Charu Mazumdar: Nos tâches dans la situation actuelle (janvier 1965)

8 janvier 1965

Le gouvernement du Congrès a arrêté un millier de communistes ce dernier mois.

La majorité de la direction centrale et provinciale est aujourd’hui en prison.

Gulzarilal Nanda a annoncé qu’il n’accepterait pas le verdict des urnes (et il ne l’a pas fait), et a commencé à débiter des absurdités à propos de la guérilla.

Cette offensive contre la démocratie a démarré à cause de la crise interne et internationale du capitalisme.

Le gouvernement indien est progressivement devenu le partenaire politique principal dans l’expansion de l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

Le principal objectif de l’impérialisme américain est de consacrer l’Inde comme la principale base réactionnaire en Asie du Sud-Est.

La bourgeoisie indienne est incapable de trouver quelque voie que ce soit pour résoudre sa crise interne.

La crise alimentaire endémique, les prix toujours plus élevés, créent des obstacles au plan quinquennal, et comme conséquence, il n’y a plus d’autre solution pour la bourgeoisie indienne pour sortir de la crise que d’importer toujours plus de capital impérialiste anglo-américain.

Comme conséquence de cette dépendance à l’égard de l’impérialisme, la crise interne du capitalisme augmente jour après jour.

La bourgeoisie indienne n’a pas été capable de trouver d’autre moyen, à part liquider la démocratie, confrontée aux exigences de l’impérialisme américain et de sa propre crise interne.

Il y avait des exigences impérialistes derrière ces arrestations, puisque le chef de la police américaine Macbright était à Delhi pendant l’arrestation des communistes, et qu’elle a partout eu lieu seulement après des discussions avec lui.

En liquidant la démocratie, il ne peut y avoir de solution à cette crise, et la bourgeoisie indienne sera aussi incapable de la résoudre.

Au plus le gouvernement dépendra de l’impérialisme, au plus il faillira dans la solution de sa crise interne.

Chaque jour qui passera, le mécontentement du peuple augmentera, et la contradiction interne de la bourgeoisie augmentera.

Le capital impérialiste exige l’arrestation des communistes comme un préalable aux investissements ; il veut aussi une solution temporaire à la pénurie alimentaire.

Pour résoudre cette pénurie alimentaire, des mesures pour arrêter la spéculation dans l’alimentation sont nécessaires, et c’est pour cela que le contrôle est nécessaire.

Dans un pays à l’économie arriérée comme l’Inde, ce contrôle fait invariablement face à une opposition d’un large secteur.

Cette contradiction de la bourgeoisie n’est pas principalement un conflit entre les capitalistes monopolistes et la bourgeoisie nationale.

Ce conflit est essentiellement entre les commerçants et les industriels monopolistes.

Dans un pays à l’économie arriérée, les commerce dans l’alimentation et les denrées de première nécessité est inévitable pour la création de capital, et le contrôle crée des obstacles dans la création de ce capital, et comme conséquence, la contradiction interne prend la forme d’une crise interne.

L’Inde est un pays vaste.

Il n’est pas possible de diriger 450 millions d’habitants en suivant une politique de répression.

Il n’est pas possible, pour quelque pays impérialiste, de prendre une telle responsabilité. L’impérialisme américain est pris de convulsions en gardant ses engagements envers les pays auxquels il a promis son aide.

Pendant ce temps, une crise industrielle se développe aux États-Unis.

Cela se voit dans la déclaration même du Président Johnson selon laquelle le nombre de chômeurs augmente dans le pays.

Selon le communiqué officiel, quatre millions de personnes sont absolument au chômage ; 35 millions de personnes sont en chômage partiel, et dans les usines aussi, le chômage partiel continue. Le gouvernement indien échouera donc à contenir le mécontentent toujours croissant du peuple.

Cette attaque contre la démocratie transformera inévitablement le mécontentement populaire en luttes.

Des indications sur les formes de lutte de demain sont disponibles dans le mouvement linguistique de Madras.

L’ère à venir n’est donc pas seulement une ère de grandes luttes mais aussi de grandes victoires.

Par conséquent, le Parti Communiste devra prendre la responsabilité de diriger les luttes révolutionnaires du peuple dans l’ère à venir, et nous serons capables de mener cette tâche à bien seulement quand nous serons capables d’édifier l’organisation du parti comme une organisation révolutionnaire.

Quelle est la base principale pour édifier l’organisation révolutionnaire ?

Le camarade Staline a dit : « La base principale dans l’édification de l’organisation révolutionnaire est le cadre révolutionnaire. »

Qui est ce cadre révolutionnaire ?

Le cadre révolutionnaire est celui qui peut analyser la situation de sa propre initiative et peut adopter une politique en fonction.

Il n’attend l’aide de personne.

Nos Slogans Organisationnels :

1. Chaque membre du Parti doit former au moins un Groupe de cinq militant. Il instruit les cadres de ce Groupe Militant en éducation politique.

2. Chaque membre du Parti doit veiller à ce qu’aucun camarade ne soit exposé à la police.

3. Il doit y avoir un local clandestin pour les réunions de chaque Groupe Militant. Si nécessaire, des abris pour en garder un ou deux dans la clandestinité doivent être mis en place.

4. Chaque Groupe Militant doit déterminer une personne pour les contacts.

5. Un endroit doit être mis en place pour cacher les documents secrets.

6. Un membre du Groupe Militant doit devenir membre du Parti dès qu’il devient expert en éducation et travail politiques.

