Le gouvernement du Congrès a arrêté un millier
de communistes ce dernier mois.
La majorité de la direction centrale et
provinciale est aujourd’hui en prison.
Gulzarilal Nanda a annoncé qu’il n’accepterait
pas le verdict des urnes (et il ne l’a pas fait), et a commencé à
débiter des absurdités à propos de la guérilla.
Cette offensive contre la démocratie a démarré
à cause de la crise interne et internationale du capitalisme.
Le gouvernement indien est progressivement devenu
le partenaire politique principal dans l’expansion de l’hégémonie
mondiale de l’impérialisme américain.
Le principal objectif de l’impérialisme américain
est de consacrer l’Inde comme la principale base réactionnaire en
Asie du Sud-Est.
La bourgeoisie indienne est incapable de trouver
quelque voie que ce soit pour résoudre sa crise interne.
La crise alimentaire endémique, les prix toujours
plus élevés, créent des obstacles au plan quinquennal, et comme
conséquence, il n’y a plus d’autre solution pour la bourgeoisie
indienne pour sortir de la crise que d’importer toujours plus de
capital impérialiste anglo-américain.
Comme conséquence de cette dépendance à l’égard
de l’impérialisme, la crise interne du capitalisme augmente jour
après jour.
La bourgeoisie indienne n’a pas été capable de
trouver d’autre moyen, à part liquider la démocratie, confrontée
aux exigences de l’impérialisme américain et de sa propre crise
interne.
Il y avait des exigences impérialistes derrière
ces arrestations, puisque le chef de la police américaine Macbright
était à Delhi pendant l’arrestation des communistes, et qu’elle a
partout eu lieu seulement après des discussions avec lui.
En liquidant la démocratie, il ne peut y avoir de
solution à cette crise, et la bourgeoisie indienne sera aussi
incapable de la résoudre.
Au plus le gouvernement dépendra de
l’impérialisme, au plus il faillira dans la solution de sa crise
interne.
Chaque jour qui passera, le mécontentement du
peuple augmentera, et la contradiction interne de la bourgeoisie
augmentera.
Le capital impérialiste exige l’arrestation des
communistes comme un préalable aux investissements ; il veut
aussi une solution temporaire à la pénurie alimentaire.
Pour résoudre cette pénurie alimentaire, des
mesures pour arrêter la spéculation dans l’alimentation sont
nécessaires, et c’est pour cela que le contrôle est nécessaire.
Dans un pays à l’économie arriérée comme
l’Inde, ce contrôle fait invariablement face à une opposition d’un
large secteur.
Cette contradiction de la bourgeoisie n’est pas
principalement un conflit entre les capitalistes monopolistes et la
bourgeoisie nationale.
Ce conflit est essentiellement entre les
commerçants et les industriels monopolistes.
Dans un pays à l’économie arriérée, les
commerce dans l’alimentation et les denrées de première nécessité
est inévitable pour la création de capital, et le contrôle crée
des obstacles dans la création de ce capital, et comme conséquence,
la contradiction interne prend la forme d’une crise interne.
L’Inde est un pays vaste.
Il n’est pas possible de diriger 450 millions
d’habitants en suivant une politique de répression.
Il n’est pas possible, pour quelque pays
impérialiste, de prendre une telle responsabilité. L’impérialisme
américain est pris de convulsions en gardant ses engagements envers
les pays auxquels il a promis son aide.
Pendant ce temps, une crise industrielle se
développe aux États-Unis.
Cela se voit dans la déclaration même du
Président Johnson selon laquelle le nombre de chômeurs augmente
dans le pays.
Selon le communiqué officiel, quatre millions de
personnes sont absolument au chômage ; 35 millions de personnes sont
en chômage partiel, et dans les usines aussi, le chômage partiel
continue. Le gouvernement indien échouera donc à contenir le
mécontentent toujours croissant du peuple.
Cette attaque contre la démocratie transformera
inévitablement le mécontentement populaire en luttes.
Des indications sur les formes de lutte de demain
sont disponibles dans le mouvement linguistique de Madras.
L’ère à venir n’est donc pas seulement une ère
de grandes luttes mais aussi de grandes victoires.
Par conséquent, le Parti Communiste devra prendre
la responsabilité de diriger les luttes révolutionnaires du peuple
dans l’ère à venir, et nous serons capables de mener cette tâche à
bien seulement quand nous serons capables d’édifier l’organisation
du parti comme une organisation révolutionnaire.
Quelle est la base principale pour édifier
l’organisation révolutionnaire ?
Le camarade Staline a dit : « La base principale
dans l’édification de l’organisation révolutionnaire est le cadre
révolutionnaire. »
Qui est ce cadre révolutionnaire ?
Le cadre révolutionnaire est celui qui peut
analyser la situation de sa propre initiative et peut adopter une
politique en fonction.
Il n’attend l’aide de personne.
Nos Slogans Organisationnels :
1. Chaque membre du Parti doit former au moins un
Groupe de cinq militant. Il instruit les cadres de ce Groupe Militant
en éducation politique.
2. Chaque membre du Parti doit veiller à ce
qu’aucun camarade ne soit exposé à la police.
3. Il doit y avoir un local clandestin pour les
réunions de chaque Groupe Militant. Si nécessaire, des abris pour
en garder un ou deux dans la clandestinité doivent être mis en
place.
4. Chaque Groupe Militant doit déterminer une
personne pour les contacts.
5. Un endroit doit être mis en place pour cacher
les documents secrets.
6. Un membre du Groupe Militant doit devenir
membre du Parti dès qu’il devient expert en éducation et travail
politiques.
7. Après être devenu membre du Parti, le Groupe
Militant doit couper tout contact avec.
On doit adhérer fermement à ce style
organisationnel.
Cette organisation elle-même prendra dans le
futur la responsabilité de l’organisation révolutionnaire.
Quelle sera l’éducation politique ?
La base principale de la révolution en Inde est
la révolution agraire.
Le slogan principal de la campagne de propagande
politique sera donc « réussir la révolution agraire ».
C’est seulement dans la mesure où nous serons
capables de répandre le programme de la révolution agraire parmi
les ouvriers et la petite-bourgeoisie et de les éduquer ainsi,
qu’ils seront formés dans l’éducation politique. Chaque Groupe
Militant doit discuter de l’analyse de classe parmi la paysannerie,
de la propagande pour le programme de la révolution agraire.
C’est l’une des questions les plus importantes
dans le monde aujourd’hui. Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ? La
révolution indienne, dans les années 1960, a-t-elle produit une
pensée guide, par un dirigeant révolutionnaire ayant compris la
nature de la société indienne ?
De nos jours, les révolutionnaires indiens disent que non, étant donné qu’ils rejettent le principe lui-même depensée guide. Est-ce correct ? Regardons cela, comme c’est, ce 21 septembre, le dixième anniversaire de la fondation du Parti Communiste d’Inde (Maoïste).
Charu Mazumdar
Charu Mazumdar et le PCI (ML)
La date choisie pour la fondation du Parti
Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) – PCI (ML) fut le 22 avril
1969, parce que Lénine était né le 22 avril 1870.
Le PCI (ML) était pratiquement né directement de
la lutte de Charu Mazumdar dans le Parti Communiste d’Inde
(Marxiste), donnant naissance à la « Comité pan-indien de
coordination des révolutionnaires communistes » et ensuite au PCI
(ML).
Dans cette lutte, Charu Mazumdar écrivit de
nombreux documents pour proposer une ligne révolutionnaire, dont
l’expression fut principalement l’organe révolutionnaire
« Liberation ».
Comment une pensée guide doit-elle être définie
?
Pour comprendre s’il y a une Pensée Charu
Mazumdar, nous devons définir le critère d’une telle pensée guide.
Une pensée guide est produite par un dirigeant
révolutionnaire comprenant la situation sociale de son pays et
promouvant une lutte authentiquement révolutionnaire – par un
Parti -, sur une base scientifique et sans compromis avec le
révisionnisme.
Cela signifie qu’un révolutionnaire, dans un pays
donné, participe à la lutte des classes et par les travaux
scientifiques, comprend les contradictions sociales, qu’il explique,
organisant l’avant-garde sur ces conceptions, pavant la voie pour la
guerre populaire.
L’Inde en lutte et Charu Mazumdar
Comme le révolutionnaire formant la pensée guide
participe à la lutte de classe, nous devons voir quelles luttes
Charu Mazumdar connaissait. De fait, nous le trouvons dans le
mouvement paysan Tebhaga en 1946 et bien entendu de manière plus
connue la révolte paysanne de Naxalbari en 1967.
Parlant au sujet du mouvement Tebhaga, Charu
Mazumdar nous dit, alors qu’il était un témoin actif depuis la
clandestinité :
« Les paysans participant à ce mouvement étaient au
nombre d’environ six millions. Il faut se souvenir ici que pour
l’ensemble du mouvement paysan c’était l’âge d’or. Dans le
caractère massif du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans
l’expression de la haine de classe, ce mouvement était le plus haut
niveau de la lutte de classes. »
Parlant au sujet du mouvement Naxalbari, Charu
Mazumdar explique :
« Si la lutte paysanne de Naxalbari a une leçon
quelconque pour nous, c’est : les luttes militantes doivent être
menées non pas pour la terre, pour les récoltes, etc., mais pour la
prise du pouvoir d’Etat. C’est précisément cela qui donne son
caractère unique à la lutte de Naxalbari. »
Les « naxals » et les huit documents
historiques
La participation a conduit Charu Mazumdar à
former l’arrière-plan théorique de ce qui sera connu comme le
mouvement « naxalite ». Il a organisé la rupture avec le Parti
Communiste d’Inde (Marxiste) qui était devenu révisionniste.
Ainsi, Charu Mazumdar a théorisé ce qu’il a pensé comme étant la voie nécessaire pour la révolution indienne, notamment ce qui est connu comme les « huit documents historiques » : « Nos tâches dans la situation actuelle », « Faire de la Révolution Démocratique Populaire un succès en luttant contre le révisionnisme », « Quelle est la source de l’éruption révolutionnaire spontanée en Inde », « Continuer la lutte contre le révisionnisme moderne », « Quelle possibilité indique l’année 1965 ? » ; « La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le Parti vraiment révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme », «Prendre cette opportunité », « Continuer en avant la lutte paysanne en combattant le révisionnisme ».
Charu Mazumdar
La nature des écrits de Charu Mazumdar
Le contenu des écrits de Charu Mazumdar à
analyser doit être divisé en quatre types :
* d’un côté :
– ceux traitant de la lutte armée, dans l’esprit
de la révolte de Naxalbari,
– ceux traitant de la construction du Parti ;
* de l’autre côté :
– ceux traitant de la société indienne,
– ceux traitant de l’idéologie comme guide
révolutionnaire.
Le premier aspect est lié à la forme de la
lutte, le second à l’infrastructure du pays.
L’Inde comme pays semi-féodal semi-colonial
Charu Mazumdar défend le point de vue du
matérialisme dialectique au sujet de l’Inde. Selon lui :
« Le système social qui existe en Inde est semi-féodal
et semi-colonial. Ainsi, la révolution démocratique dans ce pays
signifie la révolution agraire. Tous les problèmes de l’Inde sont
liés à cette tâche. »
C’est la position correcte expliquant que l’Inde a
besoin d’une Révolution de Nouvelle Démocratie.
« Venez, camarades, que tous les travailleurs se
préparent de manière unie pour la lutte armée contre ce
gouvernement, sous la direction de la classe ouvrière, sur la base
du programme de la révolution agraire. D’autre part, posons la
fondation de l’Inde de nouvelle démocratie populaire en construisant
des zones paysannes libérées par des révoltes paysannes. »
La révolution agraire
La question est ici : est-ce que Charu Mazumdar a
formulé la voie pour la révolution agraire ? Oui, il l’a fait. Il a
analysé la société indienne et proposé une voie à suivre. Voici
comment il l’explique :
« La révolution agraire est la tâche de ce moment
précis ; cette tâche ne peut pas être laissée non réalisée, et
sans la réaliser, rien de bien ne peut être fait pour les paysans.
Mais avant de mener la révolution agraire, la
destruction du pouvoir d’État est nécessaire. Faire des efforts
pour la révolution agraire sans la destruction du pouvoir d’Etat,
cela revient à un révisionnisme complet. Par conséquent, la
destruction du pouvoir d’Etat est aujourd’hui la première et
principale tâche du mouvement paysan.
Si cela ne peut pas être fait sur une base à l’échelle
de tout le pays, de tout l’Etat, les paysans attendront-ils
silencieusement ? Non, le marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong nous
a enseigné que si dans une zone les paysans peuvent être soulevés
politiquement, alors on doit aller de l’avant avec la tâche de
détruire le pouvoir d’État dans cette zone. C’est ce qui est
appelé comme une zone libérée de paysans.
La lutte pour construire cette zone libérée est la
tâche la plus urgente du mouvement paysan aujourd’hui, un tâche du
moment. Que devons-nous appeler une zone libérée ? Nous devons
appeler cette zone paysanne libérée là où nous avons été
capable de renverser les ennemis de classe. Pour construire cette
zone libérée, nous avons besoin de la force armée des paysans.
Lorsque nous parlons de force armée, nous avons à l’esprit les
armes faites par les paysans. Ainsi, nous voulons également des
armes. »
La lutte armée comme tâche centrale
Comme la révolution agraire nécessite la
destruction de l’Etat, alors la position de Charu Mazumdar est, en
elle-même, celle de la lutte armée. Pour lui, il est clair que :
« Nous sommes encore incapable de réaliser que dans
l’époque présente, nous ne pouvons pas construire des mouvements de
masse pacifiquement. Car la classe dominante ne nous donnera pas et
ne nous donne pas non plus une telle opportunité. »
Et malgré cela :
« Il y a quelques camarades qui prennent peur lorsque
les luttes armées sont mentionnées, et continuent d’y voir le
spectre de l’aventurisme. »
Selon Charu Mazumdar, la seule conséquence
logique de tout cela est que :
« Si nous prenons conscience de la vérité comme quoi
la révolution indienne prendra invariablement la forme de la guerre
civile, alors la tactique de la prise du pouvoir par zone est la
seule tactique. La tactique de la prise du pouvoir en Chine est la
seule tactique. La tactique qui a été adopté par le grand
dirigeant de la Chine Mao Zedong – la même tactique doit être
adoptée par les marxistes indiens. »
L’anéantissement
Ce n’est pas tout. La position clef de Charu
Mazumdar dans son affirmation de la lutte armée est la politique de
l’anéantissement. Cela lui est très particulier ; au début des
années 1970, la politique de l’anéantissement était la pensée de
Charu Mazumdar en elle-même.
Voici comment il explique sa conception :
« Tous les types de mouvement doivent être portés à
toutes les époques, mais la forme du mouvement principal dépend de
la classe dominante.
La caractéristique présente de notre époque est que le
gouvernement combat tout mouvement par de violentes attaques. Ainsi,
pour le peuple, le mouvement de résistance armée est apparu comme
la nécessité la plus importante.
Ainsi, dans l’intérêt des mouvements de masse, l’appel
doit être donné à la classe ouvrière, la paysannerie combattante
et chaque personne combattante : (1) prendre les armes ; (2) former
des unités armées pour la confrontation ; (3) éduquer
politiquement chaque unité armée.
Ne pas donner cet appel signifie pousser sans
considération les masses désarmées à la mort. La classe dominante
veut cela, car de cette manière ils peuvent briser la force de
l’esprit des masses combattantes. Les masses agitées aujourd’hui
attaquent des stations de train, des commissariats, etc.
D’innombrables agitations éclatent contre les bâtiments
gouvernementaux, ou les bus, les trams et les trains.
C’est comme l’agitation des Luddites contre les machines.
Les révolutionnaires doivent apporter la direction consciente,
frapper les bureaucrates haïs, les employés de la police, les
officiers militaires ; le peuple doit se voir enseigner que la
répression n’est pas faite par les commissariats, mais par les
officiers en charge de ceux-ci, les attaques ne visent pas les
bâtiments gouvernementaux ou les transports, mais les hommes de la
machine répressive du gouvernement, et c’est contre ceux-ci que nos
attaques sont dirigées.
La classe ouvrière et les masses révolutionnaires
doivent se voir enseigner qu’elles ne doivent pas attaquer simplement
pour attaquer, mais doivent finir la personne qu’elles attaquent.
Car, si elles attaquent seulement, la machinerie réactionnaire se
vengera. Mais si elles anéantissent, chaque élément de la
machinerie répressive basculera dans la panique. »
La bataille de l’anéantissement
L’anéantissement n’est pas seulement une tactique
décisive, c’est la stratégie, la pensée de Charu Mazumdar en
elle-même. L’anéantissement est considérée comme le principe en
lui-même de la lutte de classe. Charu Mazumdar dit :
« Sans la lutte de classe – la bataille de
l’anéantissement – l’initiative des masses paysannes pauvres ne
peut pas être lancée, la conscience politique des combattants ne
peut pas être élevée, l’humain nouveau ne peut pas émerger,
l’armée du peuple ne peut pas être créé.
Ce n’est qu’en menant la lutte de classe – la bataille
de l’anéantissement – que l’humain nouveau sera créé, l’humain
nouveau qui défiera la mort et sera libre de toutes les pensées
d’intérêt personnel.
Et avec cet esprit défiant la mort, il se rapprochera de
l’ennemi, volera son fusil, vengera les martyrs et l’armée du peuple
émergera.
Se rapprocher de l’ennemi est nécessaire pour conquérir
toute pensée de soi. Et cela ne peut être achevé que par le sang
des martyrs. Qui inspire et crée des humains nouveaux à partir des
combattants, les remplit avec la haine de classe et les fait aller
proche de l’ennemi et lui arracher à mains nues son fusil. »
Et c’est universel :
« L’anéantissement de la classe ennemie – cette arme
dans nos mains – est le plus grand danger des réactionnaires et
des révisionnistes dans le monde entier. »
Charu Mazumdar
Le Parti militarisé
La conséquence de la conception de Charu Mazumdar
est que le PCI (ML) fut un Parti militarisé opérant depuis la
clandestinité. La tâche primaire des cadres était la lutte armée.
Charu Mazumdar explique ici :
« La signification des Groupes Activistes du Parti
aujourd’hui est qu’ils seront des « unités combattantes ». Leur
devoir principal sera la campagne de propagande politique et de
frapper les forces contre-révolutionnaires.
Nous devons toujours garder à l’esprit que
l’enseignement de Mao Zedong – « les attaques ne sont pas
menées dans l’intention d’attaquer simplement, les attaques sont
seulement pour l’anéantissement ». Ceux qui doivent être
attaqués sont principalement : (1) les représentants de la
machinerie d’Etat comme la police, les officiers militaires ; (2) la
bureaucratie haïe ; (3) les ennemis de classe.
L’objectif de ces attaques doit également être
l’obtention d’armes. A l’époque présente, ces attaques peuvent être
menées partout, dans les villes et dans les campagnes. Notre
attention particulière doit être donnée spécialement dans les
zones paysannes. »
Le volontarisme
Pour Charu Mazumdar, l’époque entière était
marquée par la lutte armée ; il parle de « l’époque de
la lutte armée », il dit : « Aujourd’hui, dans
l’époque du soulèvement révolutionnaire ». En raison de
cela, il appelle au volontarisme, à l’esprit de sacrifice :
« Encore et encore, l’agitation parmi les paysans a
éclaté. Ils ont de manière répétée recherchée une orientation
de la part du Parti Communiste. Nous ne leur avons pas dit que la
politique de la lutte armée et de la campagne de collecte des armes
constituent la seule voie. Cette voie est la voie de la classe
ouvrière, la voie de la libération, la voie de l’établissement
d’une société libre de l’exploitation.
Dans chaque État de l’Inde, les paysans sont aujourd’hui
dans un état d’agitation, les communistes doivent leur montrer la
voie. La voie est celle de la politique de la lutte armée et de la
campagne de collecte d’armes. Nous devons porter de manière ferme
cette seule et unique voie de la libération.
La grande révolution culturelle de la Chine a déclaré
la guerre à tous les types d’égoïsme, de mentalité de groupe, de
révisionnisme, de suivisme de la bourgeoisie, d’éloge de
l’idéologie bourgeoise – l’impact étincelant de cette révolution
a également atteint l’Inde.
L’appel de cette révolution est : « Sois
préparé à faire de manière résolue toutes les sortes de
sacrifice, à balayer tous les obstacles le long de la voie, un par
un, la victoire sera à nous. »
Aussi terrible que soit l’apparence de l’impérialisme,
aussi horrible que soit le piège posé par le révisionnisme, les
jours des forces réactionnaires sont comptés, les brillants rayons
du soleil du marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong effaceront toute
obscurité. »
La lutte armée comme ligne de démarcation
La conséquence de la position de Charu Mazumdar
fut le rejet du révisionnisme du PCI (Marxiste), parce que ce parti
prétendait lancer la révolution un jour, mais ne s’engageait pas
dans la lutte armée.
Ainsi, la lutte armée devint le critère, la
ligne de démarcation :
« Il faut toujours rappeler que si les mots « Prise
du Pouvoir Politique » sont abandonnés, le Parti ne reste
plus un Parti révolutionnaire. Bien qu’il reste un Parti
révolutionnaire sur le plan du nom, il sera réduit en fait en un
parti réformiste de la bourgeoisie.
