Article paru dans la Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat] n° 10, 15 juillet 1905.
Traduit du géorgien.
Le mouvement révolutionnaire, « en est arrivé, à l’heure présente, à la nécessité d’une insurrection armée » : cette idée, formulée par le III° congrès de notre parti, se confirme chaque jour davantage. La flamme de la révolution est de plus en plus ardente, provoquant soit ici, soit là des insurrections locales.
Trois jours de barricades et de combats de rue à Lodz, la grève de dizaines et de dizaines de milliers d’ouvriers à Ivanovo-Voznessensk conduisant aux inévitables et sanglantes échauffourées avec la troupe, l’insurrection d’Odessa, la « révolte » dans la flotte de la mer Noire et parmi les équipages de la flotte à Libau, la « semaine » de Tiflis : autant de signes avant-coureurs de l’orage imminent.
Il se rapproche, il se rapproche irrésistiblement ; du jour au lendemain il éclatera sur la Russie, et de son puissant souffle purificateur il balaiera tout ce qui est caduc et pourri, il lavera le peuple russe de l’autocratie, cette honte plusieurs fois séculaire.
Les dernières convulsions du tsarisme, — renforcement des diverses formes de la répression, proclamation de la loi martiale dans la moitié du pays, multiplication des potences et, en même temps, discours engageants aux libéraux et promesses fallacieuses de réformes, — ne le sauveront pas du sort que lui réserve l’histoire. Les jours de l’autocratie sont comptés, l’orage est inévitable. Un ordre nouveau est déjà en gestation, acclamé par le peuple tout entier, qui attend de lui une rénovation et une renaissance.
Quels sont donc les nouveaux problèmes que pose devant notre parti l’orage imminent ? Comment devons-nous adapter notre organisation et notre tactique aux nouvelles exigences de la vie, pour participer de façon plus active et plus organisée à l’insurrection, ce point de départ nécessaire de la révolution ?
Détachement avancé de la classe qui est non seulement l’avant-garde, mais aussi la principale force motrice de la révolution, devons-nous, pour diriger l’insurrection, créer des appareils spéciaux, ou bien le mécanisme du parti, tel qu’il existe, suffit-il pour cela ?
Depuis plusieurs mois déjà, ces questions se posent devant le parti et exigent d’urgence une solution. Pour ceux qui s’inclinent devant la « spontanéité » ; pour qui les buts du parti se réduisent à suivre simplement la marche de la vie ; pour ceux qui sont à la remorque au lieu de marcher en tête comme il sied à un détachement d’avant-garde conscient, ces questions n’existent pas.
L’insurrection est spontanée, disent-ils, on ne peut l’organiser ni la préparer ; tout plan d’action élaboré d’avance est une utopie (ils sont hostiles à tout « plan », — car c’est là un phénomène « conscient » et non « spontané » !), une dépense de forces inutile : la vie sociale, qui suit des chemins inconnus, réduira à néant tous nos projets.
Aussi devons-nous, à les entendre, nous contenter de diffuser par la propagande et l’agitation l’idée de l’insurrection, l’idée de « l’auto-armement » des masses, nous contenter d’assumer la « direction politique » : qui voudra dirigera « techniquement » le peuple insurgé.
N’avons-nous pas toujours assumé jusqu’ici cette direction ? répondent les adversaires de la « politique du suivisme ». Il va sans dire qu’il est absolument nécessaire d’entreprendre un vaste travail d’agitation et de propagande, de diriger politiquement le prolétariat.
Mais se limiter à des tâches générales comme celles-là revient à dire ou bien que nous esquivons toute réponse à une question directement posée par la vie, ou bien que nous nous révélons absolument incapables d’adapter notre tactique aux nécessités de la lutte révolutionnaire qui grandit impétueusement.
De toute évidence, nous devons aujourd’hui décupler notre agitation politique ; nous devons nous efforcer de gagner à notre influence non seulement le prolétariat, mais aussi ces couches nombreuses du « peuple » qui se joignent peu à peu à la révolution ; nous devons nous efforcer de répandre dans toutes les classes de la population l’idée que l’insurrection est indispensable.
