Aux participants à la discussion économique.
Remarques relatives aux questions économiques soulevées à la discussion de novembre 1951
J’ai reçu tous les documents relatifs à la discussion économique qui s’est déroulée autour de l’appréciation du projet de manuel d’économie politique. J’ai reçu notamment les « Propositions pour améliorer le projet de manuel d’économie politique », les « Propositions pour éliminer les erreurs et les imprécisions » du projet, ainsi qu’un « Relevé des questions controversées ».
Pour tous ces matériaux, de même que pour le projet de manuel, je tiens à faire les remarques suivantes.
1. À propos
du caractère des lois économiques
sous le socialisme
Certains camarades nient le caractère objectif des lois de la science, notamment celui des lois de l’économie politique sous le socialisme. Ils nient que les lois de l’économie politique reflètent la régularité des processus qui se produisent indépendamment de la volonté humaine.
Ils estiment que, étant donné le rôle particulier que l’histoire réserve à l’État soviétique, celui-ci, ses dirigeants, peuvent abolir les lois existantes de l’économie politique, peuvent « former », « créer » des lois nouvelles.
Ces camarades se trompent gravement. Ils confondent visiblement les lois de la science reflétant les processus objectifs dans la nature ou dans la société, qui s’opèrent indépendamment de la volonté humaine, avec les lois édictées par les gouvernements, créées par la volonté des hommes et n’ayant qu’une force juridique. Mais il n’est point permis de les confondre.
Le marxisme conçoit les lois de la science, — qu’il s’agisse des lois de la nature ou des lois de l’économie politique, — comme le reflet des processus objectifs qui s’opèrent indépendamment de la volonté humaine. Ces lois, on peut les découvrir, les connaître, les étudier, en tenir compte dans ses actes, les exploiter dans l’intérêt de la société, mais on ne peut les modifier ou les abolir.
À plus forte raison ne peut-on former ou créer de nouvelles lois de la science.
Est-ce à dire, par exemple, que les résultats de l’action des lois de la nature, des forces de la nature sont, en général, inéluctables ; que l’action destructive des forces de la nature se produit toujours et partout avec une spontanéité inexorable, qui ne se prête pas à l’action des hommes ?
Évidemment non. Si l’on fait abstraction des processus astronomiques, géologiques et quelques autres analogues, où les hommes, même s’ils connaissent les lois de leur développement, sont véritablement impuissants à agir sur eux ; ils sont en maintes occasions loin d’être impuissants quant à la possibilité d’agir sur les processus de la nature.
Dans toutes ces circonstances, les hommes, en apprenant à connaître les lois de la nature, en en tenant compte et en s’appuyant sur elles, en les appliquant avec habileté et en les exploitant, peuvent limiter la sphère de leur action, imprimer aux forces destructives de la nature une autre direction, les faire servir à la société.
Prenons un exemple parmi tant d’autres. Aux temps anciens, on considérait les débordements des grands fleuves, les inondations, la destruction des habitats et des superficies cultivées, comme un fléau contre lequel les hommes étaient impuissants.
Mais avec le temps, avec le progrès des connaissances humaines, les hommes ayant appris à construire des barrages et des stations hydrauliques, on a trouvé moyen de détourner de la société les inondations qui paraissaient autrefois inéluctables.
Bien plus : on a appris à museler les forces destructives de la nature, à les dompter pour ainsi dire, à faire servir la puissance des eaux à la société et à l’exploiter pour irriguer les champs, pour obtenir l’énergie électrique.
Est-ce à dire que l’on ait par là même aboli les lois de la nature, les lois de la science, que l’on ait créé de nouvelles lois de la nature, de nouvelles lois de la science ?
Évidemment non. La vérité est que toute cette opération tendant à prévenir l’action des forces destructives de l’eau et à l’exploiter dans l’intérêt de la société, s’effectue sans que les lois de la science soient le moins du monde violées, changées ou abolies, sans que de nouvelles lois de la science soient créées. Au contraire, toute cette opération se fait sur la base exacte des lois de la nature, des lois de la science, car une violation quelconque des lois de la nature, la moindre atteinte à ces lois amènerait la désorganisation, l’échec de cette opération.
Il faut en dire autant des lois du développement économique, des lois de l’économie politique, — qu’il s’agisse de la période du capitalisme ou de la période du socialisme. Là aussi, comme dans les sciences de la nature, les lois du développement économique sont des lois objectives reflétant les processus du développement économique qui se produisent indépendamment de la volonté des hommes.
On peut découvrir ces lois, les connaître et, s’appuyant sur elles, les exploiter dans l’intérêt de la société, imprimer une autre direction à l’action destructive de certaines lois, limiter la sphère de leur action, laisser le champ libre aux autres lois qui se fraient un chemin, mais on ne peut les détruire ou créer de nouvelles lois économiques.
Un des traits particuliers de l’économie politique est que ses lois, à la différence des lois de la nature, ne sont pas durables ; qu’elles agissent, du moins la plupart d’entre elles, au cours d’une certaine période historique, après quoi elles cèdent la place à d’autres lois.
Elles ne sont pas détruites, mais elles perdent leur force par suite de nouvelles conditions économiques et quittent la scène pour céder la place à de nouvelles lois qui ne sont pas créées par la volonté des hommes, mais surgissent sur la base de nouvelles conditions économiques.
On se réfère à l’Anti-Dühring d’Engels, à sa formule selon laquelle l’abolition du capitalisme et la socialisation des moyens de production permettront aux hommes d’exercer leur pouvoir sur les moyens de production, de se libérer du joug des rapports économiques et sociaux, de devenir les « maîtres » de leur vie sociale. Engels appelle cette liberté la « nécessité comprise ».
Et que peut vouloir dire la « nécessité comprise » ? Cela veut dire que les hommes, après avoir compris les lois objectives (la « nécessité »), les appliqueront en toute conscience, dans l’intérêt de la société. C’est pourquoi Engels y dit que :
Les lois de leur propre pratique sociale, qui, jusqu’ici, se dressaient devant eux comme des lois naturelles, étrangères et dominatrices, sont dès lors appliquées par les hommes en pleine connaissance de cause et par là dominées. (Anti-Dühring, Éditions sociales, Paris, 1950, p. 322.)
Comme on voit, la formule d’Engels ne parle nullement en faveur de ceux qui pensent que l’on peut abolir, sous le socialisme, les lois économiques existantes et en créer de nouvelles. Au contraire, elle ne demande pas leur abolition, mais la connaissance des lois économiques et leur application judicieuse.
On dit que les lois économiques revêtent un caractère spontané ; que l’action de ces lois est inéluctable ; que la société est impuissante devant elles. C’est faux.
C’est fétichiser les lois, se faire l’esclave de ces lois. Il est prouvé que la société n’est pas impuissante devant les lois ; qu’elle peut, en connaissant les lois économiques et en s’appuyant sur elles, limiter la sphère de leur action, les exploiter dans l’intérêt de la société et les « dompter », comme cela se passe à l’égard des forces de la nature et de leurs lois, comme le montre l’exemple cité plus haut sur le débordement des grands fleuves.
On se réfère au rôle particulier que le pouvoir des Soviets joue dans la construction du socialisme, et qui lui permettrait de détruire les lois existantes du développement économique et d’en « former » de nouvelles. Cela est également faux.
Le rôle particulier du pouvoir des Soviets s’explique par deux faits ; en premier lieu, le pouvoir des Soviets ne devait pas remplacer une forme de l’exploitation par une autre, comme ce fut le cas dans les vieilles révolutions, mais liquider toute exploitation ; en second lieu, vu l’absence dans le pays de germes tout prêts de l’économie socialiste, il devait créer, pour ainsi dire, sur un « terrain vague », des formes nouvelles, socialistes, de l’économie.
Tâche assurément difficile et complexe, et qui n’a pas de précédent. Néanmoins, le pouvoir des Soviets a rempli ce devoir avec honneur. Non point parce qu’il a aboli soi- disant les lois économiques existantes et en a « formé » de nouvelles, mais uniquement parce qu’il s’appuyait sur la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives. Les forces productives de notre pays, notamment dans l’industrie, portaient un caractère social ; la forme de propriété était privée, capitaliste.
Fort de la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, le pouvoir des Soviets a socialisé les moyens de production, en a fait la propriété du peuple entier, a aboli par là le système d’exploitation et créé des formes d’économie socialistes. Sans cette loi et sans s’appuyer sur elle, le pouvoir des Soviets n’aurait pas pu s’acquitter de sa tâche.
La loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives se fraie depuis longtemps la voie dans les pays capitalistes. Si elle ne l’a pas encore fait pour se donner libre cours, c’est qu’elle rencontre la résistance la plus énergique des forces déclinantes de la société.
Ici nous nous heurtons à une autre particularité des lois économiques. Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l’application d’une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l’application d’une nouvelle loi qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces.
Il faut donc une force, une force sociale capable de vaincre cette résistance. Cette force s’est trouvée dans notre pays sous la forme de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie constituant l’immense majorité de la société. Cette force ne s’est pas encore trouvée dans les autres pays, dans les pays capitalistes. C’est ce qui explique pourquoi le pouvoir des Soviets a pu briser les forces anciennes de la société, et pourquoi la loi économique de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives a été appliquée avec une telle ampleur.
On dit que la nécessité d’un développement harmonieux (proportionnel) de notre économie nationale permet au pouvoir des Soviets d’abolir les lois économiques existantes et d’en créer de nouvelles. Cela est absolument faux.
Il ne faut pas confondre nos plans annuels et nos plans quinquennaux avec la loi économique objective du développement harmonieux, proportionnel de l’économie nationale.
La loi du développement harmonieux de l’économie nationale a surgi en contrepoids à la loi de concurrence et d’anarchie de la production sous le capitalisme. Elle a surgi sur la base de la socialisation des moyens de production, après que la loi de concurrence et d’anarchie de la production a perdu sa force. Elle est entrée en vigueur parce que l’économie socialiste d’un pays ne peut être réalisée que sur la base de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale. C’est dire que la loi du développement harmonieux de l’économie nationale offre à nos organismes de planification la possibilité de planifier correctement la production sociale. Mais on ne doit pas confondre la possibilité avec la réalité.
Ce sont deux choses différentes. Pour transformer cette possibilité en réalité, il faut étudier cette loi économique, s’en rendre maître, il faut apprendre à l’appliquer en pleine connaissance de cause ; il faut dresser des plans qui reflètent pleinement les dispositions de cette loi. On ne saurait dire que nos plans annuels et nos plans quinquennaux reflètent pleinement les dispositions de cette loi économique.
On dit que certaines lois économiques, y compris la loi de la valeur, qui fonctionnent chez nous, sous le socialisme, sont des lois « transformées » ou même « foncièrement transformées » sur la base de l’économie planifiée. Cela est également faux.
On ne peut « transformer » des lois ; et encore moins « foncièrement ». Si on peut les transformer, on peut aussi les abolir, en y substituant des lois nouvelles. La thèse de la « transformation » des lois est une survivance de la fausse formule sur l’ « abolition » et la « formation » des lois.
Bien que la formule de la transformation des lois économiques soit depuis longtemps chose courante chez nous, force nous sera d’y renoncer, pour être plus exact. On peut limiter la sphère d’action de telles ou telles lois économiques, on peut prévenir leur action destructive, si tant est qu’elle s’exerce, mais on ne saurait les « transformer » ou les « abolir ».
Par conséquent, quand on parle de « conquérir » les forces de la nature ou les forces économiques, de les « dominer », etc., on ne veut nullement dire par là qu’on peut « abolir » les lois de la science ou les « former ».
Au contraire, on veut seulement dire par là que l’on peut découvrir des lois, les connaître, les assimiler, apprendre à les appliquer en pleine connaissance de cause, à les exploiter dans l’intérêt de la société et les conquérir par ce moyen, les soumettre à sa domination.
Ainsi, les lois de l’économie politique sous le socialisme sont des lois objectives qui reflètent la régularité des processus intervenant dans la vie économique indépendamment de notre volonté. Nier cette thèse, c’est au fond nier la science ; or nier la science, c’est nier la possibilité de toute prévision, — c’est donc nier la possibilité de diriger la vie économique.
On pourrait dire que ce qui vient d’être avancé est juste, universellement connu, mais qu’il n’y a là rien de nouveau et que, par suite, on perdrait son temps à répéter des vérités universellement connues. Sans doute, il n’y a là vraiment rien de nouveau, mais on aurait tort de croire qu’on perdrait son temps à répéter certaines vérités connues de nous.
C’est que, chaque année, des milliers de nouveaux jeunes cadres viennent à nous, qui sommes le noyau dirigeant ; ils brûlent de nous aider, de se faire valoir, mais ils n’ont pas une éducation marxiste suffisante, ils ignorent beaucoup de vérités bien connues de nous, et sont obligés d’errer dans les ténèbres. Ils sont frappés par les prodigieuses réalisations du pouvoir des Soviets, les succès peu communs du régime soviétique leur tournent la tête, et les voilà qui s’imaginent que le pouvoir soviétique « peut tout », que « rien ne l’embarrasse », qu’il peut abolir les lois de la science, former des lois nouvelles.
Comment faire avec ces camarades ? Comment les éduquer dans l’esprit du marxisme-léninisme ?
Je pense que la répétition systématique des vérités dites « universellement connues », que leur explication patiente est un des meilleurs moyens pour éduquer ces camarades dans le marxisme.
2. De la production marchande sous le socialisme
Certains camarades soutiennent que le Parti a conservé à tort la production marchande après avoir pris le pouvoir et nationalisé les moyens de production dans notre pays. Ils estiment que le Parti aurait dû à ce moment éliminer la production marchande. Ce faisant, ils se réfèrent à Engels, qui dit :
Par la prise de possession sociale des moyens de production, la production des marchandises cesse et par là même la domination du produit sur le producteur. (F. Engels : Anti-Dühring, Éditions sociales, Paris, 1950, p. 322.)
Ces camarades se trompent gravement.
Analysons la formule d’Engels. On ne peut la considérer comme parfaitement claire et précise, puisqu’elle n’indique pas s’il s’agit de la prise de possession, par la société, de tous les moyens de production ou d’une partie seulement, c’est-à-dire si tous les moyens de production ont été remis en possession du peuple ou seulement une partie. Donc, la formule d’Engels peut être comprise de deux manières.
Dans un autre passage de son Anti-Dühring, Engels parle de la prise de possession de « tous les moyens de production », « de la totalité des moyens de production ».
Engels entend donc dans sa formule la nationalisation non pas d’une partie, mais de la totalité des moyens de production, c’est-à-dire la remise en possession du peuple des moyens de production non seulement dans l’industrie, mais aussi dans l’agriculture.
Par conséquent, Engels a en vue les pays où le capitalisme et la concentration de la production sont suffisamment développés non seulement dans l’industrie, mais aussi dans l’agriculture, pour rendre possible l’expropriation de tous les moyens de production du pays, et en faire la propriété du peuple.
Engels estime donc que dans ces pays, il conviendrait, parallèlement à la socialisation de tous les moyens de production, d’éliminer la production marchande. Cela est, bien entendu, très juste.
À la fin du siècle dernier, à l’époque de la publication de l’Anti-Dühring, seule l’Angleterre était ce pays, où le développement du capitalisme et la concentration de la production, tant dans l’industrie que dans l’agriculture, avaient atteint un degré tel que la possibilité s’offrait, en cas de prise du pouvoir par le prolétariat, de remettre tous les moyens de production du pays en possession du peuple et d’éliminer la production marchande.
Je fais abstraction ici de l’importance qu’a pour l’Angleterre le commerce extérieur avec sa part énorme dans l’économie nationale britannique. Je pense que c’est seulement après avoir étudié la question qu’on pourrait définitivement décider du sort de la production marchande en Grande-Bretagne au lendemain de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la nationalisation de tous les moyens de production.
Du reste, non seulement à la fin du siècle dernier, mais aujourd’hui encore, aucun pays n’a atteint le degré de développement du capitalisme et de concentration de la production agricole, que nous observons en Angleterre.
Pour les autres pays, malgré le développement du capitalisme à la campagne, il y a là encore une classe assez nombreuse de petits et moyens propriétaires-producteurs, dont il importerait de déterminer le sort au cas où le prolétariat accéderait au pouvoir.
Mais la question se pose : que doivent faire le prolétariat et son parti si dans tel ou tel pays, y compris le notre, les conditions sont favorables à la prise du pouvoir par le prolétariat et au renversement du capitalisme ; où le capitalisme dans l’industrie a concentré les moyens de production au point qu’on peut les exproprier et les remettre en possession de la société, mais où l’agriculture, malgré le progrès du capitalisme, est émiettée entre les nombreux petits et moyens propriétaires-producteurs au point que la possibilité ne se présente pas d’envisager l’expropriation de ces producteurs ?
À cette question la formule d’Engels ne répond pas. Du reste, elle ne doit pas y répondre, puisqu’elle a surgi sur la base d’une autre question, celle de savoir quel doit être le sort de la production marchande après que tous les moyens de production auront été socialisés.
Ainsi, comment faire si tous les moyens de production n’ont pas été socialisés, mais seulement une partie, et ni les conditions favorables à la prise du pouvoir par le prolétariat sont réunies, — faut-il que le prolétariat prenne le pouvoir et faut-il aussitôt après détruire la production marchande ?
On ne peut certes pas qualifier de réponse l’opinion de certains pseudo-marxistes qui considèrent que, dans ces conditions, il conviendrait de renoncer à la prise du pouvoir et d’attendre que le capitalisme ait pris le temps de ruiner les millions de petits et moyens producteurs, de les transformer en salariés agricoles et de concentrer les moyens de production dans l’agriculture ; qu’après cela seulement on pourrait poser la question de la prise du pouvoir par le prolétariat et de la socialisation de tous les moyens de production. On comprend que les marxistes ne peuvent accepter pareille « solution » sans risquer de se déshonorer à fond.
On ne peut pas non plus considérer comme une réponse l’opinion d’autres pseudo-marxistes qui pensent qu’il conviendrait peut-être de prendre le pouvoir, de procéder à l’expropriation des petits et moyens producteurs à la campagne et de socialiser leurs moyens de production.
Les marxistes ne peuvent pas non plus s’engager dans cette voie insensée et criminelle qui enlèverait à la révolution prolétarienne toute possibilité de victoire et rejetterait pour longtemps la paysannerie dans le camp des ennemis du prolétariat.
Lénine a répondu à cette question dans ses ouvrages sur « l’impôt en nature » et dans son fameux « plan coopératif ».
La réponse de Lénine se ramène brièvement à ceci :
a) ne pas laisser échapper les conditions favorables à la prise du pouvoir ; le prolétariat prendra le pouvoir sans attendre le moment où le capitalisme sera en mesure de ruiner les millions de petits et moyens producteurs individuels ;
b) exproprier les moyens de production dans l’industrie et les remettre en possession du peuple ;
c) pour les petits et moyens producteurs individuels, on les groupera progressivement en des coopératives de production, c’est-à-dire en de grosses entreprises agricoles, les kolkhozes ;
d) développer par tous les moyens l’industrie et assigner aux kolkhozes une base technique moderne, celle de la grande production ; ne pas les exproprier mais, au contraire, les fournir abondamment de tracteurs et autres machines de premier ordre ;
e) pour assurer l’alliance économique de la ville et des campagnes, de l’industrie et de l’agriculture, on maintiendra pour un temps la production marchande (échange par achat et vente), comme la forme la seule acceptable — pour les paysans — des relations économiques avec la ville, et on développera à fond le commerce soviétique, le commerce d’État et le commerce coopératif et kolkhozien, en éliminant du commerce tous les capitalistes.
