René Descartes et le principe de retrancher

De manière très intéressante, on peut voir que Descartes fonde de fait toute sa conception sur le principe de « retrancher ».

« Enfin, je remarque que, puisque chacun des mouvements qui se font dans la partie du cerveau dont l’esprit reçoit immédiatement l’impression, ne lui fait ressentir qu’un seul sentiment, on ne peut en cela souhaiter ni imaginer rien de mieux, sinon que ce mouvement fasse ressentir à l’esprit, entre tous les sentiments qu’il est capable de causer, celui qui est le plus propre et le plus ordinairement utile à la conservation du corps humain lorsqu’il est en pleine santé.

Or l’expérience nous fait connoître que tous les sentiments que la nature nous a donnés sont tels que je viens de dire; et partant il ne se trouve rien en eux qui ne fasse paroître la puissance et la bonté de Dieu.

Ainsi, par exemple, lorsque les nerfs qui sont dans le pied sont remués fortement et plus qu’à l’ordinaire, leur mouvement passant par la moelle de l’épine du dos jusqu’au cerveau, y fait là une impression à l’esprit qui lui fait sentir quelque chose, à savoir de la douleur, comme étant dans le pied, par laquelle l’esprit est averti et excité à faire son possible pour en chasser la cause, comme très dangereuse et nuisible au pied.

Il est vrai que Dieu pouvoit établir la nature de l’homme de telle sorte que ce même mouvement dans le cerveau fît sentir toute autre chose à l’esprit; par exemple, qu’il se fît sentir soi-même, ou en tant qu’il est dans le cerveau, ou en tant qu’il est dans le pied, ou bien en tant qu’il est en quelque autre endroit entre le pied et le cerveau, ou enfin quelque autre chose telle qu’elle peut être: mais rien de tout cela n’eût si bien contribué à la conservation du corps que ce qu’il lui fait sentir.

De même, lorsque nous avons besoin de boire, il naît de là une certaine sécheresse dans le gosier qui remue ses nerfs, et par leur moyen les parties intérieures du cerveau; et ce mouvement fait ressentir à l’esprit le sentiment de la soif, parce qu’en cette occasion-là il n’y a rien qui nous soit plus utile que de savoir que nous avons besoin de boire pour la conservation de notre santé, et ainsi des autres.

D’où il est entièrement manifeste que, nonobstant la souveraine bonté de Dieu, la nature de l’homme, en tant qu’il est composé de l’esprit et du corps, ne peut qu’elle ne soit quelquefois fautive et trompeuse.

Car s’il y a quelque cause qui excite, non dans le pied, mais en quelqu’une des parties du nerf qui est tendu depuis le pied jusqu’au cerveau, ou même dans le cerveau, le même mouvement qui se fait ordinairement quand le pied est mal disposé, on sentira de la douleur comme si elle étoit dans le pied, et le sens sera naturellement trompé; parce qu’un même mouvement dans le cerveau ne pouvant causer en l’esprit qu’un même sentiment, et ce sentiment étant beaucoup plus souvent excité par une cause qui blesse le pied que par une autre qui soit ailleurs, il est bien plus raisonnable qu’il porte toujours à l’esprit la douleur du pied que celle d’aucune autre partie.

Et, s’il arrive que parfois la sécheresse du gosier ne vienne pas comme à l’ordinaire de ce que le boire est nécessaire pour la santé du corps, mais de quelque cause toute contraire, comme il arrive à ceux qui sont hydropiques, toutefois il est beaucoup mieux qu’elle trompe en ce rencontre-là, que si, au contraire, elle trompoit toujours lorsque le corps est bien disposé, et ainsi des autres. »

C’est cela qu’il faut bien noter chez Descartes : il ne fait pas que justifier le calcul ; il justifie le calcul par le calcul, par le fait d’additionner ou de retrancher… C’est une affirmation très nette des mathématiques dans ce qu’elles peuvent relever du capitalisme, du capital, de l’accumulation, en dehors de toute compréhension de ce qu’est un saut qualitatif.

>Sommaire du dossier