une lutte irréconciliable contre le social-démocratisme en tant qu’idéologie et pratique de conciliation avec la bourgeoisie et, partant, contre toute pénétration de cette idéologie dans nos propres rangs.
En réalisant avec courage et décision la politique de front unique, nous rencontrons dans nos propres rangs des obstacles qu’il nous est nécessaire d’écarter coûte que coûte dans le plus bref délai possible.
Après le VIe congrès de l’Internationale communiste, une lutte a été réalisée avec succès dans tous les Partis communistes des pays capitalistes contre les tendances à l’adaptation opportuniste aux conditions de la stabilisation capitaliste et contre la contagion des illusions réformistes et légalistes.
Nos Partis ont épuré leurs rangs des opportunistes de droite de tout genre, renforçant ainsi leur unité bolchévik et leur combativité. La lutte contre le sectarisme fut menée avec moins de succès et, fréquemment, elle ne le fut pas du tout. Le sectarisme se manifestait non plus dans les formes primitives, déclarées, comme aux premières années d’existence de l’Internationale communiste, mais c’est en se masquant de la reconnaissance formelle des thèses bolchéviks qu’il freinait le déploiement de la politique bolchévik de masse.
À notre époque, bien souvent, ce n’est plus une maladie infantile, comme écrivait Lénine, mais un vice enraciné; sans se débarrasser de ce vice, il est impossible de résoudre le problème, de la réalisation du front unique du prolétariat et de faire passer les masses des positions du réformisme au côté de la révolution.
Dans la situation actuelle, c’est le sectarisme, le sectarisme plein de suffisance, comme nous le qualifions dans le projet de résolution, qui entrave avant tout notre lutte pour la réalisation du front unique, ‑ le sectarisme satisfait de son esprit doctrinaire borné, de son isolement de la vie réelle des masses, content de ses méthodes simplifiées de solution des problèmes les plus complexes du mouvement ouvrier sur la base de schémas stéréotypés, ‑ le sectarisme qui prétend à l’omniscience et estime superflu de se mettre à l’école des masses, de s’assimiler les leçons du mouvement ouvrier.
En un mot, le sectarisme qui, comme on dit, ne doute de rien. Le sectarisme plein de suffisance ne veut ni ne peut comprendre que la direction de la classe ouvrière par le Parti communiste ne s’obtient pas automatiquement. Le rôle dirigeant du Parti communiste dans les batailles de la classe ouvrière doit être conquis.
Pour cela, il ne s’agit pas de déclamer sur le rôle dirigeant des communistes, mais, par un travail de masse quotidien et par une juste politique, de mériter, de conquérir la confiance des masses ouvrières. Cela n’est possible que si nous, communistes, tenons sérieusement compte dans notre travail politique du niveau réel de la conscience de classe des masses, de leur degré de maturation révolutionnaire; si nous apprécions sainement la situation concrète non pas sur la base de nos désirs, mais sur la base de ce qui est en réalité.
Nous devons patiemment, pas à pas, faciliter aux grandes masses leur passage sur les positions du communisme. Nous ne devons jamais oublier les paroles de Lénine, quand il nous avertissait avec toute l’énergie voulue, qu'[18]
il s’agit précisément de ne pas croire que ce qui a fait son temps pour nous, a fait son temps pour toute une classe, pour la masse.
Sont-ils aujourd’hui peu nombreux dans nos rangs, les éléments doctrinaires qui, dans la politique de front unique, ne flairent partout et toujours que des dangers?
Pour ces camarades, tout le front unique n’est que danger. Mais cet “esprit de principe” sectaire n’est rien autre que de l’impuissance politique devant les difficultés de la direction immédiate de la lutte des masses.
Le sectarisme s’exprime en particulier par la surestimation de la maturation révolutionnaire des masses, par la surestimation du rythme sur lequel elles abandonnent les positions du réformisme, par les tentatives de brûler les étapes difficiles et de passer outre aux tâches compliquées du mouvement. Les méthodes de direction des masses étaient fréquemment remplacées, dans la pratique, par les méthodes de direction d’un étroit groupe de Parti.
