Mao Zedong sur la contradiction : l’identité des contraires

Mao Zedong constate également une chose qui peut surprendre. En parlant des aspects de la contradiction, il en souligne l’unité. On pourrait se dire qu’il vaudrait mieux noter leur affrontement. Seulement, ce serait là aboutir au caractère indépendant, isolé d’un aspect de la contradiction – ce qui est impossible.

Mao Zedong explique cela dans un passage important :

« L’identité, l’unité, la coïncidence, l’interpénétration, l’imprégnation réciproque, l’interdépendance (ou bien le conditionnement mutuel), la liaison réciproque ou la coopération mutuelle – tous ces termes ont la même signification et se rapportent aux deux points suivants : premièrement, chacun des deux aspects d’une contradiction dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène présuppose l’existence de l’autre aspect qui est son contraire, tous deux coexistant dans l’unité ; deuxièmement, chacun des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans des conditions déterminées.

C’est ce qu’on appelle l’identité (…).

Les aspects contradictoires dans tous processus s’excluent l’un l’autre, sont en lutte l’un contre l’autre et s’opposent l’un à l’autre.

Dans le processus de développement de toute chose comme dans la pensée humaine, il y a de ces aspects contradictoires, et cela sans exception. Un processus simple ne renferme qu’une seule paire de contraires, alors qu’un processus complexe en contient davantage.

Et ces paires de contraires, à leur tour, entrent en contradiction entre elles. C’est ainsi que sont constituées toutes les choses du monde objectif et toutes les pensées humaines, c’est ainsi qu’elles sont mises en mouvement.

Puisqu’il en est ainsi, les contraires sont loin d’être à l’état d’identité et d’unité ; pourquoi parlons-nous alors de leur identité et de leur unité ?

C’est que les aspects contradictoires ne peuvent exister isolément, l’un sans l’autre. Si l’un des deux aspects opposés, contradictoires, fait défaut, la condition d’existence de l’autre aspect disparaît aussi. »

Mao Zedong, De la contradiction

Sans un aspect, il n’y a pas l’autre, sans ces deux aspects il n’y a plus de mouvement, et sans mouvement plus de phénomène, plus de matière en mouvement. Ce qui existe relève donc de l’unité, et cette unité est relative.

Toutefois, ce n’est pas tout : dans le mouvement dialectique, où le nouveau triomphe de l’ancien, il y a conversion d’un aspect en l’autre.

Mao Zedong formule cela ainsi :

« La question ne se limite pas au fait que les deux aspects de la contradiction se conditionnent mutuellement ; ce qui est encore plus important, c’est qu’ils se convertissent l’un en l’autre. Autrement dit, chacun des deux aspects contradictoires d’un phénomène tend à se transformer, dans des conditions déterminées, en son opposé, à prendre la position qu’occupé son contraire (…).

Tous les contraires sont liés entre eux ; non seulement ils coexistent dans l’unité dans des conditions déterminées, mais ils se convertissent l’un en l’autre dans d’autres conditions déterminées, tel est le plein sens de l’identité des contraires (…).

L’unité ou l’identité des aspects contradictoires d’une chose ou d’un phénomène qui existe objectivement n’est jamais morte, pétrifiée, mais vivante, conditionnée, mobile, passagère, relative ; tout aspect contradictoire se convertit, dans des conditions déterminées, en son contraire.

Et le reflet de cela dans la pensée humaine, c’est la conception marxiste, matérialiste-dialectique, du monde.

Seules les classes dominantes réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que les métaphysiciens qui sont à leur service, considèrent les contraires non comme vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre, mais comme morts, pétrifiés, et ils propagent partout cette fausse conception pour égarer les masses populaires afin de pouvoir perpétuer leur domination. »

Mao Zedong, De la contradiction

Contrairement à ce que pensent ceux qui ne saisissent pas la substance de cela, il n’y a pas « destruction » mais dépassement au sein de la contradiction. Le mode de production capitaliste est dépassé ; le socialisme profite de cette étape historique relative. Il y a conversion de la matière du mode de production capitaliste en base pour le socialisme.

La bourgeoisie devient une classe dominée, alors qu’elle était dominante, et la classe ouvrière passe dominée à dominante.

Cela amène à comprendre le sens du concept d’antagonisme. En l’occurrence, entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, il y a antagonisme à l’époque du mode de production capitaliste.

Toutefois, pour d’autres phénomènes, le mouvement dialectique peut se développer différement.

Ainsi, Mao Zedong affirme-t-il :

« Nous devons étudier d’une manière concrète les différentes situations dans lesquelles se trouve la lutte des contraires et éviter d’appliquer hors de propos à tous les phénomènes le terme mentionné ci-dessus.

Les contradictions et la lutte sont universelles, absolues, mais les méthodes pour résoudre les contradictions, c’est-à-dire les formes de lutte, varient selon le caractère de ces contradictions : certaines contradictions revêtent le caractère d’un antagonisme déclaré, d’autres non.

Suivant le développement concret des choses et des phénomènes, certaines contradictions primitivement non antagonistes se développent en contradictions antagonistes, alors que d’autres, primitivement antagonistes, se développent en contradictions non antagonistes. »

Mao Zedong, De la contradiction

Cela demande une capacité très importante d’analyse du phénomène ; il faut en suivre le processus, à chaque étape, pour en cerner non seulement les deux aspects, mais aussi la dimension antagonique.

De la contradiction est, à ce titre, un manuel incontournable, aux enseignements fondamentaux pour comprendre le matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : discerner les aspects

Il est une chose qu’il ne faut jamais perdre de vue : le matérialisme dialectique considère que tout mouvement est une contradiction ; or, qui dit contradiction dit deux aspects.

Cela signifie que pour comprendre la contradiction, il faut parfaitement connaître les deux aspects, et non simplement un, ni même la « contradiction » comme forme abstraite.

Sans ces aspects, on rate la dimension concrète du mouvement, qui repose justement sur la dialectique propre aux deux aspects pris spécifiquement. D’où cet appel à porter toute son attention sur le caractère propre aux deux aspects d’une contradiction en particulier :

« Pour faire apparaître le caractère spécifique des contradictions considérées dans leur ensemble ou dans leur liaison mutuelle au cours du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, c’est-à-dire pour faire apparaître l’essence du processus, il faut faire apparaître le caractère spécifique des deux aspects de chacune des contradictions dans ce processus ; sinon, il sera impossible de faire apparaître l’essence du processus ; cela aussi exige la plus grande attention dans notre étude. »

Mao Zedong, De la contradiction

Si on ne fait pas cela, quelles sont les conséquences ? On rate la réalité, on pratique une analyse abstraite, car coupée des faits, du mouvement réel. C’est là un idéalisme qui se masque derrière un discours pseudo-scientifique, pour cacher qu’il évite les faits, qu’il n’affronte pas l’essence réel du phénomène.

C’est un discours vain, qui tourne en rond, qui s’auto-nourrit et se répète, sans aucune consistance. Sa nature stérile, desséchée, ne peut bien entendu plus échapper à personne, alors que la réalité se modifie.

Mao Zedong parle également d’une attitude fondamentalement erronée, consistant à être unilatéral, parce qu’on oublie ou nie certaines parties de la réalité. On est là dans le subjectivisme, qui nie justement les interrelations entre les phénomènes, prétendant passer au-dessus d’elles, pouvoir agir sur la réalité sans les prendre en compte.

Encore une fois, ici on a la perspective de la totalité. Tout est relié à tout, et même si on ne peut pas connaître toutes les médiations et inter-relations des phénomènes, on peut cerner les principaux aspects, comprendre la tendance, et même le mouvement général.

Cela demande un travail de fond, une connaissance de la nature dialectique de la matière elle-même. Il ne s’agit pas d’une « méthode » dialectique, mais de la saisie de la réalité telle qu’elle est. Mao Zedong affirme de manière parfaitement juste :

« Dans leur être objectif, les choses sont en fait liées les unes aux autres et possèdent des lois internes ; or, il est des gens qui, au lieu de refléter les choses telles qu’elles sont, les considèrent d’une manière unilatérale ou superficielle, sans connaître leur liaison mutuelle ni leurs lois internes ; une telle méthode est donc subjective. »

Mao Zedong, De la contradiction

C’est d’autant plus faux que d’être unilatéral que, dans le processus de résolution de la contradiction principale, les contradictions secondaires changent : certaines se résolvent, d’autres s’accentuent, certaines apparaissent, d’autres semblent avoir disparues mais en fait c’est seulement de manière temporaire, etc.

