Georgi Dimitrov et la démocratie populaire

Le Front de la Patrie mit en place comme régime la République Populaire de Bulgarie, dont les deux premiers articles de la constitution constatant que :

« La Bulgarie est une République populaire à gouvernement représentatif, établie et affermie à la suite des luttes héroïques du peuple bulgare contre la dictature monarcho-fasciste et de l’insurrection populaire victorieuse du 9 septembre 1944.

Dans la République populaire de Bulgarie, tout le pouvoir émane du peuple et appartient au peuple. Le peuple exerce ce pouvoir par des organes représentatifs librement élus et par référendum. Tous les organes représentatifs du pouvoir de l’État sont élus par les citoyens sur la base du droit électoral universel, égal et direct, au scrutin secret. »

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Les articles 6, 7, 8 et 9 précisent les choses suivantes :

« Les moyens de production en République populaire de Bulgarie appartiennent soit à l’Etat (propriété commune du peuple), soit aux coopératives, soit aux particuliers — personnes physiques ou morales.

Toutes les richesses naturelles, minerais et autres, du sous-sol, les forêts, les eaux, y compris les eaux minérales et thérapeutiques, les sources d’énergie hydraulique, les communications ferroviaires et aériennes, les postes, le télégraphe, le téléphone et la T.S.F., sont propriété de l’Etat, c’est-à-dire font partie de la propriété commune du peuple. Une loi spéciale réglera l’exploitation des forêts par la population.

La propriété commune du peuple est le principal appui de l’État dans le développement de l’économie nationale et jouit d’une protection particulière. L’état peut gérer lui-même ou confier à d’autres la gestion des moyens de production qu’il détient.

L’Etat subventionne et encourage les associations coopératives. »

Manifestation de soutien à Georgi Dimitrov
Manifestation de soutien à Georgi Dimitrov

La République Populaire se garde également le droit de nationaliser certaines branches ou entreprises, et conserve le monopole du commerce extérieur et intérieur. C’est ainsi une Démocratie populaire.

Dans son rapport politique du Comité central de décembre 1948, Georgi Dimitrov attribue la nature suivante au nouveau régime bulgare :

« La clique des grands capitalistes, groupée autour de la monarchie et étroitement liée à l’impérialisme allemand, fut renversée. 

Le pouvoir de l’Etat passa aux mains de l’union de combat des ouvriers, paysans, artisans et travailleurs intellectuels, unis au sein du Front de la Patrie, sur l’initiative et sous la direction de notre Parti. 

Un changement radical fut apporté au caractère du pouvoir de l’Etat : l’institution servant à l’oppression et à l’exploitation des masses, au profit des classes capitalistes, s’écroula et un pouvoir populaire, instrument de la destruction du capitalisme, de l’affranchissement graduel des travailleurs de toute exploitation, se formait. 

Il est vrai qu’au 9 septembre 1944, l’ancienne machine de l’Etat bourgeois ne fut pas entièrement détruite. Dans le gouvernement formé à ce moment, les communistes étaient en minorité. 

De très importants postes dans l’Etat se trouvaient aux mains de gens, qui s’avérèrent par la suite peu sûrs, voire hostiles à l’égard du Front de la Patrie. Mais le Parti était l’âme et la force motrice du mouvement populaire antifasciste. 

A la base, l’autorité se trouvait, en fait, aux mains des comités du Front de la Patrie. Notre Parti détenait le portefeuille de l’Intérieur, et contrôlait l’institution nouvellement créée des officiers politiques dans l’année. 

Cela, dans l’intérêt général, étant donné que lui seul était à même d’organiser l’écrasement définitif de la clique monarcho- fasciste renversée, d’assurer l’ordre intérieur et la participation efficace de l’armée, en pleine réorganisation, à la guerre patriotique (…).

Un nouvel Etat se constituait, un Etat populaire démocratique, appelé à se développer et à se perfectionner de plus en plus. 

Bien que les tâches immédiates de l’insurrection du 9 septembre eussent été démocratiques, cette insurrection n’a pas pu ne pas ébranler à sa base même le système capitaliste et ne pas dépasser les cadres de la démocratie bourgeoise. 

Cette particularité principale du soulèvement découle du fait que la suppression du fascisme, la garantie des droits démocratiques des travailleurs, leur consolidation et leur développement ne peuvent être établis, sans porter atteinte à la domination capitaliste. 

Car, le fascisme n’est rien d’autre qu’une dictature terroriste, sans frein, du grand Capital. Il ne peut être radicalement supprimé, si l’on ne touche pas à la domination des capitalistes ; les droits démocratiques des travailleurs ne peuvent être garantis, si le grand Capital conserve sa toute-puissance politique et économique. 

Voilà pourquoi l’Insurrection populaire du 9 septembre, portant au premier plan les tâches d’un caractère démocratique, ainsi que le grand devoir national : la participation de notre peuple à la guerre, pour la défaite définitive de l’hitlérisme, ne pouvait que diriger plus tard son glaive contre la domination du capitalisme, elle ne pouvait que lui porter d’autres coups sérieux et préparer les conditions de sa suppression, de l’abolition de ce système en général et le passage de la nation au socialisme. »

Georgi Dimitrov donne donc à la démocratie populaire la nature suivante :

Pour marcher avec assurance dans la voie du socialisme, il est indispensable d’éclaircir entièrement la question du caractère, du rôle et des perspectives de la démocratie populaire et de l’Etat populaire-démocratique. 

A la lumière de notre expérience et des faits les plus récents, nous devons donc préciser et mettre au point certaines de nos conceptions actuelles, relatives à cette question nouvelle et complexe, importante pour notre pays et pour les autres pays de la démocratie populaire. 

On sait que la démocratie populaire et l’Etat démocratique populaire devinrent possibles après la défaite des forces germano-fascistes, par suite de la victoire historique remportée par l’Union soviétique dans la seconde guerre mondiale et de la lutte des masses, sous la direction de la classe ouvrière, pour la liberté et l’indépendance nationales ; ce qui permit à une série de pays de l’Est et du Sud-Est européens de se débarrasser du système impérialiste. 

Le caractère de l’Etat démocratique-populaire est déterminé par ces quatre traits fondamentaux : 

a) L’Etat démocratique-populaire représente le pouvoir des travailleurs, de la grande majorité du peuple, sous le rôle dirigeant de la classe ouvrière. 

Ce, fait signifie premièrement, que le pouvoir des capitalistes et des gros propriétaires est renversé et que celui des travailleurs des villes et des campagnes est établi, sous la direction de la classe ouvrière; cette classe, la plus progressiste de la société contemporaine, joue dans l’Etat et dans la vie sociale, un rôle dirigeant. Deuxièmement, que l’Etat sert d’instrument aux travailleurs dans leur lutte contre les éléments exploiteurs, contre toutes tentatives et tendances, en vue de rétablir le régime capitaliste et la domination de la bourgeoisie. 

b) L’Etat démocratique-populaire apparaît comme un état de la période transitoire, appelé à assurer le développement du pays, dans la voie du socialisme. 