Mais nous ne pouvons en rester là !
Pour que le prolétariat puisse utiliser la révolution qui vient dans le sens de sa lutte de classe ; pour qu’il puisse instaurer un régime démocratique qui favorise au maximum la lutte ultérieure pour le socialisme, il faut que le prolétariat, autour duquel se groupe l’opposition, se trouve non seulement au centre de la lutte, mais qu’il devienne le guide et le dirigeant de l’insurrection.
La direction technique et la préparation concrète de l’insurrection dans toute la Russie ; telle est précisément la nouvelle tâche que la vie impose au prolétariat. Et si notre parti veut être le véritable dirigeant politique de la classe ouvrière, il ne peut ni ne doit se dérober à l’accomplissement de ces nouvelles tâches.
Ainsi, que devons-nous entreprendre pour atteindre cet objectif ?
Quelles doivent être nos premières démarches ?
Beaucoup de nos organisations ont déjà résolu pratiquement la question en consacrant une partie de leurs forces et de leurs moyens à armer le prolétariat. Notre lutte contre l’autocratie est entrée dans une phase où la nécessité de s’armer est reconnue de tous.
Mais à elle seule la conscience de la nécessité de s’armer ne suffit pas : il faut poser clairement et nettement la tâche pratique devant le parti. Voilà pourquoi nos comités doivent tout de suite, sans délai, procéder à l’armement du peuple sur place, créer des groupes spéciaux qui s’en occuperont, organiser des groupes locaux pour se procurer des armes, organiser des ateliers pour fabriquer des explosifs, dresser un plan pour s’emparer des dépôts d’armes publics ou privée et des arsenaux.
Nous ne devons pas seulement armer le peuple de « l’ardent désir de s’armer », comme nous le conseille la nouvelle Iskra ; nous devons aussi prendre pratiquement « les mesures les plus énergiques pour armer le prolétariat », comme le III° congrès du parti nous en a fait un devoir.
Sur la solution de ce problème, il nous est plus facile d’arriver à un accord que sur n’importe quelle autre question, aussi bien avec la fraction dissidente du parti (si elle prend vraiment l’armement au sérieux et ne se borne pas à bavarder sur « l’ardent désir de s’armer ») qu’avec les organisations social-démocrates nationales, comme par exemple les fédéralistes arméniens et autres, qui se proposent les mêmes buts.
Une tentative de ce genre a déjà été faite à Bakou, où, après le massacre de février, notre comité, le groupe de Balakhany-Bibi-Eibat et le comité des gntchakistes [1] ont constitué une commission pour l’organisation de l’armement.
Cette importante et grave entreprise doit à tout prix être organisée en conjuguant les efforts, et nous pensons que les différends entre fractions ne doivent surtout pas empêcher l’union, sur cette base, de toutes les forces social-démocrates.
Parallèlement à l’augmentation des stocka d’armes, à l’organisation de la recherche et de la fabrication de ces armes en usine, il faut aussi se préoccuper très sérieusement de former toutes sortes de groupes de combat, qui auront à se servir des armes ainsi obtenues.
Il ne faut en aucun cas permettre des actes comme la distribution des armes directement aux masses. Comme nous avons peu de ressources et qu’il est très difficile de soustraire les armes à la vigilance de la police, nous ne réussirons pas à armer des couches quelque peu importantes de la population, et nos efforts seront vains.
Il en ira tout autrement si nous constituons une organisation spéciale de combat.
Nos groupes de combat apprendront à manier les armes ; ils seront au cours de l’insurrection, — qu’elle commence spontanément ou qu’elle soit préparée d’avance, — les principaux détachements d’avant-garde, autour desquels se ralliera le peuple insurgé et sous la direction desquels il ira au combat.
Grâce à leur expérience et à leur esprit d’organisation, grâce aussi à leur bon armement, il deviendra possible d’utiliser toutes les forces du peuple soulevé et d’atteindre ainsi notre but immédiat : armer le peuple entier et réaliser le plan d’action établi d’avance.