Ne pas saisir la multiplicité des contradictions dans un phénomène peut avoir de graves conséquences, et faire perdre de vue la contradiction principale.

Mao Zedong donne l’exemple de la révolution chinoise, avec justement une présentation des interrelations historiques comprises par le Parti Communiste de Chine, dans le cadre de la situation concrète. Il présente également la juste analyse de Staline dans les Principes du léninisme.

Il en revient cependant toujours à la dimension générale, à la conception générale du matérialisme dialectique, n’hésitant pas à constater que :

« Comme les choses et les phénomènes sont d’une prodigieuse diversité et qu’il n’y a aucune limite à leur développement, ce qui est universel dans tel contexte peut devenir particulier dans un autre. Inversement, ce qui est particulier dans tel contexte peut devenir universel dans un autre. »

Mao Zedong, De la contradiction

Cela rend bien entendu difficile l’approche des phénomènes ; il faut se rappeler cependant qu’il ne s’agit jamais d’une vue « neutre », concept bourgeois par excellence : une analyse concrète se fonde toujours, et ne peut que se fonder que sur le nouveau, sur ce qui naît.

Le communisme ne peut être compris que d’un point de vue prolétarien ; le matérialisme dialectique ne saurait être employé sans être à l’avant-garde du processus révolutionnaire.

Il ne s’agit pas d’une question de choix subjectif, mais de se situer au bon endroit, afin que sa pensée reflète la réalité de manière adéquate.

C’est pour cela que Mao Zedong enseigne qu’il est nécessaire, en quelque sorte, de bien discerner les aspects et de savoir faire le tri. Mao Zedong prend l’exemple de l’histoire chinoise ; l’analyse matérialiste dialectique de l’histoire chinoise ne pouvait réussir qu’en se fondant sur le point suivant :

« Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions ; l’une d’elles est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux (…).

Dans toute contradiction, les aspects contradictoires se développent d’une manière inégale. Il semble qu’il y ait parfois équilibre entre eux, mais ce n’est là qu’un état passager et relatif ; la situation fondamentale, c’est le développement inégal. Des deux aspects contradictoires, l’un est nécessairement principal, l’autre secondaire. Le principal, c’est celui qui joue le rôle dominant dans la contradiction.

Le caractère des choses et des phénomènes est surtout déterminé par cet aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

Mais cette situation n’est pas statique ; l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction se convertissent l’un en l’autre et le caractère des phénomènes change en conséquence.

Si, dans un processus déterminé ou à une étape déterminée du développement de la contradiction, l’aspect principal est A et l’aspect secondaire B, à une autre étape ou dans un autre processus du développement, les rôles sont renversés ; ce changement est fonction du degré de croissance ou de décroissance atteint par la force de chaque aspect dans sa lutte contre l’autre au cours du développement du phénomène (…).

Rien au monde ne se développe d’une manière absolument égale, et nous devons combattre la théorie du développement égal ou la théorie de l’équilibre. »

Mao Zedong, De la contradiction

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Mao Zedong sur la contradiction : chaque branche de la science touche un type de mouvement

Connaître le mouvement, c’est connaître la matière. Connaître un mouvement en particulier, c’est connaître un phénomène en particulier. S’il y a des choses différentes, c’est parce que leur mouvement est différent.

Voici ce qu’explique Mao Zedong, dans un passage très important :

« Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde.

Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc.

Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence.

L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes. Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique. »

Mao Zedong, De la contradiction

Il en ressort qu’il n’y a qu’une science, le matérialisme dialectique, se divisant en branches consistant en une attention portée sur tel ou tel type de mouvement. Mao Zedong définit cela de la manière suivante :

« Les contradictions propres à la sphère d’un phénomène donné constituent l’objet d’étude d’une branche déterminée de la science.

Par exemple, le + et le — en mathématiques ; l’action et la réaction en mécanique ; l’électricité positive et négative en physique ; la combinaison et la dissociation en chimie ; les forces productives et les rapports de production, la lutte entre les classes dans les sciences sociales ; l’attaque et la défense dans la science militaire ; l’idéalisme et le matérialisme, la métaphysique et la dialectique en philosophie – tout cela constitue les objets d’étude de différentes branches de la science en raison justement de l’existence de contradictions spécifiques et d’une essence spécifique dans chaque branche. »

Mao Zedong, De la contradiction

Comme on le voit, la détermination d’une branche scientifique dépend non pas de l’approche intellectuelle, mais de la reconnaissance de tel ou tel type de mouvement.

Or, pour reconnaître tel ou type de mouvement, il faut déjà maîtriser le matérialisme dialectique.

Sans connaître le matérialisme dialectique en général, on ne peut pas connaître les phénomènes en particulier ; inversement, il faut se confronter aux contradictions spécifiques aux phénomènes et non pas en rester au général.

D’ailleurs, on ne saurait comprendre le matérialisme dialectique en général, sans connaître un mouvement dialectique en particulier, qui porte la connaissance du général dans son statut de spécifique, de particulier.

Chaque mouvement dialectique est spécifique, mais porte la dialectique en général. Mao Zedong précise la chose de la manière suivante :

« Faute de connaître ce qu’il y a d’universel dans les contradictions, il est impossible de découvrir les causes générales ou les bases générales du mouvement, du développement des choses et des phénomènes.

Mais si l’on n’étudie pas ce qu’il y a de spécifique dans les contradictions, il est impossible de déterminer cette essence spécifique qui distingue une chose des autres, impossible de découvrir les causes spécifiques ou les bases spécifiques du mouvement, du développement des choses et des phénomènes, impossible par conséquent de distinguer les choses et les phénomènes, de délimiter les domaines de la recherche scientifique.

Si l’on considère l’ordre suivi par le mouvement de la connaissance humaine, on voit que celle-ci part toujours de la connaissance du particulier et du spécifique pour s’élargir graduellement jusqu’à atteindre celle du général. Les hommes commencent toujours par connaître d’abord l’essence spécifique d’une multitude de choses différentes avant d’être en mesure de passer à la généralisation et de connaître l’essence commune des choses.

Quand ils sont parvenus à cette connaissance, elle leur sert de guide pour étudier plus avant les différentes choses concrètes qui n’ont pas encore été étudiées ou qui l’ont été insuffisamment, de façon à trouver leur essence spécifique ; c’est ainsi seulement qu’ils peuvent compléter, enrichir et développer leur connaissance de l’essence commune des choses et l’empêcher de se dessécher ou de se pétrifier.

Ce sont là les deux étapes du processus de la connaissance : la première va du spécifique au général, la seconde du général au spécifique. Le développement de la connaissance humaine représente toujours un mouvement en spirale et (si l’on observe rigoureusement la méthode scientifique) chaque cycle élève la connaissance à un degré supérieur et sans cesse l’approfondit. »

Mao Zedong, De la contradiction

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Mao Zedong sur la contradiction : la différence elle-même constitue une contradiction

De la contradiction de Mao Zedong a particulièrement marqué les esprits; sa force a été particulièrement reconnue. Pourtant le matérialisme dialectique était déjà l’idéologie largement diffusée depuis l’URSS, alors pourquoi l’œuvre fut-elle si marquante ?

La raison en est que le document de Mao Zedong est particulièrement clair, la dialectique y est présentée de manière très vivante.

Il y a de véritables sentences, qui résume admirablement la conception communiste. Voici un exemple de comment Mao Zedong assène les vérités du matérialisme dialectique:

« Dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin. »

Non seulement le mouvement dialectique est partout – puisque toute la réalité est matérielle – mais en plus le mouvement dialectique est complet. C’est cela qui a frappé, lorsque l’œuvre fut diffusée dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, au sein de tout le Mouvement Communiste International.

Le Capital de Marx avait pareillement marqué les esprits, de par sa capacité à saisir les différents aspects du mode de production capitaliste. La description que fait Karl Marx est vivante, on lit véritablement le processus. C’est cela que souligne Mao Zedong, systématisant les enseignements de Lénine. Mao Zedong explique ainsi :

« Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin. C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de développement de toute chose, de tout phénomène. »

Le matérialisme dialectique était déjà mis en avant par l’URSS, mais la position était plus celle de l’observation scientifique, dans le sens où Mao Zedong, à l’inverse, porte son attention sur les questions spécifiques du mouvement dialectique, sur l’étude des cas concrets.