Ceci signifie : bien que le pouvoir des capitalistes et dés grands propriétaires fonciers soit renversé et que la fortune de cette classe soit devenue la propriété du peuple, les racines économiques du capitalisme ne sont pas encore extirpées : certains éléments subsistent encore et se développent, s’efforçant de rétablir l’esclavage. 

C’est pour cela que l’évolution vers l’avant, vers le socialisme, n’est possible qu’en menant une lutte de classe intransigeante contre eux, pour leur liquidation complète. 

Ce n’est qu’en marchant sans détours vers le socialisme que l’Etat démocratique-populaire pourra se fortifier et accomplir sa mission historique. 

Si la démocratie populaire cesse de lutter contre les classes d’exploiteurs, si elle cesse d’étouffer et de refouler les éléments capitalistes, ceux-ci l’emporteraient inévitablement, et non seulement saperaient les bases de la démocratie populaire, mais amèneraient sa perte. 

c) L’Etat démocratique-populaire s’édifie dans la collaboration et l’amitié avec l’Union soviétique. 

De même que l’affranchissement de notre pays des chaînes de l’impérialisme et la création de l’Etat démocratique-populaire ne devinrent possibles que grâce à l’appui et à la mission libératrice de l’U.R.S.S. dans la lutte contre l’Allemagne fasciste et ses alliés, le développement ultérieur de notre démocratie populaire suppose la conservation et le renforcement des relations étroites de collaboration sincère, d’assistance mutuelle et d’amitié, entre nos pays et le grand Etat soviétique. Toute tendance à affaiblir la collaboration avec l’U.R.S.S. est dirigée contre l’existence même de la démocratie populaire dans notre pays. 

d) L’Etat démocratique-populaire appartient au camp démocratique anti-impérialiste. 

Tout d’abord, ce n’est qu’en prenant rang dans le camp démocratique anti-impérialiste, qui a à sa tête le puissant Etat soviétique, qu’un pays de démocratie populaire peut garantir son indépendance, sa souveraineté et sa sécurité contre l’agression des forces impérialistes. 

Deuxièmement : Dans les conditions de la défaite militaire des Etats fascistes agresseurs, de l’aggravation rapide de la crise générale du capitalisme, de l’énorme croissance de la puissance de l’Union soviétique et de notre collaboration étroite avec l’U.R.S.S., et les Etats populaires-démocratiques, notre pays, ainsi que les autres pays de démocratie populaire, voit s’ouvrir la possibilité de réaliser la transition du capitalisme au socialisme sans un régime soviétique, uniquement au moyen du régime de démocratie populaire, à la condition que celui-ci se renforce et se développe en s’appuyant sur l’aide de l’U.R.S.S., et des autres pays de démocratie populaire. 

Troisièmement : Incarnant la domination des travailleurs sous la direction de la classe ouvrière, le régime de démocratie populaire peut et doit, ainsi que l’expérience l’a déjà prouvé, exercer avec succès les fonctions de la dictature du prolétariat, pour la liquidation du capitalisme et l’organisation de l’économie socialiste. 

Il peut briser la résistance des capitalistes et des propriétaires fonciers, étouffer et liquider leurs tentatives, en vue de restaurer le pouvoir du Capital. 

Il peut organiser la construction d’une industrie sur la base de la propriété publique et de l’économie planifiée. 

Le régime de démocratie populaire sera également en état de surmonter l’instabilité de la petite bourgeoisie des villes et de la paysannerie moyenne, de maîtriser les éléments capitalistes dans les campagnes et d’unir les masses fondamentales des travailleurs autour de la classe ouvrière, dans la lutte décisive pour le passage au socialisme. 

Dans l’application de cette ligne, qui a pour but d’éliminer les éléments capitalistes de l’économie nationale, le régime de démocratie populaire ne restera sans doute pas sans subir des transformations. 

Il sera nécessaire de renforcer continuellement les positions-clés de la classe ouvrière dans tous les domaines de la vie publique et de l’Etat ; il sera nécessaire d’unir, dans les campagnes, tous ceux qui peuvent être des alliés sûrs de la classe ouvrière pendant la période de la lutte aiguë contre les koulaks et leurs aides. 

Il sera nécessaire également de renforcer et d’améliorer le régime de démocratie populaire, comme le moyen de limitation et de liquidation des ennemis de classe. 

Quatrièmement : Les pays de démocratie populaire, y compris le nôtre, se sont déjà engagés dans la voie du socialisme, sans interrompre la lutte conne les forces ennemies de l’intérieur et surtout de l’extérieur.

Actuellement, dans ces pays, comme chez nous, on travaille à créer les conditions indispensables à l’édification du socialisme, à poser les fondements économiques et culturels de la future société socialiste. 

C’est en cela, notamment, que réside, dans l’étape actuelle, la tâche fondamentale de la démocratie populaire, et par conséquent, celle de la classe ouvrière et de son guide, le Parti communiste. 

Cette tâche générale en comporte une série d’autres, de grande importance, dont quelques-unes ont une portée décisive.

Les voici : 

1. Le renforcement ininterrompu des positions-clés de la classe ouvrière, avec le Parti communiste en tête, dans tous les domaines de l’Etat, de la vie économique, politico-sociale et culturelle. 

2. La consolidation de l’union de la classe ouvrière et des paysans travailleurs sous la direction de cette classe. 

3. Le développement accéléré du secteur public dans l’économie nationale et en particulier dans la grande industrie. 

4. La préparation des conditions nécessaires à la liquidation des éléments capitalistes exploiteurs dans l’économie rurale, cela par une politique conséquente visant, d’abord, à les limiter, ensuite, à les écarter et à les liquider. 

5. Le développement dans tout le pays de coopératives de production au sein des masses fondamentales de la paysannerie. L’aide à apporter aux paysans pauvres et moyens par les services des stations de tracteurs et machines agricoles, des crédits, des semences, etc. Augmenter l’intérêt que ces derniers portent à leur union avec la classe ouvrière, les persuader, par l’exemple des fermes coopératives, des avantages d’une gestion commune des exploitations rurales et les éduquer dans un esprit d’intransigeance vis-à-vis des éléments capitalistes. 

Nous considérons que dans nos conditions et avec le développement des fermes coopératives, la question de la nationalisation de la terre n’a pas une importance pratique, c’est-à-dire que l’application de cette nationalisation n’apparaît pas comme une condition indispensable au développement et à la mécanisation de notre agriculture. 