L’histoire de notre édification socialiste montre que cette voie de développement, tracée par Lénine, s’est entièrement vérifiée.
Il ne peut faire de doute que pour tous les pays capitalistes qui possèdent une classe plus on moins nombreuse de petits et moyens producteurs, cette voie de développement est la seule possible et rationnelle pour la victoire du socialisme.
On dit que la production marchande doit néanmoins, en toutes circonstances, aboutir et aboutira absolument au capitalisme. Cela est faux. Pas toujours ni en toutes circonstances ! On ne peut identifier la production marchande à la production capitaliste.
Ce sont deux choses différentes. La production capitaliste est la forme supérieure de la production marchande.
La production marchande ne conduit au capitalisme que si la propriété privée des moyens de production existe ; que si la force de travail apparaît sur le marché comme une marchandise que le capitaliste peut acheter et exploiter pour la production ; que si, par conséquent, il existe au pays un système d’exploitation des ouvriers salariés par les capitalistes.
La production capitaliste commence là où les moyens de production sont détenus par des particuliers, tandis que les ouvriers, dépourvus des moyens de production, sont obligés de vendre leur force de travail comme une marchandise. Sans cela, il n’y a pas de production capitaliste.
Eh bien, si ces conditions ne sont pas réunies, qui transforment la production marchande en production capitaliste, si les moyens de production ne sont plus une propriété privée, mais la propriété socialiste, si le salariat n’existe pas et la force de travail n’est plus une marchandise, si le système d’exploitation a été depuis longtemps aboli, comment faire alors : peut-on considérer que la production marchande aboutira quand même au capitalisme ? Évidemment non. Or, notre société est précisément une société où la propriété privée des moyens de production, le salariat et l’exploitation n’existent plus depuis longtemps.
On ne peut pas considérer la production marchande comme une chose se suffisant à elle-même, indépendante de l’ambiance économique.
La production marchande est plus vieille que la production capitaliste. Elle existait sous le régime d’esclavage et le servait, mais n’a pas abouti au capitalisme. Elle existait sous le féodalisme et le servait, sans toutefois aboutir au capitalisme, bien qu’elle ait préparé certaines conditions pour la production capitaliste.
La question se pose : pourquoi la production marchande ne peut- elle pas de même, pour un temps, servir notre société socialiste sans aboutir au capitalisme, si l’on tient compte que la production marchande n’a pas chez nous une diffusion aussi illimitée et universelle que dans les conditions capitalistes ; qu’elle est placée chez nous dans un cadre rigoureux grâce à des conditions économiques décisives comme la propriété sociale des moyens de production, la liquidation du salariat et du système d’exploitation ?
On dit qu’après que la propriété sociale des moyens de production s’est installée dans notre pays et que le salariat et l’exploitation ont été liquidés, la production marchande n’a plus de sens, qu’il faudrait pas conséquent l’éliminer.
Cela est également faux. À l’heure actuelle, il existe chez nous deux formes essentielles de production socialiste : celle de l’État, c’est-à-dire du peuple entier, et la forme kolkhozienne, que l’on ne peut pas appeler commune au peuple entier. Dans les entreprises d’État, les moyens de production et les objets fabriqués constituent la propriété du peuple entier.
Dans les entreprises kolkhoziennes, bien que les moyens de production (la terre, les machines) appartiennent à l’État, les produits obtenus sont la propriété des différents kolkhozes qui fournissent le travail de même que les semences ; les kolkhozes disposent pratiquement de la terre qui leur a été remise à perpétuité comme de leur bien propre, quoiqu’ils ne puissent pas la vendre, l’acheter, la donner à bail ou la mettre en gage.
L’État ne peut donc disposer que de la production des entreprises d’État, les kolkhozes bénéficiant de leur production comme de leur bien propre.
Mais les kolkhozes ne veulent pas aliéner leurs produits autrement que sous la forme de marchandises, en échange de celles dont ils ont besoin. Les kolkhozes n’acceptent pas aujourd’hui d’autres relations économiques avec la ville que celles intervenant dans les échanges par achat et vente de marchandises.
Aussi la production marchande et les échanges sont-ils chez nous, à l’heure actuelle, une nécessité pareille à celle d’il y a trente ans, par exemple, époque à laquelle Lénine proclamait la nécessité de développer par tous les moyens les échanges.
Certes, lorsqu’au lieu de deux principaux secteurs de production, État et kolkhozes, il se formera un seul secteur universel investi du droit de disposer de tous les produits de consommation du pays, la circulation des marchandises avec son « économie monétaire » aura disparu comme un élément inutile de l’économie nationale.
D’ici là, aussi longtemps que les deux principaux secteurs de production existeront, la production marchande et la circulation des marchandises resteront en vigueur comme un élément nécessaire et très utile dans le système de notre économie nationale. Comment sera-t-il procédé à la formation d’un seul secteur universel ?
Par simple absorption du secteur kolkhozien dans le secteur d’État, ce qui est peu probable (ceci pouvant être considéré comme une expropriation des kolkhozes), ou par la constitution d’un seul organisme économique national (avec des représentants de l’industrie d’État et des kolkhozes), ayant le droit d’abord de recenser tous les produits de consommation du pays et, avec le temps, de répartir la production, par exemple, sous forme d’échange des produits ? C’est là une autre question qui demande un examen à part.
Par conséquent, notre production marchande n’est pas une production marchande ordinaire, elle est d’un genre spécial, une production marchande sans capitalistes, qui se préoccupe pour l’essentiel des marchandises appartenant à des producteurs socialistes associés (État, kolkhozes, coopératives), et dont la sphère d’action est limitée à des articles de consommation personnelle, qui ne peut évidemment pas se développer pour devenir une production capitaliste et doit aider, avec son « économie monétaire », au développement et à l’affermissement de la production socialiste.
Aussi ont-ils absolument tort, ceux qui déclarent que, du moment que la société socialiste maintient les formes marchandes de la production, il y a lieu, soi-disant, de rétablir chez nous toutes les catégories économiques propres au capitalisme : la force de travail comme marchandise, la plus-value, le capital, le profit du capital, le taux moyen du profit, etc.
Ces camarades confondent la production marchande avec la production capitaliste et estiment que, du moment qu’il y a production marchande, il doit y avoir aussi production capitaliste. Ils ne comprennent pas que notre production marchande se distingue foncièrement de la production marchande sous le capitalisme.
Bien plus, je pense qu’il faut renoncer à certaines autres notions empruntées au Capital, où Marx se livrait à l’analyse du capitalisme, — et artificiellement accolées à nos rapports socialistes. Je veux parler entre autres de notions telles que le travail « nécessaire » et le « surtravail », le produit « nécessaire » et le « surproduit », le temps « nécessaire » et le « temps extra ».
Marx a analysé le capitalisme afin d’établir l’origine de l’exploitation de la classe ouvrière, la plus-value, et de fournir à la classe ouvrière privée des moyens de production une arme spirituelle pour renverser le capitalisme.
On comprend que Marx se sert ici de notions (catégories) qui répondent parfaitement aux rapports capitalistes.
Mais il serait plus qu’étrange de se servir actuellement de ces notions, alors que la classe ouvrière, loin d’être privée du pouvoir et des moyens de production, détient au contraire le pouvoir et possède les moyens de production.
Les propos sur la force de travail comme marchandise et sur le « salariat » des ouvriers sonnent d’une façon assez absurde sous notre régime : comme si la classe ouvrière, possédant les moyens de production, se salariait elle-même et se vendait à elle-même sa force de travail.
Il n’est pas moins étrange de parler aujourd’hui de travail « nécessaire » et de « surtravail » : comme si dans nos conditions, le travail des ouvriers donné à la société en vue d’élargir la production, de développer l’instruction, la santé publique, d’organiser la défense nationale, etc., n’était pas aussi nécessaire à la classe ouvrière, aujourd’hui au pouvoir, que le travail dépensé pour subvenir aux besoins personnels de l’ouvrier et de sa famille.
Il est à noter que Marx dans sa Critique du programme de Gotha, où il analyse non plus le capitalisme, mais entre autres la première phase de la société communiste, reconnaît que le travail consacré à la société pour élargir la production, pour l’instruction, la santé publique, les frais d’administration, la constitution de réserves, etc., est aussi nécessaire que le travail dépensé pour subvenir aux besoins de consommation de la classe ouvrière.
Je pense que nos économistes doivent en finir avec ce défaut de concordance entre les vieilles notions et le nouvel état de choses dans notre pays socialiste, en substituant aux notions anciennes des notions appropriées à la nouvelle situation.
Nous avons pu tolérer ce défaut de concordance un certain temps. Mais l’heure est venue où nous devons enfin remédier à ce défaut.
3. La loi de la valeur sous le socialisme
On demande parfois si la loi de la valeur existe et fonctionne chez nous, sous notre régime socialiste.
Oui, elle existe et fonctionne. Là où il y a marchandises et production marchande, la loi de la valeur existe nécessairement.
La sphère d’action de la loi de la valeur s’étend chez nous tout d’abord à la circulation des marchandises, à l’échange des marchandises par achat et vente, à l’échange surtout des marchandises d’usage personnel. Dans ce domaine, la loi de la valeur conserve, bien entendu, dans certaines limites, un rôle régulateur.
L’action de la loi de la valeur ne se borne pas cependant à la sphère de la circulation des marchandises. Elle s’étend de même à la production. Il est vrai que la loi de la valeur ne joue pas un rôle régulateur dans notre production socialiste.
Mais elle agit néanmoins sur la production, et il faut nécessairement en faire état en dirigeant la production.
Le fait est que les produits de consommation, nécessaires pour compenser les pertes en force de travail dans le processus de la production, sont fabriqués chez nous et sont réalisés en tant que marchandises soumises à l’action de la loi de la valeur.
Là précisément, la loi de la valeur exerce son action sur la production. Ceci étant, l’autonomie financière et la rentabilité, le prix de revient, les prix, etc. ont aujourd’hui une importance d’actualité dans nos entreprises.
C’est pourquoi nos entreprises ne peuvent ni ne doivent se passer de la loi de la valeur.
Est-ce bien ? Ce n’est pas mal. Dans les conditions où nous sommes aujourd’hui, cela n’est vraiment pas mal, ceci ayant pour effet de former nos dirigeants de l’industrie dans la conduite rationnelle de la production, et de les discipliner.
Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à évaluer le potentiel de production, à l’évaluer avec exactitude et à tenir compte aussi exactement des réalités de la production, au lieu de perdre leur temps à bavarder sur des « chiffres estimatifs » pris au hasard. Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à chercher, à trouver et à exploiter les réserves latentes, tapies dans les profondeurs de la production, au lieu de les fouler aux pieds.
Ce n’est pas mal, puisque nos dirigeants de l’industrie apprennent ainsi à améliorer systématiquement les méthodes de fabrication, à réduire le prix de revient, à pratiquer l’autonomie financière et à réaliser la rentabilité des entreprises. C’est là une bonne école pratique, qui hâtera la montée de nos cadres de l’industrie pour en faire de vrais dirigeants de la production socialiste à l’étape actuelle du développement.
Le malheur n’est pas que la loi de la valeur agisse chez nous sur la production. Le malheur est que les dirigeants de notre industrie et nos spécialistes de la planification, à peu d’exceptions près, connaissent mal l’action de la loi de la valeur, ne l’étudient pas et ne savent pas en tenir compte dans leurs calculs. C’est ce qui explique la confusion qui règne encore chez nous dans la politique des prix. Voici un exemple entre tant d’autres.
Il y a quelque temps on avait décidé de régler, dans l’intérêt de la culture cotonnière, le rapport des prix du coton et des céréales, de préciser le prix des céréales vendues aux cultivateurs de coton et de relever les prix du coton livré à l’État.
Dès lors, nos dirigeants de l’industrie et nos spécialistes de la planification apportèrent une proposition qui ne pouvait que surprendre les membres du Comité central, puisque cette proposition fixait le prix d’une tonne de céréales à peu près au même niveau que celui d’une tonne de coton ; au surplus, le prix d’une tonne de céréales était le même que celui d’une tonne de pain cuit.
Les membres du Comité central ayant fait remarquer que le prix d’une tonne de pain cuit devait être supérieur à celui d’une tonne de céréales, en raison des frais supplémentaires nécessités par la mouture et la cuisson ; que le coton en général coûtait bien plus cher que les céréales, témoin les prix mondiaux du coton et des céréales, — les auteurs de la proposition ne purent rien dire d’explicite.
Force fut au Comité central de prendre la chose en mains propres, de diminuer les prix des céréales et de relever ceux du coton. Que serait-il advenu si la proposition de ces camarades avait reçu force légale ? Nous aurions ruiné les cultivateurs et serions restés sans coton.
Est-ce à dire que la loi de la valeur s’exerce chez nous avec la même ampleur que sous le capitalisme ; qu’elle est chez nous régulatrice de la production ?
Évidemment non. En réalité, la loi de la valeur, sous notre régime économique, exerce son action dans un cadre strictement limité. On a déjà dit que la production marchande, sous notre régime, exerce son action dans un cadre limité.
On peut en dire autant de l’action exercée par la loi de la valeur. Il est certain que l’absence de propriété privée des moyens de production et leur socialisation à la ville comme à la campagne ne peuvent que limiter la sphère d’action de la loi de la valeur et le degré de sa réaction sur la production.
C’est dans le même sens qu’intervient dans l’économie nationale la loi du développement harmonieux (proportionnel), qui a remplacé la loi de concurrence et d’anarchie de la production.
C’est dans le même sens qu’interviennent nos plans annuels et quinquennaux et, en général, toute notre politique économique qui s’appuie sur les dispositions de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale.
Tous ces faits pris ensemble font que la sphère d’action de la loi de la valeur est strictement limitée chez nous, et que la loi de la valeur ne peut, sous notre régime, jouer un rôle régulateur dans la production.
C’est ce qui explique d’ailleurs ce fait « stupéfiant » que, malgré la montée incessante et impétueuse de notre production socialiste, la loi de la valeur n’aboutit pas chez nous aux crises de surproduction, alors que la même loi de la valeur, qui a une large sphère d’action sous le capitalisme, malgré les faibles rythmes de croissance de la production dans les pays capitalistes, aboutit à des crises périodiques de surproduction.
On dit que la loi de la valeur est une loi constante, obligatoire pour toutes les périodes d’évolution historique ; que si la loi de la valeur perd sa force comme régulatrice des rapports d’échange dans la seconde phase de la société communiste, elle maintiendra dans cette phase de développement sa force comme régulatrice des rapports entre les diverses branches de la production, comme régulatrice de la répartition du travail entre les branches de la production.
Cela est tout à fait faux. La valeur, ainsi que la loi de la valeur, est une catégorie historique liée à l’existence de la production marchande. Avec la disparition de cette dernière, disparaîtront aussi la valeur avec ses formes et la loi de la valeur.
Dans la seconde phase de la société communiste, la quantité de travail dépensé pour fabriquer les produits, ne se mesurera plus par des voies détournées, au moyen de la valeur et de ses formes, comme c’est le cas pour la production marchande, mais directement et immédiatement par la quantité de temps, la quantité d’heures dépensées pour fabriquer les produits.
En ce qui concerne la répartition du travail, celle-ci ne se réglera pas entre les branches de production par la loi de la valeur qui aura perdu sa force vers ce temps, mais par l’accroissement des besoins de la société en produits.
Ce sera une société où la production se réglera par les besoins de la société, et le recensement des besoins de la société acquerra une importance de premier ordre pour les organismes de planification.
Il est de même absolument faux d’affirmer que, dans notre régime économique actuel, à la première phase du développement de la société communiste, la loi de la valeur règle soi-disant les « proportions » de la répartition du travail entre les diverses branches de production.
Si cela était juste, pourquoi ne développerait-on pas à fond nos industries légères comme étant les plus rentables, de préférence à l’industrie lourde qui est souvent moins rentable et qui parfois ne l’est pas du tout ?
Si cela était juste, pourquoi ne fermerait-on pas chez nous les entreprises pour l’instant non rentables de l’industrie lourde, où le travail des ouvriers ne produit pas « l’effet voulu », et pourquoi n’ouvrirait-on pas de nouvelles entreprises de l’industrie légère assurément rentable, où le travail des ouvriers pourrait produire un « plus grand effet » ?
Si cela était juste, pourquoi ne transférerait-on pas chez nous les ouvriers des entreprises peu rentables, bien que très nécessaires à l’économie nationale, vers les entreprises plus rentables, selon la loi de la valeur qui règle soi-disant les « proportions » de la répartition de travail entre les branches de production ?
Sans doute qu’en suivant à la trace ces camarades, il nous faudrait renoncer au primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation. Et que signifie renoncer au primat de la production des moyens de production ?
C’est rendre impossible la croissance incessante de notre économie nationale, car on ne saurait réaliser la croissance incessante de l’économie nationale, sans réaliser en même temps le primat de la production des moyens de production.
Ces camarades oublient que la loi de la valeur ne peut être la régulatrice de la production que sous le capitalisme, alors qu’existent la propriété privée des moyens de production, la concurrence, l’anarchie de la production, les crises de surproduction.
Ils oublient que la sphère d’action de la loi de la valeur est limitée chez nous par la propriété sociale des moyens de production, par l’action de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale, — elle est donc limitée aussi par nos plans annuels et quinquennaux qui sont le reflet approximatif des dispositions de cette loi.
Certains camarades tirent de là cette conclusion que la loi du développement harmonieux de l’économie nationale et la planification de celle-ci suppriment le principe de la rentabilité. Cela est absolument faux. Il en va tout autrement.
Si l’on considère la rentabilité, non pas du point de vue des différentes entreprises ou branches de production ni au cours d’une seule année, mais du point de vue de l’ensemble de l’économie nationale et au cours de dix à quinze ans par exemple, — ce qui serait le seul moyen d’aborder la question correctement, — la rentabilité momentanée et précaire des différentes entreprises ou branches de production ne peut soutenir aucune comparaison avec la forme supérieure d’une rentabilité solide et constante ; celle que nous donnent l’action de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale et la planification de cette dernière, en nous débarrassant des crises économiques périodiques, destructrices de l’économie nationale qui apportent à la société un immense dommage matériel, et en nous assurant le progrès continu de l’économie nationale avec ses rythmes élevés.
Bref, il n’est pas douteux que dans nos conditions socialistes actuelles de la production, la loi de la valeur ne peut être « régulatrice des proportions » dans la répartition du travail entre les diverses branches de production.
4. De la
suppression de l’opposition entre la ville et la campagne,
entre
le travail intellectuel et le travail manuel,
et de la liquidation
des différences entre eux
Ce titre a trait à plusieurs problèmes qui se distinguent essentiellement les uns des autres ; je les réunis cependant dans un seul chapitre, non pas pour les mêler, mais exclusivement en vue d’abréger mon exposé.