Lorsqu’ils parlent de la prise du pouvoir politique,
certains pensent au centre [du pouvoir]. Ils pensent qu’avec
l’expansion graduelle des limites du mouvement, notre seul objectif
est de capturer le pouvoir centralement. Cette pensée n’est pas
seulement fausse ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire
correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste. »
L’aide idéologique de la Chine
La position de Charu Mazumdar était bien connue
par la Chine Rouge, qui la soutenait. C’est ce que veut dire Charu
Mazumdar quand il dit :
« C’est pourquoi la direction internationale nous a
encore et encore rappelé de l’importance de construire un Parti. »
De fait, le Parti Communiste de Chine a saluté
fraternellement à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar. Construire
le Parti était une tâche devant arriver rapidement ; Charu Mazumdar
dit :
« Nous devons immédiatement prendre en main la tâche
de construire un tel parti. Ce n’est peut-être pas possible, juste
maintenant, de construire un tel Parti sur une base pan-indienne,
mais cela ne doit pas nous décourager.
Nous devons commencer notre travail où que ce soit où
nous pouvons construire un tel parti, quelle que soit la petitesse
d’une zone. Nous devons mettre de côté les peurs d’être une
minorité, et avancer avec une foi inébranlable dans la pensée du
Président [Mao Zedong]. »
Le Parti comme condition d’une étape supérieure
de la révolution
La révolution indienne a de fait réalisé un
grand saut avec la naissance du PCI (ML), parce que sans cela, les
luttes auraient été isolées. D’un manière correcte, dans une
position qui est celle de la social-démocratie historiquement,
lorsqu’elle était révolutionnaire, le Parti est nécessaire pour
amener le mouvement à une étape supérieure :
« L’autorité révolutionnaire ne peut pas grandir si
nous dépendons seulement des initiatives locales pour développer
toutes ces luttes sur la même voie et à une étape supérieure.
Comme résultat, ces luttes échoueront à aller à une étape
supérieure.
Pour amener ces luttes plus avant, il est nécessaire de
construire un Parti dans toute l’Inde et un centre reconnu par tous
les révolutionnaires. La discipline auto-imposée est essentielle
pour construire ce centre. »
Et ainsi, toutes les tâches étaient
inter-reliées :
« La tâche principale de notre politique sera d’établir
consciemment cette lutte armée sur une base de masse. Les trois
points élémentaires sont : (1) l’unité ouvrière-paysanne sous la
direction de la classe ouvrière, (2) l’établissement conscient de
la lutte armée sur une base de masse et (3) le ferme établissement
de la direction du Parti Communiste.
Il est impératif de ne pas mettre de côté une seule de
ces trois tâches. »
La construction du Parti comme clef
La conclusion de l’interconnexion de ces
tâches est que la construction du Parti est l’aspect principal pour
évaluer le niveau de la révolution indienne.
« Le futur de la révolution dépend d’à quelle vitesse
nous pouvons construire durant cette période les organisations du
Parti parmi les classes. De cela dépendra si nous sommes capables de
diriger ce soulèvement révolutionnaire ou pas.
Il est possible que ce soulèvement prendra place durant
la lutte arrivant pour saisir les récoltes. Faisons que les
intellectuels révolutionnaires aillent de l’avant et aident à
construire le parti révolutionnaire en répandant et en propageant
la pensée du Président Mao parmi les ouvriers et les paysans. »
Et :
« Nos tâches cardinales, ainsi, sont de construire le
Parti et de l’avoir enraciné parmi les sans-terres et les paysans
pauvres. La construction du Parti signifie le développement de la
lutte de classe armée. Et sans lutte de classe armée, le Parti ne
peut pas être développé et ne peut pas s’enraciner dans les
masses. »
La pensée de Charu Mazumdar considérée comme
reflet de la Pensée Mao Zedong
Quand il expliquait tout cela, Charu Mazumdar
considérait seulement qu’il était en train de redire la conception
de Mao Zedong. Charu Mazumdar essaie d’être l’activiste le plus
discipliné et il met en avant la pensée Mao Zedong comme pensée à
suivre :
« Nous devons sans cesse propager la
politique de la révolution agraire et la pensée du président Mao
parmi la classe ouvrière. »
« Les citations de la Guerre Populaire
publiées par les Comité Central du grand Parti Communiste de Chine
sont maintenant disponibles pour nous, une traduction en bangla ayant
déjà été publiée. Ce libre est fait à l’intention des ouvriers
et paysans révolutionnaires. Nous devons faire de celles-ci notre
propagande et notre matériel d’agitation.
Si un ouvrier est révolutionnaire ou non
sera jugé sur la base du nombre d’ouvriers et de paysans à qui il a
lu et expliqué ce livre. »
« L’organisation politique de la
jeunesse et des étudiants doit nécessairement être une
organisation Garde Rouge, et ils doivent entreprendre la tâche de
répandre les citations du Président Mao de manière aussi large que
possible dans différentes zones. »
Reconnaissance du maoïsme
Ici, nous trouvons la clef. Charu Mazumdar
reconnaissait l’aspect universel des contributions de Mao Zedong. Il
était en fait à la fois faisant cela, et formant une pensée –
une pensée qu’il pensait être celle de Mao Zedong, et non pas la
sienne.
C’est pourquoi il peut dire :
« La Révolution Démocratique du Peuple dans notre pays
peut être amenée à une fin victorieuse seulement sur la base de la
pensée du Président Mao. La mesure dans laquelle quelqu’un assimile
et applique la pensée du Président détermine si c’est un
révolutionnaire ou pas.
Qui plus est, la mesure du soulèvement révolutionnaire
dépendra d’à quel point nous pouvons diffuser et propager la pensée
du Président parmi les paysans et les ouvriers. Cela, parce que la
pensée du Président n’est pas simplement le marxisme-léninisme de
notre époque présente : le Président a fait progresser le
marxisme-léninisme lui-même jusqu’à une étape complètement
nouvelle.
C’est pourquoi l’époque présente est devenu l’époque
de la pensée du Président. »
Les pensées Charu Mazumdar et Mao Zedong –
unies de manière abstraite
La conséquence de la non-compréhension par Charu
Mazumdar des deux côtés de la question – sa pensée comme
expression nationale indienne et en tant qu’application du maoïsme
universel, a amené une confusion idéologique, tous ces aspects
étant mélangés.
Cela est clair quand Charu Mazumdar dit :
« Dans l’époque présente, la pensée du Président Mao
est le plus haut développement du marxisme-léninisme. Le président
Mao n’a pas seulement appliqué créativement le marxisme-léninisme,
mais a enrichi le marxisme-léninisme et l’a développé jusqu’à une
nouvelle étape. La pensée de Mao Zedong peut être appelé le
marxisme-léninisme de notre époque où l’impérialisme va à son
effondrement complet et où le socialisme avance vers la victoire à
l’échelle mondiale.
Le Président Mao nous a enseigné que dans un pays
semi-féodal, semi-colonial, les paysans constituent la majorité de
la population et que la paysannerie est exploitée et gouvernée par
trois montagnes, à savoir l’impérialisme, le féodalisme et le
capitalisme bureaucratique.
C’est pourquoi les paysans sont extrêmement désireux de
faire la révolution. Ainsi, le prolétariat doit s’appuyer sur les
paysans, afin d’achever la victoire par la Guerre Populaire.
Le Président Mao nous a enseigné que les paysans sont
la principale force de la révolution, et la victoire de la
révolution dépend de l’éveil et de l’armement des masses
paysannes. C’est le devoir du parti révolutionnaire du prolétariat
d’aller aux masses paysannes et d’assidûment travailler parmi
elles pour une longue période, avec en perspective la construction
de zones de lutte armée dans les campagnes.
Le manque à réaliser l’importance de cette question
paysanne aboutit à la formation au sein du parti de déviations de «
gauche » et de droite. Et la révolution démocratique est de
manière primaire une révolution agraire. Par conséquent, c’est la
responsabilité du prolétariat de fournir la direction à cette
révolution agraire. »
C’est à la fois universel et indien.
La Pensée Charu Mazumdar existe : la synthèse
Par conséquent, nous devons dire qu’il y a une
pensée Charu Mazumdar, synthétisée dans la position suivante:
« En Inde, qui est maintenant comme un volcan, la
révolte des masses paysannes peut être victorieuse seulement en
appliquant avec succès la pensée du Président Mao, c’est-à-dire
en enthousiasmant les masses paysannes avec la politique de la prise
du pouvoir et ainsi leur rendant possible, sous la direction des
ouvriers et des paysans pauvres et sans-terres, de participer
activement à mener plus avant la révolution agraire ; en chassant
les ennemis de classe des campagnes au moyen de la lutte de guérilla,
en étendant de telles zones et en établissant des zones libérées,
en construisant une armée du peuple à partir des groupes armés de
guérilla et en encerclant les villes parles campagnes pour
finalement les capturer.
Ce n’est qu’ainsi que l’Inde peut être libérée. Par
conséquent, les masses rebelles de chaque zone doivent suivre cette
voie pour réaliser la victoire. »
Les manques de la Pensée de Charu Mazumdar
Il y a bien entendu une conséquence mauvaise dans
la non-compréhension du double aspect de Charu Mazumdar, qui était
d’un côté Plékhanov apportant le marxisme et Lénine le formulant
dans un pays donné.
Il était facile, de fait, pour le gauchisme de
bouger dans le sens d’appliquer un modèle chinois, s’éloignant de
la société indienne. C’est ce qui est en partie arrivé, l’Inde
étant considéré comme la Chine d’avant de 1949 et puis voilà.
Nous devons noter ici que, malheureusement, il n’y
a pas de documents de Charu Mazumdar en tant que tel traitant de la
superstructure du pays.
Nous ne trouvons pas, dans les documents de Charu
Mazumdar, d’explication matérialiste de l’hindouisme, de la
littérature et des films indiens, ou de la poésie, dont l’histoire
est si riche, etc.
Cela provient d’une non-compréhension des deux
aspects de sa pensée, et malheureusement la confusion a amené le
militarisme, un gigantesque mouvement de masse de la jeunesse
bengalie tentant d’être des « gardes rouges » avant d’être
écrasée par la violence à une échelle massive, et enfin
l’effondrement entier du PCI (ML).
L’héritage de Charu Mazumdar
Charu Mazumdar lui-même fut arrêté le 16
juillet 1972, torturé pendant dix jours, isolé du monde, avant de
mourir le 28 juillet 1972. Le PCI (ML) s’effondra bientôt après,
avec de nombreux groupes scissionnistes apparaissant.
La question de l’héritage de Charu Mazumdar fut
bien entendu centrale, avec le principe de l’anéantissement comme
débat principal. Dans les années 1960-1970, être pour
l’anéantissement signifiait être avec Charu Mazumdar, le rejeter
signifiait le rejeter lui, soit comme dirigeant du PCI (ML), soit, en
étant en-dehors de ce dernier, en rejetant à la fois le PCI (ML) et
Charu Mazumdar.
Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui,
il y a de nombreux courants prétendant soutenir le PCI (ML) des
années 1970 d’une manière ou d’une autre, mais rejetant la ligne de
Charu Mazumdar comme « gauchiste ». Ces gens disent que la lutte
armée était séparée du mouvement de masse, que c’était
militariste, gauchiste, une copie aveugle de la révolution
démocratique chinoise, etc.
Déjà à l’époque de Charu Mazumdar, certaines
personnes autour de Kanhai Chatterji formèrent le Centre Communiste
Maoïste, rejetant l’anéantissement sous le même prétexte de
séparation de la lutte paysanne.
Aujourd’hui, le Parti Communiste d’Inde
(Maoïste) soutient à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji.
La pensée de Charu Mazumdar et l’Inde
Mais il n’est pas possible de mettre en avant à
la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji, sur le même plan. Si à
leur époque, deux partis existaient, c’était pour une bonne raison,
il n’est pas possible d’évacuer cette question. Cependant, le Parti
Communiste d’Inde (Maoïste) n’a pas de position à ce sujet.
La raison de cela est que la conclusion logique
censée se produire est de reconnaître la pensée Charu Mazumdar et
de séparer l’aspect universel des aspects indiens.
Cela permettrait de comprendre le processus réel
de la naissance du PCI (ML), pour voir comment Charu Mazumdar a
réactivé le matérialisme dialectique en Inde.
Au lieu de cela, le « gauchisme » de Charu Mazumdar est oublié, comme son exigence d’avoir une perspective depuis en haut, et par conséquent les aspects nationaux sont effacés : aussi ahurissant que cela puisse sembler, les maoïstes indiens n’ont pas d’études sur l’hindouisme, l’Islam et Bollywood. La culture indienne n’est pas un thème – et c’est l’aspect manquant qui a permis à la propagande fasciste de Narendra Modi d’avoir un tel terrible succès en Inde.
Les paysans de Naxalbari, organisés par les révolutionnaires du Parti Communiste de l’Inde, se sont révoltés contre l’exploitation renforcée par les grands propriétaires fonciers, contre les fermages exorbitants, et contre la répression systématique exercée par le gouvernement réactionnaire de I. Gandhi.
Ils ont repris les terres usurpées par les féodaux, ils se sont emparés des récoltes et les ont réparties parmi le peuple.
Pour faire face à la répression, ils se sont organisés en groupes armés et ont constitué des tribunaux populaires pour juger les despotes locaux.
La presse réactionnaire de tous les pays a présenté « l’émeute » de Naxalbari comme une jacquerie, soulèvement désespéré de ceux qui n’ont plus rien à perdre !
Aujourd’hui, d’après les révélations faites par la presse indienne, les luttes paysannes pour la terre se sont développées dans huit états et cinquante localités ; à l’exemple de Naxalbari, des comités paysans se créent partout dans le pays.
Les grands propriétaires fuient la juste colère du peuple et se réfugient dans les villes, ou bien organisent la terreur blanche en faisant assassiner les paysans qui veulent se révolter. La police et l’armée lancent des assauts furieux contre les foyers insurrectionnels.
L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN : ennemi n° 1 du peuple indien
Aujourd’hui, d’après les révélations faites par la presse indienne, les luttes paysannes pour la terre se sont développées dans huit états et cinquante localités ; à l’exemple de Naxalbari, des comités paysans se créent partout dans le pays.
Les grands propriétaires fuient la juste colère du peuple et se réfugient dans les villes, ou bien organisent la terreur blanche en faisant assassiner les paysans qui veulent se révolter. La police et l’armée lancent des assauts furieux contre les foyers insurrectionnels.
L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN : ennemi n° 1 du peuple indien
Le peuple indien lutte contre des conditions de vie qui ne sont encore aggravées ces dernières années. La situation alimentaire est catastrophique : 150 millions d’Indiens seraient actuellement mourants de faim.
C’est là le fruit du pillage éhonté exercé par l’impérialisme américain avec la complicité des classes dirigeantes locales. Depuis vingt ans, l’Inde n’est plus une colonie, mais son indépendance n’est qu’une façade : l’impérialisme américain a progressivement pris la relève des colonialistes britanniques : 60% des investissements étrangers en Inde sont américains.
Les Etats-Unis contrôlent l’agriculture, les communications, etc… Ils camouflent leur politique impérialiste sous l’étiquette « d’aide économique et technique ». C’est là un moyen à peine déguisé pour ruiner l’économie indienne et écouler massivement les produits de l’industrie U.S.
90% des sommes prêtées de l’aide US doivent être consacrée à l’achat de produits américains, en particulier les surplus agricoles, à des prix supérieurs aux cours mondiaux.
Conséquence : le déficit commercial de l’Inde croît et les Etats- Unis contrôlent, par ce biais, la moitié de la monnaie indienne. Pour faire accepter ces conditions au peuple indien, les impérialistes US ont un gouvernement à leur dévotion, issu des couches sociales les plus réactionnaires – propriétaires fonciers, féodaux, bourgeoisie bureaucratique et compradore – et solidement encadré par un réseau de 1.500 conseillers U.S. qui se mélent de toute l’activité politique indienne (achat de députés, espionnage sous toutes les formes, etc.) et encadrent l’armée.
La politique soviétique en Inde : un cas flagrant de collusion avec l’impérialisme américain
L’Union Soviétique, elle aussi apporte son « aide » à l’Inde : révisionnistes s’acharnent à souligner qu’à la différence de l’aide américaine, la leur est désintéressée, généreuse, exempte de toutes conditions et qu’elle permet au peuple indien de sortir de la misère et d’édifier une économie nationale.
En fait, l’aide soviétique ressemble à s’y méprendre à l’aide américaine : les sommes prêtées doivent être consacrées à l’achat de produits soviétiques à des prix exorbitants.
Les usines construites par les Soviétiques en Inde, sont gérées par des patrons venus d’U.R.S.S., et les produits fabriqués à un prix de revient dérisoire grâce aux salaires de misère imposés à la main- d’oeuvre indienne, sont revendus souvent très cher en Europe ou en Afrique : les Américains ne procèdent pas autrement à Formose ou au Japon.
Récemment, Indira Gandhi a invité Kossyguine et Tito aux fêtes « nationales » indiennes : deux chefs prestigieux du bloc révisionniste venus donner leur caution à la clique fantoche de Indira Gandhi !
L’objectif principal de Kossyguine était de renforcer l’emprise économique de l’U.R.S.S. en Inde.
Il a visité plusieurs usines construites grâce à l’aide soviétique et s’est conduit en patron mécontent; il a trouvé les rendements insuffisants : les usines de matériel électrique de Harward ne travailleraient actuellement qu’à la moitié de leur capacité : les travailleurs indiens peuvent s’attendre à ce qu’on double les cadences d’ici peu.
Les décisions prises vont encore accroitre la dépendance de l’économie indienne : les Soviétiques vont acheter la plus grande partie de la production des usines qu’ils ont construites, les plans économiques des deux pays seront coordonnés et un nouveau contingent d’experts soviétiques va se rendre en Inde pour suggérer les réformes de gestion nécessaires, en d’autres termes pour réaliser de plus gros profits de type impérialiste, moyennant une exploitation accrue des travailleurs indiens!
Pour réaliser de gros profits, les révisionnistes soviétiques ont intérêt à ce que la main-d’oeuvre de leurs usines indiennes continue à toucher des salaires de misère, ils ont intérêt à ce que la clique fantoche d’Indira Gandhi se maintienne au pouvoir, ils ont intérêt à s’entendre avec l’impérialisme américain, contre le peuple indien, contre le mouvement de libération nationale, contre la Chine.
A l’exemple des paysans de Naxalbari, le peuple indien osera se révolter contre tous ceux qui l’oppriment.
Si l’on porte son attention quant à la
genèse des Fables, on peut voir qu’il y a 240
fables, réparties dans douze livres, de la manière suivante :
a) les livres I à III et les livres IV à VI ont
été publiés au même moment, en deux volumes, en 1668, avec des
illustrations de François Chauveau. Ce dernier était alors le plus
connu des illustrateurs ; il a notamment réalisé notamment la
« Carte de Tendre » très connu au XVIIe siècle.
L’œuvre est dédiée au Dauphin, le fils aîné
de Louis XIV, alors âgé de six ans.
b) Les livres VII et VIII sont publiés en 1678,
les livres IX, X et XI en 1679. Ils sont cette fois dédiés à
Madame de Montespan, la maîtresse de Louis XIV.
c) Le livre XII, en réalité à l’époque le
troisième des recueils, est publié en 1694.
Quant au principe des fables, Jean de La
Fontaine ne l’a nullement inventé et ne l’a d’ailleurs jamais
prétendu. La quasi totalité des fables s’appuie sur des modèles
préexistants, qu’il modifie plus ou moins, tout en reconnaissant
ouvertement sa dette intellectuelle.
Voici comment La Fontaine présente les Fables,
dans sa dédicace à Monseigneur le Dauphin, mentionnant Ésope :
« Je chante les héros dont Ésope est le
père, Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère, Contient
des vérités qui servent de leçons. Tout parle en mon ouvrage,
et même les poissons: Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que
nous sommes; Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »
Voici l’avertissement au livre VII, qui fait
l’éloge de l’Indien Pilpay :
« Voici un second recueil de fables que je présente
au public (…).
Seulement je dirai, par reconnaissance, que j’en dois
la plus grande partie à Pilpay, sage indien.
Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens
du pays le croient fort ancien, et original à l’égard d’Ésope,
si ce n’est Ésope lui-même sous le nom du sage Locman.
Quelques autres m’ont fourni des sujets assez
heureux. »
En fait, Pilpay n’existe pas, ce nom étant dérivé
de celui de Bidpaï dans la version arabe du recueil indien appelé
le Pañchatantra, dont l’auteur reste obscur, l’oeuvre ayant connue
de nombreuses variations.
Et, donc, ce « Pilpay » est avec Ésope la principale inspiration de Jean de La Fontaine, chacun étant la base des deux systèmes de références dans les Fables.
Illustration et texte du Pañchatantra, Rajasthan, 18e siècle
Les six premiers livres s’appuient ainsi très
largement sur les fables de l’antiquité grecque et romaine, avec
principalement Ésope, mais également Phèdre et Babrius, avec
également Avianus, Horace, Tite-Live.
Par contre, les six autres livres se fondent sur
d’autres inspirations et principalement donc le Pañchatantra, un
recueil indien de fables sans doute écrit autour de 300 ans avant
notre ère, mais également des conteurs français et italiens, du
Moyen-Âge et de la Renaissance.
