Georgi Dimitrov comme cadre communiste

L’irruption des guerres balkaniques à partir de 1912 – la Bulgarie, la Grèce, la Serbie contre l’empire ottoman, puis la Bulgarie contre la Grèce et la Serbie – désorganisa relativement le Parti, même si en 1913 il obtint 18 députés (contre un seul auparavant), dont Georgi Dimitrov.

Le Parti mena ensuite campagne en faveur de la cessation de la Première Guerre mondiale, Georgi Dimitrov étant arrêté pour cette raison à de nombreuses reprises de manière brève, la polarisation se produisant d’autant plus qu’à partir de septembre 1915, la monarchie bulgare fit entrer le pays dans la guerre, du côté de l’Allemagne.

Finalement, Georgi Dimitrov fut condamné à trois ans de prison, qu’il commença en août 1918, pour s’être rebellé en août 1917 contre un officier chassant un blessé de la première classe d’un train. L’accusation officielle fut « l’incitation des militaires à la désobéissance et à l’indiscipline en temps de guerre ».

L’effondrement du régime dans les mois qui suivirent amenèrent sa libération dès le mois de décembre, alors que le pays était passé proche d’une insurrection populaire avec les soldats à leur tête, seule la capitulation restaurant la situation, la monarchie réussissant coûte que coûte à se maintenir.

Et en mai 1919, le Parti Ouvrier Social-démocrate (étroit) devint le Parti Communiste bulgare (étroit), reconnaissant les 21 conditions pour adhérer à l’Internationale Communiste.

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Georgi Dimitrov fit partie du Comité Central, devenant un tribun fameux dans le pays, un agitateur hors pair dans un climat général de tension : il y eut 135 grèves en 1919, impliquant 80 000 travailleurs.

Le 24 décembre 1919, Georgi Dimitrov était ainsi à la tête d’une vaste manifestation populaire, dont les revendications furent :

« Pain, charbon, logement et vêtements pour les masses populaires ; rétablissement des libertés politiques ; cessation de toute distribution de vivres aux contre-révolutionnaire russes. »

Une grève générale se produisit également du 29 décembre au 3 janvier 1920.

Alors que le Parti disposait désormais d’une base de 22 000 personnes, les élections d’août 1919 lui accordèrent même 18 % des voix, soit 47 députés, étant uniquement devancés par les agrariens. Aux élections de mars 1920, le Parti obtint 20 % des voix et 51 députés, mais neuf furent mise de côté par le régime afin de maintenir une stabilité gouvernementale.

De la même manière, 65 conseils municipaux devenus communistes furent annulés.

Georgi Dimitrov fut lui-même poursuivi par la justice, ainsi que tout le Comité Central, sur acte d’accusation du procureur au tribunal militaire de Sofia, réclamant sa condamnation à mort pour activité subversive aux termes des articles 113, 114, 144 et 172 du code pénal.

La raison en fut le document du 15 décembre 1919 intitulé « Appel à la classe ouvrière de Bulgarie pour l’organisation d’actions de protestation contre le soutien du gouvernement bulgare aux armées contre-révolutionnaires des gardes blancs ».

En novembre 1920, Georgi Dimitrov fut traduit en justice aux termes des articles 138, 154, 173 et 248 du code pénal, prévoyant l’emprisonnement à vie, en raison de son discours du 7 novembre 1920 dans le quartier juif de Sofia, intitulé « En l’honneur et pour la défense de la Russie fraternelle ».

Georgi Dimitrov et sa compagne
Georgi Dimitrov et sa compagne

Cependant, le Parti se développait et Georgi Dimitrov partit en Russie pour le IIIe congrès de l’Internationale Communiste en 1921, rencontrant Lénine, et des visites en Allemagne, ainsi qu’en Autriche et en Italie, deux pays où il est présent lors des congrès fondateurs des Partis Communistes.

Il y avait déjà été envoyé en 1920, mais s’était fait arrêter sur la côte de la Roumanie où son embarcation avait été poussée par une tempête.

Georgi Dimitrov rejoignit ensuite le bureau exécutif de l’Internationale Syndicale Rouge, à la fin de l’année 1921, se voyant attribuer comme responsabilité la supervision de la zone balkanique. Il participa également aux travaux du IVe congrès de l’Internationale Communiste.

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Georgi Dimitrov et le syndicalisme

Georgi Dimitrov est né le 18 juin 1882, dans le village de Kovatchevtsi près de Pernik, une région minière non loin de Sofia. Il est né dans les champs, sa mère servant d’aide aux champs, avant de devenir servante, tandis que son père parvint par la suite à s’installer comme artisan de chapeaux à Sofia.

Ses parents provenaient tous deux de la région de Krésna-Razlog, marquée à la fin du XIXe siècle par un soulèvement bulgare anti-ottoman, dans le cadre du refus de la Macédoine bulgare de rester dans le giron ottoman.