La suppression de l’opposition entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture constitue un problème connu, depuis longtemps soulevé par Marx et Engels.
La base économique de cette opposition est l’exploitation de la campagne par la ville, l’expropriation de la paysannerie et la ruine de la majeure partie de la population rurale, dues au développement de l’industrie, du commerce, du système de crédits en régime capitaliste.
Aussi faut-il considérer l’opposition entre la ville et la campagne sous le capitalisme comme une opposition d’intérêts. C’est sur ce terrain qu’a surgi cette attitude d’hostilité de la campagne à l’égard de la ville et en général à l’égard des « citadins ».
Il est certain qu’avec l’abolition du capitalisme et du système d’exploitation, avec le renforcement du régime socialiste dans notre pays, devait disparaître l’opposition des intérêts entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture.
C’est ce qui advint. L’aide efficace apportée à notre paysannerie par la ville socialiste, par notre classe ouvrière, pour liquider les grands propriétaires fonciers et les koulaks, a consolidé le terrain en vue de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie ; d’autre part, l’approvisionnement systématique de la paysannerie et de ses kolkhozes en tracteurs et machines de premier ordre a fait que l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie s’est transformée en amitié entre elles.
Sans doute, les ouvriers et la paysannerie kolkhozienne forment cependant deux classes qui se distinguent l’une de l’autre par leur situation respective.
Mais cette distinction n’affaiblit en aucune manière leur amitié. Au contraire, leurs intérêts se situent sur le même plan, celui de la consolidation du régime socialiste et de la victoire du communisme. Il n’est donc pas étonnant qu’il ne reste plus trace de la méfiance d’autrefois et, à plus forte raison, de la haine de la campagne pour la ville.
Tout cela signifie que le terrain propice à l’opposition entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture est d’ores et déjà liquidé par notre régime socialiste actuel.
Cela ne veut point dire, bien entendu, que la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne doive amener la « mort des grandes villes » (voir Engels : Anti- Dühring).
Non seulement les grandes villes ne périront pas, mais il en surgira encore de nouvelles, qui seront des centres de grande culture intellectuelle, centres non seulement de la grande industrie, mais aussi de la transformation des produits agricoles et d’un puissant développement de toutes les branches de l’industrie alimentaire.
C’est ce qui contribuera à l’épanouissement culturel du pays et conduira au nivellement des conditions d’existence dans les villes et les campagnes.
Il en va de même de la suppression de l’opposition entre le travail intellectuel et manuel. C’est là aussi un problème connu, depuis longtemps posé par Marx et Engels.
La base économique de l’opposition entre le travail intellectuel et manuel, c’est l’exploitation des travailleurs manuels par les représentants du travail intellectuel. Tout le monde connaît l’écart qui existait sous le capitalisme entre les travailleurs manuels dans les entreprises et le personnel dirigeant. On sait que cet écart a donné lieu à une attitude hostile des ouvriers envers le directeur, le contremaître, l’ingénieur et autres représentants du personnel technique, qu’ils considéraient comme leurs ennemis.
On comprend qu’avec l’abolition du capitalisme et du système d’exploitation devait disparaître l’opposition des intérêts entre le travail manuel et le travail intellectuel. Elle a effectivement disparu sous notre régime socialiste. Maintenant, travailleurs manuels et personnel dirigeant ne sont pas des ennemis, mais des camarades et des amis, membres d’une seule collectivité de producteurs, vivement intéressés au progrès et à l’amélioration de la production. De l’ancienne animosité, il ne reste plus trace.
Le problème de la disparition des différences entre la ville (l’industrie) et la campagne (l’agriculture), entre le travail intellectuel et le travail manuel, revêt un tout autre caractère. Ce problème n’a pas été posé par les classiques du marxisme. C’est un problème nouveau, posé par la pratique de notre édification socialiste.
Ce problème n’a-t-il pas été imaginé de toutes pièces ? a-t-il pour nous une importance pratique ou théorique ? Non, on ne peut pas dire que ce problème ait été imaginé de toutes pièces. Au contraire, il est pour nous un problème sérieux au plus haut point.
Si l’on considère, par exemple, la différence entre l’apiculture et l’industrie, elle consiste chez nous non seulement en ce que les conditions de travail dans l’agriculture diffèrent des conditions de travail dans l’industrie, mais avant tout et principalement en ce que dans notre industrie les moyens de production et les objets produits appartiennent au peuple, tandis que dans l’agriculture la propriété n’est pas celle du peuple entier mais celle d’un groupe, du kolkhoze.
Ce fait, on l’a déjà dit, aboutit au maintien de la circulation des marchandises, et ce n’est qu’avec la disparition de cette différence entre l’industrie et l’agriculture que peut disparaître la production marchande avec toutes les conséquences qui en découlent. Par conséquent, on ne peut nier que la disparition de cette différence essentielle entre l’agriculture et l’industrie doive avoir pour nous une importance de premier plan.
Il faut en dire autant de la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel. Ce problème a également pour nous une importance primordiale. Avant que l’émulation socialiste de masse ait pris de l’ampleur, notre industrie montait en grinçant, et nombre de camarades préconisaient même des rythmes ralentis du développement industriel.
Cela s’explique surtout par le fait que le niveau culturel et technique des ouvriers était trop bas et retardait de beaucoup sur le niveau du personnel technique. Les choses ont pourtant changé radicalement depuis que l’émulation socialiste a pris chez nous un caractère de masse. Dès lors, l’industrie a fait des progrès rapides. Pourquoi l’émulation socialiste a-t-elle pris un caractère de masse ?
Parce qu’il s’est trouvé parmi les ouvriers des groupes de camarades qui, non seulement s’étaient assimilé un minimum de connaissances techniques, mais sont allés au delà et ont atteint le niveau du personnel technique ; ils ont commencé à corriger les techniciens et les ingénieurs, à renverser les normes existantes comme périmées, à introduire des normes nouvelles, plus modernes, etc. Que serait-il advenu si, au lieu de groupes d’ouvriers, la majorité des ouvriers avaient élevé leur niveau culturel et technique jusqu’au niveau des ingénieurs et des techniciens ?
Notre industrie aurait été portée à une hauteur inaccessible pour l’industrie des autres pays. On ne doit donc pas nier que la suppression de la différence essentielle entre le travail intellectuel et le travail manuel, en élevant le niveau culturel et technique des ouvriers au niveau du personnel technique, ne peut pas ne pas avoir pour nous une importance de premier plan.
Certains camarades soutiennent qu’avec le temps disparaîtra non seulement la différence essentielle entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail manuel et le travail intellectuel, mais aussi toutes les différences entre eux. Cela est faux.
La suppression de la différence essentielle entre l’industrie et l’agriculture ne peut pas aboutir à la suppression de toutes les différences entre elles. Une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera assurément par suite des conditions différentes de travail dans l’industrie et dans l’agriculture.
Même dans l’industrie, si l’on tient compte de ses diverses branches, les conditions de travail ne sont pas partout les mêmes : les conditions de travail des mineurs, par exemple, diffèrent de celles des ouvriers d’une fabrique mécanisée de chaussures ; les conditions de travail des mineurs de minerais diffèrent de celles des ouvriers occupés dans l’industrie mécanique. Si cela est juste, une certaine différence subsistera surtout entre l’industrie et l’agriculture.
Il faut en dire autant de la différence entre le travail intellectuel et le travail manuel. La différence essentielle entre eux, quant au niveau culturel et technique, disparaîtra assurément. Mais une certaine différence, fût-elle insignifiante, demeurera pourtant, ne serait-ce que parce que les conditions de travail du personnel dirigeant des entreprises ne sont pas identiques aux conditions de travail des ouvriers.
Ceux de mes camarades qui affirment le contraire s’appuient sans doute sur une formulation de certaines de mes interventions où il est question de la suppression de la différence entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel, sans qu’il soit spécifié qu’il est question de supprimer la différence essentielle, et non pas toutes les différences. C’est bien ainsi que les camarades ont compris ma formulation, en supposant qu’elle signifie la suppression de toutes les différences.
C’est que la formulation était inexacte, insuffisante. Il faut la rejeter, la remplacer par une autre, affirmant la suppression des différences essentielles et le maintien des distinctions non essentielles entre l’industrie et l’agriculture, entre le travail intellectuel et le travail manuel.
5. De la
désagrégation du marché mondial unique
et de l’aggravation de
la crise du système capitaliste mondial
Le résultat économique le plus important de la deuxième guerre mondiale et de ses conséquences pour l’économie a été la désagrégation du marché mondial unique, universel. Ce qui a déterminé l’aggravation ultérieure de la crise générale du système capitaliste mondial.
La deuxième guerre mondiale a été elle-même engendrée par cette crise. Chacune des deux coalitions capitalistes engagées dans le conflit, espérait pouvoir battre l’adversaire et asseoir sa domination sur le monde. C’est en cela qu’elles cherchaient une issue à la crise.
Les États-Unis d’Amérique comptaient mettre hors de combat leurs concurrents les plus dangereux, l’Allemagne et le Japon, s’emparer des marchés étrangers, des ressources mondiales de matières premières et asseoir leur domination sur le monde.
La guerre cependant n’a pas donné raison à leurs espoirs. Il est vrai que l’Allemagne et le Japon ont été mis hors de combat eu tant que concurrents des trois principaux pays capitalistes : U.S.A., Grande-Bretagne, France. Mais on a vu d’autre part se détacher du système capitaliste la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, pour former avec l’Union soviétique un seul et vaste camp socialiste, opposé au camp du capitalisme.
Le résultat économique de l’existence des deux camps opposés fut que le marché unique, universel s’est désagrégé, ce qui fait que nous avons maintenant deux marchés mondiaux parallèles qui eux aussi s’opposent l’un à l’autre.
Notons que les U.S.A. et la Grande-Bretagne avec la France ont contribué eux- mêmes, bien entendu, indépendamment de leur volonté, à former et à consolider un nouveau marché mondial parallèle.
Ils ont soumis au blocus économique l’U.R.S.S., la Chine et les pays de démocratie populaire en Europe, qui ne faisaient pas partie du « plan Marshall », croyant ainsi pouvoir les étrangler. En réalité, loin d’être étranglé, le marché mondial nouveau a été consolidé.
L’essentiel pourtant ne consiste pas ici dans le blocus économique, mais en ce que, dans l’après-guerre, ces pays se sont associés économiquement et ont organisé la collaboration et l’entraide économiques. L’expérience de cette coopération montre qu’aucun pays capitaliste n’aurait pu prêter aux pays de démocratie populaire une aide aussi efficace et techniquement qualifiée que celle qu’ils reçoivent de l’Union soviétique.
Il ne s’agit pas seulement du fait que cette aide est très peu dispendieuse et de premier ordre au point de vue technique. Il s’agit avant tout qu’à la base de cette collaboration se trouve le désir sincère de s’entraider et de réaliser un essor économique général.
Résultat : nous enregistrons des rythmes de développement élevés dans ces pays. On peut dire avec assurance qu’avec de tels rythmes de développement de l’industrie, ces pays n’auront bientôt plus besoin d’importer des marchandises provenant des pays capitalistes, mais éprouveront eux-mêmes la nécessité de vendre à l’étranger les excédents de leur production.
Mais il s’ensuit que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (U.S.A., Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales, ne s’étendra pas mais diminuera ; que les conditions, quant aux débouchés mondiaux, s’aggraveront pour ces pays, et que la sous-production des entreprises y augmentera.
C’est en cela que consiste proprement l’aggravation de la crise générale du système capitaliste universel, à la suite de la désagrégation du marché mondial.
C’est ce que les capitalistes comprennent fort bien, car il est difficile de ne pas ressentir la perte de marchés tels que l’U.R.S.S., la Chine. Ils s’attachent à remédier à ces difficultés par le « plan Marshall », par la guerre en Corée, par la course aux armements, par la militarisation de l’industrie. Mais cela ressemble fort au noyé qui s’accroche à un brin de paille.
Devant cette situation deux problèmes se posent aux économistes :
a) Peut-on affirmer que la thèse bien connue de Staline sur la stabilité relative des marchés en période de crise générale du capitalisme, thèse formulée avant la deuxième guerre mondiale, — reste toujours en vigueur ?
b) Peut-on affirmer que la thèse bien connue, formulée par Lénine au printemps de 1916, selon laquelle, malgré sa putréfaction « dans l’ensemble le capitalisme se développe infiniment plus vite que naguère », — reste toujours en vigueur ?
Je pense qu’on ne saurait l’affirmer. Etant donné les nouvelles conditions dues à la deuxième guerre mondiale, il faut considérer ces deux thèses comme périmées.
6. De l’inévitabilité des guerres entre pays capitalistes
Certains camarades affirment qu’étant donné les nouvelles conditions internationales, après la deuxième guerre mondiale, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables.
Ils estiment que les contradictions entre le camp du socialisme et celui du capitalisme sont plus fortes que les contradictions entre pays capitalistes ; que les États-Unis d’Amérique se sont suffisamment soumis les autres pays capitalistes pour les empêcher de se faire la guerre et de s’affaiblir mutuellement ; que les hommes avancés du capitalisme sont assez instruits par l’expérience des deux guerres mondiales, qui ont porté un sérieux préjudice à l’ensemble du monde capitaliste, pour se permettre d’entraîner à nouveau les pays capitalistes dans une guerre entre eux ; que, de ce fait, les guerres entre pays capitalistes ne sont plus inévitables.
Ces camarades se trompent. Ils voient les phénomènes extérieurs affleurant à la surface, mais ils n’aperçoivent pas les forces profondes qui, bien qu’agissant momentanément de façon invisible, n’en détermineront pas moins le cours des événements.
En apparence, la « sérénité » règne partout : les États-Unis d’Amérique ont réduit à la portion congrue l’Europe occidentale, le Japon et les autres pays capitalistes ; l’Allemagne (de l’Ouest), la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, le Japon, tombés dans les griffes des U.S.A., exécutent docilement leurs injonctions.
Mais on aurait tort de croire que cette « sérénité » puisse se maintenir « pour l’éternité » ; que ces pays supporteront sans fin la domination et le joug des États-Unis d’Amérique ; qu’ils n’essaieront pas de s’arracher du joug américain pour s’engager sur le chemin de l’indépendance.
Considérons d’abord l’Angleterre et la France. Il est certain que ce sont des pays impérialistes.
Il est certain que les matières premières à bon marché et les débouchés assurés ont pour eux une importance de premier plan. Peut-on imaginer qu’ils supporteront sans fin la situation actuelle, quand les Américains, à la faveur d’une « aide » prêtée au titre du « plan Marshall », s’installent dans le système économique de la Grande- Bretagne et de la France, système dont ils veulent faire un appendice de l’économie américaine ; quand le capital américain s’empare des matières premières et des débouchés dans les colonies anglo-françaises, préparant ainsi la catastrophe pour les profits exorbitants des capitalistes anglo-français ?
N’est-il pas plus exact de dire que l’Angleterre capitaliste et, à sa suite, la France capitaliste seront finalement obligées de s’arracher à l’étreinte des U.S.A. et d’entrer en conflit avec eux pour s’assurer une situation indépendante et, bien entendu, des profits exorbitants ?
Passons aux principaux pays vaincus, à l’Allemagne (occidentale), au Japon. Ces pays mènent aujourd’hui une existence lamentable sous la botte de l’impérialisme américain.
Leur industrie et leur agriculture, leur commerce, leur politique extérieure et intérieure, toute leur existence sont enchaînés par le « régime » d’occupation américain.
Dire qu’hier encore c’étaient de grandes puissances impérialistes qui ébranlaient les assises de la domination de la Grande-Bretagne, des U.S.A., de la France en Europe et en Asie. Penser que ces pays n’essaieront pas de se relever, de briser le « régime » des U.S.A. et de s’engager sur le chemin de l’indépendance, c’est croire au miracle.
On dit que les contradictions entre capitalisme et socialisme sont plus fortes que celles existant entre les pays capitalistes. Théoriquement, c’est juste, bien sûr. Ce n’est pas seulement juste aujourd’hui, cela l’était aussi avant la deuxième guerre mondiale.
C’est ce que comprenaient plus ou moins les dirigeants des pays capitalistes. Et cependant, la deuxième guerre mondiale n’a pas commencé par la guerre contre l’U.R.S.S., mais par une guerre entre paya capitalistes.
Pourquoi ? Parce que, d’abord, la guerre contre l’U.R.S.S., pays du socialisme, est plus dangereuse pour le capitalisme que la guerre entre pays capitalistes. Car si la guerre entre pays capitalistes pose seulement le problème de la domination de tels pays capitalistes sur tels autres, la guerre contre l’U.R.S.S. doit nécessairement poser la question de l’existence même du capitalisme.
Parce que, en second lieu, les capitalistes, bien qu’ils proclament, aux fins de « propagande », l’agressivité de l’Union soviétique, n’y croient pas eux-mêmes, puisqu’ils tiennent compte de la politique de paix de l’Union soviétique et savent que l’U.R.S.S. n’attaquera pas d’elle-même les pays capitalistes.
Au lendemain de la première guerre mondiale, on considérait aussi que l’Allemagne avait été définitivement mise hors de combat, de même que le sont aujourd’hui, selon certains camarades, le Japon et l’Allemagne. À ce moment, on disait aussi et on proclamait dans la presse que les États-Unis d’Amérique avaient réduit l’Europe à la portion congrue ; que l’Allemagne ne pourrait plus se relever ; qu’il ne devait plus y avoir de guerre entre pays capitalistes.
Mais, malgré cela, l’Allemagne s’est remise debout comme une grande puissance quinze à vingt ans après sa défaite ; elle s’est évadée de sa captivité et engagée sur le chemin de l’indépendance. Chose caractéristique, c’est que la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique ont aidé eux- mêmes l’Allemagne à se relever économiquement et à rétablir son potentiel économique et militaire.
Sans doute qu’en aidant l’Allemagne à se relever économiquement, les U.S.A. et la Grande-Bretagne entendaient diriger l’Allemagne, une fois relevée, contre l’Union soviétique, l’utiliser contre le pays du socialisme. L’Allemagne cependant a dirigé ses forces, en premier lieu, contre le bloc anglo-franco-américain.
Et lorsque l’Allemagne hitlérienne eut déclaré la guerre à l’Union soviétique, le bloc anglo-franco-américain, loin de se rallier à l’Allemagne hitlérienne, fut obligée, au contraire, de se coaliser avec l’U.R.S.S. contre l’Allemagne hitlérienne.
Par conséquent, la lutte des pays capitalistes pour la possession des marchés et le désir de noyer leurs concurrents se sont pratiquement révélés plus forts que les contradictions entre le camp du capitalisme et celui du socialisme.
On se demande : où est la garantie que l’Allemagne et le Japon ne se relèveront pas et ne tenteront pas de s’évader de la captivité américaine pour commencer une vie propre, indépendante ? Je pense que cette garantie n’existe pas.
Il s’ensuit donc que l’inévitabilité des guerres entre pays capitalistes reste entière.
On dit qu’il faut considérer comme périmée la thèse de Lénine selon laquelle l’impérialisme engendre inévitablement les guerres, puisque de puissantes forces populaires ont surgi maintenant, qui défendent la paix contre une nouvelle guerre mondiale. Cela est faux.
