Il faut souligner ici deux faits importants datant de la domination britannique et mettant symboliquement à mal l’influence musulmane sur le sous-continent indien.
Tout d’abord, l’anglais devint la langue prédominante selon le English Education Act de 1835, ce qui mit de côté le persan dans les hautes cours juridiques. Le persan fut également mis de côté par un Act de 1837 imposant une langue indienne vernaculaire comme langue officielle locale.
Ensuite, l’ourdou qui avait pris en partie la place du persan fut également lui-même écarté sous la pression des partisans du hindi.
L’ourdou et l’hindi sont historiquement la même langue, le premier étant pratiqué par les musulmans (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet arabe), le second par les hindous (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet Devanagari issu du sanskrit), avec parfois le terme de hindoustani pour éviter toute connotation religieuse.

En 1872, le hindi remplaça ainsi l’ourdou dans neuf districts des provinces centrales (l’actuel Madhya Pradesh).
Avec la fondation en 1885 du parti politique dénommé Congrès national indien (avec bientôt Mohandas Karamchand Gandhi à sa tête), il apparaissait comme évident, aux yeux d’une partie des intellectuels musulmans et bien sûr des féodaux, que la communauté musulmane voyait son hégémonie historique entièrement s’évanouir.
C’est alors Syed Ahmad Khan qui prit les rênes des revendications musulmanes.

S’il travailla pour la East India Company et resta loyaliste envers l’empire britannique, y compris durant la révolte des cipayes de 1857, Syed Ahmad Khan était intransigeant à l’encontre du Congrès national indien, y voyant une force portée par l’hindouisme pour phagocyter la communauté musulmane.
Il développa alors la thématique selon laquelle il existait plusieurs nations dans le Raj britannique, les hindous n’en formant pas une en tant que telle, ce qui était par contre le cas pour les musulmans. Dans un discours à Lucknow en 1887, il affirma ainsi :
« Quelle est notre nation ? Nous sommes ceux qui ont dirigé l’Inde pour six ou sept cent ans (…).
Notre nation est du sang de ceux qui ont fait trembler non seulement l’Arabie, mais également l’Asie et l’Europe.
C’est notre nation qui a conquis par son épée l’ensemble de l’Inde, bien que ses peuples avaient la même religion. »
Dans un discours à Meerut, en 1888, Syed Ahmad Khan exposa de la manière suivante la question des « deux nations » qui se poserait inévitablement en l’absence du pouvoir britannique :
« Supposons que tous les Anglais, et l’ensemble de l’armée anglaise, quittait l’Inde, prenant avec eux tous les canons et toutes leurs splendides armes et tout, alors qui seraient les dirigeants de l’Inde ?
Est-il possible que dans de telles circonstances, deux nations – les musulmans et les hindous – pourraient s’asseoir sur le même trône et resteraient égaux en pouvoir ? Très certainement pas.
Il est nécessaire que l’un deux subjugue l’autre et écarte l’autre. Espérer que les deux restent égaux est désirer l’impossible et l’inconcevable. »
Pour cette raison, il fallait selon Syed Ahmad Khan appuyer le pouvoir britannique, afin d’empêcher la mainmise hindoue sur l’Inde, et cela signifiait aussi élever considérablement le niveau de connaissance de l’élite musulmane, dans le domaine de la langue anglaise, mais également sur le plan des sciences, des techniques.
Il fallait que la communauté musulmane s’abstienne de toute politique, tout en se montrant indispensable au pouvoir britannique.
C’est pourquoi Syed Ahmad Khan fonda une « association patriotique » en 1888, puis une « association de défense musulmane anglo-orientale », en 1894, ainsi que dans le domaine de l’éducation, l’université à Aligarh, le Muhammadan Anglo-Oriental College, en 1875, ainsi que la All India Muhammadan Educational Conference, en 1886.
Lui-même mourut en 1899, mais son positionnement eut un succès très important, refaçonnant toute la perspective de l’élite musulmane.
La conséquence la plus concrète fut la formation de la Ligue musulmane.
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