La Bulgarie
La Bulgarie, toute proche de la Turquie actuelle

Elle s’était convertie à l’évangélisme, dans un pays dominé par le christianisme orthodoxe, mais à dix ans Georgi Dimitrov fut exclu des cours du dimanche et publia très jeune une revue anti-cléricale, Kukurigoo (Cocorico), qui n’eut cependant que deux numéros.

Georgi Dimitrov était le plus vieux de ses huit frères et sœurs, mais il ne reprit pas le métier de son père comme c’était souvent le cas ; il devint ouvrier-typographe, activité consistant à placer les lettres sur l’imprimerie conformément aux manuscrits.

Cela présupposait de savoir lire et les ouvriers-typographes appartiennent historiquement à la fraction la plus consciente du prolétariat. À ce titre, le Parti Ouvrier Social-Démocrate bulgare, qui avait été créé le deux août 1891, a généré son premier syndicat en novembre 1894 justement dans cette fraction, comme Centrale ouvrière des imprimeurs.

Georgi Dimitrov participa à la première grève de celle-ci,en février 1895, comme représentant des apprentis dans le comité de grève. Si la grève impliquant 200 ouvriers dans 13 imprimeries échoua, une nouvelle vague de grèves eut lieu durant les années 1899 et 1900, après réorganisation du syndicat comme Société ouvrière des imprimeurs.

Une anecdote consiste en ce que Georgi Dimitrov était le seul à parvenir à déchiffrer l’écriture d’un ministre, Radoslavov. Or, celui-ci insultait les ouvriers manifestant le 1er mai dans un article en 1898, ce qui fit que Georgi Dimitrov refusa d’établir le texte pour l’imprimerie, le responsable de celui-ci se voyant obliger de céder, car ne trouvant personne d’autres. Radoslavov lui rappellera l’épisode plus tard au parlement, lorsque Georgi Dimitrov deviendra député lui aussi.

La Bulgarie en Europe

Georgi Dimitrov en devint le responsable en 1901, devenant une figure de l’agitation, alors qu’à l’arrière-plan se développait le Parti Ouvrier Social-Démocrate, sous l’égide de Dimitar Blagoev, dont deux écrits fameux alors étaient notamment « Nos apôtres » et « Pour Christo Botev ».

Figure historique du socialisme à ses débuts, il avait même fondé le premier groupe social-démocrate en Russie, lors d’un séjour universitaire à Saint-Pétersbourg en 1883-1884, avant de se faire expulser, ayant étudié le premier tome du Capital (qu’il traduisit en bulgare), des œuvres de Ferdinand Lassalle, la brochure de Georgi Plekhanov « Le socialisme et la lutte politique ».

Dimitar Blagoev publia la première brochure social-démocrate : « Qu’est-ce que le socialisme et trouve-t-il un terrain propice chez nous ? » et participa à toutes les revues et journaux sociaux-démocrates, devenant pendant 22 ans le rédacteur de l’organe théorique du Parti, Nové Vrémé.

Georgi Dimitrov rejoignit alors ce parti en 1902, qui connut justement en 1903 une scission, Dimitar Blagoev maintenant le cap marxiste, dans la lignée de Karl Kautsky, face à une interprétation ouverte, dans un esprit de compromis, etc., d’où l’opposition entre les « étroits », partisans d’une ligne stricte dite « étroite » (tesniatzi),  et les « larges », partisans d’une politique d’ouverture dite « large » (chiroki).

Dimitar Blagoev

Georgi Dimitrov se situait dans le camp des « étroits », dans la section de Sofia qui a alors 53 membres, lui-même devenant par la suite son délégué, participant à ce titre en 1904 aux travaux du XIe congrès du Parti, tout comme au suivant, jusqu’en 1909 où le XVIe congrès le nomme au Comité Central.

Il participa également aux congrès de l’Union Générale Syndicale Ouvrière, dans une situation marquée par une classe ouvrière encore très faible ; il n’y avait en Bulgarie en 1901 que 200 usines, dont plus de la moitié avait moins de vingt ouvriers.

Il y avait par conséquent une lente montée en puissance et Georgi Dimitrov s’inséra dans ce processus, devenant progressivement une figure de la classe ouvrière s’affirmant historiquement.

Son premier article dans le journal du Parti, le Rabotnicheski Vestnik (Le journal des ouvriers), traitait d’ailleurs en juin 1903 de « l’opportunisme dans les syndicats ».

Il devint par la suite un permanent du Parti Ouvriers Social-Démocrate (étroit) de Dimitar Blagoev, qui regroupait ainsi 1200 activistes, avec un tiers d’ouvriers, ainsi que le responsable de l’Union Générale des Syndicats (ORSS) lié au Parti.

Il y eut alors des grèves marquantes, comme celle des mineurs de Pernik, en 1906, qui dura 35 jours et fut dirigé par Georgi Dimitrov, qui fut alors ramené à Sofia escorté par la police. La grève se répéta à de nombreuses reprises, Georgi Dimitrov étant à chaque fois en première ligne), celle des ouvriers du textile de Slivène en 1908, celle en 1909 des ouvriers de la fabrique d’allumettes de Kostenetz, qui dura trois mois, celle en 1910 des mineurs de Plakalnitza et des ouvriers du tabac à Plovdiv, celle en 1913 des typographes à Sofia.