Le mouvement actuel pour la paix se propose d’entraîner les masses populaires dans la lutte pour le maintien de la paix, pour conjurer une nouvelle guerre mondiale. Par conséquent, il ne vise pas à renverser le capitalisme et à instaurer le socialisme, — il se borne à des buts démocratiques de lutte pour le maintien de la paix. À cet égard, le mouvement actuel pour le maintien de la paix se distingue de celui qui existait lors de la première guerre mondiale, et qui, visant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile, allait plus loin et poursuivait des buts socialistes.
Il se peut que, les circonstances aidant, la lutte pour la paix évolue çà et là vers la lutte pour le socialisme, mais ce ne sera plus le mouvement actuel en faveur de la paix, mais un mouvement pour renverser le capitalisme.
Le plus probable, c’est que le mouvement actuel en faveur de la paix, en tant que mouvement pour le maintien de la paix, contribuera, en cas de succès, à conjurer une guerre donnée, à l’ajourner temporairement, à maintenir temporairement une paix donnée, à faire démissionner le gouvernement belliciste et à y substituer un autre gouvernement, disposé à maintenir provisoirement la paix.
Cela est bien, naturellement. C’est même très bien. Mais cela ne suffit cependant pas pour supprimer l’inévitabilité des guerres, en général, entre pays capitalistes. Cela ne suffit pas, car malgré tous ces succès du mouvement de la paix, l’impérialisme demeure debout, reste en vigueur. Par suite, l’inévitabilité des guerres reste également entière.
Pour supprimer l’inévitabilité des guerres, il faut détruire l’impérialisme.
7. Des lois économiques fondamentales du capitalisme actuel et du socialisme
On sait que la question des lois économiques fondamentales du capitalisme et du socialisme a été plusieurs fois soulevée au cours des discussions.
Différentes opinions ont été émises à ce sujet, allant même jusqu’aux plus fantaisistes. Il est vrai que la plupart des participants à la discussion ont réagi mollement, et qu’aucune décision n’a été prise sur ce point. Toutefois, aucun des participants à la discussion n’a nié l’existence de ces lois.
Une loi économique fondamentale du capitalisme existe-t-elle ? Oui, elle existe. Qu’est-ce que cette loi, quels sont ses traits caractéristiques ?
La loi économique fondamentale du capitalisme est celle qui définit, non pas un aspect particulier ou des processus particuliers du développement de la production capitaliste, mais tous les principaux aspects et tous les principaux processus de ce développement ; elle définit donc l’essence de la production capitaliste, sa nature.
La loi de la valeur n’est-elle pas la loi économique fondamentale du capitalisme ? Non. Elle est avant tout celle de la production marchande.
Elle existait avant le capitalisme et continue d’exister, ainsi que la production marchande, après le renversement du capitalisme, par exemple, dans notre pays, avec, il est vrai, une sphère d’action limitée.
Certes, la loi de la valeur, qui comporte une large sphère d’action dans le cadre du capitalisme, joue un grand rôle dans le développement de la production capitaliste ; mais elle ne définit pas l’essence de la production capitaliste et les bases du profit capitaliste ; bien plus : elle ne pose même pas ces problèmes. Elle ne peut donc pas être la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.
Pour les mêmes raisons, la loi de la concurrence et de l’anarchie de la production, ou la loi du développement inégal du capitalisme dans les différents pays ne peut être la loi économique fondamentale du capitalisme.
On soutient que la loi du taux moyen du profit est la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.
Cela est faux. Le capitalisme actuel, le capitalisme de monopole, ne peut se contenter du taux moyen qui, au surplus, a tendance à diminuer par suite du relèvement de la composition organique du capital.
L’actuel capitalisme de monopole ne demande pas le profit moyen, mais le maximum de profit, nécessaire pour réaliser plus ou moins régulièrement la reproduction élargie.
La loi qui convient le mieux à la notion de loi économique fondamentale du capitalisme, est celle de la plus-value, celle de la naissance et de l’accroissement du profit capitaliste. En effet, elle détermine les traits essentiels de la production capitaliste.
Mais la loi de la plus-value est une loi d’ordre trop général, qui ne touche pas aux problèmes du taux maximum du profit, dont la garantie est la condition du développement du capitalisme monopoliste. Pour combler cette lacune, il faut concrétiser la loi de la plus-value et la développer, en accord avec les conditions du capitalisme de monopole, en tenant compte que ce dernier ne réclame pas n’importe quel profit, mais le maximum de profit. C’est cela la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.
Les traits principaux et les dispositions de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer le maximum de profit capitaliste en exploitant, en ruinant, en appauvrissant la majeure partie de la population d’un pays donné ; en asservissant et en dépouillant de façon systématique les peuples des autres pays, notamment ceux des pays arriérés ; enfin, en déclenchant des guerres et en militarisant l’économie nationale en vue d’assurer le maximum de profits.
On dit que le profit moyen pourrait néanmoins, dans les conditions actuelles, amplement suffire au développement capitaliste.
C’est faux. Le profit moyen, c’est la limite inférieure de la rentabilité, au-dessous de laquelle la production capitaliste devient impossible. Mais il serait ridicule de penser que les brasseurs d’affaires de l’actuel capitalisme monopoliste, en s’emparant des colonies, en asservissant les peuples et on déclenchant des guerres, entendent ne s’assurer qu’un profit moyen.
Non, ce n’est pas le profit moyen, ni le surprofit qui ne représente en règle générale qu’une certaine majoration du profit moyen, mais le maximum de profit qui constitue la force motrice du capitalisme de monopole.
C’est la nécessité de réaliser le maximum de profits qui pousse le capitalisme de monopole à des actes hasardeux comme l’asservissement et le pillage systématique des colonies et des autres pays arriérés, la transformation des pays indépendants en pays dépendants, l’organisation de nouvelles guerres qui sont pour les brasseurs d’affaires du capitalisme actuel le meilleur « business » leur permettant de tirer le maximum de profit ; enfin, les efforts tentés pour conquérir la domination économique mondiale.
La portée de la loi économique fondamentale du capitalisme consiste entre autres en ceci : en définissant tous les phénomènes importants dans le développement du mode de production capitaliste, ses essors et ses crises, ses victoires et ses défaites, ses mérites et ses défauts, — tout le processus de son développement contradictoire, — elle permet de les comprendre et de les expliquer.
Voici un exemple « frappant » entre tant d’autres.
Tout le monde connaît les faits tirés de l’histoire et de la pratique du capitalisme, qui montrent l’essor impétueux de la technique sous le capitalisme, alors que les capitalistes s’affirment des champions de la technique avancée, des révolutionnaires dans le développement de la technique de la production.
Mais on connaît également des faits d’un autre genre qui montrent que le développement de la technique subit des arrêts sous le capitalisme, quand les capitalistes font figure de réactionnaires par rapport au progrès technique et reviennent souvent au travail manuel.
Comment expliquer cette contradiction flagrante ? On ne peut l’expliquer que par la loi économique fondamentale du capitalisme actuel, c’est-à-dire par la nécessité de réaliser le maximum de profits. Le capitalisme est pour la technique nouvelle, quand elle lui fait entrevoir les plus grands profits. Il est contre la nouvelle technique et pour le retour au travail manuel, lorsque la nouvelle technique ne lui fait plus entrevoir les profits les plus élevés.
Il en est ainsi de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel.
Existe-t-il une loi économique fondamentale du socialisme ? Oui, elle existe. Quels sont les traits essentiels et les dispositions de cette loi ?
Les traits essentiels et les dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de toute la société, en augmentant et en perfectionnant toujours la production socialiste sur la base d’une technique supérieure.
Par conséquent : au lieu que soit assuré le maximum de profits, c’est la satisfaction au maximum des besoins matériels et culturels de la société ; au lieu que la production se développe avec des temps d’arrêt — de l’essor à la crise, de la crise à l’essor, — c’est une croissance ininterrompue de la production ; au lieu de temps d’arrêt périodiques qui s’opèrent dans le progrès technique et s’accompagnent de la destruction des forces productives de la société, c’est un perfectionnement ininterrompu de la production sur la base d’une technique supérieure.
On dit que la loi économique fondamentale du socialisme est celle d’un développement harmonieux, proportionnel de l’économie nationale. Cela est faux. Le développement harmonieux de l’économie nationale et, par suite, sa planification, qui constitue le reflet plus ou moins fidèle de cette loi, ne peuvent rien donner par eux- mêmes, si on ignore au nom de quels objectifs se fait le développement planifié de l’économie nationale, ou bien si la tâche n’est pas claire.
La loi du développement harmonieux de l’économie nationale, ne peut donner l’effet voulu que dans le cas où il y a une tâche au nom de laquelle ce développement se poursuit. Cette tâche ne peut être fournie par la loi même du développement harmonieux de l’économie nationale. À plus forte raison ne peut-elle pas être fournie par la planification de l’économie nationale.
Cette tâche est contenue dans la loi économique fondamentale du socialisme sous la forme des dispositions exposées plus haut.
Aussi, la loi du développement harmonieux de l’économie nationale ne peut-elle exercer à fond son action que si cette action s’appuie sur la loi économique fondamentale du socialisme.
En ce qui concerne la planification de l’économie nationale, elle ne peut obtenir de résultats positifs qu’en observant deux conditions : a) si elle reflète correctement les dispositions de la loi du développement harmonieux de l’économie nationale ; b) si elle tient compte partout des dispositions de la loi économique fondamentale du socialisme.
8. Autres problèmes
1) La question de la contrainte extra-économique sous le féodalisme.
Sans doute, la contrainte extra-économique a contribué à consolider le pouvoir économique des féodaux, sans constituer toutefois la base du féodalisme ; c’était la propriété féodale de la terre qui en était le fondement.
2) La question de la propriété personnelle du foyer kolkhozien.
On aurait tort de dire dans le projet de manuel que « chaque foyer kolkhozien dispose personnellement d’une vache, de menu bétail et de volaille ». On sait qu’en réalité la vache, le menu bétail, la volaille, etc., ne sont pas un objet de jouissance personnelle, mais la propriété personnelle du foyer kolkhozien. L’expression « jouissance personnelle » a été empruntée sans doute au Statut-type de l’artel agricole. Mais il y a là une erreur. La Constitution de l’U.R.S.S., élaborée avec plus de soin, dit autre chose, à savoir :
Chaque foyer kolkhozien… sur ce terrain possède en propre une économie auxiliaire, une maison d’habitation, le bétail de production, la volaille et le menu matériel agricole. (Constitution de l’U.R.S.S., p. 4, Éditions sociales, Paris, 1945.)
C’est exact, bien entendu.
Il faudrait, en outre, dire avec plus de détail que chaque kolkhozien possède en propre d’une à tant de vaches, selon les conditions locales, tant de moutons, de chèvres, de porcs (en nombre à déterminer suivant les conditions locales) et un nombre illimité de volailles (canards, oies, poules, dindes).
Ces détails ont une grande importance pour nos camarades à l’étranger, qui veulent savoir exactement ce qui reste proprement au foyer kolkhozien à titre de propriété personnelle, après que la collectivisation agricole a été réalisée chez nous.
3) La question des fermages que les paysans devaient aux propriétaires fonciers, de même que les dépenses nécessitées par l’achat de terre.
Il est dit dans le projet de manuel qu’à la suite de la nationalisation du sol « la paysannerie s’est libérée des fermages qu’elle payait aux propriétaires fonciers — près de 500 millions de roubles par an » (ajoutons : « en or »). Il importerait de préciser ce chiffre, car il établit, ce me semble, le fermage payé non pas dans toute la Russie, mais dans la plupart des provinces russes.
Il ne faut pas perdre de vue que sur certains confins de la Russie, le fermage se payait en nature, ce dont les auteurs du projet de manuel n’ont sans doute pas tenu compte. En outre, il ne faut pas oublier que la paysannerie s’est libérée des fermages, mais aussi des dépenses annuelles nécessitées par les achats de terre. En a-t-on tenu compte dans le projet de manuel ? Il me semble que non ; or, il faudrait en tenir compte.
4) Le problème de l’intégration des monopoles à l’appareil d’État.
Le mot « intégration » est employé ici improprement. Terme qui exprime superficiellement et sous forme descriptive le rapprochement des monopoles et de l’État, mais sans dégager le sens économique de ce rapprochement qui n’entraîne pas simplement l’intégration, mais la soumission de l’appareil d’État aux monopoles. Il faudrait donc rejeter le mot « intégration », et y substituer les mots « soumission de l’appareil d’État aux monopoles ».
5) De l’emploi des machines en U.R.S.S.
Il est dit dans le projet de manuel qu’ « en U.R.S.S., les machines sont employées toutes les fois qu’elles économisent le travail à la société ». Ce n’est pas du tout ce qu’il faudrait dire.
D’abord, les machines en U.R.S.S. économisent toujours le travail à la société, ce qui fait que nous ne connaissons pas d’exemple de machines qui, en U.R.S.S., n’aient pas économisé le travail à la société. En second lieu, les machines n’économisent pas uniquement le travail, elles facilitent le labeur des hommes, ce qui fait que dans nos conditions, contrairement à celles du capitalisme, les ouvriers emploient très volontiers les machines dans leur travail.
Il faudrait donc dire que nulle part les machines ne sont employées aussi volontiers qu’en U.R.S.S., puisqu’elles économisent le travail à la société et facilitent la peine des hommes. Et comme le chômage n’existe pas en U.R.S.S., les ouvriers emploient très volontiers les machines dans l’économie nationale.
6) De la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes.
Quand on parle de la situation matérielle de la classe ouvrière, on pense d’habitude aux ouvriers occupés, et l’on ne tient pas compte de la situation matérielle de ce qu’on appelle l’armée de réserve, l’armée des chômeurs.
Une telle façon de traiter de la situation matérielle de la classe ouvrière est-elle juste ? Je pense que non. Si les chômeurs forment une armée de réserve, dont les membres n’ont pas de quoi vivre, sinon de la vente de leur force de travail, les chômeurs doivent forcément faire partie de la classe ouvrière ; mais alors leur situation misérable ne peut qu’influer sur la situation matérielle des ouvriers occupés.
Je pense donc qu’en définissant la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes, il faudrait tenir compte aussi de la situation de l’armée de réserve des sans-travail.
7) La question du revenu national.
Je pense qu’il faudrait inclure absolument dans le projet de manuel un nouveau chapitre sur le revenu national.
8) En ce qui concerne le chapitre spécial du manuel sur Lénine et Staline, créateurs de l’économie politique du socialisme.
Je pense que le chapitre « La doctrine marxiste du socialisme. La création par Lénine et Staline d’une économie politique du socialisme » doit être supprimé. Il est absolument inutile dans ce manuel, puisqu’il n’apporte rien de nouveau et ne fait que répéter faiblement ce qui a été dit avec plus de détails dans les chapitres précédents.
En ce qui concerne les autres problèmes, je n’ai pas d’observations à ajouter aux « propositions » des camarades Ostrovitianov, Léontiev, Chépilov, Gatovski et autres.
9. La portée internationale d’un manuel marxiste d’économie politique
Je pense que les camarades ne tiennent pas suffisamment compte de la portée d’un manuel marxiste d’économie politique.
Ce manuel n’est pas seulement nécessaire à notre jeunesse soviétique. Il l’est surtout aux communistes de tous les pays et à ceux qui sympathisent avec eux.
Nos camarades à l’étranger veulent savoir comment nous avons fait pour secouer le joug capitaliste, réorganiser l’économie du pays dans l’esprit du socialisme, pour gagner l’amitié de la paysannerie ; comment nous avons fait pour qu’un pays hier encore misérable et faible se transforme en pays riche, puissant ; ce que sont les kolkhozes ; pourquoi, malgré la socialisation des moyens de production, nous maintenons la production marchande, l’argent, le commerce, etc.
Ils veulent savoir tout cela et bien d’autres choses, non point par simple curiosité, mais pour apprendre de nous et utiliser notre expérience dans leur propre pays. Aussi la publication d’un bon manuel marxiste d’économie politique a-t-elle une importance non seulement nationale, mais encore une immense portée internationale.
Il faut donc un manuel pouvant servir de livre de chevet à la jeunesse révolutionnaire non seulement à l’intérieur du pays, maie aussi au delà de ses frontières.
Il ne doit pas être trop volumineux, sinon il ne pourra par être un livre de chevet, et l’on aura de la peine à se l’assimiler, à en venir à bout. Mais il doit contenir toutes les choses essentielles concernant aussi bien l’économie de notre pays que celle du capitalisme et du système colonial.
Certains camarades ont proposé, au cours des débats, d’inclure dans le manuel plusieurs nouveaux chapitres, les historiens : sur l’histoire, les hommes politiques : sur la politique, les philosophes : sur la philosophie, les économistes : sur l’économie.
Mais cela aurait fait prendre au manuel des proportions illimitées. Naturellement, il ne faut pas le faire. Le manuel utilise la méthode historique pour illustrer les problèmes d’économie politique, mais cela ne veut pas encore dire que nous devions faire du manuel d’économie politique une histoire des rapports économiques.
Il nous faut, un manuel de 500, de 600 pages au plus. Ce sera un livre de chevet en matière d’économie politique marxiste, un excellent cadeau aux jeunes communistes de tous les pays.
Du reste, étant donné le niveau insuffisant de la formation marxiste de la plupart des Partis communistes étrangers, ce manuel pourrait être d’une grande utilité aussi pour les cadres communistes plus âgés de ces pays.
10. Les moyens d’améliorer le projet de manuel d’économie politique
Certains camarades se sont attachés, au cours de la discussion, à « démolir » avec zèle le projet de manuel ; ils ont critiqué ses auteurs pour leurs fautes et leurs insuffisances, et affirmé que le projet n’est pas réussi. Cela n’est pas juste.
Sans doute, il y a des erreurs et des insuffisances dans le manuel, — il y en a presque toujours dans un travail important. De toute façon, l’immense majorité des participants à la discussion ont reconnu pourtant que le projet de manuel pouvait servir de base au futur manuel et n’a besoin que de certaines rectifications et de certaines adjonctions.
En effet, il suffit de comparer le projet aux manuels d’économie politique en librairie, pour conclure qu’il est sensiblement supérieur aux manuels existants. C’est là un grand mérite des auteurs de ce projet.
Je pense que pour l’améliorer, il faudrait nommer une commission à effectif réduit, en y comprenant non seulement les auteurs du manuel et les partisans de la majorité de ceux qui ont pris part à la discussion, mais aussi les adversaires de la majorité, les critiques zélés du projet de manuel.
On ferait bien d’inclure dans la commission un statisticien averti qui vérifierait les chiffres et introduirait dans le projet de nouvelles statistiques, de même qu’un juriste expérimenté pour vérifier le texte des formules.
Il faudrait exempter temporairement les membres de la commission de tout autre travail, en les pourvoyant pleinement sous le rapport matériel, afin qu’ils puissent se donner tout entier à ce travail.
En outre, il faudrait nommer un comité de rédaction, trois personnes, par exemple, qui seraient chargées de la mise au point définitive du manuel. Ce qui est nécessaire aussi pour réaliser l’unité de style dont, malheureusement, le projet de manuel est dépourvu.