Ils s’empareront rapidement des dépôts d’armes, des établissements publics et gouvernementaux, de la poste, du central téléphonique, etc…, de tout ce qui sera nécessaire aux progrès ultérieurs de la révolution. Mais ces groupes de combat ne sont pas seulement indispensables quand l’insurrection révolutionnaire a déjà gagné toute la ville : leur rôle n’est pas moins important à la veille de l’insurrection.
Nous avons acquis la conviction, depuis six mois, que l’autocratie, discréditée aux yeux de toutes les classes de la population, a consacré toute son énergie à mobiliser les forces ténébreuses du pays : voyous professionnels ou éléments fanatisés et peu conscients parmi les Tatars, pour combattre les révolutionnaires.
Armés et protégés par la police, ils terrorisent la population et créent un climat difficile pour le mouvement de libération.
Nos organisations de combat doivent toujours se tenir prêtes à riposter comme il convient à toutes les tentatives de ces forces ténébreuses et s’attacher à transformer en un mouvement antigouvernemental l’indignation et la riposte provoquées par leurs agissements.
Les groupes de combat armés, prêts à tout instant à descendre dans la rue et à se mettre à la tête des masses populaires, peuvent facilement atteindre le but assigné par le III° congrès : « organiser la résistance armée aux Cent-Noirs et, d’une façon générale, à tous les éléments réactionnaires dirigés par le gouvernement » (« Résolution sur la conduite à tenir en face de la tactique du gouvernement à la veille de la révolution ». Voir le Communiqué) [2].
L’une des tâches essentielles de nos groupes de combat et, en général, de toute organisation militaire spéciale, doit être de dresser un plan d’insurrection pour chaque quartier et de le coordonner avec le plan élaboré par le centre du parti pour toute la Russie.
Repérer les points faibles de l’adversaire, établir les points de départ de notre attaque, répartir les forces dans le quartier, étudier à fond la topographie de la ville : tout cela doit être fait d’avance pour qu’en aucune circonstance on ne soit pris au dépourvu.
Il n’y a pas lieu d’analyser ici en détail ces aspects de l’activité de nos organisations.
Le strict secret dans l’établissement du plan d’action doit s’allier à la diffusion la plus large, dans le prolétariat, des connaissances militaires spéciales absolument nécessaires pour les combats de rue. A cet effet, nous devons faire appel aux militaires adhérant à notre organisation.
Nous pouvons aussi faire appel dans ce but à bon nombre d’autres camarades qui, en raison de leurs aptitudes et dispositions naturelles, nous seront très utiles en l’occurrence.
Seule une préparation aussi étendue de l’insurrection peut garantir le rôle dirigeant de la social-démocratie dans les batailles qui viennent entre le peuple et l’autocratie.
Seule une préparation complète au combat permettra au prolétariat de transformer les engagements divers avec la police et l’armée en une insurrection générale du peuple pour substituer au gouvernement tsariste un gouvernement provisoire révolutionnaire.
Le prolétariat organisé, en dépit des adeptes d’une « politique suiviste », mettra tout en œuvre pour concentrer dans ses mains la direction tant technique que politique de l’insurrection.
Condition indispensable qui nous permettra d’utiliser la révolution qui vient dans l’intérêt de notre lutte de classe.
1] Membres du parti petit-bourgeois arménien « Gntchak », fondé en 1887 à Genève sur l’initiative d’étudiants arméniens. En Transcaucasie, le parti « Gntchak », qui s’était intitulé Parti social-démocrate arménien, fit une politique scissionniste au sein du mouvement ouvrier. Après la révolution de 1905-1907, il dégénéra en un groupe nationaliste réactionnaire. (N. Réd.).
[2] Voir Résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., Ire partie, 6e éd. Russe, 1940, p. 45. (N. Réd.).
Article paru dans la Prolétariatis Brdzola [la Lutte du prolétariat] n° 10, 15 juillet 1905.