Gonzalo, dirigeant du Parti Communiste du Pérou, a admirablement compris cela ; il donne de nombreux exemples, comme lorsqu’il affirme que la peur est une contradiction. La perspective ouverte par Mao est réellement celle d’une étude très concrète des contradictions ; c’est une école de la dialectique.

Cette école a, par définition, une nature ininterrompue, car à partir du moment où il y a un cerveau comme matière grise, comme caisse de résonance de la réalité, le processus est lancé. Dans De la contradiction, Mao Zedong cite ici Friedrich Engels :

« Nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contradictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaître, intérieurement infinie, et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, – tout au moins dans le progrès sans fin. »

On pourrait, peut-être, penser qu’il y a identité entre la connaissance et l’humanité en tant que telle, puisque, après tout, la série des générations consiste en l’humanité.

Cela serait ici une erreur, car il existe bien entendu une différence entre le concept d’humanité en général et les individus apparaissant au fur et à mesure ; tous les individus appartiennent à l’humanité et sont des produits historiques, mais ils sont relativement différents de par leur place dans l’espace et le temps.

C’est cette différence qu’il faut saisir, car elle est en fait une contradiction. Elle est ici entre les dirigeants révolutionnaires et les masses – Mao Zedong développera le principe de la pensée-guide – mais dans tous les cas, discerner c’est déjà établir des interrelations qui, par définition, obéissent à la loi de la contradiction puisqu’elles existent.

Mao Zedong souligne bien :

« Dans toute différence il y a déjà une contradiction et que la différence elle-même constitue une contradiction. »

Et, de fait, comme tout ce qui est est par la contradiction, alors on peut dire comme le fait Mao Zedong :

« Il n’est rien qui ne contienne des contradictions. Sans contradictions, pas d’univers. »

Bien entendu, ici l’évolutionnisme vulgaire pourrait prétendre admettre les contradictions, mais en niant le caractère unitaire du processus, ne reconnaissant qu’un Univers décousu, avec des contradictions locales n’ayant pas de signification en tant que totalité.

Cela apparaît d’autant plus impossible pour l’évolutionnisme vulgaire que le matérialisme dialectique affirme à la fois le caractère unitaire de l’Univers et son caractère infini. Cela dépasse littéralement l’idéologie bourgeoise, aussi « progressiste » qu’elle puisse prétendre être.

On touche ici la question de la détermination : pour le matérialisme dialectique, tout est déterminé, il n’y a pas de hasard. Tout obéit aux lois du mouvement dialectique, par essence même, et il n’y a rien d’autre, absolument rien d’autre. 

Mao Zedong résume cela de manière nette :

« Dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement, le mouvement de la matière revêtant d’ailleurs toujours des formes déterminées. »

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Qu’en fait, même, ce qui distingue la matière d’une autre matière c’est justement le mouvement, parce que chaque mouvement a comme base la matière et que donc deux phénomènes matériels se distinguent matériellement, mais également voire en fait réellement par le mouvement.

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Mao Zedong sur la contradiction : une totalité, un processus complet

Le matérialisme dialectique est une science et il est donc tout à fait normal d’en parler comme d’une découverte. C’est même la science absolue, qui touche tous les aspects de la vie ; c’est la clef pour la compréhension générale de la nature et de la société, de tous les phénomènes.

Mao Zedong rappelle de la manière suivante ce qu’est l’idéologie communiste :

« Depuis la découverte de la conception matérialiste-dialectique du monde par les grands fondateurs et continuateurs du marxisme, Marx, Engels, Lénine et Staline, la dialectique matérialiste a été appliquée avec le plus grand succès à l’analyse de nombreux aspects de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle, ainsi qu’à la transformation de nombreux aspects de la société et de la nature (par exemple en U.R.S.S.) ; l’universalité de la contradiction est donc déjà largement reconnue et nous n’aurons pas besoin de l’expliquer longuement. »

Mao Zedong, De la contradiction

Ce qui est marquant ici, c’est que Mao Zedong affirme une chose qui, inversement, est méconnue ou refusée en Europe de l’Ouest. L’universalité de la question n’a jamais été en tant que tel réellement assumée par les Partis Communistes en Europe de l’Ouest.

L’un des grands exemples est l’italien Antonio Gramsci, considéré comme un grand intellectuel communiste des années 1920-1930 par les progressistes en Europe de l’Ouest, ainsi que par la bourgeoisie. Antonio Gramsci, de fait, considérait que le matérialisme dialectique était secondaire, que c’était peut-être vrai, mais peut-être faux, et qu’au final cela ne comptait pas ; le matérialisme historique suffirait.

Une telle attitude libérale est extrêmement choquante du point de vue communiste, et cela en dit long sur la nature des communistes d’Europe de l’Ouest des annés 1920-1950, dont le rapport au matérialisme dialectique fut ambivalent, ambigu, réticent, hostile, etc.

Le triomphe de la révolution chinoise tient, à l’inverse, à la reconnaissance de l’universalité de la contradiction par les communistes de Chine et à leur tête Mao Zedong.

Le principe du matérialisme dialectique est absolu. Il ne s’agit pas simplement de constater qu’il y a un processus contradictoire : tout processus est contradictoire. Tout mouvement est contradiction, et inversement.

Mao dit donc :

« L’universalité ou le caractère absolu de la contradiction a une double signification: la première est que les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène; la seconde, que, dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin. »

Mao Zedong, De la contradiction

Mao Zedong cite ici Friedrich Engels et Lénine, afin de vraiment appuyer la compréhension de cette question. La contradiction n’est pas partielle, elle n’existe pas à côté d’autre chose. Elle est un processus totalitaire, englobant toute la réalité ; rien ne peut lui échapper.

Quand la bourgeoisie dénonce les « totalitarismes », elle attaque en fait le principe même de totalité, de processus complet. C’est là une importante clef idéologique.

La bourgeoisie considère que l’être humain est isolé, indépendant, il peut « penser ». Pour le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet de la réalité, à des degrés plus ou moins synthétisés.

Inévitablement, Mao Zedong rappelle donc la conception matérialiste dialectique du reflet : tous les concepts forgés par notre pensée ne sont que des reflets des processus ayant lieu dans la réalité. Il résume cela ainsi:

« Il convient de considérer toute différence dans nos concepts comme le reflet de contradictions objectives.

La réflexion des contradictions objectives dans la pensée subjective forme le mouvement contradictoire des concepts, stimule le développement des idées, résout continuellement les problèmes qui se posent à la pensée humaine. »

Mao Zedong, De la contradiction

La pensée et ses formes n’existent qu’en tant que reflets et le rapport entre réalité objective et pensée individuelle, subjective, est nécessairement lui-même dialectique. Les concepts scientifiques se forgent donc au cours du processus ; c’est cela qui justifie le passage, par exemple, du marxisme au marxisme-léninisme.

On ne peut pas penser en-dehors d’un processus, d’un phénomène, et ce qu’on pense reflète, à différents degrés, le processus, le phénomène. On voit ici le degré de compréhension totale du matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : causes internes et causes externes

Le matérialisme dialectique a une signification universelle. La dialectique est la loi de la matière, de toute la matière, de tous les phénomènes matériels (et il n’y a que des phénomènes matériels).

Or, la société humaine est un phénomène matériel, et par conséquent elle possède une contradiction interne. C’est la conclusion logique de ce qui a été expliqué précédemment.

Voici donc ce que déduit Mao Zedong :

« Selon le point de vue de la dialectique matérialiste, les changements dans la nature sont dus principalement au développement de ses contradictions internes.

Ceux qui interviennent dans la société proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle. »

Mao Zedong, De la contradiction

On a là de nouveau ce que Mao Zedong souligne : on ne peut saisir la réalité qu’en se plaçant dans le mouvement du nouveau contre l’ancien. Sans cela, on a un point de vue erroné, car séparé du développement, et donc non porté par lui.

Au sein d’une société, la production et la reproduction de la vie sociale, des moyens de vivre, établissent des contradictions qui elles-mêmes amènent des changements.

Alors qu’aujourd’hui nous pouvons bien mieux saisir le rapport entre la nature et la société, leurs interrelations, nous pouvons accorder toute notre attention à ce que Mao Zedong a expliqué sur le rapport entre causes internes et causes externes.