Comment Jean de la Fontaine a-t-il découvert le
Pañchatantra ? Il l’a fait de manière très indirecte, cette
œuvre indienne étant passée en Perse, puis dans le monde arabe,
avant d’être traduit en latin au XIIIe siècle par Jean de Capoue,
un juif converti au catholicisme, sous le titre de Directorium
humanae vitae alias parabola antiquorum sapientum (Guide de
la vie humaine ou Parabole des anciens sages).
Il y eut ensuite une traduction en espagnol, sous
le titre Recueil de faits et d’exemples contre les embûches
et les périls du monde, suivi de deux œuvres italiennes
écrits par des Florentins s’en inspirant : la Première
façon des discours des animaux par le florentin Agnolo
Firenzuola, qui fut traduite en français, ainsi qu’un ouvrage de
morale écrit par Anton Francesco Doni.
Pierre de Larrivey traduisit alors les deux
ouvrages en 1579, sous le titre de Deux livres de filosofie
fabuleuse.
Jean de La Fontaine eut aussi accès, toutefois, à une autre source : la version arabe du Pañchatantra, le Kalîla wa Dimna.
Illustration de la version persane du Kalîla wa Dimna, 15e siècle
Cette version connut une traduction en 1644 avec
comme titre Le Livre des lumières ou la Conduite des
Roi, ainsi qu’une réimpression en 1698 sous le titre
de Fables de Pilpay, philosophe indien, ou La conduite des
rois.
A cela s’ajoute une traduction en latin du Kalîla
wa Dimna, datant de 1666, effectuée par un religieux, le
père Poussine, à partir d’une version en grec. On est certain que
Jean de La Fontaine a connu cette traduction, car c’est la seule où
l’on retrouve quelques fables en particulier (Le Chat et le Rat, Les
Deux Perroquets, le Roi, et son Fils ou La Lionne et l’Ourse).
Cependant, cette double inspiration pose un grand
souci.
En effet, l’approche d’Esope n’a rien à voir avec
celle du Pañchatantra, même si on sait que la tradition indienne
des fables a influencé les auteurs de l’antiquité grecque –
on ne sait cependant pas dans quelle mesure. C’est pourquoi Jean de
La Fontaine expliquait que peut-être même ce qu’on attribue à
Ésope revient à Pilpay.
Quelle est la différence ?
Chez Esope, on a un apologue : un court récit
à visée argumentative, se suffisant à lui-même. C’est en quelque
sorte une forme proche de la parabole dans la Bible.
Il y a une histoire, dont on tire une morale, un
principe. Voici une fable d’Esope, pour donner un exemple :
La Tortue et le Lièvre
Le Lièvre considérant la Tortue qui marchait d’un pas
tardif, et qui ne se traînait qu’avec peine, se mit à se moquer
d’elle et de sa lenteur.
La Tortue n’entendit point raillerie, et lui dit d’un ton
aigre, qu’elle le défiait, et qu’elle le vaincrait à la course,
quoiqu’il se vantât fièrement de sa légèreté. Le Lièvre accepta
le défi.
Ils convinrent ensemble du lieu où ils devaient courir, et du terme de leur course. Le Renard fut choisi par les deux parties pour juger ce différend.
La Tortue se mit en chemin, et le Lièvre à dormir, croyant avoir toujours du temps de reste pour atteindre la Tortue, et pour arriver au but avant elle.Mais enfin elle se rendit au but avant que le Lièvre fut éveillé. Sa nonchalance l’exposa aux railleries des autres Animaux.
Le Renard, en Juge équitable, donna le prix de la course
à la Tortue.
L’histoire est plaisante et autosuffisante.
Les fables du Pañchatantra sont totalement
différentes.
Le Pañchatantra, Livre d’instruction
en cinq parties, n’est pas un recueil de fables, mais un
enseignement expliqué à travers une histoire où de multiples
fables s’enchâssent. Une histoire s’ouvre et quelqu’un raconte une
fable, où quelqu’un peut alors également se lancer dans
l’explication d’une fable, etc.
Tous les événements sont liés les uns aux
autres, se ressemblant beaucoup par moments afin d’enseigner des
vérités générales concernant la justesse, la morale, la politique
que doit mener le prince, l’attitude que doit avoir l’honnête homme,
la femme vertueuse.
Le système moral est sous-jacent à toutes les
fables qui, par ailleurs, s’appuient sur des morales préexistantes,
notamment religieuses, et tout tourne ainsi autour d’une seule même
grande thématique visant à l’édification.
Le Pañchatantra ne vise pas une attitude
personnelle intelligente, mais une correspondance à une sagesse
préexistante, fournissant les moyens d’appréhender la réalité
selon des principes moraux codifiés.
Voici une fable du Pañchatantra, où on comprend
aisément que la fable est l’illustration d’une compréhension de la
politique.
Tu as tort, reprit Carataca, dans une affaire aussi
importante que celle-ci, nous devons marcher de concert si nous
voulons réussir ; sans quoi, nous courons à notre ruine ;
et si nous séparons nos intérêts, nous éprouverons le sort de
l’oiseau à deux becs.
Comment cela ?
L’Oiseau à deux becs.
Dans un désert vivait un oiseau à deux becs,
lequel s’étant un jour perché sur un manguier, se rassasiait
de ses fruits délicieux.
Tandis qu’avec un de ses becs ii les cueillait et les
avalait, l’autre bec, jaloux, se plaignit à lui de ce qu’il ne
cessait pas de manger, et ne lui laissait pas le temps de cueillir
aussi des fruits et de les avaler à son tour.
Le bec qui travaillait dit à celui qui était oisif :
Pourquoi te plains-tu ? et qu’importe que ce soit toi ou moi
qui avalions les fruits, puisque nous n’avons tous les deux qu’un
même estomac et qu’un même ventre ?
Le bec oisif, outré de dépit de ce que l’autre bec,
qui ne cessait de manger, ne voulait pas lui donner le temps d’avaler
des fruits à son tour, résolut de se venger aussitôt de ce refus.
Il crut ne pouvoir mieux y réussir qu’en avalant un
grain de l’arbrisseau yteja, poison des plus subtils
qui se trouvait à sa portée. Il l’avala et l’oiseau mourut à
l’instant.
Ce fut la désunion des deux becs qui causa leur ruine :
par-tout où règne la division on n’a que des maux à attendre.
D’ailleurs ne connais-tu pas cet ancien proverbe : « On
ne doit jamais aller seul en voyage, ni se présenter sans soutien
devant les rois » ?
Veux-tu de nouveaux exemples qui te montrent les
avantages qu’on trouve à se soutenir mutuellement et à se
rendre des services réciproques dans les différentes circonstances
de la vie ?
Comment La Fontaine combine-t-il alors les deux approches, celle d’Esope et celle du Pañchatantra ? Il faut pour cela saisir sa vision du monde, celle des moralistes.
J’ai reçu votre télégramme de félicitations en
date du 12 octobre et je vous remercie beaucoup des
salutations
chaleureuses que vous avez adressées à la République Populaire de
Chine et au Parti
communiste de Chine.
Tout le peuple chinois a éprouvé de la joie et
de la fierté en trouvant dans votre télégramme
l’expression de
l’amitié fraternelle du peuple révolutionnaire indien.
La nation indienne est une des grandes nations de
l’Asie, avec une longue histoire et une nombreuse
population. Son
destiné passé et son chemin vers l’avenir ressemblent à bien des
égards à ceux de la
Chine.
Je suis fermement persuadé que, s’appuyant sur le
vaillant Parti communiste d’Inde, et sur l’unité et
la lutte de
tous les patriotes indiens, l’Inde ne restera pas longtemps sous le
joug de l’impérialisme et
de ses collaborateurs.
Comme la Chine libre, une Inde libre émergera un
jour dans le monde comme un membre de la
famille du socialisme et de
la démocratie populaire. Ce jour-là mettra fin à l’époque de
l’impérialisme
réactionnaire dans l’histoire de l’humanité.
Mes meilleurs voeux à la victoire de l’unité et
de la lutte du peuple patriotique de l’Inde!
Vive l’unité fraternelle du peuple indien et du
peuple chinois!
La question du Bengale est un cas très proche de
la question allemande, les pays allemands se séparant en deux
nations : l’Allemagne et l’Autriche. Fondamentalement, dans
l’histoire, le Bengale a été coupé en deux parties, partageant le
même langage, mais divisées pour ce qui concerne la principale
idéologie, qui était, à cette époque féodale, la religion.
En raison de cela et suivant la définition
marxiste de la nation, la séparation de l’Ouest et de l’Est est plus
proche de la séparation Allemagne / Autriche que de la séparation
Allemagne de l’Ouest/de l’Est de 1945-1989.
Voyons maintenant comment le peuple bengali a
évolué.
Bengale : l’impossibilité de la conversion à l’Islam de masse depuis l’extérieur
La raison d’une telle séparation comme celle qui
s’est déroulée au Bengale – avec la formation du Bangladesh –
ne peut pas simplement s’expliquer par les conversions de masses dans
le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans.
L’Islam est arrivé au 12ème siècle, par la
conquête d’un côté, par le commerce de l’autre, particulièrement
sur la zone côtière, avec le port de Chittagong par exemple.
Ensuite, de nombreux missionnaires arrivèrent pour propager l’Islam.
Mais cela ne peut pas avoir amené au fait
qu’aujourd’hui, 90,4% de la population du Bangladesh est de culture
islamique.
Pourquoi cela ?
a) Premièrement, nous pouvons voir que la
culture islamique ne s’est pas répandue avec cette ampleur dans la
partie occidentale du Bengale. De plus, l’Islam n’a pas commencé
comme un courant tentant de devenir le courant principal.
Il n’a jamais eu les particularités d’une culture
minoritaire, comme cela a été le cas à Hyderabad en Andhra
Pradesh, où il s’agit d’une sorte « d’île » islamique.
En raison de cela, l’explication qui donne un rôle
central aux gouverneurs, rois, nizams, etc. musulmans et aux
missionnaires n’est pas valide.
L’Islam a simplement été accepté par
les masses du Bengale oriental, et cela d’une manière massive, du
jour au lendemain. Le langage bengali – le bangla – est resté
pratiquement intouché, restant fortement fondé sur une origine
sanskrite et des emprunts aborigènes.
Il n’y a absolument pas eu de processus de
construction d’une langue comme l’hindustani, où ce qui est
aujourd’hui le hindi et l’ourdou ont massivement emprunté au
vocabulaire et aux expressions du persan, en raison de l’influence
majeure de la culture islamique.
Les masses du Bangladesh ont même pris la langue
comme une arme principale dans le leur lutte contre le Pakistan
occidental, une culture où la culture islamique avait l’hégémonie.
b) Ensuite, nous pouvons voir que le Bengale
musulman était et est toujours aujourd’hui une petite poche dans une
zone du monde où l’hindouisme est toujours une composante principale
de l’idéologie dominante : l’Inde.
Le Bengale était loin des centres culturels
islamiques ; il était séparé par de nombreux peuples et de
nombreuses cultures ; il n’était pas en contact direct.
L’empire britannique a essayé de comprendre cette
réalité, et le recensement effectué en 1872 montre que les proches
musulmanes au Bengal se situaient dans les plaines alluviales.
Voyant cela, ainsi que seulement un peut plus d’1%
de la population interrogée affirmait être d’origine étrangère,
les cadres britanniques pensaient qu’ils venaient des basses castes,
qui s’étaient converties à l’Islam pour échapper à la domination
de l’hindouisme.
Mais cette explication est mécanique. Le Bengale
était en effet avant l’Islam sous l’influence du bouddhisme, et le
bouddhisme ne connaît pas les castes. Il y avait également le
jaïnisme qui existait dans l’Inde ancienne, et qui ne reconnaissait
pas les castes.
Pourquoi est-ce que les masses opprimées
choisiraient une religion venant de loin, si c’était uniquement pour
une question de castes, alors qu’elles pourraient simplement soutenir
le bouddhisme, comme auparavant ?
La situation particulière du Bengale
Le matérialisme dialectique nous enseigne que la
contradiction est un processus interne. Ainsi, la raison pour le
triomphe de l’Islam dans la partie orientale du Bengale doit venir du
Bengale oriental lui-même.
L’Islam au Bengale ne peut pas avoir été
« importé. »
Donc, regardons l’histoire du Bengale. Nous
pouvons voir ces traits particuliers :
a) Suivant les Manusmṛti, connus en Europe
sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200
après JC), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la
demeure des Aryens » en sanskrit).
b) Ce n’est que sous l’Empire Maurya (321-185
avant JC) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la
première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant
l’extrémité de l’empire.
c) Ce n’est que lors de l’empire Gupta
(320-550 après JC), que les chefs locaux ont été écrasés au
Bengale.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que sous
l’empire Maurya, le Bengale (principalement son côté occidental) a
connu un saut de civilisation, notablement par l’intermédiaire du
grand empereur bouddhiste Ashoka.
Puis, avec l’Empire Gupta et son extermination du
Bouddhisme en Inde, le Bengale est devenu le dernier endroit de
confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme. S’ensuivit une
politique de missionnaires promouvant l’hindouisme.
Il est clair que les empires Maurya et Gupta ont
changé la réalité du Bengale occidental, développant sa société
à un stage supérieur, avec une administration d’État produite
par le haut développement en Inde occidentale.
En raison de cela, l’effondrement de l’empire
Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation
appelée « matsyanyaya. » Une nouvelle dynastie connut
une naissance localement, les Palas, qui mirent en avant le
bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force
avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même
dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique
pro-bouddhisme.
Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines
parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du
Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant
toujours plus du Bengale oriental. Cela aura des conséquences
fatales pour l’unité du Bengale.
La source de la division du Bengale
A cette époque, le Bengale bouddhiste qui aurait
été une partie de l’Inde ancienne n’aurait pas été possible :
les forces hindouistes contrôlaient l’Inde, le Bengale en était
dépendant, et ainsi la culture hindouiste se répandit dans la
culture des Palas.
Les rois Palas étaient entourés d’un appareil
d’État hindouiste (de la poésie aux ministres), se marièrent à
des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale
occidental était attiré par l’Inde ancienne, cette fois de manière
décisive.
Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas
qu’afin de conserver une identité distincte, que le règne des Palas
soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression
de la culture bengalie de cette époque.
De fait, le bouddhisme bengali de cette époque
était caractérisé par la présence massive de déesses. Nous
trouvons par exemple ces importantes figures, présentes dans la
version du bouddhisme des Palas :
Tara
Kurukullâ
Aparâjita
Vasudharâ
Marîchî
Paranùabari
Prajnâparamitpa
Dhundâ
Nous verrons que la présence massive de déesses
dans la culture bengali nous aidera d’une manière significative.
Néanmoins, et ce qui compte ici dans ce
processus, c’est que ce n’était qu’une question de temps avant que
les forces féodales – reliées à l’Inde hindouiste – renversent
la dynastie des Palas. Cela se fit sous Vijaysena, un
brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie
hindouiste, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de
Vishnou.
La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme
d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour
former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres
également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure
« élite » religieuse », d’une manière fortement
hiérarchique.
Le Bengale était pratiquement colonisé par
l’Inde ancienne hindouiste ; l’impact de cette colonisation
avait évidemment un centre de gravité au centre du Bengale.
La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce
des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect
« égalitaire » du bouddhisme montre son aspect
pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de
soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.
Pour cette raison, le Bengale est devenu féodal,
par le haut de la société, en raison de l’influence de l’Inde
ancienne.
Nous avons ici la clef principale de la division.
En effet, nous pouvons voir ici :
a) l’influence Maurya et Gupta a amené le
Bengale occidental à un stade plus élevé de culture, tandis que la
partie orientale restait arriérée, mais toujours influencée par la
culture aborigène et le matriarcat ;
b) Ensuite, il y avait la chance historique
pour le Bengale de s’unifier – sous la bannière du bouddhisme,
comme ce qui est arrivé dans les pays à l’Est du Bengale (Birmanie,
Laos, Thaïlande…). Cette unification aurait été faite par un
royaume fondé principalement dans la partie occidentale et la
généralisation du commerce.
c) Mais la dynastie Sena s’est effondrée, en
raison de l’expansion de l’Inde ancienne, et le Bengale occidental
est devenu une composante de celle-ci sur les plans culturels et
économiques, ce qui signifie que l’aspect féodal a triomphé sur
les aspects pré-bourgeois portés par le bouddhisme et les villes.
d) La partie orientale avait besoin d’un saut
qualitatif, qui a été pratiquement raté durant les empires Maurya
et Gupta, mais cela ne pouvait pas être fondé sur le bouddhisme,
puisqu’il avait été l’idéologie de la dynastie des Palas, dont le
fondement était dans la partie orientale ou même au Bihar.
e) L’invasion musulmane est arrivée
précisément à ce moment d’une besoin général d’un mouvement
anti-féodal.
f) Néanmoins, le mouvement pré-bourgeois
anti-brahmane ne sera pas présent qu’à l’est, avec l’Islam – il
existera également dans la partie occidentale, par le culte de la
déesse qui était déjà présent dans le bouddhisme, et qui sera
placé dans l’hindouisme.
Une nouvelle dynamique
Les historiens bourgeois pensent que la conversion
de masse à l’Islam a été une réaction paysanne à la pénétration
aryenne au Bengale oriental ; en fait, l’Islam à l’est et
l’hindouisme influencé par les aborigènes à l’ouest ont été tous
deux une expression pré-bourgeoise contre le féodalisme.
Les historiens bourgeois notent que les paysans
étaient trop faibles sur le plan économique, mais pensent qu’ils
ont essayé de combattre dans les domaines idéologiques et
culturels, par les armes de l’Islam empruntés à l’étranger.
Cela signifierait que les paysans seraient une
classe unie et consciente – ce qui n’a jamais été le cas dans
l’histoire. En fait, les classes pré-bourgeoises ont construit une
arme idéologique pour contre-attaquer face à la pénétration
féodale au Bengale.
L’invasion islamique – qui n’a pas été une
invasion, mais une conquête – a été le détonateur de ce moment
historique de la lutte de classe.
Au Bengale oriental, l’Islam a été massivement
accepté. Mais cet Islam était spécifiquement bengali. Il y avait
une sur-importance accordée aux aspects magiques des missionnaires
qui apportaient l’Islam. Ces « soufis » étaient
considérés comme guérissant les malades, marchant sur l’eau, etc.
Même si l’Islam au Bangladesh est sunnite, d’une
manière unique il célèbre les saints, les tombes sont l’occasion
de pèlerinages, etc.
De la même manière, les sites hindous et
bouddhistes ont simplement été adaptés au culte musulman.
Au Bengale occidental, l’hindouisme devint
hégémonique, mais il a étalement été altéré. La manière
principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte
de la grande déesse (Mahadevi) ou de la déesse (Devi), également
connu sous le nom de shaktisme.
Le film de Satyajit Ray « Devi »
dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est
révérée, et le shaktisme peut être considéré comme plus
puissant que le shivaïsme et le vaishnavisme, qui représentent des
aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales
indo-aryennes.
Ainsi, au Bengale occidental et oriental,
l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi,
Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.
Mais ce n’est pas tout. Le syncrétisme est apparu
comme la tendance nationale bengalie à l’unification.
Lorsque le Bengale occidental s’est tourné vers
une variante de l’hindouisme et le Bengale oriental vers une variante
de l’Islam, et en raison de l’unité encore grande entre ces deux
parties du monde, une tendance syncrétique s’est développée.
Il s’agissait clairement d’une expression
d’éléments pré-bourgeois, qui essayaient d’unifier et non pas de
diviser ; en raison de cet aspect bourgeois, l’expression était
universaliste.
Dans la partie occidentale, Chaitanya Mahaprabhu
(1486–1534) a développé un culte de Krishna comme seul Dieu réel,
au-dessus des castes, fondé sur « l’amour » dans une
union mystique avec la vérité absolue ; au Bengale oriental,
les soufis enseignaient le caractère central de l’amour pour
rejoindre Dieu, au-delà des aspects formels de la religion.
Dans ce cas musulman, les soufis ont adopté la
position des gourous dans l’hindouisme et le bouddhisme, enseignant
la voie de la vérité au disciple, par la méditation en
particulier.
La question principale était alors : est-ce
que les deux se rejoindraient finalement ? Ou bien ces deux
tendances suivraient des voies particulières, modifiant les traits
psychologiques en deux parties séparées, donnant naissance à deux
différentes nations ?
Si nous avons raison concernant la thèse sur la
situation du Bengale à l’arrivée de l’Islam, alors les points
suivants doivent être vérifiés :
– tout d’abord, d’acharnées luttes de classe
doivent avoir eu lieu avec les nouvelles armes idéologiques
(hindouisme shakti et l’islam);
– ces armes, si elles étaient de vraies armes,
doivent avoir prouvé leur efficacité, si non alors une autre arme
aurait été soulevée;
– la classe dirigeante au Bengale doit
nécessairement aussi avoir reflété cette situation de «deux voies
culturelles» au Bengale.
Le Bengale réussit à se protéger
De fait, le Bengale a prospéré et a ou défendre
sa situation nouvelle. Deux points principaux sont à noter:
a) Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de
1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement
formé a même été capable de résister, sous des généraux
hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par
Firuz Shah Tughlaq.
Le Bengale était alors connu sous le nom de
Bangalah et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le
sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de
Shah-i-Bangaliyan.
Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant
naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été
au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une
partie de la Birmanie!).