Traduit du géorgien.
Le mouvement révolutionnaire, « en est arrivé, à l’heure présente, à la nécessité d’une insurrection armée » : cette idée, formulée par le III° congrès de notre parti, se confirme chaque jour davantage. La flamme de la révolution est de plus en plus ardente, provoquant soit ici, soit là des insurrections locales.
Trois jours de barricades et de combats de rue à Lodz, la grève de dizaines et de dizaines de milliers d’ouvriers à Ivanovo-Voznessensk conduisant aux inévitables et sanglantes échauffourées avec la troupe, l’insurrection d’Odessa, la « révolte » dans la flotte de la mer Noire et parmi les équipages de la flotte à Libau, la « semaine » de Tiflis : autant de signes avant-coureurs de l’orage imminent.
Il se rapproche, il se rapproche irrésistiblement ; du jour au lendemain il éclatera sur la Russie, et de son puissant souffle purificateur il balaiera tout ce qui est caduc et pourri, il lavera le peuple russe de l’autocratie, cette honte plusieurs fois séculaire.
Les dernières convulsions du tsarisme, — renforcement des diverses formes de la répression, proclamation de la loi martiale dans la moitié du pays, multiplication des potences et, en même temps, discours engageants aux libéraux et promesses fallacieuses de réformes, — ne le sauveront pas du sort que lui réserve l’histoire. Les jours de l’autocratie sont comptés, l’orage est inévitable. Un ordre nouveau est déjà en gestation, acclamé par le peuple tout entier, qui attend de lui une rénovation et une renaissance.
Quels sont donc les nouveaux problèmes que pose devant notre parti l’orage imminent ? Comment devons-nous adapter notre organisation et notre tactique aux nouvelles exigences de la vie, pour participer de façon plus active et plus organisée à l’insurrection, ce point de départ nécessaire de la révolution ?
Détachement avancé de la classe qui est non seulement l’avant-garde, mais aussi la principale force motrice de la révolution, devons-nous, pour diriger l’insurrection, créer des appareils spéciaux, ou bien le mécanisme du parti, tel qu’il existe, suffit-il pour cela ?
Depuis plusieurs mois déjà, ces questions se posent devant le parti et exigent d’urgence une solution. Pour ceux qui s’inclinent devant la « spontanéité » ; pour qui les buts du parti se réduisent à suivre simplement la marche de la vie ; pour ceux qui sont à la remorque au lieu de marcher en tête comme il sied à un détachement d’avant-garde conscient, ces questions n’existent pas.
L’insurrection est spontanée, disent-ils, on ne peut l’organiser ni la préparer ; tout plan d’action élaboré d’avance est une utopie (ils sont hostiles à tout « plan », — car c’est là un phénomène « conscient » et non « spontané » !), une dépense de forces inutile : la vie sociale, qui suit des chemins inconnus, réduira à néant tous nos projets.
Aussi devons-nous, à les entendre, nous contenter de diffuser par la propagande et l’agitation l’idée de l’insurrection, l’idée de « l’auto-armement » des masses, nous contenter d’assumer la « direction politique » : qui voudra dirigera « techniquement » le peuple insurgé.
N’avons-nous pas toujours assumé jusqu’ici cette direction ? répondent les adversaires de la « politique du suivisme ». Il va sans dire qu’il est absolument nécessaire d’entreprendre un vaste travail d’agitation et de propagande, de diriger politiquement le prolétariat.
Mais se limiter à des tâches générales comme celles-là revient à dire ou bien que nous esquivons toute réponse à une question directement posée par la vie, ou bien que nous nous révélons absolument incapables d’adapter notre tactique aux nécessités de la lutte révolutionnaire qui grandit impétueusement.
De toute évidence, nous devons aujourd’hui décupler notre agitation politique ; nous devons nous efforcer de gagner à notre influence non seulement le prolétariat, mais aussi ces couches nombreuses du « peuple » qui se joignent peu à peu à la révolution ; nous devons nous efforcer de répandre dans toutes les classes de la population l’idée que l’insurrection est indispensable.