Cinquièmement : La démocratie populaire est en faveur de l’internationalisme, mais incompatible avec le nationalisme. Dans l’internationalisme, dans la collaboration internationale, avec le grand Staline en tête, notre Parti voit la garantie de l’existence indépendante, de la prospérité et de l’essor de notre pays vers le socialisme. 

Nous pensons que le nationalisme, quel que soit le masque sous lequel il se cache, est l’ennemi du communisme. 

Ceci est démontré, en effet, par la pratique anticommuniste du groupe nationaliste de Tito en Yougoslavie. C’est pour cette raison que la lutte contre le nationalisme devient un devoir primordial pour les communistes. 

En combattant toutes ses manifestations, nous devons former les travailleurs dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien et de dévouement à leur patrie, c’est-à-dire dans l’esprit du véritable patriotisme.

Ainsi, Georges Dimitrov prolongea son analyse du Front populaire jusqu’à établir les principes de la Démocratie populaire. Ce régime voit son existence permise par l’existence de l’Union Soviétique et sa victoire sur l’agresseur nazi, faisant que les forces démocratiques purent librement se développer.

La Démocratie populaire est ainsi une application toujours plus large de la démocratie, par un État dont la classe ouvrière forme l’ossature, les oppositions réactionnaires étant mises de côté.

Dans ce cadre, deux tentatives contre-révolutionnaires furent mises en échec : celle de l’agrarien Nicolas Petkov en 1947, celle du pro-titiste Traïcho Kostov en 1949.

Georgi Dimitrov décéda lui-même le 2 juillet 1949 ; un mausolée fut construit pour lui à Sofia. 

Le mausolée de Georgi Dimitrov
Le mausolée de Georgi Dimitrov

Valko Tchervenkov lui succéda, mais fut mis de côté en 1954 par le révisionnisme, qui réhabilita également immédiatement Traïcho Kostov, faisant de Georgi Dimitrov une icône sans contenu.

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Georgi Dimitrov et l’accomplissement en 1945 de la séquence de 1923

Le Front de la Patrie tint son premier congrès du 9 au 12 mars 1945, alors que parallèlement l’Union Générale des Syndicats Ouvriers tint son premier congrès du 16 au 20 mars 1945.

En août 1945, Georgi Dimitrov fut libéré de sa fonction de député du Soviet Suprême de l’URSS. Il put alors retourner en Bulgarie le 6 novembre 1945 en Bulgarie, après 22 années d’émigration.

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Il devint alors la figure majeure du Front de la Patrie, qui présenta une liste unifiée aux élections du 18 novembre 1945, réunissant les communistes, le Parti Agrarien, l’Union Populaire « zvéno », le Parti Ouvrier Social-démocrate et le Parti Radical, récoltant 88,18 % des voix, avec un taux de participation de 85,60 %.

Georgi Dimitrov fut alors nommé président du conseil intérimaire le 22 novembre 1946, avant que la nouvelle assemblée nationale ne décide le 10 décembre 1947 de lui demander de former un nouveau gouvernement.

Il devint alors président du Conseil des ministres, président du comité gouvernemental de la défense nationale et de la politique extérieure, appliquant la ligne de la démocratie populaire, c’est-à-dire de l’écrasement des forces réactionnaires par les forces démocratiques.

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Lors du Congrès national des comités du Front de la Patrie, Georgi Dimitrov prononça un discours intitulé « le Front de la Patrie est une alliance de combat durable de toutes les forces démocratiques progressistes », qui formula clairement cette ligne.

Il y expliquait :

« Il ne peut y avoir de vrai patriote bulgare qui n’adhère au Front de la Patrie, qui ne contribue, dans la mesure de ses forces et de ses capacités, à sa consolidation, ne garde sa cohésion comme la prunelle de ses yeux. Il n’y a pas de place en Bulgarie nouvelle, démocratique, pour le fascisme maudit, pour le chauvinisme grand-bulgare et le mépris des hommes, pour les traîtres du peuple et les agents de l’ennemi fasciste. »

Dans La mission historique du Parti Ouvrier bulgare (communistes), discours prononcé à la conférence départementale du Parti à Sofia le 26 février 1946, Georgi Dimitrov émet le point de vue suivant :

« L’existence de ce grand Etat socialiste qu’est l’Union soviétique et les transformations démocratiques historiques qui s’opèrent après la guerre posent devant un grand nombre de pays la question de la réalisation du socialisme comme une question de coopération entre la classe ouvrière, d’une part, et les paysans, les artisans, les intellectuels et les autres couches progressistes du peuple, de l’autre.

Quand un jour chez nous aussi, en Bulgarie, il sera question de passer du régime social actuel vers le nouveau régime, le régime socialiste, alors les communistes, s’appuyant sur le peuple, bâtiront, côte à côte avec les paysans, les artisans et les intellectuels, la nouvelle société socialiste en tant qu’oeuvre historique de tout le peuple.

Cette voie de développement social, camarades, peut paraître à certains plus lente. Mais elle est non seulement possible, réelle, mais encore et sans aucun doute beaucoup moins pénible pour les peuples.

C’est pourquoi, nous, les communistes, déclarons nous déclarons ouvertement et sans nous gêner que, dans les conditions actuelles, nous préférons précisément cette voie, parce que c’est une voie réelle et moins pénible vers le socialisme.

Quant à ce que les peuples, petits ou grands, finiront pas passer au socialisme, on ne saurait en douter, parce que le socialisme est une nécessité historique aussi bien pour les petits peuples que pour les grands.

C’est que – et comme marxistes nous sommes censés le savoir – les peuples passeront au socialisme non pas en suivant une seule et même voie, non pas en empruntant précisément la voie soviétique, mais en s’engageant dans leur propre voie, conformément à leurs conditions historiques, nationales, sociales, culturelles et autres.

Celui qui parle de contradiction entre la politique du Front de la Patrie et la lutte pour le rassemblement de toutes les forces progressistes, démocratiques, dans le Front de la Patrie, d’une part, et la lutte pour le socialisme, de l’autre, celui qui parle d’une telle contradiction n’est pas un marxiste, ou bien il est un provocateur. »

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Dans cette perspective, les communistes – qui avait pris comme nom d’organisation Parti Ouvrier bulgare (communiste) en 1938 – fusionnèrent en août 1948 avec les socialistes du Parti Ouvrier Social-démocrate, comme Parti Communiste bulgare.

C’était l’accomplissement de la séquence qui avait échouée en 1923.

Dans Le Front de la Patrie, son développement et ses tâches imminentes, le rapport présenté devant le deuxième congrès du Front de la Patrie le 2 février 1948, Georgi Dimitrov expliqua ainsi :

« Les racines historiques du Front de la Patrie sont étroitement aux amers enseignements dégagés par notre peuple de la lutte contre le fascisme, à la grande école par laquelle il est passé avec ses plus grandes organisations démocratiques pendant deux décennies et en particulier, pendant les années de l’invasion nazie dans les Balkans.