Le nouvel État islamique a modernisé le pays et
son système administratif. La culture idéologique, basé sur la
culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de
manière locale. De nombreux éléments ont été pris aux arts
bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le
lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la
rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le
diamant croisé etc.).
Husain Shah avait même des hindous comme Premier
ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire
privé, surintendant, etc.
b) Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494
à 1519, a défendu la littérature bengalie, promu la coexistence
religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya Mahaprabhu pleine
possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du
Vishnouisme (ou Vaishnavisme) (pas de castes, culte de l’amour,
universalité, etc.).
Cela a été l’aspect positif de la nouvelle
situation. Le Bengale existait en tant que structure, avec une solide
base interne, ce qui n’aurait pas été possible:
– Si le Bengale était bouddhiste, parce que le
conquérant musulman aurait totalement rejeté tout compromis avec
les élites locales, et surtout pillé la terre;
– Si le Bengale avait été hindou dans sa version
traditionnelle, car alors il aurait idéologiquement submergé par
l’Inde ancienne, et serait devenu une simple région orientale, sans
réelle possibilité de développement local.
Les hindous ont été intégrés dans la noblesse
bengali, nommé par les dirigeants musulmans. Le Bengale existait et
pouvait se développer. Cela montre que la résistance pré-bourgeoise
pouvait se structurer à travers une certaine variante de
l’hindouisme et une certaine version de l’islam.
Regardons maintenant l’aspect négatif. Le fait
que deux religions existent au Bengale était un problème
idéologique. Pour réaliser une forte unité nationale, l’existence
d’une seule unité religieuse dans le pays était nécessaire pour
l’élément pré-bourgeois, allié au conquérant locale établissant
son autorité.
Nous verrons que cet objectif sera retrouvé
beaucoup de fois, même dans l’histoire moderne du Bengale.
Quoi
qu’il en soit, à cette époque, les problèmes étaient les
suivants:
– il y avait nécessairement deux factions
soutenant l’islam ou l’hindouisme comme principal centre idéologique;
– ces factions seraient nécessairement en lutte
et essayant de gagner de l’importance au sein du pouvoir d’État,
qui était dominée par les conquérants musulmans.
L’épisode de la dynastie Ganesha au 15ème siècle
a été une expression de cela: le propriétaire terrien Raja Ganesha
a renversé la dynastie musulmane, mis son fils comme souverain
musulman pour le renverser dès que l’invasion musulmane était
passée, il essaiera même la manœuvre une seconde fois, mais a
alors été tué.
Cela montre quelle a été la faiblesse de la
position de l’élite locale. Cela aura une conséquence fatale.
L’ère moghole
Le Bengale avait du 12ème siècle au 16ème
siècle pour faire son unité. Il a réussi à se protéger et à
maintenir sa culture nationale, mais il a échoué à s’unir dans un
sens national fort, avec une culture pré-bourgeoise unifiée au
niveau de toute la nation.
Cela a eu une terrible conséquence, lorsque
l’empereur moghol réussi à envahir le Bengale. Dès cet instant, le
Bengale était gouverné par le haut – un haut loin du Bengale
lui-même, basé dans le nord de l’Inde.
De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par
32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un
mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol
ou les plus hauts officiers.
Le Bengale était considéré comme un endroit
riche, dont les richesses devaient appartenir au moghol en Inde du
Nord, et particulièrement l’armée. Pour cette raison, les cadres de
l’Empire moghol ont été envoyés au Bengale.
Le souverain moghol Akbar mis même en place un
nouveau calendrier, encore utilisé aujourd’hui. Le but de ce
calendrier était d’améliorer la collecte de l’impôt foncier au
Bengale. Comme ailleurs sous la domination moghole, le langage
utilisé pour la justice et l’administration était le persan.
Le pays n’était plus en mesure de produire sa propre classe dirigeante. La classe dirigeante était une construction faite par le Moghol, et composé d’aristocrates musulmans, parlant l’ourdou comme dans le nord de l’Inde, et séparés sur le plan culturel des autres musulmans.
Akbar célébrant la victoire moghole au Bengale
Fin de l’ère moghole: le Nawabs
Lorsque l’empire moghol était sur le déclin, la
situation n’a pas changé. Le Bengale a commencé à être gouverné
par une dynastie de gouverneur, et le subahdar bengali était
désormais connu comme le nawab du Bengale (le mot donnant le mot
français « Nabab »).
Cela signifie que le modèle féodal de l’empire
moghol a été importé au Bengale, et même modernisé.
Murshid Quli Khan, premier Nawab (de 1717 à
1727), a aboli le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à
quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service
militaire (avec sa mort la terre revenait, théoriquement, dans les
mains du monarque).
Au lieu du système du jagirdar, qui était adapté
à l’État militaire des Moghols, Murshid Quli Khan a installé le
système mal zamini. Dans ce système, la terre était louée à un
ijaradar – un fermier général.
Cela était plus adapté à une économie où un
autocrate avait besoin de richesses produites localement, de la même
manière que la monarchie française déclinante avec les « Fermiers
Généraux ». Comme le fermier général payait au gouvernement
les neuf dixième de la production, il était très engagé pour
faire une meilleure production.
Mais Murshid Quli Khan fit face au fait que, ce
faisant, il ne pouvait pas fonder ce système sur un ijaradar
musulman, parce qu’il avait besoin d’aller contre la culture moghole,
et de toute façon il ne recevait plus les cadres plus de l’Empire
moghol à placer comme fermier général.
Murshid Quli Khan organisa par conséquent son
système ijaradar de cette façon: il a divisé la province en 13
divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers
généraux étant mis en place comme chaklahdars, et il a choisi
essentiellement des hindous. Des 20 fermiers généraux choisis par
Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.
La colonisation britannique: la première période
De manière intéressante, l’Empire britannique
qui a colonisé le Bengale a continué de la « même manière. »
L’acte d’établissement permanent de 1793 a rendu héréditaire les
positions des fermiers généraux.
Par conséquent, le système de fermiers généraux
de Murshid Quli Khan doit être considéré comme un système
parasitaire, d’un type féodal. Karl Marx, dans La domination
britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme
européen, planté sur le despotisme asiatique » :
« Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute,
comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur
l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment
plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir
auparavant.
Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le
despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une
combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant
dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et
célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes]. Ce n’est pas
une caractéristique distinctive de la domination coloniale
britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).
Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que
puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les
guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les
famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.
L’Angleterre a [quant à elle] décomposé l’ensemble
du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la
reconstitution qui apparaîtrait.
Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un
nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère
actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la
Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble
de son histoire passée. »
Karl Marx a parfaitement vu cette question de la
mélancolie, tellement présente dans les pays opprimés, une
mélancolie donnant naissance à de nombreux fondamentalismes
romantiques.
En tout cas, du côté britannique, cela a
également clairement suivi la logique impérialiste traditionnelle
de « diviser pour régner. »
Des commerçants travaillent avec la Compagnie des
Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à
Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble
des 25 à Kashimbazar.
Ensuite, l’empire britannique a défait
le nabab à la bataille de Plassey en 1757, créant la présidence du
Bengale et dirigeant finalement directement le Bengale et l’Inde.
La colonisation britannique: la deuxième période
La soumission du Bengale par l’impérialisme
britannique a apporté une nouvelle situation, dans le sens où au
féodalisme post-moghole, il faut ajouter le colonialisme
britannique.
Ce ne fut pas compris à cause du manque d’analyse
matérialiste dialectique. L’impérialisme a été compris comme le
seul et unique responsable de la situation. Cela a été aidé bien
sûr par le fait que l’impérialisme britannique a utilisé les
hindous comme fermiers généraux.
Pour cette raison, la lutte des classes se
développa sur une base religieuse: les grands propriétaires
terriens étaient hindous au Bengale, et comme l’impérialisme
britannique travaillaient avec eux, alors logiquement l’Islam devait
être pris comme un drapeau révolutionnaire.
Cela a également été causée par le fait que
les anciens dirigeants – ceux avant les Nawabs semi-autonome et
indépendant (par rapport au moghol) et les Nawabs semi-autonome et
indépendant (par rapport aux Britanniques), c’est à dire les
aristocrates formés par les Moghols – semblaient être un idéal
romantique.
Une expression très importante de cette
conception romantique jusqu’à aujourd’hui au Bangladesh est
l’appréciation très forte du Taj Mahal, qui peut être trouvé dans
de nombreux dessins, en particulier sur les rick-shaws.
En raison de cela, l’islam « pur »
idéologiquement – celui des moghols, qui semblait
« anti-impérialiste » – a été prise comme une arme.
Cela s’est passé avec le mouvement Faraizi,
fondée par Haji Shariatullah (1781-1840). Il est allé en Arabie et
a utilisé la version de l’islam là-bas – le wahhabisme – comme
arme fondamentaliste au Bengale, faisant la promotion d’un islam
« purifié » de l’influence hindouiste, c’est-à-dire de
la présence britannique.
« Fairaz » désigne l’obligation due à
Dieu ; bien sûr, l’islam bengali était très loin de l’islam
arabe, avec toutes ses pensées magiques et son esprit d’ouverture
d’esprit aux déesses hindoues.
Mais ce mouvement de « purification »
a été perçue comme une façon romantique afin, au moins,
d’affirmer la nation du Bengale.
Néanmoins, ce fut romantique, et comprenant de
manière non dialectique l’hindouisme comme un simple allié de
l’impérialisme. Ainsi, ce processus de « purification »
de l’islam, même si elle ne s’est pas généralisée – a tué pour
de bon la possibilité d’une union du Bengale sous le drapeau
bourgeois. Le Bengale aurait pu avoir été unifié seulement si son
élément culturel national pouvait être pris comme un dénominateur
commun.
Le fondamentalisme a tué cette possibilité.
Voulant lutter contre l’impérialisme, les masses paysannes ont
rejetée hindouisme comme autant qu’elles le pouvaient, ne voyant pas
que le problème était la question agraire.
Haji Shariatullah avait mis en avant une lutte
cosmopolite anti-nationale – mais cela semblait révolutionnaire,
parce que cela sonnait anti-impérialiste (et par là anti-féodal).
Néanmoins, pour cette raison, le mouvement
Fairazi a été pris par les masses comme anti-impérialiste (et par
là anti-féodal); un Etat dans l’Etat a été créée au Bengale,
formant une énorme opposition à l’Empire britannique.
Les masses n’ont pas vu que le problème était la
question agraire, mais ils ont estimé que soutenir le mouvement
Fairazi – non pas tant dans la purification religieuse que
socialement – était dans leur intérêt.
En ce sens, le mouvement Fairazi était un
mouvement anti-féodal, mais dirigé par des cercles intellectuels et
non pas une bourgeoisie qui était terriblement faible en raison du
type d’économie moghol et post-moghol.
Pour cette raison, le mouvement Fairazi s’est
transformé en un mouvement paysan utopique et vint même mettre en
avant la doctrine de la propriété de la terre comme revenant au
travail.
Logiquement, le même processus a existé avec
l’hindouisme, naturellement avec un centre de gravité au Bengale
occidental. Les éléments bourgeois ont essayé de construire une
nouvelle idéologie, un hindouisme en mesure de mobiliser les masses,
en mettant de côté le systèmes des castes et la hiérarchie
religieuse.
Ainsi naquit le Brahmo Samaj, fondée par le
brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane
et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).
Mais plus encore que le mouvement Fairazi, il
échoua à mobiliser les masses de façon révolutionnaire – les deux
ont été portés par les cercles intellectuels tentant de trouver
une sortie universelle de la situation au Bengale alors, mais au
moins le mouvement au Bengale oriental a réussi à avoir un forte
identité populaire.
Ainsi, les deux ont été progressistes dans le
sens où ils ont été critiquant et rejetant le féodalisme, tous
les deux ont pris une position universelle, mais les deux ont regardé
dans un passé idéalisé pour trouver le noyau de l’idéologie qui
aurait dû être trouvé dans le présent.
Tous deux ont été petit-bourgeois, un mouvement
romantique. Leur échec était inévitable parce que la bourgeoisie
était faible, arrivant trop tard dans l’histoire, et ne pouvait pas
freiner le progrès de l’impérialisme.
Mais il y avait une différence: au Bengale
occidental, le processus a été organisé autour des cercles
petits-bourgeois et grand bourgeois, ce qui est appelé jusqu’à
aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à
dire les « gens meilleurs. ».
Les « bhadra lok » étaient
culturellement occidentalisés, mais idéologiquement ils voulaient
une société bourgeoise et rejetaient par conséquent la culture
occidentale (exactement comme le fondateur du Pakistan ne parlait pas
l’ourdou et était l’un des hommes les « mieux » habillés
dans le monde, soit dans le style anglais).
Au Bengale oriental, le mouvement réussit, au
contraire, à profondément influencer les masses, à défaut de les
mobiliser de manière révolutionnaire.
La colonisation britannique: troisième période
Après le Brahmo Samaj et le mouvement Fairazi, il
n’y avait plus de forces pour unir le Bengale ; la bourgeoisie
est arrivée trop tard, et les éléments petits-bourgeois étaient
faibles et idéologiquement divisés en deux parties du Bengale.
Au contraire, les forces pour diviser le Bengale
étaient fortes. L’empire britannique a joué un rôle important en
divisant le Bengale pour des raisons administratives en 1905. Il n’a
pas réussi à cela – du Bengale a été unifié à nouveau, en 1919.
Mais il pousse la contradiction entre l’Ouest et
l’Est du Bengale. Les Hindous, qui avaient gagné des points avec le
colonialisme et ensuite pensaient qu’ils allaient bénéficier d’une
Inde indépendante, comme elle serait principalement hindoue, ont
mené une lutte contre la partition de 1905.
Les forces petites-bourgeoises, au Bangladesh,
craignant l’hégémonie de la partie hindoue, ont accepté pour leur
part cette partition, parce qu’ils pensaient que cela permettrait le
renforcement de la nation bengalie.
Ce processus, une fois engagé, ne pouvait plus
être arrêté: en 1919, les Britanniques ont divisé le peuple
bengali avec des élections séparées pour les hindous et les
musulmans. Encore une fois, les forces petites-bourgeoises du Bengale
oriental ont pensé que cela était favorable à leur
affirmation.
Le colonialisme britannique est allé très loin
dans cette politique, utilisant même la famine. La famine de 1770 a
tué approximativement le tiers de la population (donc, environ 10
millions de personnes); il y eut par la suite des famines en 1783,
1866, 1873-1874, 1892, 1897. Le colonialisme britannique préférait
bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses
bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions
de personnes.
Quand les Japonais ont conquis la Birmanie, le
colonialisme britannique a poursuivi cette politique de façon
extrême, donnant la mort à près de 5 millions de personnes au
Bengale en 1943-1944. La famine n’a même pas été officiellement
déclarée. Satyajit Ray a fait un fameux film sur cet
événement, Distant Thunder.
La situation était par conséquent inacceptable
et il était nécessaire de faire un saut, à tout prix. Ceci a
conduit à la scission du Bengale, en le Bengale occidental et le
Pakistan oriental.
En 1947, l’Inde est devenue indépendante, mais
bien sûr ce n’était pas possible pour les éléments bourgeois au
Bengale Oriental de lutter contre l’Inde pour des liens ouverts avec
le Bengale occidental; de toute façon la bourgeoisie (hindoue) du
Bengale occidental pensait – à cause de sa propre force – qu’il
serait plus intéressant d’être une partie de l’Inde.
Donc, le Bengale oriental s’est précipité dans
les bras du « Pakistan », devenant le Pakistan oriental.
Les Pakistan occidental et oriental étaient à 1,600 kilomètres de
distance ; il n’y avait entre eux aucun lien économique,
psychologique et culturel véritable entre les Pakistan de l’Ouest et
de l’Est.
Mais c’était une option pratique pour, au moins,
avoir ce qui a semblé être un Bengale indépendant.
« Le Pakistan oriental » était une façon de libérer le Bengale de l’Inde « hindouiste. » Le Pakistan était vu comme un retour à l’ère moghole.
Fondamentalement, il est facile de voir que le
choix du Pakistan n’était pas en effet une définition religieuse,
mais une définition nationale. Une preuve pour ceci était la prise
de la chanson « Amar Shonar Bangla » (« Mon Bengale
d’or ») écrite par Rabindranath Tagore comme hymne national.
Nous avons ici des éléments étonnants : tout
d’abord, cela a signifié que le Pakistan oriental s’est compris
comme le vrai Bengale.
Dans la même façon, nous devons voir que l’Inde
a également pris une chanson de Tagore comme hymne national – ceci
ne peut pas relever du hasard et a été clairement connecté à la
question du Bengale Occidental, que l’Inde voulait garder à
n’importe quel prix.
Et, finalement, nous devons voir un fait étrange : Amar Shonar Bangla a été à l’origine écrit contre la division 1905, que les dirigeants musulmans du Bengale Oriental ont accepté. Il ne devrait pas être logique de choisir cette chanson – à moins que nous ne comprenions que le but était un Bengale unifié, séparé de l’Inde.
Rabindranath Tagore (1861-1941)
Le Bengale oriental devient le Pakistan oriental
Quand le Bengale oriental a rejoint le Pakistan,
l’espoir était que le pays serait gouverné d’une façon qui
permettrait à la bourgeoisie orientale du Bengale de se développer.
Pour la bourgeoisie qui a adopté l’Islam comme une identité, ceci
devrait être une conséquence logique.
Mais l’Islam n’était pas celui du Bengale
historiquement; c’était une construction de l’impérialisme,
théorisé par des étudiants indiens en Angleterre, inventant un
« Pakistan » comme les sionistes ont inventé « l’État
d’Israël. » Il n’y avait aucun rapport avec une conception
idéalisée d’un « retour au moghol. »
C’était une illusion de penser que l’État
pakistanais serait un développement en termes historiques. Et la
situation est devenue bientôt épouvantable.
Le Pakistan avait 69 millions de personnes, 44
millions étant au Pakistan oriental. Mais le Pakistan occidental
avait une hégémonie totale : il avait la capitale fédérale, le
commandement militaire, la cour suprême de justice…
Depuis le début on a donné la priorité au
Pakistan occidental qui avait les ¾ des fonds de développement. Le
Pakistan oriental produisait la plupart des exportations (jute,
thé…), mais avait seulement ¼ des revenus.
Et la situation n’était pas seulement insupportable pour le Pakistan oriental. Le Pakistan est né comme semi-colonie britannique et est de plus en plus devenu une semi-colonie américaine.
Manifestation d’étudiantes à Dhaka, le 21 février 1953, bravant l’interdiction et exigeant l’emploi de la langue bengalie.
Les masses, dans l’atmosphère révolutionnaire
mondiale générale, ont commencé à protester avec les étudiants
en 1968, suivis ensuite par les paysans et les ouvriers, dans un
front commun contre la dictature militaire.
Un intellectuel rural a réussi à unir le
mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan
Bhashani. Profondément influencé par la Chine, il s’est même
séparé de l’Awami League pro-bourgeois (Awami signifiant peuple)
pour former le National Awami Party.
Mais Bhashani était un démocrate, dans une
période où la révolution démocratique ne pouvait être menée que
par le Parti communiste. Pour cette raison, il a fait plusieurs
erreurs, notamment en 1970 en laissant la Ligue Awami être seule
présente dans les élections.
Sheikh Mujibur Rahman, dirigeant de la Ligue Awami
bourgeoise (ou plutôt petit-bourgeoise), a reçu un triomphe,
devenant pour les masses le dirigeant de la lutte démocratique. 167
des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental
étaient ainsi détenus par la Ligue Awami.
La Ligue Awami n’était certainement pas prête
pour la sécession – mais les masses éveillées, notamment par le
Parti National Awami, poussait à une libération de l’hégémonie du
Pakistan occidental.
A joué ici aussi un rôle important le cyclone de
1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais
n’a pas été en mesure d’organiser un secours sérieux. A ce moment,
l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient
principalement du Pakistan occidental – a commencé à être
considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.
Pour cette raison, le 25 mars 1971, l’armée
pakistanaise a fait une intervention, qui est devenu un véritable
génocide.
L’objectif de l’armée pakistanaise était
d’écraser tous les intellectuels de langue bengali, de violer des
femmes autant que possible (environ 200 000), de tuer autant que
possible les hindous. La langue bengali et les hindous ont été
considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc,
comme des cibles.
Mais ce n’était pas seulement une tactique de
l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie
de la petite-bourgeoisie du Bengale.
Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé
dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars »)
et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams. Cette fraction
de l’Est du Bengale s’est donc transformée en une bourgeoisie
bureaucratique servant les intérêts pakistanais.
Les résultats de ce processus a été trois
millions de morts.
La naissance du Bangladesh
Le soulèvement de masse, la grève générale, la
lutte armée généralisée a permis de vaincre l’offensive
pakistanaise.
Mais la défaite totale du Pakistan aurait
également signifié la défaite de l’Inde. L’Inde ne pouvait pas
accepter un Bangladesh indépendant, cela signifierait la perte du
Bengale occidental à moyen terme.
Cela était
particulièrement évident alors que les conseils ouvriers et
paysans se répandaient dans tout le pays, la guerre populaire
étant également initiée par différentes organisations, en
particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti
prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.
