Akhali Tskhovréba [la Vie Nouvelle]
n°20, 14 juillet 1906.
Signé : Koba. Traduit du
géorgien.
La Russie d’aujourd’hui rappelle en bien des points la France du temps de la grande révolution. Cette ressemblance se manifeste, entre autres, en ce que, chez nous comme en France, la contre-révolution s’étend et, à l’étroit dans ses propres frontières, s’allie à la contre-révolution des autres Etats ; elle revêt peu à peu un caractère international.
En France, l’ancien régime avait conclu une alliance avec l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse ; il appela leurs armées à son aide et engagea l’offensive contre la révolution populaire. En Russie, l’ancien régime conclut une alliance avec les empereurs d’Allemagne et d’Autriche ; il entend appeler leurs armées à son aide et noyer dans le sang la révolution populaire.
Il y a à peine un mois, des bruits précis couraient que « la Russie » et « l’Allemagne » menaient des pourparlers secrets. (Voir la Sévernaïa Zemlia [1], n°3).
Par la suite, ces bruits se sont répandus avec une insistance croissante. Maintenant les choses en sont venues au point que le journal ultra-réactionnaire la Rossia [2] déclare explicitement que les fauteurs de l’actuelle situation difficile de « la Russie » (c’est-à-dire de la contre-révolution) sont les éléments révolutionnaires.
« Le gouvernement impérial allemand, déclare le journal, se rend parfaitement compte de cette situation ; aussi a-t-il pris toute une série de mesures appropriées qui ne manqueront pas d’aboutir aux résultats souhaités ». Il s’avère que ces mesures consistent en ceci : « l’Autriche » et « l’Allemagne » se préparent à envoyer des troupes pour venir en aide à « la Russie » au cas où la révolution russe remporterait des succès.
Elles se sont déjà entendues à ce sujet et ont déclaré que « dans certaines conditions l’Intervention active dans les affaires intérieures de la Russie, pour réprimer ou limiter le mouvement révolutionnaire, pourrait être désirable et utile… ». Ainsi parle la Rossia.
Comme on le voit, la contre-révolution internationale fait depuis longtemps de grands préparatifs. On sait que, depuis longtemps déjà, elle apporte une aide financière à la Russie contre-révolutionnaire dans sa lutte contre la révolution. Mais elle ne s’en est pas tenue là. Aujourd’hui, visiblement, elle a décidé de lui venir en aide en envoyant aussi des troupes.
Après cela, même un enfant comprendrait sans peine le sens véritable de la dissolution de la Douma, ainsi que des « nouvelles » dispositions de Stolypine [3] et des « vieux » pogroms de Trépov [4]…
Il est à présumer qu’après cela se dissiperont les espoirs fallacieux de différents libéraux et autres gens naïfs ; ils se convaincront enfin que nous n’avons pas de « constitution », que nous sommes en guerre civile et que la lutte doit être menée militairement.
Mais la Russie d’aujourd’hui ressemble à la France de jadis à un autre point de vue encore. A cette époque, la contre-révolution internationale avait provoqué un élargissement de la révolution ; la révolution déborda des frontières de la France et, tel un torrent puissant, se répandit sur l’Europe. Si les « têtes couronnées » de l’Europe s’unissaient dans une alliance commune, les peuples de l’Europe, eux aussi, se tendaient la main. Aujourd’hui, nous constatons le même phénomène en Russie. « La taupe creuse bien »…
La contre-révolution de Russie, en s’unissant à la contre-révolution européenne, élargit sans cesse la révolution ; elle unit entre eux les prolétaires de tous les pays et pose les fondements d’une révolution internationale.
Le prolétariat de Russie marche à la tête de la révolution démocratique ; il tend une main fraternelle, il s’unit au prolétariat européen qui commencera la révolution socialiste. Comme on le sait, après la manifestation du 9 janvier, de grands meetings se sont déroulés dans toute l’Europe. L’action de décembre a provoqué des manifestations en Allemagne et en France.
Sans aucun doute, la prochaine action de la révolution russe fera se lever, d’une façon plus résolue encore, le prolétariat européen. La contre-révolution internationale ne fera que fortifier et approfondir, renforcer et consolider la révolution internationale. Le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » trouvera son expression véritable.
Eh bien, messieurs, travaillez, travaillez ! La révolution russe, qui s’élargit sera suivie de la révolution européenne, — et alors… alors sonnera la dernière heure non seulement des survivances du servage, mais aussi de votre capitalisme bien-aimé. Oui, messieurs les contre-révolutionnaires, vous « creusez bien ».
Notes
[1] La Sévernaïa Zemlia [la Terre du Nord], quotidien bolchévik légal ; parut à Pétersbourg du 23 au 28 juin 1906.
[2] La Rossia [la Russie], journal quotidien de caractère policier ultra-réactionnaire, parut de novembre 1905 à avril 1914. Organe du ministère de l’Intérieur.
[3] En juin et juillet 1906, le ministre de l’intérieur P. Stolypine envoya aux autorités locales des instructions en vue de réprimer impitoyablement, par la force armée, le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et de liquider des organisations révolutionnaires.
[4] D. Trépov, gouverneur général de Pétersbourg, dirigea la répression de la révolution de 1905.