Un phénomène, en effet, n’existe pas indépendamment du reste. Un changement dépend toujours de son environnement. Rien n’est plus faux ici que la conception subjectiviste présentant le marxisme comme une science applicable par une humanité toute puissante, ayant pour ainsi dire une capacité divine.

L’anthropocentrisme est une grave déviation, qui nie les interrelations au sein des phénomènes et le caractère unique de l’univers. Comprendre la dialectique des interrelations, c’est saisir les phénomènes dans leur cadre concret.

Voilà pourquoi Mao zedong précise :

« La dialectique matérialiste exclut-elle les causes externes? Nullement. Elle considère que les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l’intermédiaire des causes internes. »

Cette question de la condition des changements est primordiale; elle est au cœur du refus de l’idéalisme, du cosmopolitisme, etc. qui nient la réalité générale au nom de contradictions internes arbitrairement séparées de la réalité.

Bien entendu, Mao Zedong ne cesse de souligner la dimension pratique, c’est logique puisque le matérialisme considère que c’est la matière qui compte et que celle-ci est toujours en mouvement.

Il ne s’agit pas pourtant du tout, comme on peut le penser de manière erronée, de pragmatisme. C’est une erreur récurrente de gens se prétendant parfois même maoïste, mais ne comprenant pas du tout Mao Zedong en réalité.

Pourquoi cela ? Bien sûr parce que c’est une question liée au matérialisme. La réalité ne saurait être comprise abstraitement et passivement ; il est nécessaire d’être partie prenante du processus. Le matérialisme dialectique affirme que tout est un seul processus lui-même composé de multiples processus, et que donc il faut participer au processus pour en saisir la signification.

Mao Zedong souligne ainsi que le matérialisme dialectique ne peut être compris que justement parce que le processus révolutionnaire est lancé en Chine. Voici comment Mao Zedong exprime cela, à la toute fin du premier chapitre.

« Dès qu’elle pénétra en Chine, elle provoqua d’immenses changements dans la pensée chinoise.

La conception dialectique du monde nous apprend surtout à observer et à analyser le mouvement contradictoire dans les différentes choses, les différents phénomènes, et à déterminer, sur la base de cette analyse, les méthodes propres à résoudre les contradictions. C’est pourquoi la compréhension concrète de la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes est pour nous d’une importance extrême. »

Mao Zedong, De la contradiction

Or, ceux qui ont une conception erronée inversent cette conception. Ils pensent que la pratique fait la réalité, alors que c’est la réalité qui impulse la pratique, justement parce que les conditions concrètes permettent aux contradictions internes de s’exprimer.

Les esprits pragmatiques s’imaginent trouver dans les enseignements de Mao Zedong des « recettes », des formules pratiques, des outils, etc. Cela n’a rien à voir avec le matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : rien n’est isolé

Mao Zedong ne serait pas, en quelque sorte, aussi inquiet dans De la contradiction, si ne faisait face au matérialisme dialectique que ce qu’il appelle « un idéalisme réactionnaire patent ». Il y a également un « évolutionnisme vulgaire » qui a été lancé par la bourgeoisie, pour contrer le matérialisme dialectique.

Cela signifie que les choses se compliquent : il n’est pas aussi simple que cela d’être matérialiste, dans la mesure où l’on peut justement être contaminé par cet évolutionnisme vulgaire. Mao Zedong présente de la manière suivante la base idéologique de ce dernier :

« La métaphysique, ou l’évolutionnisme vulgaire, considère toutes les choses dans le monde comme isolées, en état de repos ; elle les considère unilatéralement.

Une telle conception du monde fait regarder toutes les choses, tous les phénomènes du monde, leurs formes et leurs catégories comme éternellement isolés les uns des autres, comme éternellement immuables. Si elle reconnaît les changements, c’est seulement comme augmentation ou diminution quantitatives, comme simple déplacement.

Et les causes d’une telle augmentation, d’une telle diminution, d’un tel déplacement, elle ne les fait pas résider dans les choses ou les phénomènes eux-mêmes, mais en dehors d’eux, c’est-à-dire dans l’action de forces extérieures. »

Mao Zedong, De la contradiction

Il y a là quelque chose d’essentiel. Pour le matérialisme dialectique, les concepts et catégories ne sont que relatifs, car tout se transforme et chaque chose se transforme dans un ensemble, une totalité : l’Univers, lui-même en transformation.

Il n’y a donc pas de « briques » éternelles constituant la réalité. La réalité est un système dont chaque élément se transforme, tout comme l’ensemble.

L’évolutionnisme vulgaire a quant à lui une vision quantitative du monde, alors que le matérialisme dialectique a une vision qualitative. 

L’évolutionnisme vulgaire considère que le monde est fait de « briques » se rencontrant et se confrontant, que c’est là la source de tout changement possible, alors que Mao Zedong inversement souligne la « thèse de la dialectique matérialiste selon laquelle le développement des choses et des phénomènes est suscité par leurs contradictions internes ».

Le principe de la contradiction est en effet le moteur de la matière, le moteur interne, faisant qu’absolument rien ne puisse être statique est isolé.

On a coutume de résumer la conception formulée par Mao Zedong par « Un devient deux » ; en Chine populaire à l’époque de Mao Zedong, on disait également « Rien n’est indivisible ». Le rétablissement de cette connaissance, assumée en tant que telle, n’a pu être permise que par le PCF(mlm).

L’une des erreurs classiques, notamment en France justement, est de pratiquer l’évolutionnisme vulgaire en s’imaginant être marxiste.

Or, il ne s’agit pas simplement de regarder un phénomène et d’en rechercher le moteur interne. Il faut également saisir la nature de ce phénomène, son interrelation avec les autres phénomènes.

Ce point est considéré, paradoxalement, comme de la « métaphysique » par les évolutionnistes vulgaires se prétendant marxiste !

En réalité, ne pas saisir les interrelations, c’est en revenir aux « briques » séparées formant la réalité, même si on emprunte au matérialisme dialectique le principe du moteur interne.

Car pour le matérialisme dialectique, les deux aspects formant le moteur d’un phénomène ne sauraient exister de manière « indépendante ». C’est tout le principe d’indépendance que remet fondamentalement en cause le matérialisme dialectique.

Cela ne remet pas en cause que le moteur soit la contradiction interne ; il s’agit simplement de saisir qu’un processus dialectique n’existe pas indépendamment des autres processus, même s’il a sa dynamique propre justement avec son saut qualitatif.

Mao Zedong affirme donc :

« La conception matérialiste-dialectique veut que l’on parte, dans l’étude du développement d’une chose ou d’un phénomène, de son contenu interne, de ses relations avec d’autres choses ou d’autres phénomènes, c’est-à-dire que l’on considère le développement des choses ou des phénomènes comme leur mouvement propre, nécessaire, interne, chaque chose, chaque phénomène étant d’ailleurs, dans son mouvement, en liaison et en interaction avec les autres choses, les autres phénomènes qui l’environnent. »

Mao Zedong, De la contradiction

Ces mots, « étant d’ailleurs », sont d’une signification essentielle pour comprendre le matérialisme dialectique. L’Univers est un, il est un ensemble, sa réalité est une. L’évolutionnisme vulgaire pseudo-marxiste le décompose pourtant de manière arbitraire, en prenant certains bouts pour les « interpréter » de manière faussement matérialiste.

C’est notamment le « matérialisme historique » qui a pu être ici prétexte à une escroquerie bourgeoise, en étant séparé du matérialisme dialectique, avec des éléments historiques pris au hasard et expliqués de manière subjectiviste et idéaliste, mais avec un vocabulaire pseudo-marxiste. Il manquait toujours la liaison avec l’ensemble, avec le mouvement d’ensemble.

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Mao Zedong sur la contradiction : en défense du matérialisme dialectique

« Nous parlons souvent du « remplacement de l’ancien par le nouveau ». Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers. »

« La connaissance de la matière par l’homme, c’est la connaissance de ses formes de mouvement, étant donné que, dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement. »

C’est en août 1937, dans la base rouge du Yenan, que Mao Zedong a écrit une œuvre d’une importance capitale pour le matérialisme dialectique : De la contradiction. Le contenu en fut expliqué à l’Université anti-japonaise, ayant une nature politico-militaire, puis révisé pour publication. L’œuvre devint un classique, étant produit par la révolution chinoise et permettant à la révolution démocratique chinoise de disposer d’un fondement solide : une juste compréhension du matérialisme dialectique.

