Akram Yari, le grand maoïste historique de
l’Afghanistan, a-t-il fondé l’approche matérialiste dialectique de
la psychologie? Il s’agit d’une question très importante. Il y a de
nombreux d’éléments qui peuvent nous laisser considérer que c’est
le cas. Revenons à une phrase écrite par Akram Yari:
« La pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent passif, mais le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et actif. »
Il est nécessaire de commenter davantage cette
phrase, étant donné que sa luxuriance idéologique est extrême.
Pôles d’opposés
Comme nous pouvons le voir, en effet, il y a deux
pôles d’opposés:
pérennité de l’individu <=====> sacrifice
pour la classe [ouvrière]
cause de sur-place et est un agent passif <=====> un agent dynamique et actif
Si l’on regarde plus loin, nous pouvons voir
encore des paires de contraires, les contraires:
individu <=====> classe [ouvrière]
pérennité <=====> sacrifice
et
cause de surplace <=====> agent
dynamique
agent passif <=====> agent
actif
Nous commençons à avoir une vision du luxe de la
pensée d’Akram Yari. Allons plus loin et voyons quels mots il a
utilisé.
L’étymologie des mots choisis
En particulier, nous devons voir quel vocabulaire
il utilise pour actif / passif et cause de sur-place / dynamique.
Akram Yari dit:
« بقای فردی عامل سکون وپسیف است وازخودگذری درمقابل منافع طبقه عامل متحرک واکتیف »
Pour « surplace », il utilise « سکون”,
prononcé « Sukoun », cela vient de la langue arabe, où
cela signifie « calme » ; il est aussi employé par
le grand maître de la falsafa, Avicenne, par exemple dans le
« Danesh Namé », le « livre de la
science. »
Pour dynamique, il emploie « متحرک »,
prononcé « Mutaharek », qui vient de l’arabe « حَرَكَة”.
Ici, il est à noter que le mot est à prendre au
sens de « mobile », c’est-à-dire de dynamique dans le
sens où il peut venir à être en mouvement.
L’opposition surplace / dynamique est à
comprendre comme calme / mobile.
C’est directement en relation avec l’opposition
passif / actif, pour lesquels Akram Yari utilise les mots empruntés
à la langue anglaise (aktif / pasif).
Et maintenant, portons un dernier regard, sur le
mot « agent ». Akram Yari utilise le mot « عامل »,
prononcé « aamel. » Cela vient de la langue arabe, et le
dictionnaire en ligne wiktionnaire donne cette explication utile
(dans la version anglaise)
« Nom
عَامِل •
(ʕāmil) , pluriel عَوَامِل
(ʕawāmil)
1. facteur, constituant, élément, agent causal
2.
force motrice
3. (grammaire) mot qui régit un autre mot »
La Falsafa: Al-Fârâbî et Avicenne
Maintenant, jetons un regard sur les enseignements
de la Falsafa. Trouvons-nous les mêmes pôles d’opposés?
Prenons l’opposition :
agent passif <=====> agent
actif
Pour résumer, selon la tradition d’Aristote, du
second maître (Al-Fârâbî) et d’Avicenne, il y a un Dieu qui est
un « moteur ».
Parce qu’il est « bon », il produit la
bonté qui est déjà séparée de Dieu, donnant naissance à un
« ange » qui est un « intellect » (aql).
A la fin de ce processus, il y a la Terre, formée
d’une fusion du faible niveau de « l’intellect » et de la
matière. La matière est simplement « passive » et
formée par l’intellect, qui est « actif. »
Par conséquent, ce qu’on appelle la « pensée »
n’appartient pas à la matière. Elle appartient à
l’intellect.
Voyons maintenant l’opposition :
cause de surplace <=====> dynamique
Selon la tradition d’Aristote – Al Farabi –
Avicenne, la matière est « calme », au sens de
« réceptive », tandis que l’intellect est « mobile »,
se mouvant jusqu’à la matière réceptive, la formant (= lui donne
des formes).
Selon Aristote, le sage qui comprend cela devient
heureux, selon Al-Fârâbî, quelqu’un comprenant cela deviennent le
philosophe-roi. Et selon Avicenne, l’individu peut recevoir des
« faisceaux de lumière » de « l’intellect »
apportant des formes universelles de connaissance.