On sous-estimait la force de liaison traditionnelle des masses avec leurs organisations et leurs directions; et lorsque les masses ne rompaient pas brusquement ces liaisons, on adoptait à leur égard une attitude aussi tranchée qu’à l’égard de leurs dirigeants réactionnaires.
On standardisait la tactique et les mots d’ordre pour tous les pays; on ne tenait pas compte des particularités de la situation concrète dans chaque pays pris à part.
On méconnaissait la nécessité de mener une lutte opiniâtre au plus profond de la masse elle-même pour conquérir la confiance des masses; on dédaignait la lutte pour les revendications partielles des ouvriers ainsi que le travail dans les syndicats réformistes et les organisations fascistes de masse. À la politique de front unique, on substituait fréquemment des appels sans lendemain et une propagande abstraite.
Les façons sectaires de poser les questions ne gênaient pas moins le choix judicieux des hommes, l’éducation et la formation de cadres liés aux masses et jouissant de leur confiance, de cadres fermes au point de vue révolutionnaire et éprouvés dans les batailles de classe, sachant combiner l’expérience pratique du travail de masse avec la fermeté de principe d’un bolchévik.
Ainsi, le sectarisme ralentissait dans une notable mesura la croissance des Partis communistes, entravait la réalisation d’une véritable politique de masse, empêchait d’utiliser les difficultés de l’ennemi de classe pour renforcer les positions du mouvement révolutionnaire, gênait les efforts pour faire passer les grandes masses prolétariennes aux côtés des Partis communistes.
En luttant de la façon la plus résolue pour déraciner et surmonter les derniers restes du sectarisme plein de suffisance, nous devons renforcer par tous les moyens notre vigilance et notre lutte à l’égard de l’opportunisme de droite et contre toutes ses manifestations concrètes, sans perdre de vue que le danger qu’il représente s’accroîtra au fur et à mesure du déploiement d’un vaste front unique. Il existe déjà des tendances consistant à rabaisser le rôle du Parti communiste dans les rangs du front unique et à se réconcilier avec l’idéologie social-démocrate.
Il ne faut pas perdre de vue que la tactique du front unique est une méthode qui consiste à persuader pratiquement les ouvriers social-démocrates de la justesse de la politique communiste et de la fausseté de la politique réformiste, et non pas à se réconcilier avec l’idéologie et la pratique social-démocrates.
Le succès de la lutte pour l’établissement du front unique exige de toute nécessité une lutte constante dans nos rangs contre la tendance à ravaler le rôle eu Parti, contre les illusions légalistes, contre l’orientation vers la spontanéité et l’automatisme tant en ce qui concerne la liquidation du fascisme qu’en ce qui concerne la réalisation du front unique, contre les moindres hésitations au moment de l’action résolue.
Il est nécessaire, nous enseigne Staline [19], que le Parti sache, dans son travail, combiner l’esprit de principe le plus élevé (ne pas le confondre avec le sectarisme), avec le maximum de liaison et de contact avec les masses (ne pas confondre avec le suivisme!), sans quoi il est impossible au Parti, non seulement d’instruire les masses, mais aussi de l’instruire auprès d’elles, non seulement de guider les masses et de les élever jusqu’au niveau du Parti, mais aussi de prêter l’oreille à la voix des masses et de deviner leurs besoins urgents.
L’unité politique de la classe ouvrière.
Le développement du front unique de lutte commune des ouvriers communistes et social-démocrates contre le fascisme et l’offensive du Capital pose également le problème de l’unité politique, du parti politique de masse unique de la classe ouvrière.
Les ouvriers social-démocrates se convainquent de plus en plus par leur expérience que la lutte contre l’ennemi de classe exige une direction politique unique, car la dualité en matière de direction entrave le développement ultérieur et le renforcement de la lutte unique de la classe ouvrière.