Les délais de présentation du manuel mis au point au Comité central : un an.
1er février 1952.
Réponse au
camarade
Alexandre Ilitch Notkine
Camarade Notkine,
Je ne vous ai pas répondu aussitôt, parce que je ne juge pas urgentes les questions que vous posez. D’autant plus qu’il est d’autres questions ayant un caractère d’urgence et qui, naturellement, retiennent l’attention et la détournent de votre lettre.
Je réponds point par point.
Premier point.
Dans mes « Remarques » figure la thèse selon laquelle la société n’est pas impuissante devant les lois de la science, que les hommes, en connaissant les lois économiques, peuvent les utiliser dans l’intérêt de la société.
Vous prétendez que cette thèse ne peut être étendue aux autres formations de la société, qu’elle n’est valable que pour le socialisme et le communisme, que le caractère spontané des processus économiques, par exemple, sous le capitalisme ne permet pas à la société d’utiliser les lois économiques dans son intérêt.
C’est faux. À l’époque de la révolution bourgeoise, par exemple en France, la bourgeoisie a utilisé centre le féodalisme la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production féodaux, elle a créé des rapports de production nouveaux, bourgeois, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives, formées au sein du régime féodal.
La bourgeoisie l’a fait non pas en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée. Les féodaux s’y opposaient non par stupidité, mais parce qu’ils étaient vivement intéressés à empêcher l’application de cette loi.
Il faut en dire autant de la Révolution socialiste dans notre pays. La classe ouvrière a utilisé la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production bourgeois, elle a créé des rapports de production nouveaux, socialistes, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives.
Elle a pu le faire, non en vertu de ses talents particuliers, mais parce qu’elle y était vivement intéressée. La bourgeoisie qui, de force d’avant-garde à l’aube de la révolution bourgeoise, avait eu le temps de se transformer en une force contre-révolutionnaire, a résisté par tous les moyens à l’application de cette loi, — résisté non point par manque d’organisation ni parce que le caractère spontané des processus économiques la poussait à la résistance, mais principalement parce qu’elle était vivement intéressée à la non-application de cette loi.
Par conséquent :
1o L’utilisation des processus économiques, des lois économiques dans l’intérêt de la société a lieu, dans telle ou telle mesure, non seulement sous le socialisme et le communisme, mais aussi sous d’autres formations ;
2o L’utilisation des lois économiques dans une société de classe, a toujours et partout des mobiles de classe, et le promoteur de l’utilisation des lois économiques dans l’intérêt de la société, est toujours et partout la classe d’avant-garde, tandis que les classes déclinantes s’y opposent.
En l’occurrence, la différence entre le prolétariat, d’une part, et les autres classes qui accomplirent jadis, au cours de l’histoire, des révolutions dans les rapports de production, d’autre part, c’est que les intérêts de classe du prolétariat se fondent avec les intérêts de l’immense majorité de la société, car la révolution du prolétariat ne signifie pas la suppression de telle ou telle forme d’exploitation, mais la suppression de toute exploitation, tandis que les révolutions des autres classes, en supprimant simplement telle ou telle forme d’exploitation, n’allaient pas au delà de leurs intérêts de classe étroits, qui se trouvaient en contradiction avec les intérêts de la majorité de la société.
Les « Remarques » parlent des mobiles de classe qui font que les lois économiques sont utilisées dans l’intérêt de la société. Il y est dit :
Alors que dans le domaine de la nature, la découverte et l’application d’une nouvelle loi se poursuivent plus ou moins sans entrave, dans le domaine économique la découverte et l’application d’une nouvelle loi, qui porte atteinte aux intérêts des forces déclinantes de la société, rencontrent la résistance la plus énergique de ces forces.
Or vous n’avez prêté aucune attention à ce passage.
Deuxième point.
Vous prétendez que l’entière correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives, ne peut être obtenue que sous le socialisme et le communisme, et que sous les autres formations on ne peut réaliser qu’une correspondance incomplète.
C’est faux. Dans l’époque qui a suivi la révolution bourgeoise, lorsque la bourgeoisie a détruit les rapports de production féodaux et instauré des rapports de production bourgeois, il y a eu incontestablement des périodes où les rapports de production bourgeois ont été entièrement conformes au caractère des forces productives.
Autrement, le capitalisme n’aurait pas pu se développer aussi rapidement qu’il l’a fait après la révolution bourgeoise.
Ensuite. On ne peut pas prendre dans leur acception absolue les mots « entière correspondance ».
On ne peut pas les interpréter en ce sens que, sous le socialisme, les rapports de production ne marqueraient aucun retard sur l’accroissement des forces productives. Les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production. Elles devancent, sans conteste, les rapports de production, en régime socialiste également. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les rapports de production s’adaptent au caractère des forces productives.
Dès lors, comment faut-il comprendre les mots « entière correspondance » ? Il faut les comprendre en ce sens que d’une façon générale, sous le socialisme, les choses n’aboutissent pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives, que la société a la possibilité d’assurer en temps utile la correspondance entre les rapports de production retardataires et le caractère des forces productives.
La société socialiste a la possibilité de le faire parce qu’elle n’a pas, dans son sein, de classes déclinantes pouvant organiser la résistance. Certes, sous le socialisme également, il y aura des forces d’inertie retardataires, ne comprenant pas la nécessité de modifier les rapports de production, mais il sera, évidemment, facile d’en venir à bout, sans pousser les choses jusqu’à un conflit.
Troisième point.
Il ressort de vos raisonnements que vous considérez comme une marchandise les moyens de production et, tout d’abord, les instruments de production fabriqués par nos entreprises nationalisées.
Peut-on considérer les moyens de production, dans notre régime socialiste, comme une marchandise ? Selon moi, on ne le peut en aucune façon.
La marchandise est un produit de la production, qui se vend à tout acheteur ; au moment de la vente, le propriétaire de la marchandise perd son droit de propriété, tandis que l’acheteur devient propriétaire de la marchandise ; il peut la revendre, la mettre en gage, la laisser pourrir. Cette définition convient-elle pour les moyens de production ?
Il est clair que non. D’abord, les moyens de production ne « se vendent » pas à tout acheteur, ils ne « se vendent » pas même aux kolkhozes ; ils sont simplement répartis par l’État entre ses entreprises. En second lieu, le propriétaire des moyens de production, l’État, lorsqu’il les remet à telle ou telle entreprise ne perd aucunement le droit de propriété sur les moyens de production, mais, au contraire, le conserve intégralement.
Troisièmement, les directeurs d’entreprises, qui ont reçu de l’État des moyens de production, non seulement n’en deviennent pas les propriétaires, mais, au contraire, sont les fondés de pouvoir de l’État soviétique pour l’utilisation des moyens de production, en accord avec les plans fixés par l’État.
Comme on le voit, les moyens de production, sous notre régime, ne sauraient aucunement être classés dans la catégorie des marchandises.
Pourquoi alors parle-t-on de la valeur des moyens de production, de leur prix de revient, de leur prix de vente, etc. ?
Pour deux raisons.
Premièrement, cela est nécessaire pour les calculs, pour les règlements de comptes, pour établir la rentabilité ou la non-rentabilité des entreprises, pour vérifier et contrôler ces dernières. Mais ce n’est là que le côté formel de la question.
Deuxièmement, cela est nécessaire pour pouvoir, dans l’intérêt du commerce extérieur, vendre des moyens de production aux États étrangers. Ici, dans le domaine du commerce extérieur, mais seulement dans ce domaine, nos moyens de production sont effectivement des marchandises et se vendent effectivement (sans guillemets).
Ainsi donc, dans le domaine du commerce extérieur, les moyens de production fabriqués par nos entreprises conservent les propriétés de marchandises tant pour le fond que pour la forme, tandis que dans les échanges économiques à l’intérieur du pays, les moyens de production perdent les propriétés des marchandises, cessent d’être des marchandises, sortent de la sphère d’action de la loi de la valeur et ne conservent que l’apparence extérieure de marchandises (calculs, etc.)
Comment expliquer cette particularité ?
C’est que dans nos conditions socialistes le développement économique se fait non par révolutions, mais par modifications graduelles, lorsque l’ancien n’est pas purement et simplement aboli, mais change de nature pour s’adapter au nouveau, et ne conserve que sa forme ; le nouveau, pour sa part, ne supprime pas purement et simplement l’ancien, mais le pénètre, modifie sa nature, ses fonctions, n’en brise pas la forme mais l’utilise pour le développement du nouveau.
Il en est ainsi des marchandises, mais aussi de la monnaie dans nos échanges économiques, il en va de même en ce qui concerne les banques qui, en perdant leurs anciennes fonctions et en en acquérant de nouvelles, conservent leur forme ancienne, utilisée par le régime socialiste.
Si l’on envisage la question du point de vue formel, du point de vue des processus qui s’opèrent à la surface des événements, on en arrive à cette fausse conclusion que les catégories du capitalisme conservent soi-disant leur vigueur dans notre économie.
Mais si l’on analyse la question du point de vue marxiste, qui distingue strictement entre le contenu du processus économique et sa forme, entre les processus profonds de développement et les phénomènes superficiels, — on ne petit arriver qu’à cette conclusion, la seule juste : c’est que chez nous se sont principalement conservés la forme, l’aspect extérieur des anciennes catégories du capitalisme ; quant au fond, ces catégories ont changé radicalement, selon les nécessités du développement de l’économie nationale, de l’économie socialiste.
Quatrième point.
Vous prétendez que la loi de la valeur exerce une action régulatrice sur les prix des « moyens de production » produits par l’agriculture et livrée à l’État aux prix de stockage. Ce disant, vous avez en vue des « moyens de production » comme les matières premières, par exemple, le coton. Vous auriez pu ajouter le lin, la laine et autres matières premières agricoles.
Notons tout d’abord qu’en l’occurrence l’agriculture ne produit pas les « moyens de production », mais un des moyens de production : les matières premières. On ne doit pas jouer sur les mots « moyens de production ».
Lorsque les marxistes parlent de la production des moyens de production, ils entendent tout d’abord la production des instruments de production, ce que Marx appelle les « moyens mécaniques de travail, dont l’ensemble peut être appelé l’ossature et la musculature de la production », système qui constitue les « indices distinctifs caractéristiques d’une époque donnée de la production sociale ».
Mettre sur le même plan une partie des moyens de production (matières premières) et les moyens de production, y compris les instruments de production, c’est pécher contre le marxisme, qui part du rôle déterminant des instruments de production par rapport à tous les autres moyens de production.
Chacun sait que les matières premières par elles-mêmes ne peuvent produire des instruments de production, bien que certaines variétés de matières premières soient indispensables à la fabrication des instruments de production, tandis qu’aucune matière première ne peut être produite sans instruments de production.
Poursuivons. L’action que la loi de la valeur exerce sur le prix des matières premières produites dans l’agriculture, est-elle une action régulatrice, comme vous le prétendez, camarade Notkine ?
Elle serait régulatrice si le « libre » jeu des prix des matières premières agricoles existait chez nous, si la loi de concurrence et d’anarchie de la production s’exerçait chez nous, si nous n’avions pas d’économie planifiée, si la production des matières premières n’était pas réglée par un plan. Mais étant donné que tous ces « si » sont inexistants dans notre système d’économie nationale, l’action de la loi de la valeur sur les prix des matières premières agricoles ne peut en aucune façon être régulatrice.
Premièrement, les prix qui existent chez nous sur les matières premières agricoles sont stables, établis par un plan, et non « libres ».
Deuxièmement, le volume de la production des matières premières agricoles n’est pas établi spontanément, ni par des éléments fortuits, mais par un plan. Troisièmement, les instruments de production nécessaires à la production des matières premières agricoles, ne sont pas concentrées entre les mains d’individus, ou de groupes d’individus, mais entre les mains de l’État.
Que reste-t-il après cela du rôle régulateur de la loi de la valeur ? On voit qu’elle-même est réglée par les faits indiqués plus haut, inhérente à la production socialiste.
Par conséquent, on ne peut nier que la loi de la valeur agit sur la formation des prix des matières premières agricoles, qu’elle en est un des facteurs. À plus forte raison ne doit-on nier le fait que cette action n’est, ni ne peut être régulatrice.
Cinquième point.
En parlant de la rentabilité de l’économie nationale, de l’économie socialiste, j’ai élevé des objections dans mes « Remarques » contre certains camarades qui prétendent que, étant donné que notre économie nationale planifiée n’accorde pas une préférence marquée aux entreprises rentables et admet, à côté de celles-ci, des entreprises non rentables, notre économie tue soi-disant le principe même de la rentabilité dans l’économie.
Dans mes « Remarques », il est dit que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production, ne saurait aucunement être comparée à la rentabilité supérieure que nous donne la production socialiste, qui nous prémunit contre les crises de surproduction et nous garantit une augmentation incessante de la production.
Mais on aurait tort d’en tirer la conclusion que la rentabilité des différentes entreprises et branches de production n’a pas de valeur particulière et ne mérite pas une sérieuse attention. Évidemment, c’est faux.
La rentabilité des différentes entreprises et branches de production a une importance énorme pour le développement de notre production. On doit en tenir compte en planifiant la construction aussi bien que la production. C’est l’abc de notre activité économique au stade de développement actuel.
Sixième point.
On ne sait pas au juste comment il faut comprendre ce que vous dites à propos du capitalisme : « la production élargie sous un aspect sensiblement déformé ». Pareilles productions, et encore élargies, n’existent pas dans la réalité.
Après que le marché mondial s’est scindé et que la sphère d’application des forces des principaux pays capitalistes (États-Unis, Grande-Bretagne, France) aux ressources mondiales a commencé à se rétrécir, il est évident que le caractère cyclique du développement du capitalisme — accroissement et réduction de la production — doit cependant persister.
Toutefois, l’accroissement de la production dans ces pays se fera sur une base restreinte, car le volume de la production ira diminuant dans ces pays.
Septième point.
La crise générale du système capitaliste mondial a commencé pendant la première guerre mondiale, notamment du fait que l’Union soviétique s’est détachée du système capitaliste. Ce fut la première étape de la crise générale.
Pendant la deuxième guerre mondiale, la deuxième étape de la crise générale s’est développée, surtout après que se sont détachés du système capitaliste les pays de démocratie populaire en Europe et en Asie.
La première crise à l’époque de la première guerre mondiale et la seconde crise à l’époque de la seconde guerre mondiale, ne doivent pas être considérées comme des crises distinctes, indépendantes, coupées l’une de l’autre, mais comme des étapes de développement de la crise générale du système capitaliste mondial.
Cette crise générale du capitalisme mondial est-elle une crise uniquement politique ou uniquement économique ? Ni l’un ni l’autre.
Elle est générale, c’est-à-dire une crise généralisée du système capitaliste mondial, englobant l’économie aussi bien que la politique. On conçoit qu’à la base de cette crise se trouvent la décomposition toujours plus accentuée du système économique capitaliste mondial, d’une part, et la puissance économique grandissante des pays qui se sont détachés du capitalisme : l’U.R.S.S., la Chine et les autres pays de démocratie populaire, d’autre part.
21 avril 1952.
Des erreurs du camarade L. Iarochenko
Le camarade Iarochenko a fait tenir dernièrement aux membres du Bureau politique du Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S. une lettre datée du 20 mars, portant sur un certain nombre de problèmes économiques débattus en novembre à la discussion que l’on sait. L’auteur de cette lettre se plaint que ni les principaux documents qui font le point de la discussion, ni les « Remarques » du camarade Staline « ne tiennent aucun compte du point de vue » du camarade Iarochenko.
Dans sa missive, le camarade Iarochenko propose en outre qu’on l’autorise à écrire une « Économie politique du socialisme », en un an ou dix-huit mois, et qu’on lui adjoigne à cet effet deux assistants.
Je crois qu’il faudra examiner quant au fond les doléances du camarade Iarochenko aussi bien que sa proposition.
Commençons par les doléances.
En quoi consiste donc le « point de vue » du camarade Iarochenko, dont il n’a été tenu aucun compte dans les documents précités ?
I — L’erreur principale du camarade Iarochenko
Si l’on veut en deux mots caractériser le point de vue du camarade Iarochenko, on doit dire qu’il n’est pas marxiste et, par suite, qu’il est profondément erroné.
L’erreur principale du camarade Iarochenko, c’est qu’il s’écarte du marxisme quant au rôle des forces productives et des rapports de production dans le développement de la société ; qu’il exagère à l’extrême le rôle des forces productives et minimise pour autant celui des rapports de production, pour finir par déclarer que sous le socialisme les rapports de production font partie des forces productives.
Le camarade Iarochenko veut bien admettre que les rapports de production jouent un certain rôle quand existent des « contradictions de classes antagonistes », attendu que dans ces conditions les rapports de production « contrarient le développement des forces productives ». Mais ce rôle, il le réduit à un rôle négatif, au rôle de facteur entravant le développement des forces productives, paralysant ce développement.
Aux yeux du camarade Iarochenko, les rapports de production n’ont point d’autres fonctions, n’ont point de fonctions positives.
Pour ce qui est du régime socialiste où les « contradictions de classes antagonistes » ont disparu et où les rapports de production « ne contrarient plus le développement des forces productives », le camarade Iarochenko estime qu’ici tout rôle indépendant, quel qu’il soit, des rapports de production, est exclu ; les rapports de production cessent d’être un facteur important du développement et sont absorbés par les forces productives, comme la partie dans le tout. Sous le socialisme,
les rapports de production entre les hommes, dit le camarade Iarochenko, font partie de l’organisation des forces productives en tant que moyen, en tant qu’élément de cette organisation. (Voir la lettre du camarade Iarochenko au Bureau politique du Comité central.)
Quelle est donc, dans ce cas, la principale tâche de l’économie politique du socialisme ? Le camarade Iarochenko répond :
Le principal problème de l’économie politique du socialisme n’est donc pas d’étudier les rapports de production entre les hommes de la société socialiste, mais d’élaborer et de développer une théorie scientifique de l’organisation des forces productives dans la production sociale, une théorie de la planification du développement de l’économie nationale. (Voir le discours du camarade Iarochenko à l’Assemblée plénière de la discussion.)
C’est ce qui explique proprement que le camarade Iarochenko ne s’intéresse pas à des problèmes économiques du régime socialiste tels que l’existence de formes différentes de propriété dans notre économie, la circulation des marchandises, la loi de la valeur, etc., car il estime que ce sont des problèmes de second ordre, propres à susciter uniquement des controverses scolastiques. Il déclare expressément que dans son économie politique du socialisme
les controverses sur le rôle de telle ou telle catégorie de l’économie politique du socialisme — valeur, marchandise, argent, crédit, etc., — qui souvent revêtent chez nous un caractère scolastique, sont remplacées par de saines considérations sur une organisation rationnelle des forces productives dans la production sociale, sur l’élaboration des principes scientifiques qui seront à la base de cette organisation. (Voir le discours du camarade Iarochenko à la section de l’Assemblée plénière de la discussion.)
Donc, une économie politique sans problèmes économiques.
Le camarade Iarochenko croit qu’il suffit d’ « une organisation rationnelle des forces productives » pour passer du socialisme au communisme sans grandes difficultés. Il estime que c’est parfaitement suffisant pour passer au communisme. Il déclare expressément que
sous le socialisme, la lutte pour l’édification d’une société communiste se réduit essentiellement à la lutte pour une organisation judicieuse des forces productives et leur utilisation rationnelle dans la production sociale. (Voir le discours à l’Assemblée plénière de la discussion.)