La Falsafa : Averroès
Dans les conceptions étonnantes d’Al-Fârâbî et
d’Avicenne, les gens sont comme des ordinateurs recherchant les
informations dans un grand centre de données, qui serait « Dieu »,
les câbles étant l’intellect mettant les informations sur les
écrans (ici: les « âmes »).
Mais comme nous le savons, le « grand
commentateur », Averroès, a modifié ce système. Dans le
système d’Al-Fârâbî et Avicenne, tout vient d’en haut, de
l’intellect. Les individus sont purement passifs.
Cependant, Averroès a vu la contradiction:
comment l’esprit éternel et unique peut-il être en relation avec
les individus non éternels et non uniques?
C’était un saut matérialiste majeur, qui a été
rapidement et sévèrement écrasé par les représentants de
l’Islam, alors qu’en Europe, c’est devenu l’arme pour les
matérialistes dans la lutte contre l’Église, donnant l’impulsion
centrale pour la Renaissance.
Comment Averroès a-t-il changé le système
d’Al-Fârâbî – Avicenne?
Selon Averroès, « l’intellect » ne
venait pas seulement de l’extérieur de la matière, il y avait aussi
une partie de l’intellect directement reliée à la matière.
Les humains étaient de la matière, mais avec un
« intellect », qui était ouvert à l’intelligence venant
de l’extérieur (par le haut, de Dieu).
L’union matière – intelligence d’un être humain
formait une union الاتحاد –
al-ittihad, en quête d’une jonction إتصا
–ittisal, avec le grand intellect.
C’était une étape importante, parce que c’était
une reconnaissance de l’existence du cerveau.
Une compréhension matérialiste
Le système d’Aristote – Al-Fârâbî – Avicenne –
Averroès est un système statique.
Mais pour nous, le monde est en mouvement, la
matière est éternelle et suit un mouvement dialectique. Ainsi,
l’aspect statique est opposé à l’aspect dynamique, comme le dit Mao
Zedong, « l’arbre peut préférer le calme, mais le vent
continue de souffler. »
Donc, maintenant, revenons à l’affirmation
d’Akram Yari:
« La
pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent
passif, mais le sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent
dynamique et actif. »
Et comprenons cela correctement.
Qu’est-ce que la pérennité ? C’est le
calme. Qu’est-ce que le sacrifice? C’est le vent. Les individus
vivent dans une société donnée, mais cette société évolue.
L’individu voit et ressent cette évolution, mais sans une bonne
approche, il tombe dans la nostalgie.
Ici, Akram Yari a souligné quelques points très
importants, atteignant un très haut niveau de compréhension de la
psychologie ; si l’on prend sa citation, d’un côté, nous avons
le côté non-mobile:
« la
pérennité de l’individu est une cause de surplace et est un agent
passif »
Et de l’autre côté, nous avons le côté mobile:
« le
sacrifice pour la classe [ouvrière] est un agent dynamique et
actif. »
Si nous étions avec Avicenne, nous dirions:
l’intellect (aql) est actif et « écrit » sur l’agent
passif.
Mais, comme nous n’utilisons pas le concept de
Dieu, mais de la matière en mouvement dialectique éternel, alors le
monde est dans un processus d’auto-transformation.
(C’est certainement pourquoi Akram Yari n’a pas
utilisé les mots arabes pour actif / passif utilisés par Avicenne:
cela aurait été comme si le système matérialiste était
équivalent à celui d’Avicenne, ce qui n’est pas le cas. Akram Yari
ne connaissant sans doute pas Averroès, titan de la falsafa mais
largement inconnu dans le monde musulman).
Par conséquent, cette transformation est l’agent
actif réel. Et avec Averroès, nous savons que les individus ne sont
pas seulement comme un récepteur, ils peuvent émettre aussi: les
humains sont tournés en direction de l’intellect venant du haut,
mais aussi en direction de la matière à laquelle ils sont reliés.