Devant notre peuple anxieux se posaient les questions suivantes:

Comment était-il possible que dans un pays où le Parti Communiste était fort, où était au pouvoir un gouvernement agrarien avec en tête le grand guide du peuple Alexandre Stamboliiski, un gouvernement jouissant d’une grande influence parmi les paysans, où les partis bourgeois avaient été déjà compromis par les deux catastrophes nationales, comment était-il possible qu’une dictature fasciste triomphât, que les mêmes forces dirigées par la dynastie des Cobourg qui avaient entraîné auparavant la Bulgarie dans le camp de l’impérialisme allemand, fussent ramenées au pouvoir et qu’elles eussent la possibilité de préparer son retour dans le même camp?

Pourquoi l’insurrection antifasciste de Septembre 1923 n’a-t-elle pas réussie, n’a-t-elle pas été couronnée de la victoire du peuple sur la réaction fasciste et de l’établissement d’un gouvernement démocratique populaire ?

Aidés par les communistes et instruits par sa propre expérience, notre peuple trouva une juste réponse à ces questions angoissantes.

Il comprit que l’échec était devenu possible uniquement parce qu’une alliance de combat n’avait pas été réalisée en pratique entre les ouvriers et les paysans et que, sur cette base-là, les forces démocratiques saines n’avaient pas été rassemblées en un vaste front anti-fasciste unique.

Il comprit que les ennemis profitaient de la désunion des forces populaires pour imposer leur dictature. Au prix de grandes souffrances,de beaucoup de lourds sacrifices consentis pendant l’insurrection de Septembre 1923 et après cette insurrection, pendant les ténébreuses et sanglantes journées de la dictature fasciste, notre peuple tira la grande leçon de la nécessité d’une union de toutes les forces antifascistes, progressistes.

L’insurrection de septembre 1923 a, pour le développement de la démocratie bulgare, le mérite irremplaçable d’avoir jeté les fondements de sa véritable union. »

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Georgi Dimitrov, la seconde guerre mondiale impérialiste et le Front de la Patrie

En mars 1941, la Bulgarie rentra dans la Seconde Guerre mondiale impérialiste, en rejoignant le pacte tripartie (regroupant l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et l’Empire du Japon). Elle participe à l’offensive contre la Grèce et la Yougoslavie.

Les communistes lancèrent alors comme appel :

« Pas un grain de blé bulgare, pas un morceau de pain bulgare pour les fascistes allemands ! Pas un seul Bulgare à leurs service ! »

Les unités partisanes furent formées dès 1941, alors que la production dans une part importante de l’industrie fonctionnant pour l’Allemagne nazie s’effondre de moitié.

Georgi Dimitrov mit alors en place une stratégie de Front populaire antifasciste et le programme du Front de la Patrie fut alors rendu public le 17 juillet 1942.

Sa base correspondait aux exigences antifascistes : libération du pays de son statut de pays satellite de l’Allemagne nazie, abolition de la dictature monarcho-fasciste, instauration d’une république populaire s’alliant à l’URSS face à l’Allemagne nazie.

Voici le programme du Front de la Patrie. 

La politique antipopulaire du gouvernement du roi Boris constitue un véritable danger national. Aujourd’hui, la Bulgarie devient pratiquement vassale d’Hitler, et le peuple bulgare — esclave des impérialistes allemands.

Une débâcle inévitable sera le sort du projet maniacal d’Hitler de dominer le monde. Toute reconduction de la politique de trahison menée par les gouvernants bulgares signifie donc précipiter délibérément le peuple bulgare dans l’abîme et ruiner son indépendance nationale.

Le devoir suprême du peuple bulgare, de son armée et de son intelligentsia patriotique, en ce moment historique, est de se rassembler dans un puissant Front de la Patrie pour sauver la Bulgarie.

Le Front de la Patrie se pose les tâches immédiates suivantes:

1. Ne pas permettre qu’on entraîne la Bulgarie dans une guerre fasciste, criminelle et pernicieuse pour le peuple bulgare.

2. Retirer immédiatement les troupes bulgares envoyées pour étouffer la lutte du peuple serbe frère contre le joug allemand et italien.

3. Rompre l’alliance de la Bulgarie avec l’Allemagne nazie et les autres États de l’axe, libérer la terre bulgare des troupes fascistes allemandes et des bandits de la Gestapo.

4. Suspendre les exportations de vivres et de matières premières vers l’Allemagne et les autres États de l’axe. Assurer la nourriture du peuple et de l’armée et approvisionner la population en produits de première nécessité à des prix accessibles.

5. Garantir, conformément à la Déclaration atlantique, les intérêts nationaux du peuple bulgare par un accord avec les autres peuples des Balkans, et par l’amitié et la coopération étroites de la Bulgarie avec l’Union soviétique, l’Angleterre, les États-Unis et les autres peuples épris de liberté.

6. Libérer immédiatement toutes les personnes civiles et militaires persécutées pour leur lutte contre le fascisme et l’Allemagne nazie.

7. Rétablir les droits politiques du peuple et, surtout, la liberté de la presse, des réunions et des associations ; abolir toutes les lois anticonstitutionnelles, antipopulaires et fascistes.

8. Arracher l’armée des mains de la clique fasciste et monarchique et prendre des mesures décisives pour qu’elle ne soit pas utilisées à des fins antipopulaires. Garantir les droits des officiers, sous-officiers et soldats en tant que citoyens à part entière.

9. Dissoudre les organisations fascistes du type de «Brannik», «Sayouz-na-ratnitsité ». « Léguion».

Mettre hors d’état de nuire les bourreaux et les criminels fascistes et prendre des mesures pour leur châtiment exemplaire.

10. Préserver la richesse et le travail du peuple de toute atteinte étrangère et créer des conditions nécessaires au développement économique de la Bulgarie en tant que pays libre et indépendant.

11. Assurer les moyens de subsistance, le travail, les revenus et une existence humaine à la population laborieuse des villes et des campagnes.

12. Déraciner l’obscurantisme fasciste, la haine raciale et l’humiliation de la dignité nationale de notre peuple.

L’accomplissement de ces tâches d’importance vitale pour notre peuple nécessite de créer au plus tôt un véritable gouvernement national, capable de conduire fermement et avec esprit de suite la politique salutaire du Front de la Patrie. Aussi le Front de la Patrie pose-t-il comme objectif immédiat de sa lutte le renversement du gouvernement actuel, un gouvernement traître, antipopulaire et hitlérien, et la formation d’un gouvernement bulgare véritablement national.

S’appuyant sur la volonté et le soutien de l’ensemble du peuple bulgare, ce gouvernement préparera les conditions à la convocation d’une Grande Assemblée nationale qui déterminera la future forme de gouvernement de la Bulgarie et créera les garanties constitutionnelles et matérielles nécessaires à la liberté, à l’indépendance et à l’épanouissement de notre pays.