Le jeune Georgi Dimitrov

En 1912, l’ORSS avait 8500 adhérents ; le Parti avait de son côté 2900 adhérents et les « larges » pareillement et Georgi Dimitrov devint dans ce cadre une figure majeure du mouvement ouvrier.

Du 10 juillet au 10 août 1912, il purgea même une peine d’un mois de prison pour « offense » au socialiste de droite Moutafov, qualifié de falsificateur et d’indicateur de la police.

Et il devint alors député, en novembre 1913, à l’âge de 31 ans, dans les départements de Vratza et Tirnovo, et secrétaire du groupe parlementaire social-démocrate.

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Georgi Dimitrov, une grande figure historique

Georgi Dimitrov
Georgi Dimitrov

Georgi Dimitrov a été l’une des personnalités les plus connues mondialement durant les années 1930, marquant de son sceau l’histoire des années 1940 et 1950. Il est impossible de s’intéresser à l’Histoire du monde sans lui accorder une place extrêmement importante.

Les raisons pour cela sont multiples : tout d’abord, il fut la victime d’un procès retentissant en Allemagne nazie en 1933, attirant une attention très approfondie de la presse mondiale et de l’opinion démocratique mondiale.

Georgi Dimitrov renversa en effet le procès, passant d’accusé à accusateur et dénonçant le nouveau régime hitlérien et le fascisme en général.

Sa victoire obtenue à cette occasion en fit une figure de proue de la lutte contre le fascisme et, effectivement, il devint même le grand théoricien de l’antifascisme comme Front populaire, ce qui le propulsa à la tête de l’Internationale Communiste.

C’est cette conception qui fut au cœur des Fronts populaires en France et en Espagne, et qui fut systématiquement assumée par la suite par les communistes durant la Seconde Guerre mondiale impérialiste.

C’est très précisément ce qu’on appelle l’antifascisme, conception donc définie par Georgi Dimitrov et accusée par l’ultra-gauche, anarchiste et trotskyste, de soumission contre-révolutionnaire à la bourgeoisie, de par la mise en avant de la démocratie.

L’antifascisme souligne, en effet, que le fascisme est une tendance à laquelle s’oppose la démocratie comme contre-tendance, et non pas la « révolution ».

Cette approche, Georgi Dimitrov la doit à sa propre expérience dans son pays, la Bulgarie connaissant dans les années 1920 un régime réactionnaire ayant été renversé par un coup d’État militaire, ce qui a alors totalement débordé les communistes qui sont restés initialement passifs.

Le prix de cette passivité fut celui du sang et cette leçon retenue ; Georgi Dimitrov théorisa alors la démarche selon laquelle le fascisme doit être considéré comme ennemi principal.

Le Front unique est alors le vecteur de cette bataille pour la démocratie qui ne peut – dans le cadre de la crise générale du capitalisme, de la tendance à la guerre impérialiste, de l’effondrement du capitalisme monopoliste – que nécessairement aboutir à un nouveau type de régime, la démocratie populaire.

C’est cette ligne qui fut adoptée, après 1945, dans les pays de l’Est européen, aboutissant à la formation des démocraties populaires.

L’importance historique de Georgi Dimitrov est donc plus que significative : elle reflète la synthèse effectuée par le mouvement communiste après la première vague, celle des années 1920, consistant en la ligne du Front populaire des années 1930 et 1940, ligne se prolongeant jusqu’à la mise en place d’une nouvelle forme de régime, la démocratie populaire.

Cependant, en raison de cette substance politique et idéologique, la figure de Georgi Dimitrov ne peut être comprise que par les communistes.

En effet, il y a du côté de la bourgeoisie la négation de la richesse historique du communisme, accolé au souci d’accabler celui-ci de manière unilatérale sous le vocable de « stalinisme ».

Le parcours historique de Georgi Dimitrov – tout comme notamment celui du Parti Communiste de Grèce et de l’Armée Démocratique de Grèce après 1945 – montre l’ineptie de la conception bourgeoisie, de par sa réalité historique et sa profonde signification.

Il y a également eu, du côté des faux communistes, les révisionnistes qui ont suivi Nikita Khrouchtchev à la mort de Staline, un travail patient d’effacement des enseignements de Georgi Dimitrov sur le Front populaire et de la démocratie populaire.

Les démocraties populaires de l’Est européen devinrent, miraculeusement et sans raison concrète, des pays « socialistes » ; le Front populaire devint un concept altéré, servant uniquement le principe de « programme commun ».

Enfin, il est nécessaire de souligner la tentative générale de l’ultra-gauche anarchiste de récupérer le terme d’antifascisme pour une démarche « révolutionnaire » à prétention « anticapitaliste » qui est précisément à l’opposé de la conception réelle et historique de l’antifascisme.

Le rétablissement de la figure historique de Georgi Dimitrov est par conséquent d’une haute signification.

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