Ainsi, Akram Yari explique ce qu’Averroès, Kant,
Lénine ont observé: les gens ne pensent pas à un niveau supérieur
à eux-mêmes, à l’exception des quelques personnes ayant la
compréhension de l’ensemble du système qui a tout mis en mouvement.
La « pensée » des êtres humains est
une réflexion, elle est tardive, parce que pas tournée dans la
direction du mouvement général.
Pour bien le comprendre, nous allons revenir sur
les oppositions présentées par Akram Yari.
Individu et sacrifice, un mouvement dialectique
et donc, interne
Nous avons dit que les contraires sont les
suivants:
individu <=====> classe [ouvrière]
pérennité <=====> sacrifice
Mais en réalité ce n’est pas correct, cela
devrait être :
individu <=====> sacrifice
pérennité <=====> classe [ouvrière]
Pourquoi cela? Parce que c’est la classe qui est
contre la pérennité, la classe porte le communisme, qui est
l’abolition de la vieille société.
La contradiction est interne: la classe appartient
à la société.
Et l’autre contradiction est entre l’individu,
tourné dans le sens de lui-même, tandis que le sacrifice montre
qu’il s’est tourné vers le mouvement général de la matière.
La contradiction est interne: le sacrifice est
celui de l’individu lui-même.
La base pour une compréhension de
la
psychologie de l’individu
Ainsi, la contradiction est interne. Mais quelles
sont les formes de cette contradiction?
Pour cela, comprenons ce qu’Akram Yari a dit juste
avant la phrase que nous avons cité:
« Le
principe de base de la vie d’un individu est, d’une manière
superficielle, rien de plus que de conserver son existence matérielle
jusqu’à la mort, mais la situation de la vie, de manière
significative sa manière sociale, conduit la survie et la pérennité
d’un individu en direction de la transformation à une contradiction
: d’un côté, la survie matérielle est à la base du fait d’être
en vie, mais d’un autre aspect, donner des sacrifices en faveur de la
classe est l’initiative nécessaire pour la croissance individuelle
et le développement de la société humaine. »
Quand Akram Yari parle de la « manière
sociale », le fait de « conserver son existence
matérielle jusqu’à la mort », c’est comme quand Averroès
parle de « l’intellect » présent dans la matière et non
pas tournée vers le grand intellect (Averroès l’appelle
« l’intellect matériel »).
Et comme la contradiction est dans la société
elle-même, dans la reproduction des moyens de vie (= le mode de
production), la contradiction est dans l’humain directement aussi.
Individu et sacrifice constituent une contradiction, mais une
contradiction non pas entre l’humain et l’intellect comme dans la
conception religieuse d’Aristote – Al-Fârâbî – Avicenne –
Averroès.
C’est une contradiction dans l’humain lui-même.
C’est pourquoi Karl Marx nous a expliqué, dans sa Contribution
à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843):
« Il
est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la
critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue
que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle
aussi, en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses.
La théorie est
capable de pénétrer les masses dès qu’elle procède par des
démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad
hominem dès qu’elle devient radicale.
Être radical, c’est
prendre les choses par la racine. Or, pour l’homme, la racine, c’est
l’homme lui-même. »
Akram Yari a donné la base pour la psychologie
En expliquant que l’individu est dans une
situation qui est passive et non-mobile, Akram Yari défend le point
de vue matérialiste dialectique selon lequel la pensée individuelle
est le reflet du mouvement de la matière.
Néanmoins, comme la pensée est la matière
grise, elle est dans le cerveau, et comme le cerveau est matière, le
cerveau est une partie du mouvement de la matière.
Par conséquent, l’individu est dans une
contradiction. Cette contradiction est la base de l’approche
matérialiste dialectique de la psychologie.
L’esprit des individus est en même temps l’outil
pour comprendre la réalité directe de l’individu, mais aussi la
réalité globale du monde. Cela vient de la réalité naturelle du
cerveau.
Cela ouvre tout un champ de la compréhension des individus. Cela aide à comprendre la tension entre l’aspect global de la classe et la réalité des individus qui sont dans la classe, mais aussi tournés, d’une manière relative, dans une réalité directe, partie de la reproduction des moyens de vivre.
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