Les intérêts de la lutte de classe du prolétariat et le succès de la révolution prolétarienne dictent la nécessité d’avoir dans chaque pays un parti unique du prolétariat. Y parvenir, évidemment, n’est pas si facile, ni si simple. Cela exigera un travail et une lutte opiniâtres et cela constituera nécessairement un processus plus ou moins prolongé.
Les Partis communistes doivent, en s’appuyant sur la tendance grandissante des ouvriers à l’unification avec les Partis communistes des Partis social-démocrates ou d’organisations isolées, prendre avec fermeté et assurance l’initiative de cette oeuvre d’unification.
L’unification des forces de la classe ouvrière en un parti prolétarien révolutionnaire unique au moment où le mouvement ouvrier international entre dans la période de liquidation de la scission, c’est notre oeuvre, c’est l’oeuvre de l’Internationale communiste.
Mais si, pour établir le front unique des Partis communistes et social-démocrates, il suffit d’un accord sur la lutte contre le fascisme, l’offensive du Capital et la guerre, la réalisation de l’unité politique n’est possible que sur la base d’une série de conditions déterminées ayant un caractère de principe.
Cette unification n’est possible, premièrement, qu’à la condition d’une complète indépendance à l’égard de la bourgeoisie et d’une rupture totale du bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie.
Deuxièmement, à la condition que l’unité d’action soit réalisée au préalable.
Troisièmement, à la condition que soit reconnue la nécessité du renversement révolutionnaire de la domination de la bourgeoisie et de l’instauration de la dictature du prolétariat sous forme de Soviets.
Quatrièmement, à la condition de refuser de soutenir sa bourgeoisie dans la guerre impérialiste.
Cinquièmement, à la condition de construire le Parti sur la base du centralisme démocratique, garantissant l’unité de volonté et d’action, et vérifié par l’expérience des bolchéviks russes.
Nous devons expliquer aux ouvriers social-démocrates, patiemment et en toute camaraderie, pourquoi, à défaut de ces conditions, l’unité politique de la classe ouvrière est impossible. Nous devons, en commun avec eux, étudier la signification et l’importance de ces conditions.
Pourquoi la complète indépendance à l’égard de la bourgeoisie et la rupture du bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie sont-elles nécessaires à la réalisation de l’unité politique du prolétariat?
Parce que toute l’expérience du mouvement ouvrier et, notamment, l’expérience des quinze années de politique de coalition en Allemagne, ont montré que la politique de collaboration de classes, la politique de dépendance à l’égard de la bourgeoisie conduit à la défaite de la classe ouvrière et à la victoire du fascisme.
Et, seule, la voie de la lutte de classe irréconciliable contre la bourgeoisie, la voie des bolchéviks est la voie sûre de la victoire.
Pourquoi l’établissement de l’unité d’action doit-elle être la condition préalable de l’unité politique?
Parce que l’unité d’action pour repousser l’offensive du Capital et du fascisme est possible et nécessaire avant même que la majorité des ouvriers s’unisse sur la plateforme politique commune de renversement du capitalisme, et parce que l’élaboration de l’unité d’opinion sur les voies fondamentales et les buts de la lutte du prolétariat, sans laquelle l’unification des Partis est impossible, exige un temps plus ou moins prolongé.
Or, l’unité d’opinion s’élabore au mieux dans la lutte commune contre l’ennemi de classe, dès aujourd’hui. Proposer au lieu du front unique l’unification immédiate, c’est mettre la charrue avant les boeufs et croire que la charrue ira de l’avant.
C’est précisément parce que la question de l’unité politique n’est pas une manoeuvre pour nous, comme elle l’est pour beaucoup de chefs social-démocrates, que nous insistons sur la réalisation de l’unité d’action, comme une des étapes essentielles dans la lutte pour l’unité politique.
Pourquoi est-il nécessaire de reconnaître le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie et l’établissement de la dictature du prolétariat sous la forme du pouvoir des Soviets?