Peter
Hazlehurst du Times commente alors: « Le Bengale rouge
alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad. » Il est à noter
que le philosophe français Bernard Henri Lévy, publiant ses
premiers travaux sur la question indienne et le Bangladesh, n’a pas
compris ce processus et pensait que la guerre populaire initiée
n’avait pas comme objectif la révolution démocratique au Bengale,
favorisant ainsi le pessimisme et la confusion.
En raison de la situation, l’armée indienne a
lancé une offensive contre le Pakistan et organisé depuis le début
à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée
de libération » sous contrôle de la Ligue Awami. L’objectif
était la formation d’un Bengale oriental, sous contrôle de l’Inde
et son maître, le social-impérialisme russe.
La situation était très compliquée pour les révolutionnaires. Ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales. Et l’impérialisme américain et le social-impérialisme russe soutenaient certaines fractions pour les transformer en une bourgeoisie bureaucratique.
Carte de la situation militaire en 1971
L’intervention massive de l’Inde a apporté
beaucoup de problèmes tactiques, l’ennemi principal changeant de
manière rapide. Cela a permis la formation du Bangladesh, sous
contrôle indien. Le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est
devenu le premier ministre, puis le président.
Représenter le bourgeoisie bureaucratique
pro-Inde et pro-URSS social-impérialiste, Sheikh Mujib a commencé à
donner la même orientation idéologique. Il a mis en avant, comme
principes fondamentaux, « le nationalisme, la laïcité, la
démocratie et le socialisme. »
Il a fait en sorte que seule un partie a été
toléré dans le pays, la Bangladesh Krishak Sramik Awami
League-BAKSAL, et se mit en tant que président à vie.
Ce fut bien sûr inacceptable par les masses, et
cela a été utilisé par les impérialistes. Après la famine de
1974, qui a tué 1,5 millions de personnes, l’impérialisme américain
a poussé à un coup d’Etat militaire, le 15 août en 1975.
L’officier de l’armée Ziaur Rahman est devenu le
dirigeant, qui a créé un parti politique exprimant les intérêts
de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie bureaucratique qui
lui est soumis: le Bangladesh Nationalist Party (BNP).
Ziaur Rahman a fait une politique qui était à
l’opposé de la précédente, l’Etat a fait des privatisations,
l’islam s’est vu donné un rôle national; Golam Azad, chef exilé du
Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un
passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du
visa, etc
Ziaur Rahman a subi quelques différents coups
d’Etat, qui ont tous échoué, même s’il a été tué dans cellede
1981. Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad
Ershad, a suivi sa politique, mais a formé son propre parti
politique, le Parti Jatiya.
Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a
ouvert la voie à un Bangladesh «démocratique» – une
« démocratie » sous le contrôle des deux fractions de
la bourgeoisie bureaucratique.
La domination de la Ligue Awami et du BNP
Sous le régime Ershad – qui a servi comme un
Bonaparte dans une situation de crise – la Ligue Awami et le BNP se
sont réorganisés.
Khaleda Zia, veuve de Zia, est devenue la
dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et
a formé l’alliance des 7 partis.
De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée
par Sheikh Hasina, la fille de Mujib ; la Ligue était (et est)
une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des
15 partis.
Le BNP et la Ligue Awami se sont unis contre la
loi martiale d’Ershad. Ils se sont alliés aussi avec la
Jamaat-e-Islami, et une « Ligue démocratique » qui était
également pro-américaine.
En 1987, la Ligue Awami a boycotté les élections,
en 1988, elle a été rejoint dans son boycott par le BNP. La
pression générale contre lui – des fractions bureaucratiques, mais
aussi des masses, où les révolutionnaires jouaient un rôle
significatif – ont amené Ershad à démissionner, en 1990. Son
parti politique devint alors un allié de la Ligue Awami.
Depuis 1990, la BNP et la Ligue Awami sont les
principaux partis politiques institutionnels, représentant les deux
principales tendances bureaucratiques bourgeoise, avec la
Jamaat-e-Islami.
En 1991, les deux parties étaient à peu
près équivalent, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans
une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la
Ligue Awami de nouveau en 2008.
De 1991 à 1996, Khaleda Zia, a été Premier
ministre, Sheikh Hasina a alors dominé de 1996 à 2001, Khaleda Zia
revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans
une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina
est revenue au 2009.
Bangladesh: un pays opprimé
Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, nous
allons jeter un oeil à ce qu’il est possible de lire sur un site web
contre les criminels de guerre de 1971:
«En 1971, deux pouvoirs suprêmes les États-Unis et la
Chine étaient avec eux. Mais Allah était avec les Bengalis
désarmés. Donc nous avons gagné la guerre. Bien que nous ayons
perdu nos bien-aimés, mais nous avons eu notre désiré
Bangladesh. »
Ce qui est écrit ici m’aide beaucoup à
comprendre l’illusion qui prévaut dans beaucoup de secteurs des
masses.
Parce que ce n’était pas « Allah »,
mais l’armée indienne qui a donné des armes et combattu contre
l’armée pakistanaise d’un côté, les masses qui se sont armées de
l’autre, avec une forte influence communiste.
Mais en raison
de la faiblesse de l’avant-garde communiste, le Bangladesh, à sa
fondation, est devenu une marionnette de l’Inde et de l’URSS
social-impérialiste. Cela a donné de nouveau de la vigueur à
l’idéologie du « retour au moghol », qui a été de
nouveau utilisée par la bourgeoisie bureaucratique pro-américaine.
Et elle a permis aux ex-Razakars de se « justifier. »
Nous avons ici une clé idéologique. Le
Bangladesh est né comme un pays sur un génocide de 3 millions de
personnes, dont la seule faute était d’être Bengali et en cette
nouvelle nation n’a pas été en mesure jusqu’à présent de
préserver leur mémoire et de punir les criminels.
Comment cela est-il possible?
C’est parce que l’aspect religieux est si forte
que même juste après l’indépendance de 1971, le nouvel État du
Bangladesh n’a pas été en mesure de réprimer la razakars, qui ont
aidé l’armée pakistanaise dans ses massacres. Même Mujib a utilisé
l’islam comme une arme idéologique.
Et, de plus en plus, le Bangladesh connaît une
influence plus grande de l’islam. En juin 1988, la constitution a
même été modifiée afin d’établir l’Islam comme religion d’État,
abandonnant la laïcité de l’État. La Ligue Awami accepte cela –
parce qu’elle n’a absolument plus aucun aspect bourgeois, elle est
purement bureaucratique.
Ceci est logique: le Bangladesh, rejetant une voie
démocratique, est de plus en plus en train d’utiliser l’islam d’une
manière national-bureaucratique abstraite, afin de maintenir le
Bangladesh tel qu’il est. Même les forces pro-Inde ont besoin de cet
islam pour maintenir le Bangladesh comme il est, pour être en mesure
d’exister.
L’option des maoïstes au début des années 1970
a été correcte: l’organisation de la révolution agraire se propage
comme un feu au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, elle permettrait
d’unifier les masses qui ont déjà beaucoup de liens culturels. Et
cela permettrait de s’opposer à la fois aux forces pro-américaines
et pro-URSS.
Mais le Bangladesh a désormais de plus en plus un
capitalisme bureaucratique organisé par le haut, avec des milliers
d’usines où des grandes rébellions sont mêmes organisées. Il
n’est pas possible de nier cette évolution.
Le pays a pris ou prend le tournant, comme
beaucoup de pays, d’un pays semi-colonial semi-capitaliste
bureaucratique, avec des éléments semi-féodaux massifs sur le plan
culturel et idéologique. Il y a même un système idéologique
unifié pour justifier l’État: un islam influencé par un
romantisme du « retour au moghol. »
Bangladesh: nation inachevée du Bengale
Néanmoins, cette idéologie d’État, de plus en
plus influencée par l’islam, a une base très faible. Elle n’est pas
conforme à la base nationale.
La révolution de nouvelle démocratie lève ce
drapeau, pour unifier les masses contre ceux qui invente de faux
principes pour maintenir leur domination.
Mais la principale question révolutionnaire est
la suivante: où est le soutien principal de la révolution de
nouvelle démocratie?
Hier, cela aurait été essentiellement la
révolution agraire. Aujourd’hui, alors que la nation a avancé mais
d’une façon erronée, cela doit encore être l’aspect démocratique,
mais sur une base populaire. La lutte contre le fascisme et les
forces fascistes a de fait été très forte depuis 1971.
Et certainement, la question de la culture bengali joue un rôle central. Une révolution démocratique réalise un aspect universel, et comme il est un voisin très proche sur le plan culturel – le Bengale occidental – la question de la révolution démocratique porte de nouveau la question de la nation bengalie.
Ce n’est pas seulement que le socialisme unifie les peuples, c’est aussi qu’une fédération des deux Bengale a une valeur idéologique démocratique. Tant l’Ouest que l’Est ont vécu des expériences de soumission à des formes qui ne permettent pas leur développement. Ils ont besoin de trouver une autre voie – leur réunion démocratique, d’une manière ou d’une autre, est inévitable.
Qu’est-il advenu du capitalisme indien? Il avait
en fait déjà une idéologie extrêmement développée : le
jaïnisme.
Mais Karl Marx n’a pas pu voir cela, pour deux
raisons. Tout d’abord, le jaïnisme était moins connu, pour ne pas
dire inconnu, ce qui est encore aujourd’hui le cas. Ensuite, Marx
connaissait une forme avancée d’idéologie capitaliste, et le
jaïnisme était « démocratique » dans une forme très
élémentaire.
Le jaïnisme est apparu au même moment que le
bouddhisme ; sa philosophie en était très proche. Mais si le
bouddhisme était l’idéologie de la ville, du royaume, le jaïnisme
était directement l’idéologie du capitalisme.
C’est pourquoi le jaïnisme est beaucoup plus exigeant : une personne qui offre à son insu de la nourriture empoisonnée est innocente selon le bouddhisme, coupable selon le jaïnisme.
Extrait du Kalpa Sūtra, qui contient les biographies des grandes figures jaines, 15e siècle
Si le mot jaïnisme vient en effet du verbe
sanskrit jin, qui signifie se battre – ici la
bataille contre les passions et la réalité de la matière -, le
paradoxe est que le jaïnisme est une religion très pragmatique.
Sur le plan scientifique, c’est de l’empirisme
dans la tradition bourgeoise primitive : les choses sont supposées
avoir de multiples aspects, chaque personne prenant peut-être un
aspect différent, et ainsi toute proposition est vraie de façon
conditionnelle et non pas de façon absolue.
C’est un relativisme très utile au capitalisme ;
en fait c’est ici une forme ouverte de libéralisme, un appel à la
pratique autonome, sans avoir à être jugé par des « forces
suprêmes ».
Un jaïn devait être austère et digne de
confiance ; pour le jaïnisme, il n’y avait ni castes, ni
possibilité d’être « parfait » en tant qu’être humain,
seule la mort pouvait provoquer la libération finale. Et le jaïnisme
des débuts refusait aussi le culte des images.
Il est évident que tout ceci a la même dynamique que le protestantisme.
Les 24 grandes figures jaines, vers 1850
Et nous voyons que du point de vue matérialiste,
le jaïnisme rejette le concept de la création de l’univers ;
dans la même perspective, le jaïnisme réfute le principe d’une
« force suprême » qui « organiserait » le
monde.
Ce qui est ici extraordinaire, c’est que cette
ligne pré-bourgeoise était si progressiste qu’elle acceptait
ouvertement la conception matérialiste de l’unité du monde.
Le jaïnisme était la religion la plus proche de
considérer que la réincarnation était le développement éternel
de la matière vivante par le mouvement des atomes.
Le jaïnisme allait si loin, qu’il considérait
que tous les êtres vivants étaient liés ; comme l’a formulé
le mathématicien jaïn Umā Svāti au deuxième siècle :
« Les
âmes existent pour se rendre service les unes aux autres. »
Dans la lignée de cette reconnaissance de la
matière vivante, il est interdit pour les jaïns de faire du mal à
tout être vivant. Dans le livre sacré traditionnel appelé
l’uttaradhyayana sutra, nous pouvons lire ceci :
« Des bâtons et des couteaux, des pieux et des
massues, de mes membres brisés,
J’ai impitoyablement souffert à d’innombrables reprises.
Par des rasoirs, des couteaux, des lances bien affûtées,
j’ai été si souvent
Traîné, écartelé, découpé et dépecé
Tel un cerf aux abois pris au collet, tombé dans un
piège,
J’ai si souvent été attaché, ligoté et même tué.
Comme un poisson sans défense, j’ai été pris avec des
hameçons et dans des filets,
Crocheté, écaillé, fendu et éviscéré, et tué un
million de fois…
Né arbre, j’ai été abattu et débité, à coup de
hache et de burin
Puis découpé en planche à l’infini.
Incarné dans le fer, j’ai subi le marteau et les pinces
Tellement de fois, pris en étau, frappé, tordu…
Toujours tremblant de peur ; dans une souffrance
permanente,
J’ai ressenti la plus grandes tristesse, la plus grande
agonie. »
De nos jours, le jaïnisme a encore quatre
millions d’adeptes, la plupart en Inde où cette religion a toujours
été associée aux marchands ; en Belgique, cette communauté est
connue à Anvers pour sa présence dans le commerce des diamants.
Les jaïns ont donc pour ainsi dire été intégrés
comme une caste de marchands au sein de l’hindouisme, après que ce
dernier ait bien sûr triomphé du bouddhisme, qui était le grand
concurrent du jaïnisme.
Sous la domination islamique, les jaïns ont
conservé ce rôle de commerçants, pour lequel ils étaient
protégés, et même tenus en grand respect par Akbar, le grand
souverain qui a tenté d’unifier l’empire comme l’avait fait Ashoka.
Akbar, profondément influencé par Hiravijaya ji
(1526-1595), a renoncé à la pêche et à la chasse, est devenu
végétarien et a interdit le meurtre d’animaux pendant les festivals
de Paryusana et Mahavir Jayanti, a fait interdire l’abattage des
animaux pendant six mois dans le Gujarat, a abandonné certains
impôts ; etc..
Mais ce n’est pas tout, même après la tentative d’Akbar de construire une nouvelle idéologie pacifique et universelle, le Sulh-e-Kul, les commerçants jaïns ont conservé la protection de l’empire Moghol, même sous Aurangzeb. Les jaïns avaient la liberté de culte, la protection des pèlerinages et la possibilité de les entreprendre comme ils le souhaitaient, etc.
Extrait du Kalpa Sūtra, 15e siècle
Symboles de cette liberté dans les affaires, les
temples jaïns, dont la construction a débuté au 11e siècle, se
trouvent par centaines sur le mont Shatrunjaya, dans le Gujarat.
Le fait que le jaïnisme se soit maintenu
uniquement dans le nord-ouest de l’Inde est important. Sa dimension
politique avait déjà disparu à l’époque de l’ascension du
bouddhisme ; c’était uniquement l’idéologie capitaliste de
l’ascension de la bourgeoisie à ses débuts.
Mais comme le jaïnisme avait déjà un niveau
culturel très élevé, nous y trouvons beaucoup d’interdictions
morales qui ont joué un grand rôle dans l’échec du capitalisme
indien.
Parmi ces interdictions, on retrouve celles qui sont liées aux êtres vivants. Un jaïn ne peut pas participer à la production et à la vente de charbon de bois et de bois, tout comme il n’a pas le droit d’utiliser ou de vendre des animaux, et donc pas le droit de construire ou de vendre des chariots (à cause du bois et de l’utilisation des animaux).
Mahavira, fondateur du jainisme, 14e siècle
Étaient évidemment interdits le commerce des
produits issus des animaux comme l’ivoire, les os, les coquillages,
les peaux, mais aussi le commerce de l’alcool ou d’articles dangereux
comme les armes, les poisons, et encore les outils agricoles qui
représentaient une menace à la vie dans le sol (les jaïns évitent
ainsi de manger de l’ail et des oignons, comme leur arrachage est un
danger pour des êtres vivants).
Dans le même esprit, il était interdit
d’assécher des lacs ou de défricher des forêts, notamment par le
feu, ou d’opérer des moulins ou des presses à écraser le grain et
la canne à sucre.
Les jaïns étaient donc usuriers, commerçants, prêteurs sur gages, etc. ; ils refusaient d’investir dans toute production opposée au principe de l’« Ahiṃsā », d’absence de souffrance. Les marchands du Gujarat profitaient des échanges maritimes internationaux, étant présents dans les ports de Goa, Chaul, Diu.
Mahavira, vers 1825
Nous tenons ici l’explication de l’échec du
capitalisme dans l’Inde antique.
Comme le brahmanisme était un système de caste
raciste, il s’opposait à la responsabilité et à l’initiative
individuelles nécessaires aux marchands. Il était donc inévitable
que ces derniers forgent leur propre idéologie.
Mais contrairement à la situation en Europe, les
marchands ne pouvaient pas cohabiter avec la monarchie absolue. Par
conséquent, le jaïnisme en tant qu’idéologie du capitalisme a
décliné, pour devenir une religion locale ; cette défaite a
empêché la construction d’une idéologie capitaliste forte présente
dans tout le pays.
De plus, les artisans étant sous le joug du
féodalisme, les marchands ne pouvaient pas établir de liens avec
eux.
Mais ce n’était pas tout, et ce dernier point
explique pourquoi Karl Marx n’a pas pu voir le jaïnisme. Le
capitalisme est un mode de production, et donc de reproduction. Cela
veut dire que l’argent doit circuler d’un côté, et que des
travailleurs individuels doivent être prêts à travailler de
l’autre côté.
Le problème n’était pas seulement que le
féodalisme bloquait l’émergence de travailleurs libres. C’était
aussi que le faible capitalisme indien n’avait pas de marché.
Comment le capitalisme européen s’est-il
développé ? Par la vente de marchandises à la bourgeoisie.
Mais Rosa Luxembourg a posé cette question :
comment le capital peut-il s’élargir si tout l’argent est dans les
mains de la bourgeoisie ? Et elle pensait que la clé était
l’intégration des secteurs non capitalistes.
La réponse est claire avec l’exemple indien :
l’accumulation du capital s’est accélérée grâce à
l’intensification du travail animal, et de la vente de produits
entraînant des dépendances tels que l’alcool, l’opium, le sucre, le
tabac, etc.
Ces ventes ont permis de s’emparer de tout
l’argent et de le réinjecter dans le circuit capitaliste. Mais en
Inde, le jaïnisme était déjà une idéologie hautement civilisée.
La base même de l’accumulation n’a pu être
atteinte à cause de cela ; même le commerce le plus lucratif, celui
des chevaux, était rejeté par les jaïns. Le résultat a été un
faible développement de la bourgeoise.
Ainsi, le jaïnisme n’a jamais plus été en capacité de défier l’hindouisme, qui est devenu l’idéologie du féodalisme. Ce féodalisme a été pris d’assaut par les envahisseurs, qui n’ont eu qu’à maintenir les choses telles qu’elle étaient, bloquant la société indienne.
La Bhakti a permis au brahmanisme, puis à
l’hindouisme, de bénéficier d’un bastion idéologique solide dans
les masses, le prix à payer étant l’implication active des masses
dans ce processus. Cela a permis au féodalisme de s’enraciner
profondément dans la société.
Mais nous observons ici autre chose : ce processus
a mené à l’unification de l’Inde. Comment cela a-t-il pu être
possible ?
Après l’effondrement de l’empire Maurya, l’Inde
antique était divisée en de nombreux royaumes qui se disputaient la
suprématie. L’empire Gupta n’a été que le succès temporaire d’un
royaume en particulier ; en pratique, le pays se divisait en une
multitude de pouvoir locaux.
L’hindouisme était l’idéologie du système
féodal en général, chaque instance de pouvoir local mettant en
avant sa divinité, etc. Les masses étaient de cette façon
impliquées dans les querelles intestines féodales.
Dans ce contexte, à chaque fois qu’un roi
accédait à une position importante, il soutenait une religion en
octroyant au clergé des terres et des temples. Un temple recevait de
la terre et des paysans pour la travailler, avec pour résultat
l’approfondissement du féodalisme.
Les rois ont commencé à octroyer également des
terres aux forces féodales qui leur apportaient leur soutien, même
si officiellement la propriété foncière n’a jamais été
problématisée en Inde antique et féodale : les rapports de
pouvoir, par l’intermédiaire des castes, étaient suffisants.
A travers ce processus, la partie sud de l’Inde a rejoint la partie nord. L’Inde du sud possédait déjà une culture forte, en particulier chez les Tamouls ; des royaumes entreprenaient déjà de créer des idéologies, en particulier au moyen du bouddhisme.
Représentation moderne de la déesse Sarasvati
Ce bouddhisme était cependant très différent de
celui de l’époque d’Ashoka. C’était désormais une religion
organisée, connue sous le nom de Mahāyāna (« Grand Véhicule
» en sanskrit) et qui comportait de nombreux dieux, des rituels, un
clergé, etc.
Le but n’était plus la libération, mais le culte
des Bodhisattvas, des divinités qui pourraient devenir des bouddhas
mais qui choisissent de repousser ce moment pour rester dans le
monde, ce afin d’aider les masses (ce qui en fait des « modèles »
pour les humains). C’était une variante féodale décadente du
bouddhisme des origines, comme en témoignent les énormes statues
couvertes d’or, de bijoux, etc.
Finalement, la vigueur idéologique de
l’hindouisme a conduit les forces féodales du sud à rallier
l’hindouisme, les seigneurs féodaux ont été intégrés dans la
castes des kshatriya, des prêtres ont été formés, et toute une
histoire a été « écrite » pour intégrer le sud à la
culture du nord.