Le camarade Iarochenko proclame triomphalement que
le communisme est la forme la plus haute d’organisation scientifique des forces productives dans la production sociale.
Ainsi, le régime communiste ne serait au fond qu’ « une organisation rationnelle des forces productives ».
De tout ceci, le camarade Iarochenko conclut qu’il ne peut exister une économie politique commune à toutes les formations sociales ; qu’il doit exister deux économies politiques : l’une pour les formations sociales présocialistes, dont l’objet est l’étude des rapports de production entre les hommes ; l’autre pour le régime socialiste, dont l’objet doit être non pas l’étude des rapports de production, c’est-à-dire économiques, mais celle des problèmes de l’organisation rationnelle des forces productives.
Tel est le point de vue du camarade Iarochenko.
Que peut-on dire de ce point de vue ?
Il est faux tout d’abord que le rôle des rapports de production dans l’histoire de la société se borne à celui d’entrave paralysant le développement des forces productives.
Quand les marxistes disent que les rapports de production jouent le rôle d’entrave, ils n’envisagent pas tous les rapports de production, mais seulement les rapports de production anciens, qui ne correspondent plus à la croissance des forces productives, et, par suite, entravent leur développement. Mais outre les anciens rapports de production, il en existe, on le sait, de nouveaux, qui remplacent les anciens.
Peut-on dire que le rôle des nouveaux rapports de production se réduit à celui d’entrave des forces productives ? Évidemment non. Les nouveaux rapports de production sont au contraire la force principale et décisive qui détermine, à proprement parler, le développement continu et vigoureux des forces productives ; et sans eux les forces productives sont condamnées à végéter, comme c’est le cas aujourd’hui dans les pays capitalistes.
Nul ne peut nier le développement prodigieux des forces productives de notre industrie soviétique au cours des quinquennats. Mais ce développement ne se serait pas produit si, en Octobre 1917, nous n’avions substitué aux rapports de production anciens, capitalistes, des rapports de production nouveaux, socialistes.
Sans cette révolution dans les rapports de production, dans les rapports économiques de notre pays, les forces productives végéteraient chez nous comme elles végètent à présent dans les pays capitalistes.
Nul ne peut nier le développement prodigieux des forces productives de notre agriculture depuis 20-25 ans. Mais ce développement ne se serait pas produit si, aux années 30, nous n’avions substitué aux rapports de production anciens, capitalistes, des rapports de production nouveaux, collectivistes, dans les campagnes. Sans cette révolution dans la production, les forces productives de notre agriculture végéteraient comme elles végètent à présent dans les pays capitalistes.
Certes, les nouveaux rapports de production ne peuvent rester ni ne restent éternellement nouveaux ; ils commencent à vieillir et entrent en contradiction avec le développement ultérieur des forces productives ; ils perdent peu à peu leur rôle de principal moteur des forces productives pour lesquelles ils deviennent une entrave. Alors, à la place de ces rapports de production périmés, apparaissent de nouveaux rapports de production dont le rôle est d’être le principal moteur du développement ultérieur des forces productives.
Cette particularité du développement des rapports de production, — passant du rôle d’entrave des forces productives à celui de principal moteur qui les pousse en avant, et du rôle de principal moteur à celui d’entrave des forces productives, — constitue un des principaux éléments de la dialectique matérialiste marxiste. C’est ce que savent aujourd’hui tous les primaires du marxisme. C’est ce qu’ignore, paraît-il, le camarade Iarochenko.
Il est faux, ensuite, que le rôle indépendant des rapports de production, c’est-à- dire économiques, disparaisse sous le socialisme ; que les rapports de production soient absorbés par les forces productives ; que la production sociale, sous le socialisme, se ramène à l’organisation des forces productives.
Le marxisme considère la production sociale comme un tout présentant deux aspects indissociables : les forces productives de la société (rapports entre la société et les forces de la nature contre lesquelles celle-là lutte pour s’assurer les biens matériels qui lui sont indispensables), et les rapports de production (rapports des hommes entre eux dans le processus de la production).
Ce sont deux aspects différents de la production sociale, bien qu’ils soient indissolublement liés entre eux. Et c’est parce qu’ils constituent deux aspects différents de la production sociale qu’ils peuvent exercer une action réciproque. Affirmer que l’un de ces aspects peut être absorbé par l’autre et devenir partie intégrante de celui-ci, c’est pécher de la manière la plus grave contre le marxisme.
Marx dit :
Dans la production, les hommes n’agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres. Ils ne produisent qu’en collaborant d’une manière déterminée et en échangeant entre eux leurs activités.
Pour produire, ils entrent en relations et en rapports déterminés les une avec les autres, et ce n’est que dans les limites de ces relations et de ces rapports sociaux que s’établit leur action sur la nature, la production. (Karl Marx, Travail salarié et capital, suivi de Salaire, prix et profit, p. 39, Éditions sociales, Paris, 1941.)
Il suit de là que la production sociale présente deux aspects qui, bien qu’indissolublement liés entre eux, n’en traduisent pas moins deux catégories de rapports différents : les rapports des hommes avec la nature (forces productives) et les rapports des hommes entre eux dans le processus de la production (rapports de production).
Seule l’existence simultanée de ces deux aspects de la production nous donne la production sociale, qu’il s’agisse du régime socialiste ou d’autres formations sociales.
Apparemment, le camarade Iarochenko n’est pas tout à fait d’accord avec Marx. Il estime que cette thèse de Marx n’est pas applicable au régime socialiste.
C’est bien pourquoi il réduit la tâche de l’économie politique du socialisme à l’organisation rationnelle des forces productives, en faisant table rase des rapports de production, c’est- à-dire des rapports économiques, et en isolant de ceux-ci les forces productives.
Il s’ensuit qu’au lieu d’une économie politique marxiste, le camarade Iarochenko nous propose quelque chose dans le genre de la « science générale de l’organisation » de Bogdanov.
Ainsi donc, parti de cette idée juste que les forces productives sont les forces les plus mobiles et les plus révolutionnaires de la production, le camarade Iarochenko réduit cette idée à l’absurde, aboutit à la négation du rôle des rapports de production, des rapports économiques, sous le socialisme ; au lieu d’une production sociale au sens complet du mot, il nous propose une technologie de la production chétive et unilatérale, quelque chose dans le genre de la « technique de l’organisation sociale » de Boukharine.
Marx dit :
Dans la production sociale de leur existence [c’est-à-dire dans la production des biens matériels nécessaires à leur vie — J. S.], les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles.
L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la hase concrète sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. (Voir la Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique.)
Autrement dit, chaque formation sociale, la société socialiste y comprise, a sa base économique constituée par l’ensemble des rapports de production entre les hommes.
La question se pose : que devient, aux yeux du camarade Iarochenko, la base économique du régime socialiste ?
Le camarade Iarochenko, on le sait, a déjà liquidé les rapports de production sous le socialisme en tant que domaine plus ou moins indépendant, faisant entrer le peu qui en subsistait dans l’organisation des forces productives.
Le régime socialiste a-t-il sa base économique ? se demandera-t-on. Il est évident que les rapports de production ayant disparu, sous le socialisme, comme force plus ou moins indépendante, le régime socialiste reste sans base économique propre.
Donc, un régime socialiste qui n’a pas de base économique. N’est-ce pas plutôt comique ?…
Peut-il exister un régime social qui n’ait pas de base économique ? Le camarade Iarochenko, apparemment, estime que oui. Mais le marxisme, lui, estime que de pareils régimes sociaux n’existent pas.
Il est faux, enfin, que le communisme soit l’organisation rationnelle des forces productives ; que le régime communiste se réduise essentiellement à l’organisation rationnelle des forces productives ; qu’il suffise d’organiser rationnellement les forces productives pour passer au communisme sans grandes difficultés.
Il existe dans notre littérature une autre définition, une autre formule du communisme, la formule de Lénine : « Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification de tout le pays. ». Apparemment, la formule de Lénine ne plaît pas au camarade Iarochenko, et il lui substitue une formule de son cru : « Le communisme est la forme la plus haute d’organisation scientifique des forces productives dans la production sociale. »
D’abord, nul ne sait ce qu’est au juste cette « forme la plus haute d’organisation scientifique », ou organisation « rationnelle » des forces productives, prônée par le camarade Iarochenko, quel en est le contenu précis.
Le camarade Iarochenko répète des dizaines de fois cette formule mythique dans ses discours à l’Assemblée plénière, aux sections de la discussion, dans sa lettre aux membres du Bureau politique ; mais nulle part il ne dit un seul mot pour tenter d’expliquer comment comprendre proprement cette « organisation rationnelle » des forces productives à laquelle se réduirait essentiellement le régime communiste.
Ensuite, si l’on a à choisir entre les deux formules, ce n’est pas la formule de Lénine, la seule juste, qu’il faut rejeter, mais la pseudo-formule du camarade Iarochenko, manifestement tirée par les cheveux et non marxiste, empruntée à l’arsenal de Bogdanov, à la « science générale de l’organisation ».
Le camarade Iarochenko croit qu’il suffit d’arriver à organiser rationnellement les forces productives pour obtenir l’abondance des produits et passer au communisme, passer de la formule : « à chacun selon son travail » à la formule : « à chacun selon ses besoins ».
C’est une grave erreur qui dénote une incompréhension totale des lois du développement économique du socialisme. Le camarade Iarochenko se représente de façon simpliste, puérilement simpliste, les conditions pour passer du socialisme au communisme.
Le camarade Iarochenko ne comprend pas qu’on ne saurait ni obtenir une abondance de produits susceptible de satisfaire tous les besoins de la société, ni passer à la formule « à chacun selon ses besoins », en laissant subsister des faits économiques comme la propriété collective kolkhozienne, la circulation des marchandises, etc.
Le camarade Iarochenko ne comprend pas qu’avant de passer à la formule : « à chacun selon ses besoins », la société doit faire sa rééducation économique et culturelle en passant par une série d’étapes au cours desquelles le travail, qui n’était qu’un moyen d’assurer son existence, deviendra aux yeux de la société le premier besoin vital, et la propriété sociale la base immuable et intangible de l’existence de la société.
Pour préparer le passage au communisme, passage réel et non purement déclaratif, on doit réaliser pour le moins trois conditions préalables, essentielles.
1o Il faut, premièrement, assurer solidement non pas une « organisation rationnelle » mythique des forces productives, mais la croissance ininterrompue de toute la production sociale, en donnant la priorité à la production des moyens de production.
Le développement prioritaire de la production des moyens de production est indispensable non seulement parce qu’elle doit permettre d’outiller ses propres entreprises aussi bien que celles de toutes les autres branches de l’économie nationale, mais encore parce que sans elle il est absolument impossible de réaliser la production élargie.
2o Il faut, deuxièmement, par étapes successives, réalisées de façon que les kolkhozes et, par suite, l’ensemble de la société y trouvent leur avantage, élever la propriété kolkhozienne au niveau de la propriété nationale et substituer, également par étapes successives, le système de l’échange des produits à la circulation des marchandises, afin que l’activité du pouvoir central ou de quelque autre organisme économique central de la société puisse embrasser l’ensemble de la production sociale dans l’intérêt de la société.
Le camarade Iarochenko se trompe quand il soutient que sous le socialisme il n’existe aucune contradiction entre les rapports de production et les forces productives de la société. Certes, nos rapports de production connaissent actuellement une période où ils correspondent pleinement à la croissance des forces productives et les fout progresser à pas de géant.
Mais ce serait une erreur de se tranquilliser et de croire qu’il n’existe aucune contradiction entre nos forces productives et les rapports de production.
Des contradictions, il y en a et il y en aura certainement, puisque le développement des rapports de production retarde et retardera sur le développement des forces productives. Si les organismes dirigeants appliquent une politique juste, ces contradictions ne peuvent dégénérer en antagonisme, et elles n’aboutiront pas à un conflit entre les rapports de production et les forces productives de la société.
Il en ira autrement si nous faisons une politique erronée comme celle que recommande le camarade Iarochenko. Un conflit sera alors inévitable, et nos rapports de production peuvent devenir une très sérieuse entrave au développement des forces productives.
Aussi les organismes dirigeants ont-ils pour tâche de noter en temps utile les contradictions qui mûrissent et de prendre à temps des mesures pour les surmonter en adaptant les rapports de production à la croissance des forces productives.
Cela est vrai avant tout de faits économiques comme la propriété collective kolkhozienne, la circulation des marchandises. Certes, à l’heure actuelle, nous utilisons ces faits avec succès pour développer l’économie socialiste, et ils rendent à notre société d’incontestables services.
Il n’est pas douteux qu’ils en rendront encore dans un avenir immédiat. Mais ce serait faire preuve d’une impardonnable cécité que de ne pas voir que, par ailleurs, ces faits commencent, dès aujourd’hui, à entraver le vigoureux développement de nos forces productives, en empêchant l’État de planifier entièrement l’économie nationale, et notamment l’agriculture.
Il est hors de doute que plus nous irons et plus ces faits entraveront la croissance des forces productives de notre pays. Il s’agit donc de liquider ces contradictions en transformant progressivement la propriété kolkhozienne en propriété nationale et en substituant, aussi par étapes successives, l’échange des produits à la circulation des marchandises.
3o Il faut, troisièmement, assurer un progrès culturel de la société qui permette à tous ses membres de développer harmonieusement leurs aptitudes physiques et intellectuelles, afin qu’ils puissent recevoir une instruction suffisante et devenir des artisans actifs du développement social ; qu’ils puissent choisir librement une profession sans être rivés pour toujours, en raison de la division existante du travail, à une profession déterminée.
Que faut-il pour cela ?
Il serait erroné de croire qu’un progrès culturel aussi important des membres de la société est possible sans de sérieuses modifications dans la situation actuelle du travail. Pour cela, il faut avant tout réduire la journée de travail au moins à 6 heures, puis à 5.
Ceci est indispensable afin que tous les membres de la société aient les loisirs nécessaires pour recevoir une instruction complète. Il faut, pour cela, introduire ensuite l’enseignement polytechnique obligatoire, indispensable pour que les membres de la société puissent choisir librement une profession et ne soient pas rivés pour toujours à une profession déterminée.
Pour cela, il faut encore améliorer radicalement les conditions de logement et augmenter le salaire réel des ouvriers et des employés au minimum du double, sinon davantage, d’une part en relevant directement le salaire en espèces, d’autre part et surtout, en pratiquant la baisse systématique du prix des objets de grande consommation.
Telles sont les conditions essentielles qui prépareront le passage au communisme.
C’est seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu’on pourra espérer qu’aux yeux des membres de la société le travail a cessé d’être une corvée, pour devenir « le premier besoin de l’existence » (Marx) ; que « le travail, au lieu d’être un fardeau, sera une joie » (Engels) ; que la propriété sociale sera considérée par tous les membres de la société comme la base immuable et intangible de l’existence de la société.
C’est seulement lorsque toutes ces conditions préalables, prises dans leur ensemble, auront été réalisées, qu’on pourra passer de la formule socialiste : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », à la formule communiste : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».
Ce sera le passage intégral d’une économie, économie du socialisme, à une autre économie, économie supérieure, l’économie du communisme.
On voit que le passage du socialisme au communisme n’est pas une chose aussi simple que l’imagine le camarade Iarochenko.
Vouloir ramener cette tâche complexe et multiple, qui demande des changements d’ordre économique extrêmement profonds, à une « organisation rationnelle des forces productives », comme le fait le camarade Iarochenko, c’est substituer le bogdanovisme au marxisme.
II — Autres erreurs du camarade Iarochenko
1o Parti d’un point de vue erroné, le camarade Iarochenko en tire des conclusions erronées sur le caractère et l’objet de l’économie politique.
Le camarade Iarochenko, partant du fait que chaque formation sociale a ses lois économiques spécifiques, nie la nécessité d’une économie politique valable pour toutes les formations sociales. Mais il est complètement dans l’erreur, et il est ici en désaccord avec des marxistes comme Engels, comme Lénine.
Engels dit que l’économie politique est
la science des conditions et des formes dans lesquelles les diverses sociétés humaines ont produit et échangé et dans lesquelles en conséquence, les produits se sont chaque fois répartis. (Anti-Dühring, p. 182.)
Il suit de là que l’économie politique étudie les lois du développement économique non d’une formation particulière, mais des différentes formations sociales.
Cette manière de voir était, on le sait, entièrement partagée par Lénine qui, dans ses remarques critiques au sujet du livre de Boukharine: l’Économie de la période de transition, a dit que Boukharine avait tort de borner la sphère de l’économie politique à la production des marchandises, et avant tout à la production capitaliste ; et il notait que Boukharine faisait ici « un pas en arrière par rapport à Engels ».
À cette manière de voir répond entièrement la définition de l’économie politique donnée dans le projet de manuel d’économie politique, où il est dit que l’économie politique est la science qui étudie
les lois de la production sociale et de la répartition des biens matériels aux différents degrés du développement de la société humaine.
Et cela se conçoit. Les différentes formations sociales, dans leur développement économique, obéissent à leurs lois économiques spécifiques, mais aussi aux lois économiques communes à toutes les formations ; par exemple, à des lois comme celle de l’unité des forces productives et des rapports de production dans une même production sociale ; celle des relations entre les forces productives et les rapports de production dans le processus du développement de toutes les formations sociales.
Par conséquent, les formations sociales ne sont pas seulement séparées l’une de l’autre par leurs lois spécifiques ; elles sont aussi reliées l’une à l’autre par les lois économiques qui leur sont communes à toutes.
Engels avait parfaitement raison de dire :
Pour mener jusqu’au bout cotte critique de l’économie bourgeoise, il ne suffisait pas de connaître la forme capitaliste de production, d’échange et de répartition. Les formes qui l’ont précédée ou qui existent encore à côté d’elle dans des pays moins évolués, devaient également être étudiées, tout au moins dans leurs traits essentiels, et servir de points de comparaison. (Anti-Dühring, p. 182- 183.)
Il est évident qu’ici, dans cette question, le camarade Iarochenko fait écho à Boukharine.
Poursuivons. Le camarade Iarochenko affirme que dans son « Économie politique du socialisme » « les catégories de l’économie politique : valeur, marchandise, argent, crédit, etc., sont remplacées par de saines considérations sur une organisation rationnelle des forces productives dans la production sociale » ; que, par suite, cette économie politique a pour objet non pas les rapports de production du socialisme, mais « l’élaboration et le développement d’une théorie scientifique de l’organisation des forces productives, d’une théorie de la planification de l’économie nationale, etc. », que sous le socialisme, les rapports de production perdent toute importance propre et sont absorbés par les forces productives dont ils deviennent partie intégrante.
Je dois dire que jamais encore « marxiste » fourvoyé n’avait débité chez nous pareil charabia. En effet, qu’est-ce qu’une économie politique du socialisme sans problèmes économiques, sans problèmes de production ?
Peut-il exister une économie politique de ce genre ? Que signifie remplacer, dans l’économie politique du socialisme, les problèmes économiques par les problèmes de l’organisation des forces productives ? Cela revient à abolir l’économie politique du socialisme. Et c’est ce que fait le camarade Iarochenko : il abolit l’économie politique du socialisme.