Mais nous ne pouvons en rester là !
Pour que le prolétariat puisse utiliser la révolution qui vient dans le sens de sa lutte de classe ; pour qu’il puisse instaurer un régime démocratique qui favorise au maximum la lutte ultérieure pour le socialisme, il faut que le prolétariat, autour duquel se groupe l’opposition, se trouve non seulement au centre de la lutte, mais qu’il devienne le guide et le dirigeant de l’insurrection.
La direction technique et la préparation concrète de l’insurrection dans toute la Russie ; telle est précisément la nouvelle tâche que la vie impose au prolétariat. Et si notre parti veut être le véritable dirigeant politique de la classe ouvrière, il ne peut ni ne doit se dérober à l’accomplissement de ces nouvelles tâches.
Ainsi, que devons-nous entreprendre pour atteindre cet objectif ?
Quelles doivent être nos premières démarches ?
Beaucoup de nos organisations ont déjà résolu pratiquement la question en consacrant une partie de leurs forces et de leurs moyens à armer le prolétariat. Notre lutte contre l’autocratie est entrée dans une phase où la nécessité de s’armer est reconnue de tous.
Mais à elle seule la conscience de la nécessité de s’armer ne suffit pas : il faut poser clairement et nettement la tâche pratique devant le parti. Voilà pourquoi nos comités doivent tout de suite, sans délai, procéder à l’armement du peuple sur place, créer des groupes spéciaux qui s’en occuperont, organiser des groupes locaux pour se procurer des armes, organiser des ateliers pour fabriquer des explosifs, dresser un plan pour s’emparer des dépôts d’armes publics ou privée et des arsenaux.
Nous ne devons pas seulement armer le peuple de « l’ardent désir de s’armer », comme nous le conseille la nouvelle Iskra ; nous devons aussi prendre pratiquement « les mesures les plus énergiques pour armer le prolétariat », comme le III° congrès du parti nous en a fait un devoir.
Sur la solution de ce problème, il nous est plus facile d’arriver à un accord que sur n’importe quelle autre question, aussi bien avec la fraction dissidente du parti (si elle prend vraiment l’armement au sérieux et ne se borne pas à bavarder sur « l’ardent désir de s’armer ») qu’avec les organisations social-démocrates nationales, comme par exemple les fédéralistes arméniens et autres, qui se proposent les mêmes buts.
Une tentative de ce genre a déjà été faite à Bakou, où, après le massacre de février, notre comité, le groupe de Balakhany-Bibi-Eibat et le comité des gntchakistes [1] ont constitué une commission pour l’organisation de l’armement.
Cette importante et grave entreprise doit à tout prix être organisée en conjuguant les efforts, et nous pensons que les différends entre fractions ne doivent surtout pas empêcher l’union, sur cette base, de toutes les forces social-démocrates.
Parallèlement à l’augmentation des stocka d’armes, à l’organisation de la recherche et de la fabrication de ces armes en usine, il faut aussi se préoccuper très sérieusement de former toutes sortes de groupes de combat, qui auront à se servir des armes ainsi obtenues.
Il ne faut en aucun cas permettre des actes comme la distribution des armes directement aux masses. Comme nous avons peu de ressources et qu’il est très difficile de soustraire les armes à la vigilance de la police, nous ne réussirons pas à armer des couches quelque peu importantes de la population, et nos efforts seront vains.
Il en ira tout autrement si nous constituons une organisation spéciale de combat.
Nos groupes de combat apprendront à manier les armes ; ils seront au cours de l’insurrection, — qu’elle commence spontanément ou qu’elle soit préparée d’avance, — les principaux détachements d’avant-garde, autour desquels se ralliera le peuple insurgé et sous la direction desquels il ira au combat.
Grâce à leur expérience et à leur esprit d’organisation, grâce aussi à leur bon armement, il deviendra possible d’utiliser toutes les forces du peuple soulevé et d’atteindre ainsi notre but immédiat : armer le peuple entier et réaliser le plan d’action établi d’avance.