C’était une construction idéologique pure et
simple, et dans les faits, le sud n’a jamais connu quatre castes,
mais seulement un système traditionnel à deux niveaux, avec d’un
côté les seigneurs féodaux et le clergé, et de l’autre des masses
opprimées.
Une autre variante concernait les zones tribales
intégrées ; dans ces cas, l’hindouisme devait s’adapter, ce qui a
donné naissance au tantrisme et ses éléments de magie.
Comme
R.S. Sharma le souligne dans « La
société médiévale indienne à ses débuts »:
« Une enquête géographique des
concessions foncières montrerait que, sauf dans le sud profond où
les colonies brahmanes apparaissent en grand nombre à partir du
huitième siècle, cela a été du cinquième au septième siècles
que les concessions de terres à grande échelle ont été faites aux
brahmanes dans les zones périphériques comme l’Assam, le Bengale,
l’Orissa, l’Inde du centre et du sud. Les zones de l’Himalaya et le
Népal ont également été ouverts aux brahmanes dans les périodes
post-gupta par des concessions de terres. »
L’hindouisme a permis la généralisation d’un
système dans lequel les seigneurs féodaux gouvernaient
principalement un ensemble de villages, où la Bhakti, portée par
les populations locales, a apporté les prémices de l’élément
national.
Sans la Bhakti, la dévotion des masses, les
souverains féodaux auraient gouverné des royaumes complètement
disparates ; grâce à la Bhakti, les masses ont trouvé un point de
rencontre malgré les barrières linguistiques et culturelles.
Le choc causé par les invasions islamiques a
permis de mettre cela en perspective. Tout d’abord, les envahisseurs
ont progressivement gagné la domination sur tous les royaumes,
formant un nouvel empire et unifiant le pays sur le plan
administratif, les forces féodales devenant une interface avec le
pouvoir central.
De plus, les masses soutenant la Bhakti se retrouvaient confrontées à une autre religion, ce qui a renforcé l’unification, excepté dans les zones directement liées aux envahisseurs, comme l’Inde du nord-ouest, ou historiquement réticentes à la domination septentrionale, comme le Bengale qui était un bastion bouddhiste, et dont la partie orientale est devenue principalement musulmane.
La déesse de la destruction Kali sur le corps de Shiva, entre 1800 et 1825. Kali est historiquement particulièrement révéré au Bengale occidental.
L’empire Moghol a maintenu tel quel le système
féodal sans abolir les castes, se contentant de coordonner les
choses par le haut, comme une sorte d’antithèse de l’empire Maurya
(à l’exception de l’idéologie progressiste Sulh-e-Kul de
l’empereur Akbar, qui tenta d’unifier l’empire de façon similaire,
tel un Ashoka moderne).
Les forces féodales étant dans l’incapacité
d’évoluer vers une monarchie absolue, les envahisseurs ont pu former
une monarchie tyrannique et parasitaire, et vivre des revenus de la
collecte des impôts et de la propriété foncière directe (plus ou
moins un cinquième de l’empire, selon la période).
C’est précisément cela que Marx avait vu, et qui
l’a amené à penser que l’Inde n’était jamais parvenue à dépasser
la dispersion féodale d’une part, et d’autre part à former un état
central pour mettre de l’ordre dans ce chaos.
Dans un article de 1853 intitulé Les
conséquences futures de la domination britannique en Inde,
publié dans le New York Daily Tribune, Karl Marx écrit dans cet
esprit :
« La société indienne n’a pas d’histoire du tout,
du moins pas d’histoire connue.
Ce que nous appelons histoire, n’est que l’histoire des
envahisseurs successifs qui ont fondé leurs empires sur les bases
passives de cette société immuable et qui n’offrait pas de
résistance.
La question, donc, n’est pas de savoir si les anglais
avaient le droit de conquérir l’Inde, mais de savoir si nous
préférons que l’Inde soit conquise pas les Turcs, les Perses, les
Russes, ou les Britanniques.
L’Angleterre a une double mission à remplir en Inde :
la mission de détruire, et la mission de régénérer
l’anéantissement de l’ancienne société asiatique, et de jeter les
bases matérielles de la société occidentale en Asie (…).
Les classes dirigeantes de Grande-Bretagne n’ont trouvé
jusqu’à présent qu’un intérêt fortuit, transitoire et épisodique
aux progrès de l’Inde. L’aristocratie voulait la conquérir,
l’argentocratie voulait la piller, et la manufacturocratie voulait la
brader. Mais à présent, c’est une autre affaire.
La manufacturocratie a découvert que la transformation
de l’Inde en pays producteur a pris pour eux une importance vitale,
et qu’à cette fin, il est nécessaire par dessus tout de la doter de
moyens d’irrigation et de communication interne (…).
L’industrie moderne, résultante du système de chemins
de fer, va dissoudre les divisions héréditaires du travail sur
lesquelles reposent les castes indiennes, ces obstacles décisifs au
progrès indien et au pouvoir indien.
Rien, parmi tout ce que la bourgeoisie anglaise sera
contrainte de faire, n’émancipera ni n’améliorera la condition
sociale de la masse du peuple, laquelle dépend non seulement du
développement des forces productives mais aussi de leur
appropriation par le peuple. Mais ce que la bourgeoisie ne manquera
pas de faire, c’est de poser les bases matérielles de ces deux
conditions.
La période bourgeoise de l’histoire doit créer les
bases matérielles du nouveau monde – d’une part, les échanges
universaux fondés sur la dépendance mutuelle de l’humanité, et les
conditions de ces échanges ; d’autre part, le développement
des forces productives de l’homme, et la transformation de la
production matérielle en une domination scientifique des instances
naturelles.
L’industrie et le commerce bourgeois créent les
conditions matérielles d’un nouveau monde de la même façon que les
révolutions géologiques ont créé la surface de la terre ».
Mais, comme nous l’avons vu, il y a une histoire complexe dont le bouddhisme et le jaïnisme sont les expressions conflictuelles par rapport à l’hindouisme. C’est là un aspect cependant secondaire par rapport à ce que constate Karl Marx avec justesse alors : l’Inde est d’une faiblesse complète au moment de la colonisation, elle n’a pas d’ossature.
L’hindouisme est parvenu à écraser le
bouddhisme grâce à la Bhakti, mais le prix à payer a été élevé,
car il a fallu intégrer la dévotion des masses dans la pratique
religieuse. Voici comment Damodar Dharmananda Kosambi décrit ce
processus dans Culture et Civilisation de l’Inde Antique :
« Les brahmanes ont peu à peu étendu leur
influence aux tribus et aux castes corporatives qui y échappaient
encore, un processus qui se poursuit aujourd’hui. Cela impliquait le
culte de nouveaux dieux, y compris Krishna, qui avait supplanté le
culte d’Indra dans plaine du Punjab avant l’invasion d’Alexandre.
Mais la spécificité des rituels et des cultes tribaux a
été modifiée, les divinités tribales devenant des équivalents
des dieux brahmaniques standard, et de nouvelles écritures
brahmaniques ont rendu respectables les dieux qui ne pouvaient être
assimilés tels quels.
Ces divinités nouvelles ou à l’identité redéfinie
allaient de pair avec de nouveaux rituels, et des dates
supplémentaires au calendrier lunaire pour les occasions
particulières. De nouveaux lieux de pèlerinage sont apparus, ainsi
que les mythes leur conférant une respectabilité suffisante, alors
qu’ils n’étaient auparavant que des lieux de culte primitifs
pré-brahmaniques.
Le Mahabharata, le Ramayana et surtout les Puranas
regorgent de tels éléments.
Le mécanisme d’assimilation est particulièrement
intéressant. Non seulement Krishna, mais aussi le Bouddha lui-même,
ainsi que des divinités totémiques telles que les très anciens
Poisson, Tortue et Ours furent transformés en incarnations de
Vishnu-Narayana.
Le dieu Hanuman à tête de singe, populaire auprès des
cultivateurs à tel point qu’il était le dieu associé à
l’agriculture et faisait l’objet d’un culte particulier, est ainsi
devenu le fidèle compagnon-serviteur de Rama, une autre incarnation
de Vishnu. Vishnu-Narayana utilise le grand Cobra portant le monde
comme un lit pour dormir sur les eaux ; et en même temps, ce
même Cobra sert d’étole à Shiva, et d’arme à Ganesha.
Ganesha, dieu à la tête d’éléphant, est le fils de
Shiva, ou plutôt de la femme de Shiva. Shiva lui-même est le maître
des gobelins et des démons, beaucoup d’entre eux – comme le
cacodémon [un esprit mauvais, démoniaque] Vétala – étant des
dieux extrêmement primitifs et liés à l’origine aux cultes
populaires des villages.
Nandi, le taureau de Shiva, faisait l’objet d’un culte
dans l’Inde du sud à l’époque néolithique, où aucun maître
humain ni aucune divinité ne le chevauchait ; il apparaît
indépendamment sur d’innombrables sceaux datant de la civilisation
de l’Indus.
Cette assimilation se poursuit à l’infini, et si l’on
regroupe toutes les légendes on voit bien qu’elles ne sont qu’un
agrégat informe.
Pourtant, l’importance de ce processus ne doit pas être
sous-estimé. Le culte de ces divinités primitives ré-assimilées
faisait partie d’un mécanisme d’acculturation, de concessions
mutuelles.
Tout d’abord, ceux qui auparavant vouaient un culte au
Cobra pouvaient encore le vénérer même en s’inclinant devant
Shiva, et inversement ceux qui révéraient Shiva rendaient hommage
au Cobra dans leurs propres pratiques rituelles. Plus tard, nombreux
sont ceux qui allaient observer chaque année le jour du Cobra,
pendant lequel il est interdit de travailler la terre et où de la
nourriture est donnée en offrande aux serpents.
Des éléments matriarcaux ont été ajoutés, par
assimilation de la déesse mère à l’ « épouse »
d’un dieu masculin, comme par exemple Durga-Parvati (qui peut avoir
des noms différents selon le lieu, comme Tukaï ou Kalubaï)
l’épouse de Shiva, ou Lakshmi l’épouse de Vishnou.
Cette complexe généalogie divine conservait des
éléments de syncrétisme : Skanda et Ganesha sont devenus les
fils de Shiva. »
Ce processus comportait d’énormes risques, car il produisait des mouvements de masse mystiques rejetant les prêtres eux-mêmes au nom de l’amour mystique.
Des figures éminentes de la bhakti : Namdeva, Kabir, Raidas et Pipaji, 19e siècle
Kabir (1440-1518) est le meneur le plus célèbre de l’un de ces mouvement ; sa « voie » est théorisée dans le Bijak, une compilation de poèmes mystiques aujourd’hui encore très célèbre.
En voici un exemple :
« Oh servant, où Me cherches tu ?
Regarde ! Je suis près de toi.
Je ne suis ni au temple ni à la mosquée : ni à la
Kaaba ni à Kailash :
Je ne suis ni dans les rites ni dans les cérémonies,
ni dans le Yoga ni dans la renonciation.
Si tu cherches vraiment, tu Me verras tout de suite :
Tu viendras en un instant à Ma rencontre. »
« Je ne suis pas Hindou,
Ni Musulman non plus!
Je suis ce corps, un théâtre
Des cinq éléments ; un spectacle
De l’esprit qui danse
Avec la joie et la tristesse ».
Un autre personnage important est Nanak (1469-1539), le fondateur du sikhisme, pareillement orienté vers le rejet de l’hindouisme et de l’islam, au nom de la dévotion et de la vérité éternelle.
Nanak enseignant à des ascètes, entre 1828 et 1830
Kabir et Nanak, entre autres, rejetaient le
principe des prêtres, des textes sacrés, de la fonction de yogi,
des dogmes : l’amour et la fusion avec le « un »
était un « appel » mystique.
Dans de tels cas, il y avait une rupture avec
l’hindouisme, avec les système des castes, avec une quelconque
forme de clergé. La mobilisation de masse était au cœur de la
démarche.
Même à l’intérieur de l’hindouisme, de telles
tendances existaient, très fortes, et elles ont marqué leur époque.
Le vaishnavisme de Chaitanya est par exemple allé très loin avec le
culte de Krishna, tout comme le poète Surdas (1528- vers 1581) et la
poétesse Mira Bai (vers 1498- vers 1546) dont voici un poème :
« Impérissable, O Seigneur,
Est l’amour
Qui me lie à Toi :
Comme un diamant,
Il brise le marteau qui le frappe.
Mon cœur s’imprègne dans le Tien
Comme la cire dans de l’or.
Tel que le lotus qui vit au sein de l’eau,
Je vis en Toi.
Comme l’oiseau
Qui toute la nuit
Contemple la lune décroissante,
Je me suis perdue en Ton sein.
Ô, reviens, mon Adoré ».
En voici un autre :
« Dans mes voyages j’ai passé du temps avec un
grand yogi.
Un jour il m’a dit :
Deviens si immobile que tu puisses entendre
le sang couler dans tes veines.
Une nuit alors que j’étais assise au calme,
Il m’a semblé être sur le point d’entrer dans un monde
si vaste
Que je sais que c’est notre source à tous ».
Nous trouvons aussi des personnages comme Eknath
(1533-1599), et le très important Tulsidas (1532-1623), qui ont
formulé une « voie » où Dieu est considéré à la fois
comme personnel et impersonnel, c’est-à-dire comme le but d’une
quête mystique, mais aussi d’un culte personnel.
La Bhakti a permis à l’hindouisme de gagner les masses, mais cela signifiait l’irruption des masses dans la religion elle-même.
Shankara a produit une doctrine classique de
l’hindouisme, une nouvelle forme de brahmanisme où les castes
étaient réintégrées, l’ordre ancien était de retour, et le
bouddhisme, cet ennemi idéologique, était vaincu.
Malgré cela, voilà ce que nous lisons dans
le Bhāgavata Purāṇa, la légende éternelle et
divine du Dieu Suprême, qui se compose de dix-huit mille vers écrits
entre le 9ème et le 10ème siècle (mais qui existaient auparavant
de manière orale) :
« Ni le Yoga ni le Samkhya ni le dharma ni l’étude
des Védas, ni la sobriété religieuse ni l’abandon de soi ne Le
ravissent (si pleinement) qu’une intense dévotion.
Moi, qui suis le Soi bien-aimé des vertueux, ne peux
être saisi (qu’) à travers une dévotion absolue et pleine de
révérence.
La dévotion entièrement dirigée vers Lui absout même
les Svapakas (qui cuisinent et mangent la chair des chiens) du
stigmate qui leur est apposé dès la naissance. »
En effet, l’hindouisme n’avait triomphé que dans
la forme. La perspective de Shankara n’a pas été suivie, car elle
était trop rigide, trop uniforme et pas adaptée aux multiples
situations locales qui nécessitaient l’intégration de divinités
spécifiques.
Nous trouvons donc, en compétition idéologique
avec Shankara, Madhvacharya (1199-1278) et Ramanuja (1017-1137), qui
ont développé un système non-dualiste.
Alors que Shankara appelait à rejoindre le « Un »
car tout le reste n’est qu’illusion, exactement comme Platon et son
allégorie de la caverne, Madhvacharya et Ramanuja faisaient la
promotion d’un système dualiste traditionnel.
Selon eux, il y avait l’univers d’un côté et
Dieu de l’autre, et les êtres humains devaient prier Dieu le
seigneur de l’univers.
Nous sommes ici dans le domaine du vaïshnavisme,
le culte de Vishnou ; mais nous trouvons aussi, parallèlement à
cela et à a même période, le « shivaïsme », le culte
de Shiva.
Le shivaïsme était très répandu sans être aussi puissant, et idéologiquement plus présent aux limites de l’Inde antique, notamment au Cachemire ; il était principalement connecté aux pratiques magiques et mystiques qui avaient encore cours à l’époque.
Représentation shivaïte par Raja Ravi Varma (1848-1906), avec Shiva et Parvati, entouré des autres dieux n’ayant ici qu’une place secondaire
La célébration de Shiva s’accompagnait par
exemple du culte du lingam, le phallus en tant que
symbole d’énergie ; Shiva était en fait un dieu pré-védique,
puis il a été intégré dans les védas par assimilation avec le
dieu védique Rudra, un processus qui s’est achevé dans
le Shvetashvatara Upanishad.
Le vaïshnavisme était la forme populaire de
l’hindouisme : jusqu’à ce jour, le système « non-dualiste »
de Shankara, bien que très estimé, n’a jamais bénéficié d’une
vraie popularité. Le vaïshnavisme était si populaire qu’il était
lié au mouvement de la « Bhakti » (« portion »,
« part », « dévotion », « attachement
à », etc.).
Comme nous l’avons vu dans la citation ci-dessus, le mouvement de la Bhakti acceptait la théologie hindouiste, mais rejetait plus ou moins les castes, et même les rituels védiques, au nom d’une connexion directe avec un dieu, au moyen du chant, de la prière, de la dévotion etc.
Représentation au 18e siècle de Kalki, la dernière forme de Vishnou sur terre intervenant pour faire cesser le Kali Yuga, le dernier âge, et faire recommencer les cycles cosmiques depuis de le départ
Le phénomène le plus étonnant ici est que le
mouvement de la Bhakti, malgré ces positions, ait pu être intégré
à l’hindouisme, et exister pacifiquement aux côtés de la tradition
orthodoxe.
Comment un mouvement populaire de dévotion au
dieu unique et accessible à tous, a-t-il pu coexister avec la
tradition orthodoxe ?
C’est parce que le mouvement de la Bhakti était
l’expression de l’évolution historique de l’idéologie féodale et
de sa base sociale. L’hindouisme orthodoxe était l’idéologie des
villages, mais partout où les traditions étaient enchevêtrées
dans des situations complexes, nous trouvons l’approche de la Bhakti,
qui est en fait un équivalent du christianisme européen du haut
moyen-âge.
L’hindouisme orthodoxe a du accepter cela, afin de
protéger ses propres traditions des mouvements de masse, mais aussi
parce que la Bhakti était un front idéologique de mobilisation de
masse permettant de contenir l’avancée de l’Islam.
Alors que dans l’hindouisme orthodoxe c’est le
clergé qui est en position centrale, dans le mouvement de la Bhakti
c’est la société entière, c’est-à-dire les dirigeants locaux ;
on vénérait le dieu suprême, que ce soit sous sa forme propre,
sous la forme d’autres sous-dieux ou déesses, ou même sous la forme
d’un professeur, d’un « gourou ».
Alors que Shankara appelait à comprendre de façon
plutôt rationnelle la vacuité de l’ego, la Bhakti expliquait que
l’amour pour Dieu permettait de fusionner avec lui, dans une
perspective mystique, car nous vivons dans le dernier yuga, le
dernier cycle d’une période de 4,1 à 8,2 milliards d’années où
l’univers est détruit et recréé.
Ici, l’influence du soufisme musulman est
manifeste puisqu’on y retrouve le rapport individuel à Dieu, alors
qu’auparavant Dieu était une entité équivalente à l’univers, donc
distant et inaccessible, mis à part pour les âmes pures.
Avec la Bhakti tout le monde pouvait « fusionner » avec Dieu à travers l’adoration, les prières, les chants collectifs, etc. Ce qu’on appelle la mouvance « Hare Krishna » en Europe et aux États-Unis est basée sur la tradition Bhakti, le but des disciples étant de ressembler à Radha, la femme aimée du dieu suprême Krishna.
Des dévots de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, plus connus comme les « Hare Krishna »
Le mouvement de la Bhakti n’appelait pas à
l’anéantissement de l’ego, mais à sa rencontre avec le suprême.
Son concurrent n’était pas le bouddhisme, c’était l’Islam, dans la
situation concrète de l’Inde à l’apparition du féodalisme.
Il faut ici mentionner le grand mathématicien Damodar Dharmananda Kosambi (1907-1966), qui était aussi un historien. Citons ici sa compréhension du matérialisme dialectique et soulignons-en la valeur :
« Le matérialisme dialectique soutient que la
matière est primordiale et que les propriétés de la matière sont
inépuisables. L’esprit est un aspect de la matière en tant que
fonction du cerveau, les idées ne sont donc pas des phénomènes
primaires, mais plutôt le reflet de processus et de changements
matériels de la conscience humaine, qui est elle-même un processus
matériel.
En définitive, les idées se forment à partir de
l’expérience humaine.
La matière n’est pas inerte, mais dans un état
permanent d’interaction et d’échange ; c’est un processus complexe
plutôt qu’un agrégat de choses. A chaque niveau il y a cette
caractéristique inhérente du changement, cette « contradiction
interne », qui mène à une négation (pas nécessairement
unique) de ce niveau ou de cette condition. » (Exasperating
Essays: Exercises in Dialectical Method).
Citons ici son ouvrage Aspects économiques et sociaux de la Bhagavad-gītā :
« Pourtant, le Gita contenait quand même une
innovation parfaitement adaptée aux besoins de cette dernière
période : la Bhakti, l’adoration personnelle. Pour qui avait
composé cette œuvre, la Bhakti était le moyen de justifier que
tous les points de vue dérivent de la même source divine.
Comme nous l’avons constaté par la suite avec le plutôt
insipide Anu-Gita, cela n’a pas suffit à l’époque. Mais avec la fin
des grands empires personnels en vue, – celui de Harsa étant le
dernier – le nouvel État devait être féodal de haut en bas.