En l’occurrence, il rejoint en tous points Boukharine. Boukharine disait qu’après la suppression du capitalisme, on doit supprimer l’économie politique. Le camarade Iarochenko ne le dit pas, mais il le fait, quand il liquide l’économie politique du socialisme.
Il est vrai qu’il fait mine de ne pas être tout à fait d’accord avec Boukharine, mais ce n’est là qu’une ruse, et une ruse à bon marché. En réalité, il fait ce que prêchait Boukharine et contre quoi s’élevait Lénine. Le camarade Iarochenko marche sur les traces de Boukharine.
Poursuivons. Le camarade Iarochenko ramène les problèmes de l’économie politique du socialisme aux problèmes de l’organisation rationnelle des forces productives, aux problèmes de la planification de l’économie nationale, etc.
Mais il se trompe gravement. Les problèmes de l’organisation rationnelle des forces productives, de la planification de l’économie nationale, etc., sont l’objet non pas de l’économie politique, mais de la politique économique des organismes dirigeants. Ce sont deux domaines différents qu’on ne doit pas confondre.
Le camarade Iarochenko a brouillé ces deux choses différentes, et le voilà en bien fâcheuse posture ! L’économie politique étudie les lois du développement des rapports de production entre les hommes. La politique économique en tire des conclusions pratiques, les concrétise et s’en inspire dans son activité quotidienne. Encombrer l’économie politique des problèmes de la politique économique, c’est la tuer en tant que science.
L’objet de l’économie politique, ce sont les rapports de production, les rapports économiques entre les hommes. Ils englobent : a) les formes que revêt la propriété des moyens de production ; b) la situation des différents groupes sociaux dans la production et leurs relations réciproques ou, pour reprendre l’expression de Marx, « l’échange de leurs activités », qui découlent de ces formes ; c) les formes de répartition de produits, qui en dépendent entièrement.
C’est tout cela qui, dans son ensemble, est l’objet de l’économie politique.
Le mot « échange », qui figure dans la définition d’Engels, manque dans cette définition. Cela, parce que beaucoup entendent d’ordinaire par « échange » l’échange de marchandises, qui est le propre non pas de toutes les formations sociales, mais seulement de certaines d’entre elles, d’où parfois un malentendu, bien que par le mot « échange » Engels n’entende pas uniquement l’échange de marchandises.
Or, on voit que ce qu’Engels entendait par le mot « échange » a trouvé place dans la définition précitée dont il est partie intégrante. Il s’ensuit que par son contenu cette définition de l’objet de l’économie politique coïncide entièrement avec celle d’Engels.
2o Quant on parle de la loi économique fondamentale de telle ou telle formation sociale, on sous-entend habituellement que cette dernière ne peut avoir plusieurs lois économiques fondamentales, qu’elle ne saurait avoir qu’une loi économique fondamentale, précisément parce qu’elle est fondamentale. Sinon, nous aurions plusieurs lois économiques fondamentales pour chaque formation sociale, ce qui est en contradiction avec la notion même de loi fondamentale.
Pourtant, le camarade Iarochenko est d’un autre avis. Il estime qu’il peut exister non pas une, mais plusieurs lois économiques fondamentales du socialisme. C’est incroyable, mais c’est un fait. Dans son discours à l’Assemblée plénière de la discussion, il dit :
Le volume des fonds matériels de la production et de la reproduction sociales, et la relation qui existe entre eux, sont déterminés par la quantité et la perspective d’accroissement de la force de travail entraînée dans la production sociale. C’est la loi économique fondamentale de la société socialiste, qui conditionne la structure de la production et de la reproduction sociales sous le socialisme.
C’est la première loi économique fondamentale du socialisme.
Dans ce même discours, le camarade Iarochenko déclare :
La relation qui existe entre les sections I et II est conditionnée dans la société socialiste par le besoin de produire des moyens de production dans les proportions nécessaires pour entraîner dans la production sociale toute la population apte au travail. C’est la loi économique fondamentale du socialisme, en même temps qu’une stipulation de notre Constitution, qui découle du droit au travail des citoyens soviétiques.
C’est, pour ainsi dire, la seconde loi économique fondamentale du socialisme.
Enfin, dans sa lettre aux membres du Bureau politique, le camarade Iarochenko déclare :
Partant de là, on pourrait, ce me semble, formuler à peu près comme suit les traits et les dispositions essentiels de la loi économique fondamentale du socialisme : production toujours croissante et se perfectionnant sans cesse des conditions de vie matérielle et culturelle de la société.
C’est déjà là une troisième loi économique fondamentale du socialisme.
Toutes ces lois sont-elles des lois économiques fondamentales du socialisme ; ou seulement l’une d’entre elles, et laquelle ? À ces questions, le camarade Iarochenko ne donne aucune réponse dans sa dernière lettre aux membres du Bureau politique.
Quand il formulait dans sa lettre aux membres du Bureau politique la loi économique fondamentale du socialisme, il avait sans doute « oublié » que dans son discours à l’Assemblée plénière de la discussion, trois mois auparavant, il avait déjà formulé deux autres lois économiques fondamentales du socialisme, croyant apparemment que cette combinaison plus que douteuse passerait inaperçue.
Mais, on le voit, cet espoir ne s’est pas justifié.
Admettons que les deux premières lois économiques fondamentales du socialisme formulées par le camarade Iarochenko soient nulles et non avenues ; que désormais le camarade Iarochenko considère comme loi économique fondamentale du socialisme la troisième formule, qu’il a exposée dans sa lettre aux membres du Bureau politique. Consultons la lettre du camarade Iarochenko.
Le camarade Iarochenko y dit qu’il n’est pas d’accord avec la définition de la loi économique fondamentale du socialisme donnée dans les « Remarques » du camarade Staline. Il déclare :
Le principal, dans cette définition, c’est « assurer au maximum la satisfaction… des besoins de toute la société ». La production est présentée ici comme un moyen d’atteindre ce but principal : satisfaire les besoins. Cette définition donne tout lieu de croire que la loi économique fondamentale du socialisme formulée par vous part non du primat de la production, mais du primat de la consommation.
Il est évident que la camarade Iarochenko n’a rien compris au fond du problème, et qu’il ne voit pas que ses propos sur le primat de la consommation ou de la production n’ont absolument rien à voir ici. Quand on parle du primat de tel ou tel processus social sur un autre processus, on sous-entend d’ordinaire que ces deux processus sont plus ou moins de même nature.
On peut et on doit parler du primat de la production des moyens de production sur la production des moyens de consommation, car dans les deux cas il s’agit de production, donc de choses qui sont plus ou moins de même nature.
Mais on ne saurait parler, il serait faux de parler du primat de la consommation sur la production, ou de la production sur la consommation, car la production et la consommation sont deux domaines absolument distincts, liés entre eux il est vrai, mais cependant distincts.
Le camarade Iarochenko ne comprend sans doute pas qu’il s’agit ici non du primat de la consommation ou de la production mais du but que pose la société devant la production sociale, de la tâche à laquelle elle subordonne la production sociale, par exemple, sous le socialisme. Le camarade Iarochenko sort donc, une fois de plus, tout à fait du sujet quand il dit que « la base de la vie de la société socialiste, comme de toute autre société, c’est la production ».
Le camarade Iarochenko oublie que les hommes produisent non pour produire, mais pour satisfaire leurs besoins. Il oublie que si elle ne satisfait pas les besoins de la société, la production s’étiole et meurt.
Peut-on, d’une façon générale, parler du but que poursuit la production capitaliste ou socialiste, des tâches auxquelles est subordonnée la production capitaliste ou socialiste ? J’estime qu’on le peut et qu’on le doit.
Marx dit :
Le but immédiat de la production capitaliste n’est pas la production des marchandises, mais de la plus-value ou du profit sous sa forme développée ; non pas du produit, mais du produit net. De ce point de vue le travail lui-même n’est productif qu’autant qu’il crée le profit ou le produit net pour le capital.
Si l’ouvrier ne le crée pas, son travail est improductif. La masse du travail productif employé n’intéresse donc le capital que dans la mesure où grâce à elle — ou en relation avec elle, — croît la quantité du travail extra ; pour autant est nécessaire ce que nous avons appelé temps de travail nécessaire. Si le travail ne donne pas ce résultat, il est superflu et doit être arrêté.
Le but de la production capitaliste consiste toujours à créer le maximum de plus-value ou le maximum de produit net avec un minimum de capital avancé ; si ce résultat n’est pas atteint par un travail excessif des ouvriers, le capital a tendance à produire ce produit avec le minimum de frais possible, à économiser la force de travail et les dépenses…
Les ouvriers eux-mêmes se présentent ainsi, tels qu’ils sont dans la production capitaliste : uniquement des moyens de production et non un but en soi ni le but de la production (voir Théorie de la plus-value, t. II, deuxième partie).
Ces paroles de Marx sont remarquables non seulement parce qu’elles définissent brièvement et exactement le but de la production capitaliste, mais encore parce qu’elles indiquent le but fondamental, la tâche principale qui doit être posée devant la production socialiste.
Donc, le but de la production capitaliste, c’est le profit. Quant à la consommation, elle n’est nécessaire au capitalisme qu’autant qu’elle assure le profit. Hors de là, la question de la consommation n’intéresse pas le capitalisme. Celui-ci perd de vue l’homme et ses besoins.
Quel est donc le but de la production socialiste, quelle est la tâche principale, à l’exécution de laquelle doit être subordonnée la production sociale sous le socialisme ?
Le but de la production socialiste n’est pas le profit, mais l’homme et ses besoins, c’est-à-dire la satisfaction de ses besoins matériels et culturels. Le but de la production socialiste, ainsi qu’il est dit dans les « Remarques » du camarade Staline, est d’ « assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de toute la société ».
Le camarade Iarochenko pense qu’il s’agit ici du « primat » de la consommation sur la production.
C’est là, bien entendu, un manque de réflexion de sa part. En réalité, il s’agit ici non du primat de la consommation, mais de la subordination de la production socialiste à son but fondamental : assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société.
Donc, assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société : voilà le but de la production socialiste : accroître et perfectionner constamment la production socialiste sur la base d’une technique supérieure : voilà le moyen d’atteindre ce but.
Telle est la loi économique fondamentale du socialisme.
Voulant conserver le « primat » de la production sur la consommation, le camarade Iarochenko affirme que la « loi économique fondamentale du socialisme », c’est d’ « accroître et de perfectionner constamment la production des conditions matérielles et culturelles de la société ».
Cela est tout à fait faux. Le camarade Iarochenko mutile grossièrement et gâche la formule exposée dans les « Remarques » du camarade Staline.
Chez lui la production, de moyen qu’elle était, devient le but, et il n’est plus besoin d’assurer au maximum la satisfaction des besoins matériels et culturels sans cesse accrus de la société. On a donc un accroissement de la production pour l’accroissement de la production, la production comme but en soi, et le camarade Iarochenko perd de vue l’homme et ses besoins.
Aussi rien d’étonnant si, en même temps que l’homme, considéré comme but de la production socialiste, disparaissent dans la « conception » du camarade Iarochenko les derniers vestiges du marxisme.
Par conséquent, ce qu’on trouve en définitive chez le camarade Iarochenko, ce n’est pas le « primat » de la production sur la consommation, mais quelque chose comme le « primat » de l’idéologie bourgeoise sur l’idéologie marxiste.
3o Une question se pose à part : celle de la théorie de la reproduction de Marx. Le camarade Iarochenko affirme que la théorie de la reproduction de Marx n’est applicable qu’à la reproduction capitaliste, qu’elle ne renferme rien qui soit valable pour les autres formations sociales, la formation sociale socialiste y compris. Il dit :
Transporter dans la production sociale socialiste le schéma de la reproduction que Marx a élaboré pour l’économie capitaliste, c’est se faire une conception dogmatique de la doctrine de Marx et se mettre en contradiction avec l’essence de sa doctrine. (Voir le discours du camarade Iarochenko à l’Assemblée plénière de la discussion.)
Il affirme ensuite que
le schéma de la reproduction de Marx ne correspond pas aux lois économiques de la société socialiste et ne peut servir de base à l’étude de la reproduction socialiste (ibid.)
Parlant de la théorie de la reproduction simple de Marx, qui établit une relation définie entre la production des moyens de production (section I) et celle des moyens de consommation (section II), le camarade Iarochenko dit :
La relation existant entre les sections I et II n’est pas conditionnée, en société socialiste, par la formule de Marx V+P de la section I et C de la section II. Dans les conditions du socialisme, ce rapport d’interdépendance dans le développement entre les sections I et II ne doit pas être (ibid.)
Il affirme, que
la théorie, élaborée par Marx, de la relation existant entre les sections I et II, est inacceptable dans nos conditions socialistes, car la théorie de Marx a pour base l’économie capitaliste et ses lois. (Voir la lettre du camarade Iarochenko aux membres du Bureau politique.)
C’est ainsi que le camarade Iarochenko exécute la théorie de la reproduction de Marx.
Certes, la théorie de la reproduction, que Marx a élaborée après avoir étudié les lois de la production capitaliste, reflète les traits spécifiques de la production capitaliste et revêt naturellement la forme des rapports de valeur propres à la production marchande capitaliste.
Il ne pouvait en être autrement. Mais ne voir dans la théorie de la reproduction de Marx que cette forme, et ne pas apercevoir sa base, ne pas apercevoir son contenu fondamental, qui n’est pas valable uniquement pour la formation sociale capitaliste, c’est ne rien comprendre à cette théorie.
Si le camarade Iarochenko comprenait quoi que ce soit en la matière, il aurait aussi compris cette vérité évidente que les schémas de la reproduction de Marx ne se bornent nullement à refléter les traits spécifiques de la reproduction capitaliste, qu’ils renferment aussi nombre de thèses fondamentales relatives à la reproduction, qui restent valables pour toutes les formations sociales, y compris et notamment la formation sociale socialiste.
Des thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx, comme celle de la division de la production sociale en production des moyens de production et en production des moyens de consommation ; celle de la priorité donnée à la production des moyens de production lors de la reproduction élargie ; celle de la relation existant entre les sections I et II ; celle du produit net considéré comme source unique de l’accumulation ; celle de la formation et du rôle des fonds sociaux ; celle de l’accumulation considérée comme source unique de la reproduction élargie, — toutes ces thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx ne sont pas valables seulement pour la formation capitaliste, et aucune société socialiste ne peut s’abstenir de les appliquer pour planifier l’économie nationale. Fait significatif : le camarade Iarochenko, qui le prend de si haut avec les « schémas de la reproduction » de Marx, est lui-même obligé d’y recourir à tout moment lorsqu’il traite des problèmes de la reproduction socialiste.
Mais qu’en pensait Lénine, qu’en pensait Marx ?
Chacun connaît les remarques critiques de Lénine sur le livre de Boukharine : l’Économie de la période de transition. Dans ces remarques, on le sait, Lénine reconnaissait que la formule donnée par Marx de la relation existant entre les sections I et II, contre laquelle le camarade Iarochenko part en guerre, reste valable et pour le socialisme, et pour le « communisme pur », c’est-à-dire pour la seconde phase du communisme.
Quant à Marx, on le sait, il n’aimait pas à se distraire de l’étude des lois de la production capitaliste, et il ne s’est pas préoccupé, dans son Capital, de savoir si ses schémas de la reproduction seraient ou non applicables au socialisme.
Pourtant, au chapitre 20 du second tome du Capital, dans la rubrique « Le capital constant de la section I », où il traite de l’échange des produits de la section I à l’intérieur de cette section, Marx note, pour ainsi dire en passant, que l’échange des produits dans cette section se déroulerait sous le socialisme de façon aussi constante que sous le régime de la production capitaliste. Il dit :
Si la production était sociale, au lieu d’être capitaliste, ces produits de la section I seraient tout aussi bien répartis de nouveau comme moyens de production dans les branches de production de cette section en vue de la reproduction ; une partie resterait directement dans la sphère de production où elle est née comme produit, une autre partie passerait dans d’autres branches de production. Il y aurait donc un va-et-vient continuel. (K. Marx, Le Capital, tome VIII, p. 42, Édit. Costes, Paris, 1932.)
Il s’ensuit que Marx ne pensait nullement que sa théorie de la reproduction n’était valable que pour la production capitaliste, bien qu’il s’occupât alors de l’étude des lois de la production capitaliste. On voit qu’au contraire il estimait sa théorie de la reproduction également valable pour la production socialiste.
Notons que Marx, analysant dans sa Critique du programme de Gotha l’économie du socialisme et de la période de transition au communisme, s’appuie sur les thèses fondamentales de sa théorie de la reproduction, qu’il considère manifestement comme obligatoires pour un régime communiste.
Notons aussi que, dans son Anti-Dühring, Engels, critiquant le « système socialitaire » de Dühring et définissant l’économie du régime socialiste, s’appuie, lui aussi, sur les thèses fondamentales de la théorie de la reproduction de Marx qu’il considère comme obligatoires pour un régime communiste.
Tels sont les faits.
Il s’ensuit que là encore, dans la question de la reproduction, le camarade Iarochenko, malgré son ton dégagé à l’égard des « schémas » de Marx, s’est retrouvé sur un banc de sable.
4o Le camarade Iarochenko termine sa lettre aux membres du Bureau politique en proposant qu’on le charge d’écrire l’Économie politique du socialisme. Il déclare :
Partant de la définition — exposée par moi à la séance plénière, à la section et dans la présente lettre, — de l’objet de cette science qu’est l’économie politique du socialisme, et appliquant la méthode dialectique marxiste, je puis en un an, dix-huit mois au plus, et avec l’aide de deux assistants, élaborer les solutions théoriques des problèmes fondamentaux de l’économie politique du socialisme ; exposer la théorie, marxiste, léniniste-stalinienne de l’économie politique du socialisme, théorie qui fera de cette science une arme efficace dans la lutte du peuple pour le communisme.
Il faut avouer que le camarade Iarochenko ne souffre pas d’un excès de modestie. Bien plus : on pourrait dire, pour user du style de certains hommes de lettres, que c’est « même juste le contraire ».
Nous avons déjà dit que le camarade Iarochenko confond l’économie politique du socialisme avec la politique économique des organismes dirigeants.
Ce qu’il considère comme l’objet de l’économie politique du socialisme — organisation rationnelle des forces productives, planification de l’économie nationale, constitution de fonds sociaux, etc. — regarde non l’économie politique du socialisme, mais la politique économique des organismes dirigeants.
Cela, sans préjudice du fait que les graves erreurs commises par le camarade Iarochenko et son « point de vue » non marxiste n’engagent guère à confier pareille tâche au camarade Iarochenko.
Conclusions :
1) Les doléances du camarade Iarochenko à l’adresse des dirigeants de la discussion sont sans objet, car les dirigeants de la discussion, qui étaient des marxistes, ne pouvaient tenir compte, dans les documents qui font le point de la discussion, du « point de vue » non marxiste du camarade Iarochenko ;
2) La demande du camarade Iarochenko, — qu’il soit chargé d’écrire l’Économie politique du socialisme — ne peut être prise au sérieux, ne serait-ce que pour la raison qu’elle sent son Khlestakov [personnage principal de la pièce de Gogol : Révizor, N. Éd.] à plein nez.