Parce que l’expérience de la victoire de la grande Révolution d’Octobre, d’une part, et, de l’autre, les amères leçons d’Allemagne, d’Autriche et d’Espagne pour toute la période d’après-guerre ont confirmé une fois de plus que la victoire du prolétariat n’est possible que par le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, et que celle-ci noiera le mouvement ouvrier dans une mer de sang plutôt que de permettre au prolétariat d’instaurer le socialisme par la voie pacifique.
L’expérience de la Révolution d’Octobre a montré de toute évidence que le contenu fondamental de la révolution prolétarienne est le problème de la dictature du prolétariat, appelée à écraser la résistance des exploiteurs une fois qu’ils sont renversés, à armer la révolution pour la lutte contre l’impérialisme et à conduire la révolution jusqu’à la victoire complète du socialisme.
Pour réaliser la dictature du prolétariat, comme dictature exercée par la majorité écrasante sur une infime minorité, sur les exploiteurs, ‑ et elle ne peut être réalisée que comme telle, ‑ il est nécessaire d’avoir des Soviets englobant toutes les couches de la classe ouvrière, les masses fondamentales de la paysannerie et des autres travailleurs, dont l’éveil, dont l’intégration au front de la lutte révolutionnaire sont indispensables pour la consolidation de la victoire du prolétariat.
Pourquoi le refus de soutenir la bourgeoisie dans la guerre impérialiste est-il une condition de l’unité politique?
Parce que la bourgeoisie fait la guerre impérialiste dans ses buts de spoliation, contre les intérêts de la majorité écrasante des peuples, sous quelque prétexte que cette guerre soit faite.
Parce que tous les impérialistes combinent avec la préparation fiévreuse de la guerre un renforcement extrême de l’exploitation et de l’oppression des travailleurs à l’intérieur du pays. Soutenir la bourgeoisie dans une telle guerre, c’est trahir les intérêts du pays et la classe ouvrière internationale.
Pourquoi, enfin, la construction du Parti sur la base du centralisme démocratique est-elle une condition de l’unité?
Parce que, seul, un parti construit sur la base du centralisme démocratique peut garantir l’unité de volonté et d’action, peut conduire le prolétariat à la victoire sur la bourgeoisie, qui dispose d’une arme aussi puissante que l’appareil d’État centralisé.
L’application du principe du centralisme démocratique a subi une brillante épreuve historique dans l’expérience du Parti bolchévik russe, du Parti de Lénine-Staline. Oui, nous sommes pour un parti politique de masse unique de la classe ouvrière. Mais de là la nécessité, comme dit Staline[20],
d’un parti combatif, d’un parti révolutionnaire assez courageux pour mener les prolétaires à la lutte pour le pouvoir, assez expérimenté pour se reconnaître dans les conditions complexes d’une situation révolutionnaire, et assez souple pour contourner les écueils de toutes sortes sur le chemin conduisant au but.
Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre pour base les conditions ci-dessus dans nos efforts pour réaliser l’unité politique.
Nous sommes pour l’unité politique de la classe ouvrière! Et c’est pourquoi nous sommes prêts à collaborer de la façon la plus étroite avec tous les social-démocrates qui s’affirment pour le front unique et soutiennent sincèrement l’unification sur les bases indiquées.
Mais justement parce que nous sommes pour l’unification, nous lutterons résolument contre tous les démagogues “de gauche” qui tentent d’utiliser la déception des ouvriers social-démocrates pour créer de nouveaux Partis socialistes ou de nouvelles Internationales qui sont dirigés contre le mouvement communiste et ainsi approfondissent la scission de la classe ouvrière.
Nous saluons la tendance au front unique avec les communistes, qui grandit parmi les ouvriers social-démocrates. Nous y voyons le développement de leur conscience révolutionnaire et le début de la liquidation de la scission de la classe ouvrière.
Estimant que l’unité d’action est une nécessité impérieuse et qu’elle est le chemin le plus sûr pour réaliser l’unité politique du prolétariat, nous déclarons que l’Internationale communiste et ses sections sont prêtes à entrer en pourparlers avec la IIe Internationale et ses sections en vue d’établir l’unité de la classe ouvrière doits la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la menace d’une guerre impérialiste.
Conclusion.