De la contradiction fut immensément appréciée également dans les autres pays; il s’agit d’une œuvre explicative d’une très grande portée, présentant la substance du matérialisme dialectique d’une manière parfaitement lisible et avec un grand esprit de conséquence.

C’était à la fois une introduction au matérialisme dialectique, et en même temps une formidable synthèse ; Mao Zedong a réalisé cette étude en procédant à la formation de six chapitres, dont la liaison interne est à comprendre pour en saisir la perspective.

Le problème est déjà naturellement que si tout est dialectique, alors ce qu’on explique l’est aussi. Comment alors faire comprendre ce qu’on explique, puisqu’on ce qu’on explique est déjà dans l’explication elle-même ? 

Pour résoudre de manière productive cette problématique, Mao Zedong procède de la manière suivante.

La première étape est une simple constatation : il existe deux manières de voir les choses. Dans l’histoire de l’humanité jusqu’à présent, il y a l’idéalisme et le matérialisme, c’est-à-dire d’un côté le fait de séparer le corps et l’esprit, de l’autre le fait de ne pas le faire. L’idéalisme croit en un monde idéal et parallèle, non matériel c’est-à-dire spirituel, alors que le matérialisme considère que seule la matière existe.

Une fois qu’il a exposé cela, Mao Zedong présente le point de vue matérialiste, en expliquant le principe de la contradiction. C’est la base du matérialisme dialectique: le matérialisme ne peut pas être compris sans saisir la dialectique.

Pour cette raison, Mao Zedong montre d’abord la signification générale de la contradiction, sa valeur universelle, pour ensuite s’attarder sur la question de la nature spécifique de la contradiction, c’est-à-dire le fait que la contradiction, au-delà d’être un principe général, est vrai partout et qu’il faut donc saisir sa réalité dans chaque phénomène.

On a d’abord le principe, la substance, ensuite la constatation de cette substance dans chaque phénomène, puis un retour logique à la perspective générale. A ce titre, Mao Zedong continue d’affiner en faisant une distinction entre les contradictions au sein d’un même phénomène : il faut qu’il y en ait un qui prime. C’est ce qu’on appelle l’aspect principal.

Une fois cela fait, il a alors expliqué la contradiction en tant que réalité générale et il peut donc effectuer une synthèse en portant son attention sur la lutte et l’identité des deux aspects de la contradiction, c’est-à-dire la question de savoir à quel moment une contradiction amène un saut qualitatif, à travers un antagonisme.

Tel est le plan de l’œuvre, d’une discipline à toute épreuve.

Car le point de départ de Mao Zedong est le matérialisme dialectique, idéologie inscrite au cœur de l’Union Soviétique par Staline. On a ici l’expression d’une fidélité et d’une continuité.

C’est quelque chose de très erroné que l’attitude des mouvements étudiants des années 1960 en Europe de l’Ouest, qui ont opposé Mao Zedong à Staline, tout cela parce qu’ils ne connaissaient rien au matérialisme dialectique et à Staline, en raison de l’influence massive du révisionnisme et du social-impérialisme soviétique.

Mao Zedong est en pratique le produit des conditions concrètes de la Chine, mais avec comme moteur idéologique l’URSS de Staline.

Les premières phrases de De la contradiction se veulent un rappel immédiat de l’idéologie communiste définie par l’URSS de Staline :

« La loi de la contradiction inhérente aux choses, aux phénomènes, ou loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la dialectique matérialiste.

Lénine dit:

« Au sens propre, la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses … ». »

Mao Zedong parle, en effet, dans ce document, en tant que dirigeant du Parti Communiste de Chine, et il se veut ici le garant de l’idéologie face aux déviationnistes. On est ici dans le cadre du mouvement communiste, où la défense de l’idéologie est primordiale ; une erreur idéologique est considérée comme ayant des conséquences infiniment graves, puisque c’est le Parti Communiste qui dirige la révolution : si ses analyses sont erronées, alors la révolution ne peut pas avancer.

On a ici affaire au primat de l’idéologie et Mao fait une présentation générale de la substance même du matérialisme dialectique, afin de le défendre.

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La science de la logique de Hegel et la dialectique de la nature

Au-delà de la critique des mathématiques pour sa nature formaliste – objectiviste et de la physique moderne pour ses conceptions idéalistes la bloquant dans son développement, Lénine puise également la dialectique de la nature dans Hegel, avec Hegel et contre Hegel.

Voici comment il définit la dialectique, reprenant Hegel mais en même temps en ayant conscience de la limite historique de celui-ci :

La dialectique est la théorie de la façon dont les contraires peuvent être et sont habituellement (dont ils deviennent) identiques — des conditions dans lesquelles ils sont identiques en se changeant l’un en l’autre — des raisons pour quoi l’esprit humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, figés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se changeant l’un en l’autre. En lisant Hegel [en français]…

Lénine note également le passage suivant de Hegel :

148… « C’est la nature du fini lui-même de se dépasser, de nier sa négation, et de devenir infini »… Ce n’est pas une force (Gewalt) extérieure (fremde) (149) qui transforme le fini en infini, mais sa nature (seine Natur) (du fini).

Et à côté il écrit :

La dialectique des choses elles-mêmes, de la nature elle-même, de la marche même des événements .

Voici enfin comment dans ses notes, Lénine arrache les « éléments de la dialectique » à la logique dialectique de Hegel flottant au-dessus de la matière, exposant ce qui constitue une compréhension de celle-ci : « Peut-être est-il possible de présenter ces éléments ainsi, de façon plus détaillée :

  1. objectivité de l’examen (pas des exemples, pas des digressions, mais la chose en elle-même).
  2. tout l’ensemble des rapports multiples et divers de cette chose aux autres.
  3. le développement de cette chose (ou encore phénomène), son mouvement propre, sa vie propre.
  4. les tendances (et # aspects) intérieurement contradictoires dans cette chose.
  5. la chose (le phénomène, etc.) comme somme et unité des contraires.
  6. la lutte ou encore le déploiement de ces contraires, aspirations contradictoires, etc.
  7. union de l’analyse et de la synthèse, séparation des différentes parties et réunion, totalisation de ces parties ensemble.
  8. les rapports de chaque chose (phénomène, etc.) non seulement sont multiples et divers, mais universels. Chaque chose (phénomène, processus, etc.) est liée à chaque autre.
  9. non seulement l’unité des contraires, mais aussi les passages de chaque détermination, qualité, trait, aspect, propriété en chaque autre [en son contraire?]
  10. processus infini de mise à jour de nouveaux aspects, rapports, etc.
  11. processus infini d’approfondissement de la connaissance par l’homme des choses, phénomènes, processus, etc., allant des phénomènes à l’essence et d’une essence moins profonde à une essence plus profonde.
  12. de la coexistence à la causalité et d’une forme de liaison et d’interdépendance à une autre, plus profonde, plus générale.
  13. répétition à un stade supérieur de certains traits, propriétés, etc., du stade inférieur et
  14. retour apparent à l’ancien (négation de la négation)
  15. lutte du contenu avec la forme et inversement. Rejet de la forme, remaniement du contenu.
  16. passage de la quantité en qualité et vice versa, (15 et 16 sont des exemples du 9)
  17. On peut définir brièvement la dialectique comme la théorie de l’unité des contraires. Par là on saisira le noyau de la dialectique, mais cela exige des explications et un développement.

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La science de la logique de Hegel et la critique des mathématiques et de la physique moderne

On comprend la situation dans laquelle se sont retrouvées Karl Marx et Friedrich Engels. D’un côté, Hegel rejetait de manière adéquate les mathématiques comme forme figée, de l’autre Hegel basculait dans une logique des choses autonome des choses elles-mêmes.

La science de la logique accorde d’ailleurs une très grande place à l’étude des mathématiques en tant que tel, en rapport avec cette question de l’infini chez elles. Lénine constate à ce sujet, dans ses notes :

Analyse très détaillée du calcul différentiel et intégral avec des citations de Newton, Lagrange, Carnot, Euler, Leibniz, etc., etc., qui prouvent combien Hegel s’intéressait à cette « disparition » des infiniment petits, cet « état intermédiaire entre l’être et le non-être ». Tout cela est incompréhensible si on n’a pas étudié les mathématiques supérieures.

Karl Marx et Friedrich Engels s’intéresseront de manière approfondie à cette question du calcul différentiel et intégral, étant plus optimiste que Hegel dans le développement possible de mathématiques capables de modéliser le saut qualitatif.