22 mai 1952.
Réponse aux camarades A. V. Sanina et V. C. Venger
J’ai reçu vos lettres. Les auteurs de ces lettres, on le voit, étudient à fond et sérieusement les problèmes économiques de notre pays. Ces lettres renferment bon nombre de formules justes et d’idées intéressantes. Cependant, on y trouve aussi de graves erreurs théoriques. Dans ma réponse, je tiens à m’arrêter précisément sur ces erreurs.
1. Du caractère des lois économiques du socialisme
Les camarades Sanina et Venger affirment que :
c’est seulement grâce à l’activité consciente des hommes soviétiques, occupés à la production matérielle, que surgissent les lois économiques du socialisme.
Cette thèse est absolument fausse.
Les lois du développement économique existent-elles objectivement, en dehors de nous, indépendamment de la volonté et de la conscience des hommes ? Le marxisme répond à cette question par l’affirmative. Le marxisme estime que les lois de l’économie politique du socialisme sont le reflet, dans les cerveaux des hommes, des lois objectives, existant en dehors de nous.
Or, la formule des camarades Sanina et Venger donne une réponse négative à cette question. C’est donc que ces camarades se placent au point de vue d’une théorie fausse, prétendant que les lois du développement économique sous le socialisme sont « créées », « transformées » par les organismes dirigeants de la société. Autrement dit, ils rompent avec le marxisme et s’engagent dans la voie d’un idéalisme subjectif.
Sans doute, les hommes peuvent découvrir ces lois objectives, les connaître et, en se basant sur elles, les utiliser dans l’intérêt de la société. Mais ils ne peuvent ni les « créer », ni les « transformer ».
Admettons un instant que nous nous soyons placés au point de vue de la théorie fausse qui nie l’existence des lois objectives dans la vie économique sous le socialisme et proclame la possibilité de « créer », de « transformer » les lois économiques.
Qu’en résulterait-il ? Il en résulterait que nous serions plongés dans le chaos et les hasards ; nous serions les esclaves de ces hasards, nous n’aurions plus la possibilité non seulement de comprendre, mais simplement de démêler ce chaos de hasards.
Il en résulterait que nous supprimerions l’économie politique comme science, car la science ne peut exister ni se développer sans reconnaître les lois objectives, sans les étudier. Or, la science une fois supprimée, nous n’aurions plus la possibilité de prévoir le cours des événements dans la vie économique du pays, c’est-à-dire que nous n’aurions plus la possibilité d’organiser la direction économique même la plus élémentaire.
En fin de compte, nous nous trouverions soumis à l’arbitraire d’aventuriers « économiques », prêts à « supprimer » les lois du développement économique et à « créer » de nouvelles lois, sans comprendre les lois objectives, ni en faire état.
Tout le monde connaît la formule classique de la position marxiste dans cette question, donnée par Engels dans l’Anti-Dühring.
Les forces socialement agissantes, agissent tout à fait comme les forces de la nature : aveugles, violentes, destructrices tant que nous ne les connaissons pas et ne comptons pas avec elles.
Mais une fois que nous les avons reconnues, que nous en avons saisi l’activité, la direction, les effets, il ne dépend plus que de nous les soumettre de plus en plus à notre volonté et d’atteindre nos buts grâce à elles. Et cela est particulièrement vrai des énormes forces productives actuelles.
Tant que nous refusons obstinément à en comprendre la nature et le caractère, — et c’est contre cette compréhension que regimbent le mode de production capitaliste et ses défenseurs, — ces forces produisent tout leur effet malgré nous, contre nous, elles nous dominent, comme nous l’avons exposé dans le détail.
Mais une fois saisies dans leur nature, elles peuvent, dans les mains des producteurs associés, se transformer de maîtresses démoniaques en servantes dociles.
C’est là, la différence qu’il y a entre la force destructrice de l’électricité dans l’éclair de l’orage et l’électricité domptée du télégraphe et de l’arc électrique, la différence entre l’incendie et le feu agissant au service de l’homme.
En traitant de la même façon les forces productives actuelles après avoir enfin reconnu leur nature, on voit l’anarchie sociale de la production remplacée par une réglementation socialement planifiée de la production, selon les besoins de la communauté comme de chaque individu ; ainsi, le mode capitaliste d’appropriation, dans lequel le produit asservit d’abord le producteur, puis l’appropriateur lui-même, est remplacé, par le mode d’appropriation des produits fondé sur la nature des moyens modernes de production eux-mêmes ; d’une part appropriation sociale directe comme moyen d’entretenir et de développer la production, d’autre part appropriation individuelle directe comme moyen d’existence et de jouissance. (Anti-Dühring, pp. 318-319.)
2. Des mesures à prendre pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale
Quelles mesures sont nécessaires pour élever la propriété kolkhozienne qui n’est évidemment pas une propriété du peuple, au niveau de propriété nationale ?
Certains camarades pensent qu’il faut simplement nationaliser la propriété kolkhozienne, la proclamer propriété du peuple, comme on l’a fait en son temps, pour la propriété capitaliste. Cette proposition est tout à fait erronée et absolument inacceptable. La propriété kolkhozienne est une propriété socialiste, et nous ne pouvons en aucune façon en user avec elle comme avec la propriété capitaliste.
Du fait que la propriété kolkhozienne n’est pas la propriété de tout le peuple, il ne suit pas du tout que la propriété kolkhozienne n’est pas une propriété socialiste.
Ces camarades supposent que la remise de la propriété d’individus et de groupes d’individus en propre à l’État est l’unique ou, en tout cas, la meilleure forme de nationalisation.
C’est faux. En réalité, la remise en propre à l’État n’est pas l’unique ni même la meilleure forme de nationalisation, mais la forme initiale de nationalisation, comme Engels le dit très justement dans l’Anti-Dühring. Il est évident qu’aussi longtemps que l’État existe, la remise en propre à l’État est la forme initiale de nationalisation la plus compréhensible.
Mais l’État n’existera pas éternellement. Avec l’extension de la sphère d’action du socialisme dans la plupart des pays du monde, l’État dépérira, et il est évident que, par suite, la question de la remise des biens des individus et groupes en propre à l’État, ne se posera plus. L’État disparaîtra, mais la société restera. Par conséquent, l’héritier de la propriété nationale sera non plus l’État, qui aura disparu, mais la société elle-même, en la personne de son organisme économique dirigeant, central.
Que faut-il donc entreprendre, en ce cas, pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale ?
Les camarades Sanina et Venger proposent, comme mesure essentielle, de vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production concentrés dans les stations de machines et de tracteurs ; de décharger par ce moyen l’État de ses investissements de capitaux dans l’agriculture et de faire assumer aux kolkhozes la responsabilité de l’entretien et du développement des stations de machines et de tracteurs. Ils disent :
Il serait faux de croire que les investissements kolkhoziens doivent être principalement affectés aux besoins culturels de la campagne kolkhozienne, tandis que l’État doit fournir, comme précédemment, la masse essentielle des investissements pour les besoins de la production agricole.
Ne serait-il pas plus juste d’exonérer l’État de ces charges, puisque les kolkhozes sont parfaitement à même de les assumer ? Il y aura suffisamment d’entreprises où l’État pourra investir ses ressources, afin de créer dans le pays une abondance d’objets de consommation.
Pour justifier leur proposition, les auteurs avancent plusieurs arguments.
Premièrement. Se référant aux paroles de Staline disant que les moyens de production ne se vendent pas même aux kolkhozes, les auteurs de la proposition mettent en doute cette thèse de Staline et déclarent que l’État vend cependant aux kolkhozes des moyens de production, tels que le petit outillage comme faux et faucilles, petits moteurs, etc.
Ils estiment que si l’État vend aux kolkhozes ces moyens de production, il pourrait également leur vendre tous les autres moyens de production, par exemple, les machines des S.M.T. (Stations de machines et tracteurs, N. Éd.)
Cet argument ne tient pas. Certes, l’État vend aux kolkhozes le petit outillage, comme cela se doit d’après les Statuts de l’artel agricole et la Constitution. Mais peut-on mettre sur le même plan le petit outillage et ces moyens essentiels de la production agricole que sont les machines des S.M.T. ou, mettons, la terre qui, elle aussi, est un des moyens essentiels de la production dans l’agriculture.
Il est clair que non.
On ne peut pas le faire, le petit outillage ne décidant en aucune mesure du sort de la production kolkhozienne, tandis que les moyens de production tels que les machines des S.M.T. et la terre décident pleinement du sort de l’agriculture dans nos conditions actuelles.
Il est aisé de comprendre que lorsque Staline dit que les moyens de production ne se vendent pas aux kolkhozes, il ne pense pas au petit outillage, mais aux moyens essentiels de la production agricole : les machines des S.M.T., la terre.
Les auteurs jouent sur les mots « moyens de production » et confondent deux choses différentes sans s’apercevoir qu’ils font fausse route.
Deuxièmement. Les camarades Sanina et Venger se réfèrent ensuite au fait qu’au début du mouvement kolkhozien de masse — fin de 1929 et début de 1930, — le Comité central du P.C. (b) de l’U.R.S.S. était lui-même partisan de la remise des stations de machines et de tracteurs en propre aux kolkhozes, ceux-ci devant rembourser la valeur des S.M.T. dans un délai de trois ans.
Ils considèrent que, bien que cette initiative ait alors échoué, « en raison de la pauvreté » des kolkhozes, maintenant que les kolkhozes sont riches, on pourrait revenir à cette politique, à la vente des S.M.T. aux kolkhozes.
Cet argument ne tient pas non plus.
Le Comité central du P. C. (b) de l’U.R.S.S. avait effectivement pris une décision relative à la vente des S.M.T. aux kolkhozes, au début de 1930. Cette décision avait été prise sur la proposition d’un groupe de kolkhoziens de choc, à titre d’expérience, à titre d’essai, pour revenir à bref délai, sur cette question et l’examiner à nouveau.
Or, la première vérification a montré le caractère irrationnel de cette décision et, au bout de quelques mois, c’est-à-dire à la fin de 1930, cette décision fut rapportée.
L’extension du mouvement kolkhozien et le développement de l’édification des kolkhozes ont définitivement convaincu les kolkhoziens de même que les travailleurs dirigeants, que la concentration des principaux instruments de la production agricole entre les mains de l’État, dans les stations de machines et de tracteurs, est l’unique moyen d’assurer des rythmes élevés d’accroissement de la production dans les kolkhozes.
Nous nous réjouissons tous de l’accroissement intense de la production agricole dans notre pays, de la production accrue des céréales, du coton, du lin, de la betterave, etc. Où est la source de cet accroissement ? Elle est dans la technique moderne, dans les nombreuses machines perfectionnées qui desservent toutes ces branches de production.
Il ne s’agit pas seulement de la technique en général ; il s’agit que la technique ne peut pas rester immobile, qu’elle doit constamment s’améliorer ; la technique ancienne doit être mise hors de service et remplacée par une technique moderne qui, à son tour, cédera le pas à un matériel encore plus parfait.
Sinon le progrès de notre agriculture socialiste serait inconcevable, inconcevables les grandes récoltes, l’abondance des produits agricoles. Mais que signifie mettre hors de service des centaines de mille tracteurs à roues et les remplacer par des tracteurs à chenilles, remplacer des dizaines de milliers de moissonneuses-batteuses périmées par de nouvelles, créer de nouvelles machines, par exemple, pour les cultures industrielles ?
Cela signifie engager des dépenses se chiffrant par des milliards et qui ne pourront être récupérées que dans six ou huit ans. Nos kolkhozes, même s’ils sont des kolkhozes-millionnaires, peuvent-ils assumer ces dépenses ? Non, ils ne le peuvent pas, car ils ne sont pas à même de dépenser des milliards qui ne pourront être récupérés que dans six ou huit ans.
L’État seul peut se charger de ces dépenses, lui seul étant capable de supporter les pertes entraînées par la mise hors de service des vieilles machines et leur remplacement par de nouvelles, lui seul étant capable de supporter ces pertes pendant six ou huit ans, et d’attendre l’expiration de ce délai pour récupérer ses dépenses.
Que signifie, après tout cela, exiger que les S.M.T. soient vendues en propre aux kolkhozes ? Cela signifie faire subir aux kolkhozes des pertes énormes, les ruiner, compromettre la mécanisation de l’agriculture, ralentir la cadence de la production kolkhozienne.
D’où la conclusion : en proposant de vendre les S.M.T. aux kolkhozes, les camarades Sanina et Venger font un pas en arrière et essaient de faire tourner à rebours la roue de l’histoire.
Admettons un instant que nous ayons accepté la proposition des camarades Sanina et Venger, et commencé à vendre en propre aux kolkhozes les principaux instruments de production, les stations de machines et de tracteurs. Qu’en résulterait-il ?
Il en résulterait, premièrement, que les kolkhozes deviendraient propriétaires des principaux instruments de production, c’est-à-dire qu’ils se trouveraient placés dans une situation exceptionnelle qui n’est celle d’aucune entreprise dans notre pays, car, on le sait, les entreprises nationalisées elles-mêmes ne sont pas chez nous propriétaires des instruments de production. Comment pourrait-on justifier cette situation exceptionnelle des kolkhozes, par quelles considérations de progrès, de marche en avant ?
Peut-on dire que cette situation contribuerait à élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale, qu’elle hâterait, le passage de notre société du socialisme au communisme ? Ne serait-il pas plus juste de dire que cette situation ne pourrait qu’éloigner la propriété kolkhozienne de la propriété nationale et aboutirait à nous éloigner du communisme, au lien de nous en rapprocher.
Il en résulterait, deuxièmement, un élargissement de la sphère d’action de la circulation des marchandises qui entraînerait dans son orbite une quantité énorme d’instruments de production agricole. Qu’en pensent les camarades Sanina et Venger ?
L’élargissement de la sphère de la circulation des marchandises peut-il contribuer à notre avance vers le communisme ? Ne sera-t-il pas plus juste de dire qu’il ne peut que freiner notre avance vers le communisme ?
L’erreur essentielle des camarades Sanina et Venger, c’est qu’ils ne comprennent pas le rôle et l’importance de la circulation des marchandises en régime socialiste ; ils ne comprennent pas que la circulation des marchandises est incompatible avec la perspective de passer du socialisme au communisme.
Ils pensent sans doute que l’on peut, même sous le régime de la circulation des marchandises, passer du socialisme au communisme, que la circulation des marchandises ne peut en l’occurrence constituer un obstacle. C’est une grave erreur, qui part d’une incompréhension du marxisme.
En critiquant la « commune économique » de Dühring, fonctionnant dans les conditions de la circulation des marchandises, Engels a montré, de façon probante, dans son Anti-Dühring, que l’existence de la circulation des marchandises doit amener inévitablement les « communes économiques » de Dühring à la renaissance du capitalisme.
Évidemment, les camarades Sanina et Venger ne sont pas de cet avis. Tant pis pour eux. Mais nous, marxistes, nous partons de la thèse marxiste bien connue, selon laquelle le passage du socialisme au communisme et le principe communiste de la répartition des produits selon les besoins, excluent tout échange de marchandises et, par suite, la transformation des produits en marchandises et, en même temps, leur transformation en valeur.
Voilà ce qu’il en est de la proposition et des arguments des camarades Sanina et Venger.
Que faut-il donc entreprendre, en fin de compte, pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale ?
Le kolkhoze est une entreprise d’un genre particulier. Il travaille sur la terre et cultive la terre qui n’est plus depuis longtemps une propriété kolkhozienne, mais nationale. Par conséquent, le kolkhoze ne possède pas en propre la terre qu’il cultive.
Poursuivons. Le kolkhoze travaille à l’aide d’instruments essentiels de production, qui ne sont pas propriété kolkhozienne, mais nationale. Par conséquent, le kolkhoze ne possède pas en propre les principaux instruments de production.
Ensuite. Le kolkhoze est une entreprise coopérative, il utilise le travail de ses membres et répartit les revenus parmi ses membres d’après les journées-travail fournies ; en outre, le kolkhoze possède des réserves de semences qui sont renouvelées chaque année et employés dans la production.
La question se pose : qu’est-ce donc que le kolkhoze possède en propre, où est la propriété kolkhozienne dont il peut disposer eu toute liberté, comme il l’entend ?
Cette propriété, c’est la production du kolkhoze, le fruit de la production kolkhozienne : blé, viande, beurre, légumes, coton, betterave, lin, etc., sans compter les bâtiments et les exploitations personnelles des kolkhoziens dans leurs enclos. Le fait est qu’une partie considérable de cette production, les excédents de la production kolkhozienne arrivent sur le marché et s’intègrent de cette façon au système de la circulation des marchandises.
C’est ce qui empêcha actuellement d’élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale. C’est donc de ce côté-là qu’il faut activer le travail pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale.
Pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale, il faut que les excédents de la production kolkhozienne soient éliminés de la circulation des marchandises et intégrés au système d’échange de produits entre l’industrie d’État et les kolkhozes. Là est l’essentiel.
Nous n’avons pas encore de système développé d’échange de produits, mais il existe des embryons de cet échange sous forme de « paiement en marchandises » pour les produits agricoles.
On sait que la production des kolkhozes cultivant le coton, le lin, la betterave, etc., est depuis longtemps « payée en marchandises » ; il est vrai que cela ne se fait que partiellement, pas en totalité, mais cela se fait tout de même. Remarquons en passant que le terme « paiements en marchandises », n’est pas heureux, qu’il faudrait le remplacer par « échange de produits ».
La tâche est d’organiser dans toutes les branches de l’agriculture ces embryons d’échanges de produits et de les développer pour en faire un vaste système d’échange, de façon que les kolkhozes reçoivent pour leur production de l’argent, mais surtout les articles dont ils ont besoin.
Ce système nécessitera un accroissement considérable de la production livrée par la ville au village ; il faudra donc l’introduire sans trop de précipitation au fur et à mesure de l’accumulation des articles produits par la ville.
Mais il faut l’introduire méthodiquement, sans hésiter, en restreignant pas à pas la sphère de la circulation des marchandises et en élargissant la sphère des échanges de produits.
Ce système, en restreignant la sphère de la circulation des marchandises, aidera à passer du socialisme au communisme. En outre, il permettra d’inclure la propriété essentielle des kolkhozes, la production kolkhozienne, dans le système d’ensemble de la planification nationale.
Ceci sera un moyen réel et décisif pour élever la propriété kolkhozienne au niveau de propriété nationale dans nos conditions actuelles.
Ce système est-il avantageux pour la paysannerie kolkhozienne ?
Il l’est incontestablement. Avantageux parce que la paysannerie kolkhozienne recevra de l’État des produits en quantité beaucoup plus grande et à des prix meilleur marché qu’avec le système de circulation des marchandises.
Tout le monde sait que les kolkhozes qui ont passé des contrats avec le Gouvernement pour des échanges de produits (« paiement en marchandises ») bénéficient d’avantages infiniment plus grands que les kolkhozes qui n’en ont pas conclu. Si l’on étend le système d’échanges des produits à tous les kolkhozes du pays, toute notre paysannerie kolkhozienne bénéficiera de ces avantages.
28 septembre 1952.