Je termine mon rapport. Comme vous voyez, en tenant compte des changements intervenus dans la situation depuis le VIe congrès et des leçons de notre lutte et en nous appuyant sur le degré de consolidation déjà atteint par nos Partis, nous posons aujourd’hui d’une manière nouvelle une série de questions, et, en premier lieu, la question du front unique et de la façon d’aborder la social-démocratie, les syndicats réformistes et les autres organisations de masse.
Il est des sages qui croient entrevoir dans tout cela un recul de nos positions de principe, un certain tournant à droite par rapport à la ligne du bolchévisme. Que voulez-vous! Chez nous, en Bulgarie, on dit qu’une poule affamée rêve toujours de millet.
Laissons les poules politiques penser ce qu’il leur plaît.
Cela nous intéresse fort peu. Ce qui est important pour nous c’est que nos propres Partis et les grandes masses du monde entier comprennent de façon juste ce que nous voulons obtenir.
Nous ne serions pas des marxistes révolutionnaires, des léninistes, de dignes disciples de Marx- Engels-Lénine-Staline, si, en fonction d’une situation modifiée et des déploiements opérés dans le mouvement ouvrier mondial, nous ne remaniions pas de façon appropriée, notre politique et notre tactique.
Nous ne serions pas de véritables révolutionnaires si nous ne nous instruisions pas par notre propre expérience et par l’expérience des masses.
Nous voulons que nos Partis, dans les pays capitalistes, interviennent et agissent comme de véritables partis politiques de la classe ouvrière; qu’ils jouent effectivement le rôle de facteur politique dans la vie de leur pays; qu’ils appliquent toujours une politique bolchévik active de masse, au lieu de se borner à la seule propagande, à la critique et aux seuls appels à la lutte pour la dictature du prolétariat.
Nous sommes les ennemis de tout schématisme. Nous voulons tenir compte de la situation concrète à chaque moment et dans chaque endroit donné, ne pas agir partout et toujours d’après un cliché arrêté, et ne pas oublier que dans des conditions différentes la position des communistes ne peut être identique.
Nous voulons tenir compte à tête reposée de toutes les étapes dans le déploiement de la lutte de classe et dans le développement de la conscience de classe des masses elles-mêmes, savoir trouver et résoudre à chaque étape les tâches concrètes du mouvement révolutionnaire qui correspondent à cette étape.
Nous voulons trouver une langue commune avec les plus grandes masses en vue de la lutte contre l’ennemi de classe; trouver les voies et moyens de surmonter définitivement l’isolement de l’avant-garde révolutionnaire par rapport aux masses du prolétariat et de tous les travailleurs, comme de surmonter l’isolement fatal de la classe ouvrière elle-même par rapport à ses alliés naturels dans la lutte contre la bourgeoisie, contre le fascisme.
Nous voulons entraîner des masses toujours plus considérables dans la lutte de classe révolutionnaire et les conduire à la révolution prolétarienne, en partant de leurs intérêts et de leurs besoins brûlants et sur la base de leur propre expérience.
Nous voulons, à l’exemple de nos glorieux bolchéviks russes, à l’exemple du Parti dirigeant de l’Internationale communiste, du Parti communiste de l’Union soviétique, combiner héroïsme révolutionnaire des communistes allemands, espagnols, autrichiens et autres avec un réalisme révolutionnaire authentique, et en finir avec les derniers restes du remue-ménage scolastique autour des graves problèmes politiques.
Nous voulons armer nos Partis dans tous les domaines en vue de la solution des tâches politiques complexes qui sont posées devant eux. À cet effet, il faut élever toujours plus haut leur niveau théorique, les éduquer dans l’esprit d’un marxisme-léninisme vivant, et non d’un doctrinarisme mort.
Nous voulons déraciner de nos rangs le sectarisme plein de suffisance qui, en premier lieu, nous barre la route des masses et empêche la réalisation d’une authentique politique bolchévik de masse.
