Le passage à l’impressionnisme, au symbolisme, se fit par conséquent de manière toute naturelle. Dès février 1886, à l’occasion du salon des XX, on trouve dans L’Art moderne un éloge de l’impressionnisme, c’est-à-dire de l’expression du subjectivisme français.
L’impressionnisme est considéré comme une évolution naturelle de l’Art, évolution dont les lois restent inconnues mais qu’il faut accepter.
On lit :
« Et l’Impressionnisme fut officiellement reconnu, comme l’avait été le Réalisme qui le précéda et qui favorisa son éclosion, comme aussi le Romantisme, et le Classicisme, irrévérencieusement dénommé actuellement Pompiérisme.
Il marque une évolution dans l’Art de la peinture. Il est le dernier tour de roue de ce vaste engrenage, toujours en mouvement, dont aucune force humaine ne pourrait entraver le fonctionnement, qu’il est aussi puéril d’attaquer qu’absurde de nier.
Il correspond aux lois, plus mystérieuses encore, qui gouvernent la transformation des sociétés dans leurs goûts, leurs idées, leurs aspirations, leur idéal.
Peut-être des influences physiques se mêlent-elles aux causes morales qui opèrent ces lentes, fatales, inéluctables évolutions. Question complexe, difficile à résoudre avec précision.
Le bon sens indique l’attitude à prendre : examiner avec soin les phénomènes auxquels le hasard des événements nous fait assister, en noter scrupuleusement les phases, observer les distinctions que crée la diversité des races parmi ceux qu’emporte le courant.
De ces documents naîtra l’histoire de l’Art contemporain. Et à cet égard, le Salon des XX fournit une merveilleuse occasion de s’instruire, attendue d’ailleurs de tous ceux qui ont pénétré le but social énergiquement poursuivi par la jeune association. »
Une semaine après, on lit encore dans L’Art moderne, dans un article prolongeant cette exposition de l’impressionnisme :
« On s’est efforcé en France, de trouver en peinture la réalisation d’une idée neuve : celle d’exprimer la sensation que provoque la nature, non pas étudiée à travers des souvenirs ou examinée à la lumière des lanterneaux d’ateliers, mais surprise dans l’air qui la caresse, sous le jour qui la baigne ; on a décomposé le prisme solaire pour faire vibrer sur la toile l’éclat du soleil ; on a poussé jusqu’aux recherches les plus minutieuses les dégradations du ton par la lumière, au lieu den donner l’illusion par l’opposition des clairs et des ombres, comme l’avaient fait des artistes – des plus grands – autrefois.
Le groupe des impressionnistes est né. Est-ce bien le nom qui convenait à ces amants de la lumière ? Et n’eût-il pas fallu plutôt les baptiser « luministes » ? Mais qu’importe l’étiquette ! Nous avons dit déjà qu’on n’y doit pas prendre garde.
Et ce groupe a produit des œuvres remarquables, d’une clarté et d’une intensité qui n’avaient guère été égalées avant lui (…).
A Paris, il n’est plus contesté que par les ignorants et les imbéciles.
Il interprète, disons-nous, la nature comme il la sent. C’est ce que font aussi nos impressionnistes. Mais la diversité des tempéraments et de races crée entre Claude Monet – et en parlant du chef nous entendons parler du groupe tout entier – et les impressionnistes belges des divergences profondes.
Nos compatriotes ont un sentiment plus raffiné des colorations.
Ils sont, sans contredit, plus peintres au sens exact du terme. La qualité des tons est, chez eux, plus riche ; leurs rapports sont plus harmonieux ; les accords dont retentit leur palette sont plus sonores, plus graves. A ce point de vue, la balance penche de leur côté.
Et s’il fallait chercher, dans la peinture contemporaine, une famille artistique à laquelle se puissent rattacher, par des liens d’affinité, nos artistes, c’est vers la jeune école hollandaise, non pas vers l’art français, qu’il conviendrait de tourner les regards.
En revanche, quel exemple que l’exacte expression des valeurs dans les toiles profondes, bien établies et solidement charpentées de Claude Monet !
Les plans sont tous indiqués, « calés » comme on dit en argot d’atelier. Rien n’est laissé au hasard de la brosse ou du couteau à palette. Et le côté superficiel, décoratif, qu’on reproche à certains peintres belges, est rarement sensible chez leur confrère de Giverny.
Quelle belle et suprême expression d’art réaliserait celui qui parviendrait à unir la claire, limpide et calme vision de Monet, sa science et son autorité, au savoureux régal de couleurs, aux délicates harmonies des impressionnistes belges ! Mais quel sera le tempérament assez complet pour accomplir ce prodige ? »
En juin 1886, on lit un article intitulé pas moins que « Les vingtistes parisiens », où les impressionnistes sont assimilés aux vingtistes et inversement. Il est affirmé la chose suivante :
« Il y a, en effet, à Paris, loin de cette esplanade de parade qu’on nomme le Salon, un champ de bataille où l’on mitraille l’esthétique bourgeoise, où l’on sabre les conventions académiques, et le drapeau qu’agitent les victorieux ressemble fort à celui que certain groupe d’artistes bruxellois, pas mal bousculés à l’origine, aujourd’hui certains du triomphe, ont audacieusement déployé.
Là-bas, comme ici, il signifie : affranchissement de l’art à l’égard des formules dans lesquelles on l’emprisonne ; expression sincère d’une émotion ressentie ; dédain des petits moyens par lesquels on séduit les foules ; indifférence absolue au sujet des distinctions par lesquelles on classe les artistes, comme les commis dans les ministères.
A Paris, on a baptisé Impressionnistes ceux que ce drapeau a ralliés. A Bruxelles, on les nomme Vingtistes.
Et ce double néologisme sonne comme un appel de clairon aux oreilles des timorés. »
Cette assimilation à l’impressionnisme, nécessaire de par la tendance au subjectivisme, formant une convergence avec la France, n’alla pas sans problèmes.