Durant l’hiver 1942-1943, les partisans de la Sredna Gora (une chaîne montagneuse du centre de la Bulgarie) tinrent tête à 20 000 policiers et soldats ; en mars-avril 1943, le pays fut divisé en 12 zones sous direction militaire unique, les partisans rassemblant au début de 1944 une force suffisamment grande pour que la monarchie lance pas moins de 100 000 soldats contre eux.

Dans « Tout pour le front ! », écrit en septembre 1944 comme message au Comité Central du Parti Ouvrier bulgare (communistes), Georgi Dimitrov annonce de la manière suivante la stratégie à suivre.

Le titre fait référence au mot d’ordre « Tout pour le front, tout la victoire rapide et définitive sur le fascisme, sur les malfaiteurs et esclavagistes allemands ».

« Je partage les sentiments de joie profonde et de fierté que vous éprouvez, avec tous les patriotes bulgares et notre vaillante jeunesse, je me réjouis avec vous tous de voir enfin notre peuple, qui a tant souffert et tant lutté, secouer le joug infâme des Allemands et des fascistes bulgares et prendre sa place dans le camps des nations unies avec en tête l’Union soviétique, l’Angleterre et l’Amérique.

Il l’a fait en se soulevant pour une insurrection antifasciste et en s’appuyant sur l’aide fraternelle de l’Armée rouge victorieuse.

La victoire du Front de la Patrie revêt une importance historique pour notre pays. Le neuf septembre a ouvert une ère nouvelle dans l’histoire de notre peuple.

La rupture avec l’Allemagne nazie, le renversement du pouvoir des agents allemands et fascistes perfides, des traîtres et des fossoyeurs de la Bulgarie, la création d’un gouvernement du Front de la Patrie et le rétablissement des droits et libertés populaires bafoués, la participation de l’armée bulgare rénovée à la guerre de libération contre les hordes de brigades allemands du côté des grandes puissances démocratiques – tout cela a permis d’asseoir sur une base solide l’édification d’une Bulgarie nouvelle, libre, indépendante et puissante.

Or, ce n’est qu’une base, tout comme la victoire du Front de la Patrie n’est qu’un début. »

Le 5 septembre 1944, l’armée rouge pénétra en Bulgarie, le 9 ce fut l’insurrection générale du Front de la Patrie.

La nouvelle Armée bulgare participa alors avec l’Armée rouge et de l’Armée de libération nationale yougoslave, à chasser les nazis de la Croatie, de la Slovénie, de la Hongrie et de l’Autriche.

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Georgi Dimitrov et le bilan de 1923

L’écrasement de 1923 provoqua une véritable onde de choc dans l’esprit de Georgi Dimitrov, surtout que la situation en Bulgarie n’était pas marquée par une amélioration.

Par la suite, le Parti Communiste de Bulgarie (étroit) tenta en effet de prolonger le mouvement, en coopération avec les agrariens et des généraux de gauche.

L’apogée de cela consista, le 16 avril 1925, en la décision d’une partie de la direction de mener l’attaque à l’explosif de la cathédrale Sveta Nedelia devant accueillir la cour du roi lors des obsèques du général Konstantin Georgiev, exécuté par les communistes quelques jours auparavant pour son rôle dans la ligue militaire.

L’attaque à l’explosif de la cathédrale Sveta Nedelia

De nombreux généraux furent tués et il s’ensuivit une loi martiale, avec le meurtre de 450 personnes de manière para-légale par la ligue militaire, le gouvernement arrêtant pas moins de 10500 personnes rien que dans la ville de Varna, plus de 13000 à Plovdiv, etc.

Cette série d’échecs nécessitait une véritable réflexion sur ce qui avait échoué, sur l’erreur dans l’analyse des forces sociales en présence.

En 1925, dans La leçon bulgare, Georgi Dimitrov remarque ainsi :

« En même temps que la Chine et le Maroc, le petit pays qu’est la Bulgarie continue à être au centre de l’attention internationale. Et cela n’est évidemment pas un effet du hasard.

Le grand attentat de la cathédrale de Sofia et la terreur qui ensanglanta par la suite le pays eurent un double écho à l’étranger.

Tandis que les gouvernements réactionnaires européens, conservateurs britanniques en tête, utilisaient largement l’attentat perpétré à la cathédrale de Sofia pour renforcer leur campagne contre l’URSS et le soi-disant danger bolchevique, les ouvriers et les paysans révolutionnaires de tous les pays protestaient énergiquement contre le régime tyrannique des bourreaux de Sofia et prenaient la défense du peuple bulgare travailleur (…).

La particularité la plus caractéristique de la terreur bulgare consiste avant tout dans le massacre planifié et organisé de l’avant-garde de la classe ouvrière et des masses paysannes, de leur intelligentsia, de leurs éléments les plus conscients et les plus actifs.

Il ne s’agit plus ici de priver les masses populaires de leurs droits et libertés politiques élémentaires ; il ne s’agit pas de créer des difficultés et des obstacles au développement de l’activité et de la lutte des organisations ouvrières et paysannes.

Ici, nous avons déjà non pas de simples actes de violence et de répression contre le mouvement ouvrier et paysan dans le pays – ce qui ne serait pas encore si terrible.

Non, en Bulgarie, tout l’appareil d’État – police, gendarmerie, armée, justice, parlement et milice armée, constituée par des tueurs triés sur le volet – est mis en branle pour décapiter et saigner la classe ouvrière et les masses paysannes, afin de les rendre ainsi incapables, sinon définitivement du moins pour longtemps, de lutter pour le renversement de la dictature bourgeoise et l’établissement de leur propre pouvoir.

La bourgeoise bulgare armée mène une guerre organisée et méthodique (en utilisant à cette fin tous les moyens dont dispose l’État) contre le peuple travailleur privé d’armes.

Les forces de la contre-révolution se sont déchaînées alors qu’il n’y a pas encore dans le pays de vraie révolution ouvrière et paysanne.

Et dans cette guerre de la bourgeoisie contre le peuple, engagée depuis le coup d’État du 9 juin 1923, sont tombés jusqu’à ce jour plus de 20 000 ouvriers, paysans et intellectuels – l’élite du peuple bulgare.

L’immense majorité de ces victimes de la sanglante terreur blanche ne sont point tombées dans les combats ouverts de la guerre civile, mais furent sauvagement, lâchement assassinées dans les prisons, dans leurs propres maisons, dans la rue ou lors de soi-disant tentatives d’évasion, après leur attestation par le pouvoir « légal ».