En ce qui concerne cependant La science de la logique plus directement, dans son étude du rapport entre le fini et l’infini, dans sa critique des mathématiques comme approche de choses figées, mortes, et de l’autre côté son basculement dans une « logique » dialectique flottant au-dessus des choses, l’aspect principal fut bien pour Karl Marx et Friedrich Engels la critique du cantonnement dans les formes figées, l’affirmation du mouvement.

C’est cela qui permis à Friedrich Engels d’écrire l’Anti-Dühring et la dialectique de la nature, à Lénine décrire Matérialisme et empirio-criticisme, à Staline d’élever le matérialisme dialectique comme vision du monde du Communisme, à Mao Zedong de l’approfondir.

Lénine, dans ses notes sur La science de la logique, souligne comment la compréhension de Hegel remet en cause la physique moderne prisonnière de conceptions erronées, anti-dialectiques :

[Tout ceci est ténèbres et obscurité. Mais il y a visiblement une pensée vivante : le concept de loi est un des degrés de la connaissance par l’homme de l’ unité et de la liaison, de l’interdépendance et de la totalité du processus universel.

L’ « émondage » et le « démontage » des mots et des concepts auxquels se livre ici Hegel est une lutte contre l’absolutisation du concept de loi, contre sa simplification, sa fétichisation.

NB pour la physique moderne ! ! !]

Voici un autre passage, où Lénine aborde également cette question de la loi absolutisée par les sciences lors d’erreurs idéalistes :

« Cette identité, la base du phénomène qui constitue la loi, est son propre moment… La loi n’est donc pas au-delà du phénomène, mais au contraire elle lui est immédiatement présente, le royaume des lois est l’image calme (italique de Hegel) du monde existant ou apparaissant »…

C’est une définition remarquablement matérialiste et remarquablement juste (par le mot « ruhige » [calme]). La loi prend ce qui est calme — et par là la loi, toute loi, est étroite, incomplète, approchée.

On arrive ici à la question de la cosmologie, de la compréhension de la nature de l’univers lui-même. Lénine note par ailleurs :

L’absolu et le relatif, le fini et l’infini=parties, degrés d’un seul et même univers. So etwa ? [Quelque chose comme ça?]

Lénine fait ici une remarque importante, puisqu’elle sera assumée telle quelle par Mao Zedong. Lui et le physicien japonais Shoichi Sakata formeront la conception matérialiste dialectique d’un univers en oignon, avec différentes couches se superposant et se liant les unes aux autres.

Lénine note également le point suivant de Hegel :

158— 159 : … « L’unité du fini et de l’infini n’est pas un rapprochement extérieur de ceux-ci ni une réunion incongrue, qui contredirait à leur détermination, dans laquelle deux indépendants, deux étants en soi séparés et mutuellement opposés, partant incompatibles, seraient réunis ; au contraire chacun est à lui-même, cette unité et l’est seulement en tant qu’abrogé de soi-même, ce en quoi aucun n’a devant l’autre une prééminence de l’être en soi et de l’être-là affirmatif. Comme on l’a montré plus haut la finitude est seulement comme dépassement de soi, et par conséquent l’infinité, l’autre d’elle-même, est contenue en elle.

Et Lénine de noter à ce sujet :

Appliquer aux atomes versus les électrons. En général, l’infinité de la matière en profondeur…

On retrouve là la grande bataille menée par Mao Zedong durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, afin d’affirmer que « rien n’est indivisible ».

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La science de la logique de Hegel et la logique dialectique séparée de la matière

L’approche de Hegel préfigure le matérialisme dialectique. Il dit ainsi, de manière juste :

C’est un préjugé de base de la logique jusqu’à présente et de la manière habituelle de voir les choses comme quoi la contradiction n’aurait pas une détermination essentielle et immanente comme l’identité.

Or, s’il faut parler de rang, et si on sépare les deux déterminations [qui sont en fait dialectiquement liées], alors la contradiction serait à considérer comme la plus profonde et la plus essentielle.

Car l’identité est face à la contradiction seulement la détermination de l’immédiat simple, de l’être mort ; elle est quant à elle la racine de tout mouvement et de tout caractère vivant ; c’est seulement dans la mesure où quelque chose a en soi une contradiction qu’il se meut, qu’il a de l’impulsion et de l’activité.

Le matérialisme dialectique est ici annoncé, voyant en la contradiction en toutes choses le principe même de l’existence du monde, par le mouvement lui-même. Pourtant Hegel n’y est pas parvenu, sa logique dialectique flotte au-dessus de la matière.

Lénine note bien l’absurdité de cela : qu’est-ce qui empêche ici cette réflexion de l’esprit de n’être qu’un reflet du processus matériel lui-même ? La position de Hegel est donc incohérente.

D’un côté, il y a au moins chez lui le principe de l’activité, de la transformation comme base de la valeur de la réalité ; il préfigure ici le matérialisme historique. Cependant, le sens de cette activité est non pas la réalité en elle-même, mais l’esprit agissant à travers la réalité au moyen de la compréhension de la nature logique, de type dialectique, des processus.

En fait, chez Hegel, qu’une chose soit et ne soit pas revient au même, tant que quelque chose n’a pas été mis en branle en lui, comme transformation, par l’esprit. La logique de Hegel est une logique opérative, elle est un mode de saisie de la réalité.

Pour le matérialisme dialectique, Hegel attribue à l’esprit quelque chose qui en réalité est la propriété de la matière ; son mode opératoire qu’il croit la voie juste de la pensée, de l’esprit, est en réalité le reflet inévitable de la matière.

Hegel est incapable d’appliquer la dialectique à sa propre logique, de voir plusieurs aspects dans sa logique. Il ne voit pas que l’apparence est en liaison dialectique avec le contenu.

C’est pour cette raison que Lénine corrige Hegel de la manière suivante :

« (1)

Die Objektivität [L’objectivité]

# (NB : Pas clair, y revenir !)

des Scheins [de l’apparence]

(2)

Die Notwendigkeit des Widerspruchs selbstbewegende Seele [La nécessité de la contradiction de l’âme auto-mue] , … (« la négativité interne »)… « le principe de toute vie naturelle et spirituelle».

#

N’est-ce pas l’idée que l’apparence aussi est objective, car il y a en elle un des aspects du monde objectif ? Non seulement le Wesen [l’essence], mais aussi le Schein [l’apparence] est objectif. La différence entre le subjectif et l’objectif existe, MAIS ELLE AUSSI A SES LIMITES. »

Il s’agit là de la critique faite à Hegel par Karl Marx et Friedrich Engels comme quoi il considère que la logique, la réflexion sur les choses, l’apparence des choses, tout cela flotterait comme libre en-dehors de la réalité dialectique, alors qu’il ne s’agit en réalité que du reflet du réel.

Chez Hegel, la logique de type dialectique est vrai en soi ; elle ne dépend pas du réel, elle existe parce qu’elle existe et que tout fonctionne de cette manière.

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La science de la logique de Hegel et le noyau matérialiste

Lénine a su retrouver dans La science de la logique le noyau matérialiste présentant le caractère dialectique du mouvement ; il a bataillé pour retrouver les éléments adéquats. Voici comment, dans ses notes, il exprime notamment sa joie lorsqu’il est en mesure de le faire :

Le mouvement et « l’automouvement » (ceci NB ! mouvement autonome (indépendant), spontané, intérieurement nécessaire), « le changement », « le mouvement et la vitalité », « le principe de tout automouvement », « la pulsion » (Trieb) vers le « mouvement » et « l’activité » — l’opposé à « l’être mort » — qui croirait que c’est là le fond de « l’hégélianisme », de cet abstrait et abstrus (lourd, absurde ?) hégélianisme ? ? Ce fond il fallait le découvrir, le comprendre, le hinüberretten [le sauver par le haut, comme malgré lui], le décortiquer, l’épurer, et c’est ce que Marx et Engels ont fait.

« Arracher » le noyau matérialiste est vraiment le terme, puisque Lénine, dont on voit bien qu’il ne connaît culturellement pas la démarche particulièrement tortueuse de Hegel, s’interloque à de nombreuses reprises devant les manières de présenter les choses, comme ici par exemple :

[Plus loin le passage de la quantité en qualité exposé de façon abstraitement théorique est si obscur qu’on n’y comprend rien. Y revenir ! ! ]

Le terme « obscur » revient donc forcément à plusieurs reprises, Lénine étant éberlué par la mauvaise présentation, les explications oiseuses, la tendance au scepticisme, la dérive mystique, etc. auxquelles il est confronté.