Nous voulons renforcer par tous les moyens la lutte contre toutes les manifestations concrètes de l’opportunisme de droite, en tenant compte du fait que, de ce côté, le danger grandira justement au cours de la réalisation pratique de notre politique et de notre lutte de masse.
Nous voulons que, dans chaque pays, les communistes tirent en temps opportun et utilisent tous les enseignements de leur propre expérience, en tant qu’avant-garde révolutionnaire du prolétariat.
Nous voulons qu’ils apprennent au plus vite à nager dans les eaux impétueuses de la lutte des classes, au lieu de rester sur le bord, en observateurs, à enregistrer les vagues qui accourent, dans l’attente du beau temps.
Voilà ce que nous voulons!
Et nous voulons tout cela parce que c’est seulement ainsi que la classe ouvrière, à la tête de tous les travailleurs, soudée en une armée révolutionnaire forte de millions d’hommes, guidée par l’Internationale communiste et conduite par ce grand et sage timonier qu’est notre chef, Staline, pourra s’acquitter à coup sûr de sa mission historique: balayer de la face de la terre le fascisme et avec lui, le capitalisme!
[1]. J. Staline: Deux Mondes, Rapport sur l’activité du Comité central présenté au XVIIe congrès du Parti communiste (bolchévik) de l’URSS. In: Les Questions du léninisme, t. II, Paris, Éditions sociales, 1947, p. 139.
[2]. August Lütgens.
[3]. Karl Münichreiter.
[4]. Imre Sallai.
[5]. Sándor Fúrst.
[6]. Nikola Kofardjiev.
[7]. Iordan Lutibrodski.
[8]. Alexandrre Voïkov.
[9]. Toîvo Antikaïnen.
[10]. Francisco Largo Caballero.
[11]. V. I. Lénine: La Maladie infantile du communisme, Paris, Éditions sociales, 1950, p. 66.
[12]. En Autriche, à partir de 1927 les entrepreneurs, avec l’aide des organisations fascistes appelées Heimwehren (milices patriotiques), organisaient des syndicats jaunes d’entreprise. Dans la plus grande société industrielle autrichienne, l’Alpine Montangesellschaft dominée par des capitaux allemands, furent désormais employés uniquement des personnes organisées dans les Heimwehren. En 1928, l’accord dit de Hüttenberg conclu entre la direction des syndicats dits libres et les entrepreneurs, reconnut que ces “Syndicats indépendants” jouissaient de la légitimité juridique au même titre que les autres.
(Jürgen Doll: Theater im Roten Wien. Wien, Böhlau Verlag, 1997, p. 120.)
[13]. Republikanischer Schutzbund (Ligue de protection républicaine): Organisation paramilitaire constituée en 1923/24 en Autriche par le Sozialdemokratische Arbeiterpartei (Parti ouvrier social-démocrate, SDAP).
[14]. Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (Bannière du Reich Noir-Rouge-Or): organisation de masse proche du SPD, fondée en 1924 par ce parti ensemble avec le Zentrum, le DDP et quelques petits partis, ayant comme but la protection de la République contre les activités d’extrême droite et aussi du KPD.
[15]. V. I. Lénine: Les matières inflammables de la politique mondiale. In: Oeuvres complètes, 4e éd. russe, t. XV, p. 160.
[16]. J. Staline: « Rapport fait à l’assemblée des militants de l’organisation de Moscou du Parti communiste russe, le 9 mai 1925, résumant les travaux de la XIVe conférence du PCR ». In: Les Questions du léninisme, t. I. Éditions sociales internationales, 1931, p. 201.
[17]. V. I. Lénine: Oeuvres complètes, t. XVIII, édit. russe. Oeuvres choisies, t. I, éditions en langues étrangères, Moscou, 1948, p. 748-749.
[18]. V. I. Lénine: La Maladie infantile du communisme, Éditions sociales, Paris, 1950, p. 34.
[19]. J. Staline: « Des perspectives du Parti communiste allemand et de sa bolchévisation », Pravda, n° 27, 3 février 1925.
[20]. J. Staline: Des Principes du léninisme, Éditions sociales, 1952, p. 77.
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