Ils s’empareront rapidement des dépôts d’armes, des établissements publics et gouvernementaux, de la poste, du central téléphonique, etc…, de tout ce qui sera nécessaire aux progrès ultérieurs de la révolution. Mais ces groupes de combat ne sont pas seulement indispensables quand l’insurrection révolutionnaire a déjà gagné toute la ville : leur rôle n’est pas moins important à la veille de l’insurrection.
Nous avons acquis la conviction, depuis six mois, que l’autocratie, discréditée aux yeux de toutes les classes de la population, a consacré toute son énergie à mobiliser les forces ténébreuses du pays : voyous professionnels ou éléments fanatisés et peu conscients parmi les Tatars, pour combattre les révolutionnaires.
Armés et protégés par la police, ils terrorisent la population et créent un climat difficile pour le mouvement de libération.
Nos organisations de combat doivent toujours se tenir prêtes à riposter comme il convient à toutes les tentatives de ces forces ténébreuses et s’attacher à transformer en un mouvement antigouvernemental l’indignation et la riposte provoquées par leurs agissements.
Les groupes de combat armés, prêts à tout instant à descendre dans la rue et à se mettre à la tête des masses populaires, peuvent facilement atteindre le but assigné par le III° congrès : « organiser la résistance armée aux Cent-Noirs et, d’une façon générale, à tous les éléments réactionnaires dirigés par le gouvernement » (« Résolution sur la conduite à tenir en face de la tactique du gouvernement à la veille de la révolution ». Voir le Communiqué) [2].
L’une des tâches essentielles de nos groupes de combat et, en général, de toute organisation militaire spéciale, doit être de dresser un plan d’insurrection pour chaque quartier et de le coordonner avec le plan élaboré par le centre du parti pour toute la Russie.
Repérer les points faibles de l’adversaire, établir les points de départ de notre attaque, répartir les forces dans le quartier, étudier à fond la topographie de la ville : tout cela doit être fait d’avance pour qu’en aucune circonstance on ne soit pris au dépourvu.
Il n’y a pas lieu d’analyser ici en détail ces aspects de l’activité de nos organisations.
Le strict secret dans l’établissement du plan d’action doit s’allier à la diffusion la plus large, dans le prolétariat, des connaissances militaires spéciales absolument nécessaires pour les combats de rue. A cet effet, nous devons faire appel aux militaires adhérant à notre organisation.
Nous pouvons aussi faire appel dans ce but à bon nombre d’autres camarades qui, en raison de leurs aptitudes et dispositions naturelles, nous seront très utiles en l’occurrence.
Seule une préparation aussi étendue de l’insurrection peut garantir le rôle dirigeant de la social-démocratie dans les batailles qui viennent entre le peuple et l’autocratie.
Seule une préparation complète au combat permettra au prolétariat de transformer les engagements divers avec la police et l’armée en une insurrection générale du peuple pour substituer au gouvernement tsariste un gouvernement provisoire révolutionnaire.
Le prolétariat organisé, en dépit des adeptes d’une « politique suiviste », mettra tout en œuvre pour concentrer dans ses mains la direction tant technique que politique de l’insurrection.
Condition indispensable qui nous permettra d’utiliser la révolution qui vient dans l’intérêt de notre lutte de classe.
1] Membres du parti petit-bourgeois arménien « Gntchak », fondé en 1887 à Genève sur l’initiative d’étudiants arméniens. En Transcaucasie, le parti « Gntchak », qui s’était intitulé Parti social-démocrate arménien, fit une politique scissionniste au sein du mouvement ouvrier. Après la révolution de 1905-1907, il dégénéra en un groupe nationaliste réactionnaire. (N. Réd.).
[2] Voir Résolutions et décisions des congrès, conférences et assemblées plénières du Comité central du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., Ire partie, 6e éd. Russe, 1940, p. 45. (N. Réd.).