Ce qui n’empêche pas les moments clefs où justement Lénine constate que Hegel a de l’esprit, qu’il est pénétrant, qu’il expose des choses vraies. Voici par exemple ce qu’il écrit à un moment dans ses notes, pour résumer ce qu’il a compris :

Très important ! Voici ce que cela signifie à mon avis :

  1. Liaison nécessaire, liaison objective de tous les aspects, forces, tendances, etc., du domaine donné de phénomènes ;
  2. « la genèse immanente des différences », la logique interne objective de l’évolution et de la lutte des différences, de la polarité.

Il s’agit là de remarques importantes sur comment Lénine en arrive à une juste interprétation de ce qu’est la dialectique.

Et au sujet de l’introduction à la troisième partie, intitulée L’idée, de la seconde partie intitulée La logique subjective, Lénine affirme que, avec les paragraphes correspondants de L’Encyclopédie des sciences de Hegel, il est possible d’en dire que c’est « certainement la meilleure présentation de la dialectique. Ici est également présenté de manière merveilleusement géniale l’adéquation de fait, pour ainsi dire, de la logique et de la gnoséologie. »

Lorsque Hegel explique que l’identité et la différence sont des moments de la différence de la contradiction, les moments, en tant que reflet, de son unité, il expose également parfaitement les principes de la dialectique, valables pour le matérialisme dialectique.

De même lorsque Hegel affirme que :

Si l’on regarde de plus près les moments de l’opposition

[dialectique]

, alors ils sont en tant que tel le fait d’être placé dans l’existence ou la définition, se réfléchissant en soi. Le fait d’être placé dans l’existence est l’égalité et l’inégalité ; les deux, réfléchis en soi, font les déterminations de la contradiction.

C’est là l’expression du caractère interne de la contradiction. C’est évidemment et d’ailleurs ici la source de la considération de Hegel, selon laquelle les mathématiques ne peuvent atteindre le mouvement, le caractère interne des phénomènes, l’infini dans le fini.

Pareillement, Hegel explique que :

La différence en tant que telle est déjà la contradiction en soi ; il est de fait l’unité de choses qui ne sont que dans la mesure où elles ne sont pas un – et la séparation de choses qui ne sont que dans la mesure où elles sont séparées dans la même relation.

Le positif et le négatif, eux, sont la contradiction posée, parce qu’en tant qu’unités négatives ils se posent eux-mêmes et de là le dépassement de celle-ci et le fait de poser son contraire.

On a là une expression dialectique admirable, si ce n’était que le positif et le négatif se posent dans le processus, de manière logique, au lieu d’être le processus lui-même. Cette erreur de Hegel est d’autant plus frappante qu’en même temps, il pose une phrase censée représenter la vérité plus que les autres qu’il a données, expliquant que cela résume l’essence des choses :

Toutes les choses sont contradictoires en soi.

C’est là indéniablement une affirmation qui mène au matérialisme dialectique. Le fait que Hegel n’ait pas appliqué cette affirmation à sa propre théorie de la logique dialectique est dû à l’époque, à l’absence de prolétariat, de contradiction historique portant à un niveau supérieur la démarche. Mais le noyau dialectique était déjà présent, et une tendance à la compréhension dialectique du monde se formait nettement.

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La science de la logique de Hegel et le processus comme dynamique de l’analyse

La connaissance est donc un processus, mais quelle est la nature de ce processus dans son fondement même ?

Comment Hegel parvient-il à intégrer le mouvement, là où Aristote, Avicenne, Averroès, Spinoza, avaient besoin d’un Dieu moteur fusionnant avec ou étant le monde lui-même, ce qui condamnait le mouvement à n’exister qu’à partir d’un démarrage, sans disposer d’une nature autonome ?

Hegel avait deux possibilités :

  • s’il fixe le commencement, il perd la notion de mouvement autonome ;
  • s’il ne le fait pas, il n’a pas de réalité.

Hegel ne part en effet pas du point de vue d’un univers infini et éternel, comme le fait le matérialisme dialectique ; il voit seulement le mouvement dans la logique des choses, et donc pas dans les choses elle-même.

Il est donc obligé de basculer dans le mysticisme où le rien et le non-rien cohabitent :

Il n’est encore rien, et il doit devenir quelque chose. Le début n’est pas le rien pur, mais un rien, dont arriver quelque chose. L’être est ainsi également compris dans le début.

Le début comprend donc les deux, l’être et le rien, c’est l’unité de l’être et du rien, ou bien il est non-être, qui est en même temps être, et être, qui est en même non-être.

De plus : l’être et le rien sont au début disponibles de manière séparée, car ils indiquent quelque chose d’autre ; c’est un non-être, qui est lié à l’être de quelque chose d’autre. Ce qui débute n’est pas encore, il va seulement à l’être.

Le début contient donc l’être d’une telle manière que celui-ci s’éloigne ou dépasse le non-être, comme quelque chose lui étant opposé.

En outre : ce qui commence est déjà ; autant que, au contraire, il n’est pas encore. Les opposés, être et non-être, sont ainsi en lui comme unité immédiate, ou bien il s’agit de leur unité indifférenciée.

L’analyse du début donnerait par là le concept de l’unité de l’être et du non-être, ou bien, dans une forme réfléchie, l’unité de la différenciation et de la non-différenciation, ou l’identité de l’identité et de la non-identité.

Son but est de montrer qu’une chose ne peut être connue que lorsqu’elle est affirmée dans un processus. Or, reconnaître un début, ce serait montrer le contraire et dire comme le font les mathématiques que lorsqu’une chose est, alors elle est déjà là par définition, elle est posée, elle n’est pas dans un processus, on pourrait la prendre telle quelle.

Or, et c’est là son intérêt, Hegel veut à tout prix maintenir le principe du processus. Une chose ne peut chez Hegel émerger que comme mouvement, comme processus, où elle s’affirme, au sens où elle pose la négation de ce qu’elle n’est pas. Le début ne peut être donc que l’émergence d’une chose à partir de ce qu’elle n’est pas.

C’est là son apport historique. Hegel valorise le mouvement, en menant une réflexion profonde sur le rapport contradictoire entre fini et infini, qualité et quantité, continuité et discontinuité ; il expose ce qu’il appelle la science de la logique en confrontant la réalité, l’existence, l’être, à ce qui est protagoniste, agissant, ce qui amène à un rapport entre subjectivité et objectivité permettant la formation de concepts.

Ce qui est fini est en réalité infini, car le fini implique sa propre négation, et en fait son propre dépassement : c’est la base même du principe du mouvement.

On a déjà ici la base du matérialisme dialectique, si Hegel ne voyait pas en le processus de connaissance du processus une logique générale fonctionnant sans la chose elle-même, comme flottant dans l’air, alors qu’en réalité la connaissance n’est que le reflet de la matière en mouvement. Son approche est d’ailleurs souvent incohérente par rapport à son propre idéalisme et tend déjà au matérialisme dialectique, de manière déformée.

Lénine, en prenant des notes sur cet ouvrage, fait d’ailleurs à un moment la réflexion suivante, caractéristique de son attitude à la lecture de l’œuvre :

[Hegel :] « Elles [les choses] sont, mais en vérité leur être est leur fin.

Plein d’esprit et bien trouvé ! Les concepts qui apparaissent d’habitude comme morts, Hegel les analyse et montre qu’il y a du mouvement en eux.

Qui connaît une fin ? Cela signifie, qui est en mouvement vers sa fin !

Quelque chose ? Cela signifie : non pas ce qu’est quelque chose d’autre.

Être en général? Cela signifie une certaine non-détermination, que être = ne pas être.

L’élasticité multi-faces, universelle des concepts, l’élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – c’est là l’essentiel.

Cette élasticité, employée subjectivement, = éclectisme et sophistique. Cette élasticité, employée objectivement, c’est-à-dire de telle manière à refléter le caractère multi-faces et général du processus matériel et de son unité, c’est la dialectique, c’est l’acte de réfléchir de manière juste l’éternel développement du monde. »

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La science de la logique de Hegel et la connaissance comme processus

La lettre de Spinoza est extrêmement intelligente et représente l’un des plus hauts points de la conscience matérialiste humaine, à l’époque déjà cela va de soi, mais y compris aujourd’hui. Elle pose la nature infinie de la réalité, qu’une approche en termes finis ne peut pas saisir.