L’essence du féodalisme pleinement abouti, c’est la
chaîne de loyautés personnelles qui relie le servant à
l’intendant, le métayer au seigneur et le baron au roi ou à
l’empereur.
Il ne s’agit pas de loyauté au sens abstrait, mais sur
les bases solides des moyens et des rapports sociaux de production :
la propriété foncière, le service militaire, la collecte des
impôts et la conversion par les magnats de la production locale en
marchandise. Assurément, ce système n’aurait pas pu exister avant
la fin du 6ème siècle.
Le mot-clé est samanta, qui en 532 signifiait encore
« dirigeant local », et qui en 592 avait pris le sens de
« baron local ». Les nouveaux barons était responsables
personnellement devant le roi, et faisaient partie d’un mécanisme de
collecte d’impôts.
Le roi Manusmrti, par exemple, n’avait pas de samantas ;
il devait tout administrer lui-même, directement ou par le biais
d’agents dépourvus de statut indépendant.
Le développement approfondi du féodalisme « par
en bas » requérait à l’échelle du village une classe
d’individus qui avaient des prérogatives sur la terre (en matière
de culture, d’occupation ou de propriété héréditaire) et qui
effectuaient un service militaire spécial ainsi qu’un service de
perception d’impôts.
Pour assurer la cohésion de ce type d’État et de
société, la meilleure religion est celle qui promeut la Bhakti, la
foi personnelle, même si l’objet de dévotion a des défauts
évidents. »
Avec la Bhakti, l’hindouisme a trouvé le moyen de faire la promotion de Dieu en général grâce à la dévotion personnelle qui élimine toute perspective rationnelle ; l’Inde a pu s’enfoncer dans le féodalisme avec cette religion coexistant avec l’hindouisme orthodoxe, ce dernier étant l’expression de la continuation du système des villages de l’Inde antique.
La situation du matérialisme dans l’Inde antique
était intenable. Les deux directions possibles du matérialisme
étaient bloquées à la fois par l’hindouisme et le bouddhisme.
Le matérialisme devait surmonter deux
difficultés. La première difficulté était d’expliquer qu’il n’y a
pas d’« âme », que seul le corps existe et que les êtres
humains ne « pensent » pas : il n’y a que la
matière.
La deuxième était de considérer que l’univers
ne fait qu’un et que la pensée en est le reflet, un simple élément
de sa totalité.
Cependant, ces deux affirmations étaient
impossibles. Le bouddhisme expliquait déjà que les « âmes »
étaient une illusion, qu’il n’y avait pas d’individu, et appelait à
nier la matière pour plonger dans le Nirvana.
Ainsi, les tendances matérialistes qui
comprenaient la vacuité du concept d’ « individu »
avec un ego unique étaient prisonnières d’une mystique religieuse
qui devenait leur seule issue.
Tout mouvement d’orientation épicurien devait se transformer en négation de l’ « âme », non pas au nom de la matière, mais au nom de sa négation et de celle de l’ « âme ».
Shiva et Parvati, le couple idéal, ici représenté comme ayant fusionné, grottes d’Éléphanta, autour du 6e siècle de notre ère
Il y avait ensuite la question de la pensée comme
reflet de l’univers, à travers l’« intellect », pour
utiliser le concept d’Aristote, d’Avicenne et d’Averroès.
Mais cette orientation n’était pas possible non
plus, car l’hindouisme et en particulier Shankara avaient développé
un concept très proche de celui du bouddhisme : il y avait, en
effet, un intellect universel, mais il n’était pas le reflet du
monde, il était le reflet de Dieu.
Ainsi, ceux qui prenaient cette direction
acceptaient le monisme, mais c’était un monisme religieux qui niait
la matière.
Une œuvre très importante à cet égard, est
la Baghavad-gītā, le Chant du
Bienheureux, écrit vers le 5ème siècle avant notre ère.
Il se compose de 700 vers issus du Mahabharata, le
plus long récit épique jamais écrit en sanskrit.
Le but de la Bhagavad-gītā est
la destruction directe du bouddhisme, du matérialisme et du prestige
d’Ashoka.
En voici la trame : dans la bataille pour la succession au trône du roi défunt, Arjuna, qui est à la tête d’une armée, est dépité à l’idée de combattre les membres de sa propre famille, il ne veut pas d’une guerre. Mais le conducteur de son char est en fait Krishna, un avatar de Vishnou.
Krishna et Arjuna, tapis indien du XVIII-XIXe siècle
Vishnou lui explique qu’il est seul à exister, de
telle manière qu’Arjuna peut tuer puisqu’il ne tuera pas vraiment, à
condition de comprendre que seul Vishnou existe.
Cela signifie deux choses : d’un côté cette
œuvre défend un monisme total, dans lequel seul l’univers existe en
tant que « produit » de Vishnou, et dans lequel les
pensées sont des sous-produits de l’existence de Vishnou. De l’autre
côté, la Bhagavad-gītā explique que les castes
doivent être respectées, que les Védas sont sacrés, etc.
Si cette œuvre est une arme si puissante, c’est
parce que dans le renouvellement du système des castes, il apparaît
que le véritable but n’est pas d’atteindre le sommet de la société,
mais de quitter la fausse réalité de l’univers et de comprendre que
seul Vishnou existe.
Citons ici quelques passages très intéressants
de la Bhagavad-gītā qui sont vraiment très
proches d’une compréhension matérialiste de la pensée comme reflet
de l’univers éternel :
« Les sens sont supérieurs à la matière inerte ;
l’esprit est supérieur aux sens ; l’intelligence est encore
supérieure à l’esprit ; et [la conscience] est encore plus
grande que l’intelligence. »
« Ce qui imprègne le corps tout entier, cela est,
sachez-le, indestructible. Personne ne peut détruire cette
conscience impérissable. L’enveloppe matérielle de l’entité
vivante incommensurable, éternelle et indestructible est vouée à
la disparition (…)
Pour la conscience il n’y a ni naissance ni mort à aucun
moment. Elle n’est pas venue au monde, ne vient pas au monde, ne
viendra pas au monde. Elle ne naît pas, elle est éternelle,
infinie, sans âge. Elle ne meurt pas quand le corps est tué ».
« Bien que je ne sois pas né et que Mon corps
transcendantal ne périsse jamais, et bien que Je sois le Seigneur de
tout ce qui vit, J’apparais chaque millénaire sous ma forme
transcendantale d’origine. Partout où il y a un déclin de la
pratique religieuse, Ô descendant de Baratha, et une
prédominance de l’irréligion – c’est à ce moment que Je
descends.
Pour libérer les pieux et anéantir les mécréants,
ainsi que pour rétablir les principes de la religion, J’apparais en
personne, millénaire après millénaire. »
Vishnou « descend » quand cela est
nécessaire : nous voyons qu’en toile de fond, il y a une
mauvaise compréhension du principe de synthèse de la pensée-guide
dans un moment de « crise ». Et il est comme l’univers
dans sa compréhension matérialiste : éternel, sans limites,
etc.
En raison de la situation, il fallait que le
matérialisme dise : oui, le bouddhisme a raison de dire que la
conscience individuelle est une illusion, mais il est faux de dire
qu’à cause de cela la réalité est sans importance, et oui,
l’hindouisme a compris que l’univers n’est qu’un et qu’il n’y a
qu’une pensée, mais il est faux de dire que cette pensée émane
d’un dieu extérieur à la réalité.
La situation n’était pas mûre pour cette
perspective matérialiste, qui n’est apparue que plus tard avec la
Falsafa arabo-persane, puis l’averroïsme latin.
La position du matérialisme en Inde était
extrêmement faible. Tous les documents relatifs au matérialisme
antique ont été perdus, mais nous connaissons les positions des
matérialistes à travers les critiques qui en ont été faites et
qui récapitulaient souvent ces positions.
Shankara nous donne les informations suivantes sur
la conception de ceux qu’on appelait les Lokāyatikas, les
matérialistes.
« Selon les Lokāyatikas, la fondation du monde est
représentée par quatre éléments – la terre, l’eau, la chaleur,
le vent – et cela est tout ; ils ne reconnaissent rien
d’autre ».
Cela signifie que selon les matérialistes de
l’Inde antique, il n’y a pas d’âme, seulement de la matière
(comprise comme les quatre éléments indiens traditionnels).
Shankara résume ainsi leur position :
« Je suis fort, faible, vieux, jeune – ces
caractéristiques sont attribuées au corps spécifique, particulier
qui est ātman, et il n’y a rien à côté de cela ».
Grâce à d’autres auteurs, nous savons aussi de
la même façon que selon les Lokāyatikas, seuls existent la terre,
l’eau, le feu et l’air, qui une fois mis en relation constituent les
corps, les organes sensoriels et les objets. Rien de vivant ne peut
se maintenir dans l’ « au-delà », donc il n’y a pas
d’ « au-delà ».
Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des
empiristes. Ils ne prenaient pas en compte la question de l’unité
globale de l’univers ou même du corps : ils ne croyaient que ce
qu’ils voyaient et étaient donc un équivalent direct de
l’épicurisme.
C’était une orientation pratique, un matérialisme
primitif. Shankara dit aussi à propos des Lokāyatikas :
« Avec l’aide des moyens accessibles à la
perception, c’est à dire l’agriculture, l’élevage, le commerce, la
politique, l’administration et les occupations de ce genre, Que les
sages connaissent le bonheur sur terre ».
Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des
épicuriens directement connectés aux rois. Dans l’Inde antique, les
dirigeants voulaient gouverner sans l’interférence des prêtres,
c’est pourquoi ils soutenaient l’épicurisme.
Dans cette opposition au sein des classes
dirigeantes, les intellectuels matérialistes apparaissaient comme
des armes idéologiques, dans un phénomène qui s’apparente déjà à
ce que nous appelons l’averroïsme politique, apparu notamment avec
John Wycliffe et le hussitisme.
Ce phénomène est allé tellement loin que nous trouvons un équivalent direct du Prince de Machiavel, l’Arthashastra, écrit pas Kautilya, le premier ministre de Chandragupta, le fondateur de l’empire Maurya, et grand-père d’Ashoka.
Karl Marx ne connaissait pas le bouddhisme et son
rôle en Inde. Il pensait que l’hindouisme avait toujours été la
forme religieuse dominante et que le culte de la nature en était un
élément, alors que c’était en fait une pratique animiste des
peuples autochtones colonisés et une composante pacifique du
bouddhisme comme idéologie urbaine et civilisée.
Si nous prenons par exemple Adi Shankara (vers
788-820), un des plus importants théoriciens de l’hindouisme, nous
voyons qu’il a combattu le culte de Khandobā, un dieu pré-aryen à
tête de chien protecteur du Deccan (la partie sud de l’Inde).
Ce dieu a plus tard été transformé en forme, en « avatar » de Shiva et, en fait, l’hindouisme a surtout mis en avant Vishnu et Shiva et a intégré tous les dieux non-aryens en tant que « formes », en tant qu’ « avatars », des autres dieux.
De la même façon, Adi Shankara a lutté contre la culture « tantrique », c’est-à-dire la magie et les rituels érotiques qui existaient sur le territoire actuel de l’Assam, une région très éloignée des zones aryennes.
Représentation idéalisée d‘Adi Shankara, 1904
Adi Shankara a aussi contribué à une forte culture des monastères, une culture ascétique directement empruntée au bouddhisme qui est encore aujourd’hui très forte dans le sud de l’Inde où elle a émergé.
Adi Shankara a en fait été le grand théoricien
de l’hindouisme, celui qui a écrasé le bouddhisme déjà affaibli.
Le point crucial est le suivant : le triomphe sur
l’ego est clairement la composante la plus développée de
l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme. Même si la réflexion à
ce niveau se perd dans la psychologie réactionnaire, et si la
réincarnation apparaît comme l’élément le plus fort dans ces
systèmes, le niveau de questionnement est extrêmement élevé, et
contenait à ses débuts une dimension matérialiste.
Selon le matérialisme dialectique, la pensée est
le reflet du mouvement de la matière éternelle : le mode de
production tel qu’il est expliqué par Karl Marx permet de comprendre
la relation entre la pensée et la matière en (éternel)
développement.
Averroès, en affirmant que l’être humain ne
pense pas, a ouvert la voie au matérialisme en Europe, avec
l’averroïsme latin.
En Inde, c’est le « Bouddha » qui a formulé
la première position allant dans ce sens. Sa position consistait à
expliquer que la conscience en tant qu’ego individuel était une
illusion.
Cependant, la démarche étant de libérer la société par la religion, les efforts se concentraient uniquement sur l’extinction de la fausse conscience, sans jamais attribuer de valeur à la réalité. La réalité était l’apanage du monarque absolu et des marchands.
Le Bouddha, dans le style gréco-bouddhiste typique de la région du Gandhara, actuellement au Pakistan, 1er ou 2e siècle de notre ère
Mais il y avait encore un problème : même si
dans cette conception les actions sont mauvaises, car elles créent
de la souffrance, il fallait quand même pouvoir expliquer les
actions. Et c’est précisément là que l’hindouisme a développé
une explication, en fait identique à celle de Platon et d’Aristote.
C’est ici qu’Adi Shankara a joué un rôle
crucial. En fait, Shankara a admis la position du bouddhisme mais au
lieu de dire que l’ego n’existait pas, il a proposé un système de
fusion de la conscience individuelle et du vrai Soi.
Le système s’avérait supérieur au bouddhisme
parce qu’il se présentait comme un monisme : il n’y avait
qu’une réalité, celle du vrai Soi, qui englobait notre propre soi.
La religion était la méthode pour comprendre cela, et les textes
sacrés des Védas, rejetés par le bouddhisme, étaient
d’une grande assistance.
Le bouddhisme n’expliquait pas le monde, il ne
faisait que le nier. Shankara abondait dans ce sens et a utilisé la
notion de « māyā », du monde comme illusion.
Cependant, il a expliqué que le monde n’était pas une abstraction,
mais une sorte de rêve de la superconscience.
Le bouddhisme expliquait que le monde matériel
était le produit de la « volonté », qui formait une
« cause » par le biais du « désir ». Quand
s’accomplit l’arrêt de la volonté, la conscience demeure dans une
sorte de zone tampon entre la destruction et la création : le
« nirvana ».
Shankara a expliqué qu’au contraire, l’effet
préexistait à la cause, notre propre réalité était superposée à
la cause éternelle, notre âme n’étant en fait qu’une partie de la
superconscience, l’ « ātman ».
Selon Shankara, par exemple, comme il l’explique
dans le Brahmasutra :
« l’âme n’est que la réflexion de sa forme
élevée, l’ātman. »
« L’âme n’est que savoir ou connaissance. »
« Il est impossible de nier l’ātman, car
précisément celui qui nie est lui-même ātman ».
« Il est impossible que la conscience individuelle,
qui est connaissance, soit différente de ce Brahman, et il est
impossible qu’il en existe plusieurs effets ou des consciences
distinctes ».
Platon, puis les néoplatoniciens, ne disaient pas
autre chose : Dieu a créé la bonté, la bonté étant quelque
chose de « plus » que Dieu, une sorte de « numéro 2 »
qui a produit le multiple. Les nombres du multiple ont engendré, de
par leurs combinaisons, les « idées » qui ont donné
forme à la matière.
Le but est donc de comprendre que chaque
conscience provient de la grande conscience et qu’elle veut y
retourner. Shankara dit précisément la même chose. La matière
masque la conscience, c’est le principe de la māyā-avidyā,
« illusion-ignorance ».
Dans son commentaire du Brahmasutra,
Shankara dit :
« cette superposition, définie comme telle, est
appelée avidyā [ignorance] par les sages, alors qu’ils appellent
connaissance l’affirmation de la vraie nature de quelque chose que
l’on distingue des choses superposées. »
Shankara a ainsi produit une arme puissante contre
le bouddhisme. Toutefois il est impossible de ne pas remarquer que,
de ce point de vue, l’objectif est de rejoindre la « vraie »
réalité, la réalité divine, et de considérer le « bas
monde » comme étant sans valeur. Le concept de māyā est
même directement emprunté au bouddhisme.
Il en découle que ce système « advaita » (non dualiste) n’a pas remporté l’hégémonie dans l’hindouisme, les classes dirigeantes préférant les systèmes « dvaita », c’est-à-dire les systèmes déistes classiques. Mais pour saisir ces systèmes dvaita, il faut aussi voir la position du matérialisme et pourquoi ce dernier n’a pas pu triompher.
Le triomphe de l’hindouisme sur le bouddhisme a
pris des siècles. Même après la réorganisation du brahmanisme
dans sa nouvelle forme « hindouiste », le bouddhisme a
d’abord maintenu sa position en Inde antique, et quelques 3000
missionnaires bouddhistes furent envoyés en Chine où le bouddhisme
est rapidement devenu la religion d’État.
Néanmoins, les dernières positions du bouddhisme
montraient leur faiblesse. Même si la dynastie Pala a régné sur
l’Inde antique pendant une longue période (750-1147), son pouvoir
s’étendait essentiellement sur le Bengale, où le bouddhisme était
déjà l’idéologie de cette zone hautement développée
comparativement à la zone historique des Aryens.
A l’époque des conquêtes musulmanes, du 11e au
16e siècle, le bouddhisme était déjà très affaibli. De plus, les
envahisseurs ont maintenu l’ordre social que l’hindouisme avait
érigé.
Il n’y avait donc pas d’espace pour le développement de centres urbains et du capitalisme, encore moins pour le développement d’un empire unifié.
Matsya, une des formes prises par le dieu Vishnou
L’hindouisme était l’idéologie des hautes castes
qui avaient besoin d’une société statique et à leur service. Les
« cycles » de l’hindouisme reflètent l’existence
statique des petites communes, marquées comme en Chine par l’union
de la petite agriculture et de l’industrie domestique.
L’hindouisme était l’idéologie de ce système
de castes et contrôlait les petites communes, mais ses différentes
interprétations dépendaient de l’histoire locale. Cela permettait
aux dirigeants locaux de conserver une base idéologique large dans
les masses qui étaient, bien sûr, très diversifiées en ce qui
concerne les langues, les traditions, les cultures, etc.
A la différence du bouddhisme, de sa culture
urbaine et de sa morale de citoyenneté universelle, l’hindouisme se
basait d’un coté sur les grandes villes, l’état central et les
pèlerinages et, de l’autre, sur les villages.
La superstructure bloquait tout changement et
aidait à reproduire ce mode de production. Si le brahmanisme était
le produit de la situation sociale, l’hindouisme était en revanche
une nouvelle idéologie destinée à reproduire cette situation
sociale et à lutter pour défendre l’ancien contre le nouveau.
Dans une lettre à Friedrich Engels du 14 juin
1853, Karl Marx parle de la situation indienne de l’époque et fait
le parallèle avec l’Inde antique :
« La nature immuable de cette partie de l’Asie, en
dépit de toute l’agitation politique désordonnée en surface,
s’explique entièrement par deux circonstances qui s’entretiennent
mutuellement :
1. par le système de grands travaux du gouvernement
central et,
2. par l’empire tout entier qui, mis à part quelques
grandes villes, est un amas de villages, chacun doté de sa propre
organisation et chacun formant un petit monde en soi (…).
Si dans certaines de ces communautés, les terres du
village [sont] cultivées en commun, dans la plupart des cas chaque
habitant travaille son champ. Dans ces mêmes villages, l’esclavage
et le système des castes. Sur les terrains en friche, des pâtures
communes. Tissage et filage domestique réalisés par les femmes et
les filles.
Ces républiques idylliques, dont seules les limites du
village sont jalousement préservées des villages avoisinants,
existent encore, dans un état de conservation quasi-parfait, dans
les territoires d’Inde du Nord-Est qui ne sont occupés que depuis
peu par les Anglais.
On ne peut concevoir, je pense, de meilleure base au
despotisme et à la stagnation asiatiques.
Et peu importe à quel point les Anglais aient pu
irlandiser le pays, la destruction de ces formes archétypales était
la conditio sine qua non de l’européanisation.
Le percepteur n’aurait pas pu, à lui seul, provoquer
cela. Il y eut un autre facteur essentiel, celui de la destruction
des industries traditionnelles, qui priva les villages de leur
caractère autarcique. »
L’hindouisme était la nouvelle forme de despotisme asiatique qu’avaient élaboré les conquérants aryens, un despotisme asiatique qui fut ensuite adopté tel quel par les conquérants islamiques.
Sculpture de la déesse Parvati, 11e siècle
Examinons de plus près ces villages et le
despotisme asiatique.
Voici ce qui dit Karl Marx à propos de l’Inde
antique dans Le Capital, pour en expliquer le
système économique :
« Ces petites communautés indiennes, dont on peut
suivre les traces jusqu’aux temps les plus reculés, et qui
existent encore en partie, sont fondées sur la possession commune du
sol, sur l’union immédiate de l’agriculture et du métier et sur
une division du travail invariable, laquelle sert de plan et de
modèle toutes les fois qu’il se forme des communautés nouvelles.
Établies sur un terrain qui comprend de cent à quelques
milles acres, elles constituent des organismes de production complets
se suffisant à eux-mêmes.
La plus grande masse du produit est destinée à la
consommation immédiate de la communauté; elle ne devient point
marchandise, de manière que la production est indépendante de la
division du travail occasionnée par l’échange dans l’ensemble
de la société indienne.