C’est selon un plan soigneusement établi et détaillé que l’intelligentsia travailleuse du pays est anéantie – le meilleur, le plus pur et le plus désintéressé que le peuple est parvenu à élever, à éduquer et à rehausser aux premiers rangs durant les quarante années de son existence indépendante (…).

Lors des élections parlementaires du 22 avril 1923 (un mois et demi avant le coup d’État), les deux partis populaires de masse obtinrent 777 000 voix (l’union agrarienne – 577 000, et le Parti Communiste – 220 000), tandis que les partis bourgeois ensemble, y compris les sociaux-démocrates, n’obtenaient que 270 000 suffrages. »

C’était une terrible leçon : les communistes avaient été pris de court. Malgré un véritable succès dans les masses, la réaction avait su conserver l’initiative, procéder à la destruction des secteurs les plus avancés.

Il y avait ici à comprendre ce phénomène, mais Georgi Dimitrov se retrouva encore plus en première ligne avec l’affaire de l’incendie du Reichstag en Allemagne.

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Georgi Dimitrov et l’année 1923

Un événement essentiel vint modifier la situation en Bulgarie en 1921. La victoire de l’Armée rouge dans la guerre civile russe amena les troupes du général Wrangel à se réfugier en Bulgarie.

La présence d’environ 36 000 soldats de l’armée blanche polarisait grandement la situation, faisant planer la menace d’un coup d’État.

Les communistes appuyèrent alors le gouvernement agrarien (« Union nationale agraire bulgare ») et socialiste, malgré sa répression menée jusque-là sous l’égide du premier ministre agrarien Alexandre Stamboliyski.

Un facteur important fut l’attaque très violente de militants du bloc constitutionnel, unissant le centre et la droite, par les forces paramilitaires agrariennes, surnommée la Garde Orange, le 17 septembre 1922 à la gare de Dolni Dubik.

Auparavant, la Garde Orange avait participé à la répression des grèves de 1919 et la question était donc de savoir comment organiser une démarche permettant un front anti-réactionnaire.

Georgi Dimitrov publia de nombreux articles au sujet du front unique, seul capable justement de faire face à la réaction et à la tendance au coup d’État ; parallèlement, le Parti s’organisa de manière clandestine sur le plan militaire.

Georgi Dimitrov

Le tempo fut cependant trop rapide et un coup d’État eut lieu le 9 juin 1923, portée par la bourgeoisie urbaine, portée par une structure clandestine ultra-nationaliste fondée par des officiers de réserve (la ligue militaire), appuyant la bourgeoisie urbaine, soutenue par l’Italie de Mussolini.

A cela s’ajoute le soutien de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, interdite par Alexandre Stamboliyski dans le cadre des accords internationaux amenant la perte de nombreux territoires considérés comme bulgares.

Dans le prolongement du coup d’État, Alexandre Stamboliyski se vit massacrer, avec notamment sa main, ayant signé l’interdiction de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, coupée.

Les forces du coup d’État n’étaient représentés que par 30 députés sur 245 et visaient à décapiter l’Union agrarienne, ce qui fut sur ce point une réussite.

Le Parti Communiste de Bulgarie se retrouva de ce fait dans une situation compliquée et considéra qu’un gouvernement réactionnaire en chassait simplement un autre, ce que l’Internationale Communiste désapprouva comme positionnement.

En fait, les communistes de Bulgarie avaient sous-estimé la question agraire. 80 % de la population bulgare était paysanne, avant tout des petits propriétaires. L’industrie et l’artisanat ne rassemblait que 15 % de la population.

S’ils considéraient que les agrariens représentaient les paysans riches, ce qui était juste, ils n’avaient pas pour autant réussi à produire un décrochage dans la paysannerie pauvre.

A cela s’ajoutaient les difficultés sociales provoquées par l’afflux de réfugiés, 500 000 personnes provenant de la Thrace, de la Macédoine, de la Dobroudja.

Georgi Dimitrov publia alors toute une série d’articles sur le front uni et sa nécessité, mais il était trop tard, l’espace était ouvert pour une répression générale et le Parti affronta le 12 septembre 1923 une vague de répression massive, 2000 de ses militants étant emprisonnés, alors que les syndicats et les clubs ouvriers étaient fermés.

La grève générale de protestation lancée par l’ORSS échoua et finalement l’insurrection fut programmée pour le 23 septembre 1923, pour tenter de faire face.

Le Parti Communiste de Bulgarie (étroit) disposant alors d’autour de 40 000 militants lançant l’initiative du soulèvement dans un pays de cinq millions d’habitants.

Le département de Vratza, notamment, devint un bastion du soulèvement ; c’est de là que partit une « proclamation au peuple laborieux du département de Vratza pour participer à l’insurrection antifasciste populaire contre la bourgeoisie sanguinaire ».

Le mouvement fut également fort dans la région de Lom, cependant, cela vint trop tard dans la séquence politique et l’échec coûta cher : 5 000 communistes et agrariens furent massacrés, 15 000 emprisonnés, à quoi s’ajoutent des viols, des destructions.

Les forces insurrectionnelles n’avaient pu se maintenir qu’à Vratza, organisant nécessairement un repli stratégique en direction de la frontière yougoslave.

Georgi Dimitrov se réfugia de son côté à Moscou, où il passa deux années, rejoignant dès juillet 1924 le comité exécutif de l’Internationale Communiste.

Il fut condamné en Bulgarie à 15 ans de prison pour l’insurrection, puis à la peine de mort pour l’organisation d’un comité révolutionnaire à l’étranger. Un troisième jugement le condamna à 20 ans de prison.

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Georgi Dimitrov comme cadre communiste

L’irruption des guerres balkaniques à partir de 1912 – la Bulgarie, la Grèce, la Serbie contre l’empire ottoman, puis la Bulgarie contre la Grèce et la Serbie – désorganisa relativement le Parti, même si en 1913 il obtint 18 députés (contre un seul auparavant), dont Georgi Dimitrov.

Le Parti mena ensuite campagne en faveur de la cessation de la Première Guerre mondiale, Georgi Dimitrov étant arrêté pour cette raison à de nombreuses reprises de manière brève, la polarisation se produisant d’autant plus qu’à partir de septembre 1915, la monarchie bulgare fit entrer le pays dans la guerre, du côté de l’Allemagne.

Finalement, Georgi Dimitrov fut condamné à trois ans de prison, qu’il commença en août 1918, pour s’être rebellé en août 1917 contre un officier chassant un blessé de la première classe d’un train. L’accusation officielle fut « l’incitation des militaires à la désobéissance et à l’indiscipline en temps de guerre ».

L’effondrement du régime dans les mois qui suivirent amenèrent sa libération dès le mois de décembre, alors que le pays était passé proche d’une insurrection populaire avec les soldats à leur tête, seule la capitulation restaurant la situation, la monarchie réussissant coûte que coûte à se maintenir.

