René Descartes et la méthode par les mathématiques

Il y a un problème essentiel que Descartes a dû affronter en divisant l’individu en trois (pensée – pilote, esprit, corps). En effet, que faire de l’imagination ? Et que faire de la capacité de sentir, qui elle-même relève forcément d’une compréhension intellectuelle ?

C’est là où Descartes s’est révélé le grand représentant de la bourgeoisie française. La grande trouvaille de Descartes, c’est la « méthode. » Selon Descartes, dans le grand fouillis des impressions, les seules auxquelles il faut se fier sont celles conformes aux règles mathématiques.

Descartes, en réalisant ce tour de passe-passe rationaliste, sauvait la bourgeoisie française. Il le faisait même deux fois, car ce rationalisme est précisément ce qui a bloqué l’émergence du matérialisme dialectique en France.

Il y avait la place pour le matérialisme, mais toujours l’aspect rationaliste, « méthodique », l’a emporté : cela puise sa source dans le saut culturel-idéologique amené par Descartes, qui a synthétisé les besoins de la bourgeoisie française au XVIIe siècle, lui indiquant le chemin pour la suite de sa progression (avec, donc, le déisme de la révolution française, et même finalement le double jeu laïc – catholique du XXe siècle).

Voici comment Descartes explique, de manière très malaisée à lire, son rejet des impressions à moins qu’elles ne puissent être confirmées, à ses yeux, par les mathématiques.

De plus, je trouve en moi diverses facultés de penser qui ont chacune leur manière particulière ; par exemple, je trouve en moi les facultés d’imaginer et de sentir, sans lesquelles je puis bien me concevoir clairement et distinctement tout entier, mais non pas réciproquement elles sans moi, c’est-à-dire sans une substance intelligente à qui elles soient attachées ou à qui elles appartiennent ; car, dans la notion que nous avons de ces facultés, ou, pour me servir des termes de l’école, dans leur concept formel, elles enferment quelque sorte d’intellection : d’où je conçois qu’elles sont distinctes de moi comme les modes le sont des choses.

Je connois aussi quelques autres facultés, comme celles de changer de lieu, de prendre diverses situations, et autres semblables, qui ne peuvent être conçues, non plus que les précédentes, sans quelque substance à qui elles soient attachées, ni par conséquent exister sans elle; mais il est très évident que ces facultés, s’il est vrai qu’elles existent, doivent appartenir à quelque substance corporelle ou étendue, et non pas à une substance intelligente, puisque dans leur concept clair et distinct, il y a bien quelque sorte d’extension qui se trouve contenue, mais point du tout d’intelligence.

De plus, je ne puis douter qu’il n’y ait en moi une certaine faculté passive de sentir, c’est-à-dire de recevoir et de connoître les idées des choses sensibles ; mais elle me seroit inutile, et je ne m’en pourrois aucunement servir, s’il n’y avoit aussi en moi, ou en quelque autre chose, une autre faculté active, capable de former et produire ces idées.

Or, cette faculté active ne peut être en moi en tant que je ne suis qu’une chose qui pense, vu qu’elle ne présuppose point ma pensée, et aussi que ces idées-là me sont souvent représentées sans que j’y contribue en aucune façon, et même souvent contre mon gré; il faut donc nécessairement qu’elle soit en quelque substance différente de moi, dans laquelle toute la réalité, qui est objectivement dans les idées qui sont produites par cette faculté, soit contenue formellement ou éminemment, comme je l’ai remarqué ci-devant: et cette substance est ou un corps, c’est-à-dire une nature corporelle, dans laquelle est contenu formellement et en effet tout ce qui est effectivement et par représentation dans ces idées ; ou bien c’est Dieu même, ou quelque autre créature plus noble que le corps, dans laquelle cela même est contenu éminemment.

Or, Dieu n’étant point trompeur, il est très manifeste qu’il ne m’envoie point ces idées immédiatement par lui-même, ni aussi par l’entremise de quelque créature dans laquelle leur réalité ne soit pas contenue formellement, mais seulement éminemment.

Car ne m’ayant donné aucune faculté pour connoître que cela soit, mais au contraire une très grande inclination à croire qu’elles partent des choses corporelles, je ne vois pas comment on pourroit l’excuser de tromperie, si en effet ces idées partoient d’ailleurs, ou étoient produites par d’autres causes que par des choses corporelles: et partant il faut conclure qu’il y a des choses corporelles qui existent.

Toutefois elles ne sont peut-être pas entièrement telles que nous les apercevons par les sens, car il y a bien des choses qui rendent cette perception des sens fort obscure et confuse; mais au moins faut-il avouer que toutes les choses que je conçois clairement et distinctement, c’est-à-dire toutes les choses, généralement parlant, qui sont comprises dans l’objet de la géométrie spéculative, s’y rencontrent véritablement.

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