L’excédant seul des produits se transforme en
marchandise, et va tout d’abord entre les mains de l’État
auquel, depuis les temps les plus reculés, en revient une certaine
partie à titre de rente en nature.
Ces communautés revêtent diverses formes dans
différentes parties de l’Inde.
Sous sa forme la plus simple, la communauté cultive le
sol en commun et partage les produits entre ses membres, tandis que
chaque famille s’occupe chez elle de travaux domestiques, tels que
filage, tissage, etc.
À côté de cette masse occupée d’une manière
uniforme nous trouvons « l’habitant principal » juge,
chef de police et receveur d’impôts, le tout en une seule
personne ;
le teneur de livres qui règle les comptes de
l’agriculture et du cadastre et enregistre tout ce qui s’y
rapporte ;
un troisième employé qui poursuit les criminels et
protège les voyageurs étrangers qu’il accompagne d’un village à
l’autre, l’homme frontière qui empêche les empiétements
des communautés voisines ;
l’inspecteur des eaux qui fait distribuer pour les
besoins de l’agriculture l’eau dérivée des réservoirs
communs ;
le bramine qui remplit les fonctions du culte ; le
maître d’école qui enseigne aux enfants de la communauté à lire
et à écrire sur le sable ;
le bramine calendrier qui en qualité d’astrologue
indique les époques des semailles et de la moisson ainsi que les
heures favorables ou funestes aux divers travaux agricoles ;
un forgeron et un charpentier qui fabriquent et réparent
tous les instruments d’agriculture ; le potier qui fait toute
la vaisselle du village ;
le barbier, le blanchisseur, l’orfèvre et çà et là
le poète qui dans quelques communautés remplace l’orfèvre et
dans d’autres, le maître d’école.
Cette douzaine de personnages est entretenue aux frais de
la communauté entière.
Quand la population augmente, une communauté nouvelle
est fondée sur le modèle des anciennes et s’établit dans un
terrain non cultivé.
L’ensemble de la communauté repose donc sur une
division du travail régulière, mais la division dans le sens
manufacturier est impossible puisque le marché reste immuable pour
le forgeron, le charpentier, etc., et que tout au plus, selon
l’importance des villages, il s’y trouve deux forgerons ou deux
potiers au lieu d’un.
La loi qui règle la division du travail de la communauté
agit ici avec l’autorité inviolable d’une loi physique, tandis
que chaque artisan exécute chez lui, dans son atelier, d’après le
mode traditionnel, mais avec indépendance et sans reconnaître
aucune autorité, toutes les opérations qui sont de son ressort.
La simplicité de l’organisme productif de ces
communautés qui se suffisent à elles-mêmes, se reproduisent
constamment sous la même forme, et une fois détruites
accidentellement se reconstituent au même lieu et avec le même nom,
nous fournit la clef de l’immutabilité des sociétés asiatiques,
immutabilité qui contraste d’une manière si étrange avec la
dissolution et reconstruction incessantes des États asiatiques, les
changements violents de leurs dynasties.
La structure des éléments économiques fondamentaux de
la société, reste hors des atteintes de toutes les tourmentes de la
région politique.»
Examinons ensuite la nature de l’État existant au
dessus de ces villages.
Voici ce que Karl Marx dit dans un article du New
York Daily Tribune publié le 10 juin 1853, intitulé « La
domination britannique en Inde » :
« De manière générale et depuis des temps
immémoriaux, il n’y a eu en Asie que trois ministères de
gouvernement; celui de la finance, dédié au pillage de
l’intérieur ; celui de la Guerre, c’est à dire le pillage de
l’extérieur ; et troisièmement, le ministère des Grands
Travaux d’État.
Le climat et les conditions géographiques, surtout les
vastes bandes de désert qui s’étendant du Sahara, traversant
l’Arabie, la Perse, l’Inde et la Tartarie jusqu’aux plus élevés des
hauts plateaux asiatiques, ont fait en sorte que l’irrigation
artificielle par canaux et les retenues d’eau soient le fondement de
l’agriculture orientale.
Tout comme en Égypte et en Inde, on utilise les
inondations pour fertiliser le sol en Mésopotamie, en Perse, etc.;
on profite de l’altitude pour alimenter les canaux d’irrigation.
La nécessité primordiale d’un usage économique et
commun de l’eau, qui en Occident a conduit à des initiatives privées
d’association volontaire, comme en Flandres et en Italie, requérait
en Orient, où la civilisation était trop arriérée et l’étendue
du territoire trop vaste pour faire germer l’association volontaire,
l’interférence du pouvoir centralisé du gouvernement.
D’où une fonction économique dévolue à tout
gouvernement asiatique, celle d’organiser les Grands Travaux.
La fertilisation artificielle du sol, dépendante du
gouvernement, et son déclin rapide dès lors que l’on négligeait
l’irrigation et le drainage, explique le fait à première vue
étrange que les territoires arides et déserts que nous connaissons
maintenant, aient pu être jadis brillamment cultivés, comme
Palmyre, Pétra, les ruines du Yémen, et de vastes provinces
d’Égypte, de Perse et de l’Hindoustan; cela explique aussi qu’une
seule guerre de dévastation y puisse dépeupler un pays pendant
plusieurs siècles, et en détruire toute la civilisation. »
Dans le même article, Karl Marx essaie de décrire
la situation des masses.
Voici que qu’il dit :
« Si révoltée que soit la sensibilité humaine
devant le spectacle de la décomposition et de la dissolution de ces
myriades d’organisations sociales patriarchales et inoffensives,
jetées dans un complet désarroi, leurs membres individuels privés
à la fois de leur forme antique de civilisation et de leur moyen de
subsistance héréditaire, nous ne devons pas oublier que ces
communautés villageoises idylliques, aussi inoffensives qu’elles
puissent paraître, ont toujours été le solide fondement du
despotisme oriental, qu’elles emprisonnaient l’esprit humain dans les
limites les plus étroites qui se puissent concevoir, elles en
faisaient l’instrument docile de la superstition, l’esclave des
règles traditionnelles, et le privaient de toute grandeur et de
toute énergie historique.
Nous ne devons pas oublier ce nombrilisme barbare qui,
concentré sur quelque misérable parcelle de terre, assistait
tranquillement à la ruine des empires, à la perpétration
d’innombrables cruautés, au massacre de la population des grandes
villes, sans réagir à ces faits plus que si c’étaient des
événements naturels — et lui-même, d’ailleurs, proie sans
défense du premier agresseur venu qui daignerait lui prêter
attention.
Nous ne devons pas oublier que cette vie sans grandeur,
stagnante, végétative, que cette forme passive d’existence
attirait, au contraire, l’éclosion de forces destructives sauvages,
sans but ni frein, au point de faire de l’assassinat un rite
religieux dans l’Hindoustan.
Nous ne devons pas oublier que ces petites communautés
étaient contaminées par les distinctions de caste et par
l’esclavage, et qu’elles ont assujetti l’homme aux circonstances
extérieures au lieu de l’élever pour en faire le maître de ces
circonstances, qu’elles transformaient un État social capable de se
développer par lui-même en une destinée naturelle immuable,
entraînant ainsi un culte abrutissant de la nature qui exhibait sa
dégradation dans le fait que l’homme, ce souverain de la nature,
tombait à genoux en adoration face à Kanuman [en fait, Hanuman] le
singe, et Sabbala, la vache. »
Cette dernière phrase montre que Karl Marx ne
connaissait pas le bouddhisme et le jaïnisme (d’ailleurs il n’en a
jamais parlé). Il ignorait que le culte de la nature était
perpétré en dehors du brahmanisme et en
opposition à ce dernier, et que l’hindouisme a dû contre
son gré incorporer ce culte pour atteindre les masses.
Et évidemment, en 2013, il nous est beaucoup plus
facile de comprendre la contradiction entre les villes et les
campagnes.
Il faut justement saisir ce qui joue comme moteur idéologique de l’hindouisme : la fusion du soi individuel et de Dieu l’esprit suprême, par la destruction du « soi » illusoire.
Le brahmanisme était confronté à une menace
énorme, celle du développement massif du bouddhisme et du jaïnisme,
c’est-à-dire le développement de la monarchie absolue et de la
classe des marchands.
Le bouddhisme était une idéologie qui rejetait
les castes et ouvrait la voie à la modernisation, à une
sécularisation de la vie sociale. Et là aussi, le végétarisme
s’affirmait dans le bouddhisme et le jaïnisme, ce qui traçait une
ligne de démarcation entre l’hindouisme et les autres nouvelles
religions.
Le végétarisme était le produit de la tradition
animiste des peuplades oppressées par les envahisseurs aryens, mais
c’était aussi une façon d’affirmer une orientation capitaliste face
aux aborigènes qui vivaient de chasse et de cueillette (aatavika) et
en tribus dans les forêts (aranyacara).
Ashoka (304-232 avant notre ère), le premier
monarque absolu à avoir unifié pratiquement toute l’Inde antique, a
non seulement utilisé le bouddhisme comme son arme, mais a aussi
entrepris de faire triompher un code de moralité, ou «
dhamma », qui soit accepté par toutes les religions et qui puisse
devenir la nouvelle culture des sujets de l’empire.
Le dharma-vijaya – la conquête par la piété – était l’idéologie du nouvel État, et on retrouve ces principes gravés sur des piliers et des blocs de pierre un peu partout dans le pays. Les symboles les plus connus sont les quatre lions indiens qui se dressent dos à dos, mais aussi « l’Ashoka Chakra ».
Les lions d’Ashoka, et en-dessous l’Ashoka Chakra, la roue d’Ashoka
Ashoka a ainsi appelé à un saut civilisationnel,
en rejetant les valeurs barbares de l’époque de la domination des
Aryens. Ici aussi bien sûr, le végétarisme était un élément
central. C’était l’appel à une voie paisible qui ferait des humains
des sujets conscients en tant qu’individus plutôt que les
prisonniers d’un système barbare.
Ainsi, on trouve un appel à ne pas détruire la
vie (en sanskrit prãņãtipãtaḥ, en prakrit pãņãtipãto), à
ne rien prendre si ce n’est pas un don (en sanskrit adattãdãnam, en
prakrit adinnãdãnaṃ), à ne pas avoir de rapports sexuels non
autorisés (en sanskrit kãmamithyãcãraḥ, en prakrit kãmesu
micchãcãro), à ne pas mentir (en sanskrit mṛṣãvãdaḥ, en
prakrit musãvãdo) et à ne pas succomber aux boissons enivrantes
(en sanskrit surãmaireyapramãdasthãnam, en prakrit
surãmerayapamãdaṭṭhãnaṃ).
En conséquence, le brahmanisme a dû
entreprendre une transformation interne et proposer une nouvelle
perspective dans laquelle la réincarnation allait jouer un rôle
central dans sa reconquête de l’hégémonie sur les masses.
La première étape fut militaire, avec la
destruction de la dynastie Maurya à laquelle appartenait Ashoka.
L’empereur Brihadratha fut tué par son général Pusyamitra Sunga
(185-149 avant notre ère) qui forma un empire dans le nord-est de
l’Inde antique, cette dernière perdant ainsi son unité.
Un processus général de lutte contre le
bouddhisme commença. Les dirigeants locaux utilisaient le
brahmanisme comme un outil de domination et combattaient la négation
des castes, tout en rejetant le centralisme.
De ces combats incessants entre monarques a émergé un nouvel empire, celui de la dynastie Gupta, mais sa structure n’était pas très centralisée.
Carte de l’empire Gupta en l’an 400
Sous le règne de Chandra Gupta Ier, Samudra Gupta
le Grand et Chandra Gupta II le Grand, l’Inde antique a vu les forces
hindouistes développer leur usage de l’écriture et produire un haut
niveau de culture au service du renouveau du brahmanisme.
La soi-disant nouvelle religion a intégré les
dieux dans toute leur disparité afin d’unifier les classes des
dirigeants féodaux de façon générale, ce qui leur a permis de
tenir tête à la position unificatrice du bouddhisme. Cela a été
la naissance de ce que l’on appelle « hindouisme », un terme
utilisé pour marquer la différence avec le brahmanisme.
Mais cela ne suffisait pas : il fallait franchir
une étape. Cette étape consistait en l’approfondissement
métaphysique du concept religieux de réincarnation, ce qui
allait permettre de lutter contre le bouddhisme sur les plans
intellectuel et idéologique.
Il était bien sûr nécessaire de relier cet
approfondissement à l’intégration de la multitude de divinités de
toutes provenances, d’où les divergences de perception,
d’interprétation etc. etc.
On a appelé cette période « l’Âge d’Or »,
mais c’était une époque dorée uniquement pour les classes
dirigeantes, c’est-à-dire l’empereur, les dirigeants féodaux et les
prêtres, qui ont recouvré leur position idéologique centrale.
Le système des castes a commencé à prendre le
contrôle des relations sociales, évinçant le bouddhisme qui
perdait ses positions une à une avec la fin du gouvernement
centralisé, de l’empire unifié et la perte de grands centres
urbains.
La classe des dirigeants féodaux, ainsi que les
prêtres, mettaient en avant les dieux locaux, qui ont été peu à
peu intégrés au brahmanisme afin de gagner les masses. Même entre
dirigeants, le choix des divinités indiquait des divergences de
position : la dynastie Gupta soutenait traditionnellement le dieu
Vishnu, alors que ses rivaux soutenaient le dieu Shiva.
Pour cette raison, l’hindouisme a élaboré le
concept de « darshan », qui signifie « vision » en
sanskrit, et a reconnu six darshanas « officielles » et
donc qualifiées de « astika » (« qui existent »),
par opposition aux « nastika » (« qui n’existent
pas ») qui désignaient le bouddhisme, le jaïnisme, les
courants matérialistes, etc. c’est-à-dire tous les points de vue
qui rejetaient l’autorité des Védas.
En dépit des différences, tous les nouveaux
courants hindouistes considéraient la moksha (« libération »)
comme le but utime, c’est-à-dire la fin du processus de
réincarnation du soi.
Mais contrairement au bouddhisme qui niait
l’individu et considérait la libération comme une extinction du soi
– le célèbre Nirvana –, l’hindouisme dans son ensemble
expliquait que la fin signifiait la coalescence (l’union, le
rapprochement, la fusion, etc.) avec Dieu, l’esprit suprême.
Le brahmanisme offrait la possibilité d’accéder au sommet de la hiérarchie sociale, l’hindouisme a lui étendu le processus à Dieu lui-même.
Les divinités Shiva et Parvati, vers 1800
Les six darshanas étaient les suivantes :
– Le Mimansa (« investigation »),
aussi appelé Pūrva Mimamsa (« exégèse ancienne »),
est une « voie » créée en réaction directe au
bouddhisme, par Jaimini au 3e siècle avant notre ère, et consiste
en une nouvelle lecture des Védas, essentiellement par Bhartṛhari
(5e siècle), afin d’élaborer une nouvelle « exégèse. »
La libération passe par la compréhension
religieuse de la révélation : c’est une « voie » relativement
traditionnelle, une tentative de relancer le brahmanisme à travers
une « auto-critique » apparente.
– Le Samkhya (« empirique »),
une école se fondant principalement sur le livre Samkhya Karika
(vers 200 après JC), est un déisme directement concurrent du
bouddhisme, qui considère qu’il y a d’un côté Dieu (Puruṣa, la
conscience) et, de l’autre côté, un monde (prakrti, le domaine de
la perception sensible).
Chaque âme est une parcelle de Puruṣa
emprisonée dans la matière à cause du désir, l’objectif étant
donc la libération de la matière.
– Le Yoga (terme qui provient soit de
yujir yoga – le joug, soit de yuj samādhau – se concentrer) est
très connu en France. Dans la pratique, c’est une « voie »
religieuse vers la libération, avec des méthodes de méditation
pour atteindre le « divin ».
L’œuvre maîtresse du Yoga se compose de 196
soutras indiens (des aphorismes) regroupés dans les Yoga Sūtras
des Patañjali, qui ont vécu entre le 2e et le 4e siècle après
JC).
– Le Nyaya (« récursion »)
est une voie qui se fonde principalement sur des Soutras rédigés
par Aksapada Gautama au cours du 2e siècle.
C’est une école basée sur la logique où la
conscience est « élevée » vers la connaissance du « divin ».
– Le Vaisheshika est une voie
qui a essayé de développer une interprétation atomiste du monde,
et qui a fusionné avec l’école du Nyaya.
– Le Vedanta (« la fin des Védas »), également nommé Uttarā Mīmāṃsā (« exégèse approfondie ») est une voie qui a produit les œuvres majeures qui ont forgé l’identité de l’hindouisme.
L’organisation du brahmanisme en tant que
« mélange » entre la religion traditionnelle des Aryens
et l’animisme des populations autochtones des territoires couverts
par l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh aujourd’hui, a permis la
formation d’une base sociale féodale tendant principalement vers un
système esclavagiste.
Les diversités locales expliquent le nombre
important de dieux et déesses qui témoignent des formes locales de
l’animisme. Ces particularités étaient fortement mises en avant par
les dirigeants féodaux locaux qui profitaient du système
esclavagiste.
En effet, le système des castes a permis la
formation de sociétés locales fortes, établies à l’échelle de
villages, qui se sont parfois développées en vraies villes. D’où
l’existence d’éléments sociaux qui tendaient vers une forme achevée
de féodalisme, voire vers un pré-capitalisme.
Par ailleurs, les peuples colonisés ont commencé
à renforcer leur animisme, ce qui a provoqué un gigantesque conflit
idéologique.
Bases et forces idéologiques
Avec le brahmanisme, les peuples colonisés et
opprimés ont commencé à s’impliquer dans la religion. C’était
pour eux une façon transparente de défendre leurs intérêts, par
le biais animiste de la religion.
Le respect pour les animaux est ainsi devenu la
bannière des opprimés. L’élargissement de la religion aux animaux
a renforcé l’aspect animiste, et affaibli l’élément idéologique
dominant, à savoir la « renaissance » comme membre de la
classe dirigeante.
La reconnaissance de la vie animale est devenue
une arme remettant directement en question la valeur unilatérale de
la vie de ces dirigeants sanguinaires.
Néanmoins, les opprimés ne formaient pas une
classe révolutionnaire. Pour cette raison, deux autres formations
sociales ont elles aussi brandi la bannière de la “compassion”
afin d’obtenir un soutien massif dans leurs efforts pour arriver au
pouvoir.
La première de ces formations sociales était
la monarchie absolue. Si un roi voulait régner au delà de son
territoire, il devait d’abord s’attaquer aux disparités locales qui
confortaient les dirigeants locaux, afin d’affaiblir la classe
parasite religieuse des prêtres.
Ainsi, le premier grand souverain de l’Inde fut
Ashoka (304-232 avant notre ère). La légende raconte qu’il embrassa
la religion bouddhiste après avoir été témoin des massacres de la
guerre du Kalinga (plus de 100 000 morts et 150 000 déportations).
Dans les faits, Ashoka a unifié presque tout le territoire du Pakistan et de l’Inde actuels. Pour consolider son empire, il a construit une nouvelle idéologie, exactement comme l’avait fait Akhenaton en son temps.
L’empire Maurya sous Ashoka
La deuxième formation sociale était
celle des marchands, préoccupés principalement par deux choses :
maintenir leur existence en tant que tels au sein de la société et
affaiblir la classe parasitaire des prêtres.
C’est pour cette raison qu’ils soutenaient le
bouddhisme ainsi que le jaïnisme.
Bouddhisme et jaïnisme
Le bouddhisme et le jaïnisme ont tous deux été
théorisés par des membres de royaumes locaux qui avaient tout
abandonné pour mener une vie d’ascèse et « découvrir »
la voie de la « moksha » (« libération »).
Cela signifie que Mahavira (vers 599 – 527 avant
notre ère) et Gautama Bouddha (vers 563 – 483 avant notre ère)
rejetaient tous les deux leur origine de classe, et en effet ils
rejetaient le système des castes.
Mais il leur a fallu justifier ce rejet. Pour cela, ils se sont servi du concept d’esprit dans la réincarnation.
Représentation de la naissance de Mahavira, fin du 14e siècle
Pour le brahmanisme, il s’agissait de justifier la
possibilité, à moment donné, de se trouver au sommet de la
société, au sein de la classe dirigeante. Donc, le brahmanisme
proposa la fiction selon laquelle « l’âme », le « soi »
personnel, se conservait dans le processus de réincarnation.
C’était un moyen de tromper les masses, de
proposer, de façon idéaliste, une possibilité d’ascension sociale.
Le bouddhisme et le jaïnisme avaient entrepris de
détruire cette idéologie en affirmant que, dans le système de
réincarnation, l’aspect personnel n’était pas conservé. L’esprit
se réincarnait mais sans ses propriétés individuelles.
Cela signifie que le bouddhisme et le jaïnisme se
sont employés à afficher le caractère erroné de l’hindouisme, qui
affirmait que tout le monde pouvait partir d’en bas et accéder au
sommet de la société.
Bien sûr, les conséquences étaient énormes
pour le clergé, dont la fonction sociale se voyait rejetée par la
proposition d’une société « éclairée » où tout le monde
pouvait, dans l’égalité, se mettre en quête du « moksha »,
de la libération du monde matériel, et où certains éléments
auraient le choix de former une prêtrise ascétique retirée de la
société et entretenue par elle.
Évidemment, il est impossible de ne pas voir à quel point cela est similaire en substance au protestantisme, qui allait apparaître 2000 ans plus tard.