Et en mai 1919, le Parti Ouvrier Social-démocrate (étroit) devint le Parti Communiste bulgare (étroit), reconnaissant les 21 conditions pour adhérer à l’Internationale Communiste.

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Georgi Dimitrov fit partie du Comité Central, devenant un tribun fameux dans le pays, un agitateur hors pair dans un climat général de tension : il y eut 135 grèves en 1919, impliquant 80 000 travailleurs.

Le 24 décembre 1919, Georgi Dimitrov était ainsi à la tête d’une vaste manifestation populaire, dont les revendications furent :

« Pain, charbon, logement et vêtements pour les masses populaires ; rétablissement des libertés politiques ; cessation de toute distribution de vivres aux contre-révolutionnaire russes. »

Une grève générale se produisit également du 29 décembre au 3 janvier 1920.

Alors que le Parti disposait désormais d’une base de 22 000 personnes, les élections d’août 1919 lui accordèrent même 18 % des voix, soit 47 députés, étant uniquement devancés par les agrariens. Aux élections de mars 1920, le Parti obtint 20 % des voix et 51 députés, mais neuf furent mise de côté par le régime afin de maintenir une stabilité gouvernementale.

De la même manière, 65 conseils municipaux devenus communistes furent annulés.

Georgi Dimitrov fut lui-même poursuivi par la justice, ainsi que tout le Comité Central, sur acte d’accusation du procureur au tribunal militaire de Sofia, réclamant sa condamnation à mort pour activité subversive aux termes des articles 113, 114, 144 et 172 du code pénal.

La raison en fut le document du 15 décembre 1919 intitulé « Appel à la classe ouvrière de Bulgarie pour l’organisation d’actions de protestation contre le soutien du gouvernement bulgare aux armées contre-révolutionnaires des gardes blancs ».

En novembre 1920, Georgi Dimitrov fut traduit en justice aux termes des articles 138, 154, 173 et 248 du code pénal, prévoyant l’emprisonnement à vie, en raison de son discours du 7 novembre 1920 dans le quartier juif de Sofia, intitulé « En l’honneur et pour la défense de la Russie fraternelle ».

Georgi Dimitrov et sa compagne
Georgi Dimitrov et sa compagne

Cependant, le Parti se développait et Georgi Dimitrov partit en Russie pour le IIIe congrès de l’Internationale Communiste en 1921, rencontrant Lénine, et des visites en Allemagne, ainsi qu’en Autriche et en Italie, deux pays où il est présent lors des congrès fondateurs des Partis Communistes.

Il y avait déjà été envoyé en 1920, mais s’était fait arrêter sur la côte de la Roumanie où son embarcation avait été poussée par une tempête.

Georgi Dimitrov rejoignit ensuite le bureau exécutif de l’Internationale Syndicale Rouge, à la fin de l’année 1921, se voyant attribuer comme responsabilité la supervision de la zone balkanique. Il participa également aux travaux du IVe congrès de l’Internationale Communiste.

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Georgi Dimitrov et le syndicalisme

Georgi Dimitrov est né le 18 juin 1882, dans le village de Kovatchevtsi près de Pernik, une région minière non loin de Sofia. Il est né dans les champs, sa mère servant d’aide aux champs, avant de devenir servante, tandis que son père parvint par la suite à s’installer comme artisan de chapeaux à Sofia.

Ses parents provenaient tous deux de la région de Krésna-Razlog, marquée à la fin du XIXe siècle par un soulèvement bulgare anti-ottoman, dans le cadre du refus de la Macédoine bulgare de rester dans le giron ottoman.

La Bulgarie
La Bulgarie, toute proche de la Turquie actuelle

Elle s’était convertie à l’évangélisme, dans un pays dominé par le christianisme orthodoxe, mais à dix ans Georgi Dimitrov fut exclu des cours du dimanche et publia très jeune une revue anti-cléricale, Kukurigoo (Cocorico), qui n’eut cependant que deux numéros.

Georgi Dimitrov était le plus vieux de ses huit frères et sœurs, mais il ne reprit pas le métier de son père comme c’était souvent le cas ; il devint ouvrier-typographe, activité consistant à placer les lettres sur l’imprimerie conformément aux manuscrits.

Cela présupposait de savoir lire et les ouvriers-typographes appartiennent historiquement à la fraction la plus consciente du prolétariat. À ce titre, le Parti Ouvrier Social-Démocrate bulgare, qui avait été créé le deux août 1891, a généré son premier syndicat en novembre 1894 justement dans cette fraction, comme Centrale ouvrière des imprimeurs.

Georgi Dimitrov participa à la première grève de celle-ci,en février 1895, comme représentant des apprentis dans le comité de grève. Si la grève impliquant 200 ouvriers dans 13 imprimeries échoua, une nouvelle vague de grèves eut lieu durant les années 1899 et 1900, après réorganisation du syndicat comme Société ouvrière des imprimeurs.

Une anecdote consiste en ce que Georgi Dimitrov était le seul à parvenir à déchiffrer l’écriture d’un ministre, Radoslavov. Or, celui-ci insultait les ouvriers manifestant le 1er mai dans un article en 1898, ce qui fit que Georgi Dimitrov refusa d’établir le texte pour l’imprimerie, le responsable de celui-ci se voyant obliger de céder, car ne trouvant personne d’autres. Radoslavov lui rappellera l’épisode plus tard au parlement, lorsque Georgi Dimitrov deviendra député lui aussi.

La Bulgarie en Europe

Georgi Dimitrov en devint le responsable en 1901, devenant une figure de l’agitation, alors qu’à l’arrière-plan se développait le Parti Ouvrier Social-Démocrate, sous l’égide de Dimitar Blagoev, dont deux écrits fameux alors étaient notamment « Nos apôtres » et « Pour Christo Botev ».

Figure historique du socialisme à ses débuts, il avait même fondé le premier groupe social-démocrate en Russie, lors d’un séjour universitaire à Saint-Pétersbourg en 1883-1884, avant de se faire expulser, ayant étudié le premier tome du Capital (qu’il traduisit en bulgare), des œuvres de Ferdinand Lassalle, la brochure de Georgi Plekhanov « Le socialisme et la lutte politique ».

Dimitar Blagoev publia la première brochure social-démocrate : « Qu’est-ce que le socialisme et trouve-t-il un terrain propice chez nous ? » et participa à toutes les revues et journaux sociaux-démocrates, devenant pendant 22 ans le rédacteur de l’organe théorique du Parti, Nové Vrémé.

Georgi Dimitrov rejoignit alors ce parti en 1902, qui connut justement en 1903 une scission, Dimitar Blagoev maintenant le cap marxiste, dans la lignée de Karl Kautsky, face à une interprétation ouverte, dans un esprit de compromis, etc., d’où l’opposition entre les « étroits », partisans d’une ligne stricte dite « étroite » (tesniatzi),  et les « larges », partisans d’une politique d’ouverture dite « large » (chiroki).

