Pour comprendre la guerre menée par l’URSS dirigée par Staline contre l’Allemagne nazie, il faut connaître plusieurs fondamentaux, sans quoi on passe totalement à côté de la démarche employée.
Il faut en effet saisir le principe d’art opérationnel produit par les théoriciens militaires soviétiques dans les années 1920, aboutissant au concept de guerre en profondeur. Cela exige qu’on connaisse l’expérience russe de la guerre napoléonienne, qui fut justement appelée grande guerre patriotique, expression reprise précisément pour la guerre de 1941-1945 en raison du strict parallèle existant.
Il est possible de prendre les échecs, un jeu particulièrement populaire en Russie, pour saisir adéquatement cette compréhension soviétique de la guerre, qui se fonde sur le matérialisme dialectique, alors à son étape marxiste-léniniste.
Aux échecs, il y a un objectif stratégique : la prise de contrôle du roi adverse.
Cette prise de contrôle s’effectue par une menace associée à l’impossibilité pour le roi de se déplacer pour y échapper.
Ce qu’on appelle tactique consiste en les choix élémentaires d’action. Par exemple, le cheval étant le seul à pouvoir sauter au-dessus des pièces, on peut commencer à le sortir dès le départ afin de pouvoir profiter de son action.
Ce qu’on appelle art opérationnel est la combinaison d’éléments tactiques.
La défense dite ouest-indienne consiste par exemple à sortir le cheval, avancer un pion pour permettre d’avancer le fou qui protège le cheval et menace potentiellement tout une ligne. On ajoute à cela le « roque », qui permet d’intervertir d’un seul coup les emplacements du roi et de la tour, au prix du décalage d’une case. On a alors une solide défense à la suite de toute une opération de tactiques combinées.
Il y a ensuite la question de la guerre en profondeur. L’idée est la suivante : il ne suffit pas d’avoir de bons éléments tactiques correctement associée de manière opérationnelle. Il faut également avoir en vue le long terme. Dans ce cadre, un échec apparent à court terme peut s’avérer contribuer très fortement au succès par la suite.
Ici, le cheval est placé de telle manière à se sacrifier. C’est une perte à court terme, un déséquilibre en termes de pièces essentielles par rapport à l’adversaire, mais l’idée est de déstructurer toute la défense au moyen de cette action. Si le cheval est effectivement pris, les noirs se retrouvent dans une posture catastrophique plusieurs coups après, leur défense étant désorganisée.
Ces différents aspects sont à maîtriser pour comprendre les modalités soviétiques de la grande guerre patriotique. Sans cela, on ne peut pas du tout comprendre les choix soviétiques et on aboutit à des fantasmes explicatifs.
Le film Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, sorti en 2001, reprend ainsi les idées totalement fausses d’une armée rouge utilisant des « vagues humaines » comme sacrifices pour aller à la victoire, avec à l’arrière des commandos exterminant ceux refusant d’avancer.
C’est une expression directe d’une incompréhension complète de l’art opérationnel soviétique et du principe de guerre en profondeur.