Hegel prolonge cette affirmation de Spinoza et va souligner qu’il est nécessaire de voir sous quelle forme l’infini est présent dans le fini. Car ce qui est ne se résume pas à être, il y a des processus, qui produisent des choses. Le fini se mobilise, il s’arrache à lui-même. Il y a de l’infini dans le fini.

Karl Marx reprend directement cette perspective, avec Le capital, lorsqu’il dit qu’en apparence le travail est payé, mais qu’en réalité une partie n’est pas payée : il exprime cet infini dans le fini, qui est à la base du développement des forces productives dans le mode de production capitaliste.

C’est ce qui fait dire à Lénine, dans ses notes, de manière mi-amusée, mi-moqueuse :

Aphorisme : On ne peut pas comprendre totalement « le Capital » de Marx et en particulier son chapitre I sans avoir beaucoup étudié et sans avoir compris toute la Logique de Hegel. Donc pas un marxiste n’a compris Marx 1 ⁄ 2 siècle après lui !

Il mentionne cet ouvrage classique de Karl Marx également à une autre occasion. Il écrit une citation de Hegel, avec à côté la mention « cf. le Capital », puis la recopie une seconde fois, en ajoutant un commentaire :

Formule magnifique : « Pas seulement abstraitement un universel, mais l’universel qui englobe en soi la richesse du particulier, de l’individuel, du singulier » (toute la richesse du particulier et du singulier !) ! ! Très bien [en français].

En ce sens, Georg Wilhem Friedrich Hegel, avec La science de la logique publié au début du 19e siècle – l’ouvrage est paru à Nuremberg en deux tomes dans la période 1812-1816, avec trois livres (Théorie de l’être, Théorie de l’essence, Théorie du concept) – joue un rôle historique déterminant dans l’affirmation de la compréhension du mouvement, dans le cadre de l’infinité.

Hegel pose le problème de la manière suivante. Pour lui, un esprit est un esprit saisissant ; la pensée agrippe littéralement un raisonnement qui se fonde forcément sur quelque chose. Cela veut dire que les notions, les concepts, sont produits au cours même du processus de découverte, de compréhension d’une chose.

Hegel remet par conséquent en cause le principe d’une logique qui serait une méthode valable partout et tout le temps, coupée à la fois de la pensée et de la matière. Il n’y a pas de logique qui se balade littéralement au-dessus ou à côté du sujet pensant et de la chose étudiée. Il n’y a pas de méthode logico-mathématique fonctionnant toujours et partout.

De la même manière, si la chose, un phénomène, existe déjà en tant que tel, ce n’est pas le cas de la pensée y faisant face : la pensée connaît un processus où elle se forme comme compréhension, par rapport à la matière, un phénomène, qui sont déjà ce qu’ils sont.

Cette compréhension, si elle va jusqu’au bout, devient chez Hegel connaissance, avec l’utilisation deconcepts. Pour le matérialisme dialectique, cette compréhension devient un reflet adéquat, nullement parfait, mais correct de la matière, sur le plan scientifique.

En tant que tel, cela signifie que Hegel remet en cause non seulement les mathématiques comme méthode pseudo-objective de saisir la réalité, que le principe d’une pensée absolue capable de saisir, littéralement d’engloutir la réalité tout en étant séparée d’elle (comme l’univers-substance de Spinoza).

Il y a selon lui forcément un décalage, une dynamique entre le sujet et l’objet, dont le rapport est un processus. Cela ne veut pas dire pour autant que la vérité ne devient alors que relative, bien au contraire ; Hegel rejette formellement Emmanuel Kant pour qui on ne peut connaître dans les faits que certains aspects des choses, jamais les choses elles-mêmes.

Chez Hegel, la vérité n’est pas un point de vue, elle parvient à l’universel ; dans ses notes sur La science de la logique, Lénine note à de très nombreuses reprises le rejet par Hegel de la conception d’Emmanuel Kant d’une chose en soi et d’une chose pour soi, de la conception kantienne de l’impossibilité de connaître les choses telles qu’elles sont, mais seulement un rapport à elles.

Afin de parvenir à ce saut dans la connaissance, Hegel oppose la compréhension à une forme plus élevée de celle-ci, la raison. Ce niveau supprime la dimension éventuellement subjective, et a fortiori une réduction de la compréhension à une lecture subjectiviste, où chacun voit les choses à sa manière.

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La notion d’infini chez Spinoza que Hegel veut parfaire

La grande référence mise en avant par Hegel dans La science de la logique est la lettre dite « sur l’infini », écrite par Spinoza à Louis Meyer, le 20 avril 1663. Hegel fait de nombreuses références à Spinoza et son objectif est clairement d’approfondir le système de celui-ci, de lui fournir ce qu’il considère être comme manquant. Hegel se place en disciple et en continuateur de Spinoza.

Il dit par ailleurs :

Le caractère défini est la négation posé de manière affirmative, – c’est la phrase de Spinoza : Omnis determinatio est negatio (Toute détermination est négation). Cette phrase est d’une importance infinie ; seule la négation en tant que telle est l’abstraction sans forme.

C’est chez Spinoza que Hegel trouver la question de la négation et c’est chez lui qu’il trouve également la notion adéquate d’infini. La référence à la lettre dite « sur l’infini » doit donc être considérée comme essentielle pour la compréhension de la démarche de Hegel. Elle est la clef de voûte de La science de la logique.

Dans cette lettre, Spinoza affirme que les mathématiques ratent la notion d’infini, parce qu’elles n’atteignent pas la substance des choses, ayant une conception opératoire depuis l’extérieur.

L’idée est la suivante : il est possible d’étudier le contenu du temps et de l’espace au moyen de mesure, de nombre, etc. Mais ce faisant, on rate une dimension, celle de l’infini. En effet, à partir du moment où on dit qu’on compte, qu’on calcule, qu’on mesure, etc., on pose un cadre fini, ce qui est le contraire de l’infini.

Les mathématiques ne sont donc qu’une description ; elles ne parviennent pas au système qu’est l’univers lui-même, seulement à certains aspects pris à part, comme pris en instantanés. Ces aspects ne sont cependant pas la totalité elle-même, qui est infinie ; ce qu’on a, ce sont des moments finis, des éléments de la totalité. La totalité reste par contre forcément inatteignable si l’on raisonne en termes finis.

Spinoza manie ici la dialectique en posant la contradiction entre infini et fini, entre ensemble et particulier. Seule la totalité existe, comme ensemble et en se posant par définition même comme infini ; ce qu’on appelle le temps, la mesure, la grandeur, ne sont que des outils employés pour étudier des modes d’existence de la totalité, pas la totalité elle-même.

En quelque sorte, on ne peut pas rattraper l’infini. Spinoza, dans sa lettre, fait référence également à Zénon d’Élée à ce niveau.

C’est là-dessus que va directement se fonder Hegel pour exposer la dialectique dans La science de la logique, en la considérant comme ce qui va apporter à Spinoza ce qui lui manquait pour parfaire son système en tant que tel.

Hegel admet en effet tout cela sans souci. Il a cependant un problème avec la séparation totale que cela implique entre la totalité, porteuse d’infini, et les phénomènes qui sont eux finis. Ceux-ci ne sont que des modes d’existence de l’infini ; en fait, chez Spinoza, tout ce qui est fini existe dans un nombre infini, et consiste en la totalité. L’univers est ici, si l’on veut, l’ensemble des possibles (et nécessaires).

Or, Hegel considère que c’est là un panthéisme qui peut être dépassé, et même qui doit l’être si l’on veut établir un rapport correct entre le fini et l’infini.

Un tel rapport ne peut pas exister avec l’univers-substance de Spinoza, radicalement séparé des modalités d’existence de ses aspects. Cela revient pour lui à la même conception, somme toute, que l’hindouisme, où la succession de Brahman le créateur, Vishnou le stabilisateur et de Shiva le destructeur amène une répétition ininterrompue des mêmes mondes.

Il y a là une opposition du fini et de l’infini ; leur rapport est extérieur. Tout le but de Hegel va être d’en faire un rapport intérieur. Karl Marx et Friedrich Engels reprendront directement cette conception, plaçant ce rapport intérieur entre le fini et l’infini dans la matière elle-même. Ce sera alors le matérialisme dialectique.

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