Dimitar Blagoev

Georgi Dimitrov se situait dans le camp des « étroits », dans la section de Sofia qui a alors 53 membres, lui-même devenant par la suite son délégué, participant à ce titre en 1904 aux travaux du XIe congrès du Parti, tout comme au suivant, jusqu’en 1909 où le XVIe congrès le nomme au Comité Central.

Il participa également aux congrès de l’Union Générale Syndicale Ouvrière, dans une situation marquée par une classe ouvrière encore très faible ; il n’y avait en Bulgarie en 1901 que 200 usines, dont plus de la moitié avait moins de vingt ouvriers.

Il y avait par conséquent une lente montée en puissance et Georgi Dimitrov s’inséra dans ce processus, devenant progressivement une figure de la classe ouvrière s’affirmant historiquement.

Son premier article dans le journal du Parti, le Rabotnicheski Vestnik (Le journal des ouvriers), traitait d’ailleurs en juin 1903 de « l’opportunisme dans les syndicats ».

Il devint par la suite un permanent du Parti Ouvriers Social-Démocrate (étroit) de Dimitar Blagoev, qui regroupait ainsi 1200 activistes, avec un tiers d’ouvriers, ainsi que le responsable de l’Union Générale des Syndicats (ORSS) lié au Parti.

Il y eut alors des grèves marquantes, comme celle des mineurs de Pernik, en 1906, qui dura 35 jours et fut dirigé par Georgi Dimitrov, qui fut alors ramené à Sofia escorté par la police. La grève se répéta à de nombreuses reprises, Georgi Dimitrov étant à chaque fois en première ligne), celle des ouvriers du textile de Slivène en 1908, celle en 1909 des ouvriers de la fabrique d’allumettes de Kostenetz, qui dura trois mois, celle en 1910 des mineurs de Plakalnitza et des ouvriers du tabac à Plovdiv, celle en 1913 des typographes à Sofia.

Le jeune Georgi Dimitrov

En 1912, l’ORSS avait 8500 adhérents ; le Parti avait de son côté 2900 adhérents et les « larges » pareillement et Georgi Dimitrov devint dans ce cadre une figure majeure du mouvement ouvrier.

Du 10 juillet au 10 août 1912, il purgea même une peine d’un mois de prison pour « offense » au socialiste de droite Moutafov, qualifié de falsificateur et d’indicateur de la police.

Et il devint alors député, en novembre 1913, à l’âge de 31 ans, dans les départements de Vratza et Tirnovo, et secrétaire du groupe parlementaire social-démocrate.

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Georgi Dimitrov, une grande figure historique

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Georgi Dimitrov a été l’une des personnalités les plus connues mondialement durant les années 1930, marquant de son sceau l’histoire des années 1940 et 1950. Il est impossible de s’intéresser à l’Histoire du monde sans lui accorder une place extrêmement importante.

Les raisons pour cela sont multiples : tout d’abord, il fut la victime d’un procès retentissant en Allemagne nazie en 1933, attirant une attention très approfondie de la presse mondiale et de l’opinion démocratique mondiale.

Georgi Dimitrov renversa en effet le procès, passant d’accusé à accusateur et dénonçant le nouveau régime hitlérien et le fascisme en général.

Sa victoire obtenue à cette occasion en fit une figure de proue de la lutte contre le fascisme et, effectivement, il devint même le grand théoricien de l’antifascisme comme Front populaire, ce qui le propulsa à la tête de l’Internationale Communiste.

C’est cette conception qui fut au cœur des Fronts populaires en France et en Espagne, et qui fut systématiquement assumée par la suite par les communistes durant la Seconde Guerre mondiale impérialiste.

C’est très précisément ce qu’on appelle l’antifascisme, conception donc définie par Georgi Dimitrov et accusée par l’ultra-gauche, anarchiste et trotskyste, de soumission contre-révolutionnaire à la bourgeoisie, de par la mise en avant de la démocratie.

L’antifascisme souligne, en effet, que le fascisme est une tendance à laquelle s’oppose la démocratie comme contre-tendance, et non pas la « révolution ».

Cette approche, Georgi Dimitrov la doit à sa propre expérience dans son pays, la Bulgarie connaissant dans les années 1920 un régime réactionnaire ayant été renversé par un coup d’État militaire, ce qui a alors totalement débordé les communistes qui sont restés initialement passifs.

Le prix de cette passivité fut celui du sang et cette leçon retenue ; Georgi Dimitrov théorisa alors la démarche selon laquelle le fascisme doit être considéré comme ennemi principal.

Le Front unique est alors le vecteur de cette bataille pour la démocratie qui ne peut – dans le cadre de la crise générale du capitalisme, de la tendance à la guerre impérialiste, de l’effondrement du capitalisme monopoliste – que nécessairement aboutir à un nouveau type de régime, la démocratie populaire.

C’est cette ligne qui fut adoptée, après 1945, dans les pays de l’Est européen, aboutissant à la formation des démocraties populaires.

L’importance historique de Georgi Dimitrov est donc plus que significative : elle reflète la synthèse effectuée par le mouvement communiste après la première vague, celle des années 1920, consistant en la ligne du Front populaire des années 1930 et 1940, ligne se prolongeant jusqu’à la mise en place d’une nouvelle forme de régime, la démocratie populaire.

Cependant, en raison de cette substance politique et idéologique, la figure de Georgi Dimitrov ne peut être comprise que par les communistes.

En effet, il y a du côté de la bourgeoisie la négation de la richesse historique du communisme, accolé au souci d’accabler celui-ci de manière unilatérale sous le vocable de « stalinisme ».

Le parcours historique de Georgi Dimitrov – tout comme notamment celui du Parti Communiste de Grèce et de l’Armée Démocratique de Grèce après 1945 – montre l’ineptie de la conception bourgeoisie, de par sa réalité historique et sa profonde signification.

Il y a également eu, du côté des faux communistes, les révisionnistes qui ont suivi Nikita Khrouchtchev à la mort de Staline, un travail patient d’effacement des enseignements de Georgi Dimitrov sur le Front populaire et de la démocratie populaire.

Les démocraties populaires de l’Est européen devinrent, miraculeusement et sans raison concrète, des pays « socialistes » ; le Front populaire devint un concept altéré, servant uniquement le principe de « programme commun ».

Enfin, il est nécessaire de souligner la tentative générale de l’ultra-gauche anarchiste de récupérer le terme d’antifascisme pour une démarche « révolutionnaire » à prétention « anticapitaliste » qui est précisément à l’opposé de la conception réelle et historique de l’antifascisme.

Le rétablissement de la figure historique de Georgi Dimitrov est par conséquent d’une haute signification.

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