7. Après être devenu membre du Parti, le Groupe Militant doit couper tout contact avec.

On doit adhérer fermement à ce style organisationnel.

Cette organisation elle-même prendra dans le futur la responsabilité de l’organisation révolutionnaire.

Quelle sera l’éducation politique ?

La base principale de la révolution en Inde est la révolution agraire.

Le slogan principal de la campagne de propagande politique sera donc « réussir la révolution agraire ».

C’est seulement dans la mesure où nous serons capables de répandre le programme de la révolution agraire parmi les ouvriers et la petite-bourgeoisie et de les éduquer ainsi, qu’ils seront formés dans l’éducation politique. Chaque Groupe Militant doit discuter de l’analyse de classe parmi la paysannerie, de la propagande pour le programme de la révolution agraire.

VIVE LA RÉVOLUTION !

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ?

C’est l’une des questions les plus importantes dans le monde aujourd’hui. Y a-t-il une pensée Charu Mazumdar ? La révolution indienne, dans les années 1960, a-t-elle produit une pensée guide, par un dirigeant révolutionnaire ayant compris la nature de la société indienne ?

De nos jours, les révolutionnaires indiens disent que non, étant donné qu’ils rejettent le principe lui-même depensée guide. Est-ce correct ? Regardons cela, comme c’est, ce 21 septembre, le dixième anniversaire de la fondation du Parti Communiste d’Inde (Maoïste).

Charu Mazumdar

Charu Mazumdar et le PCI (ML)

La date choisie pour la fondation du Parti Communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste) – PCI (ML) fut le 22 avril 1969, parce que Lénine était né le 22 avril 1870.

Le PCI (ML) était pratiquement né directement de la lutte de Charu Mazumdar dans le Parti Communiste d’Inde (Marxiste), donnant naissance à la « Comité pan-indien de coordination des révolutionnaires communistes » et ensuite au PCI (ML).

Dans cette lutte, Charu Mazumdar écrivit de nombreux documents pour proposer une ligne révolutionnaire, dont l’expression fut principalement l’organe révolutionnaire « Liberation ».

Comment une pensée guide doit-elle être définie ?

Pour comprendre s’il y a une Pensée Charu Mazumdar, nous devons définir le critère d’une telle pensée guide.

Une pensée guide est produite par un dirigeant révolutionnaire comprenant la situation sociale de son pays et promouvant une lutte authentiquement révolutionnaire – par un Parti -, sur une base scientifique et sans compromis avec le révisionnisme.

Cela signifie qu’un révolutionnaire, dans un pays donné, participe à la lutte des classes et par les travaux scientifiques, comprend les contradictions sociales, qu’il explique, organisant l’avant-garde sur ces conceptions, pavant la voie pour la guerre populaire.

L’Inde en lutte et Charu Mazumdar

Comme le révolutionnaire formant la pensée guide participe à la lutte de classe, nous devons voir quelles luttes Charu Mazumdar connaissait. De fait, nous le trouvons dans le mouvement paysan Tebhaga en 1946 et bien entendu de manière plus connue la révolte paysanne de Naxalbari en 1967.

Parlant au sujet du mouvement Tebhaga, Charu Mazumdar nous dit, alors qu’il était un témoin actif depuis la clandestinité :

« Les paysans participant à ce mouvement étaient au nombre d’environ six millions. Il faut se souvenir ici que pour l’ensemble du mouvement paysan c’était l’âge d’or. Dans le caractère massif du mouvement, dans l’intensité des émotions, dans l’expression de la haine de classe, ce mouvement était le plus haut niveau de la lutte de classes. »

Parlant au sujet du mouvement Naxalbari, Charu Mazumdar explique :

« Si la lutte paysanne de Naxalbari a une leçon quelconque pour nous, c’est : les luttes militantes doivent être menées non pas pour la terre, pour les récoltes, etc., mais pour la prise du pouvoir d’Etat. C’est précisément cela qui donne son caractère unique à la lutte de Naxalbari. »

Les « naxals » et les huit documents historiques

La participation a conduit Charu Mazumdar à former l’arrière-plan théorique de ce qui sera connu comme le mouvement « naxalite ». Il a organisé la rupture avec le Parti Communiste d’Inde (Marxiste) qui était devenu révisionniste.

Ainsi, Charu Mazumdar a théorisé ce qu’il a pensé comme étant la voie nécessaire pour la révolution indienne, notamment ce qui est connu comme les « huit documents historiques » : « Nos tâches dans la situation actuelle », « Faire de la Révolution Démocratique Populaire un succès en luttant contre le révisionnisme », « Quelle est la source de l’éruption révolutionnaire spontanée en Inde », « Continuer la lutte contre le révisionnisme moderne », « Quelle possibilité indique l’année 1965 ? » ; « La tâche principale aujourd’hui est la lutte pour construire le Parti vraiment révolutionnaire à travers la lutte sans compromis contre le révisionnisme », «Prendre cette opportunité », « Continuer en avant la lutte paysanne en combattant le révisionnisme ».

Charu Mazumdar

La nature des écrits de Charu Mazumdar

Le contenu des écrits de Charu Mazumdar à analyser doit être divisé en quatre types :

* d’un côté :

– ceux traitant de la lutte armée, dans l’esprit de la révolte de Naxalbari,

– ceux traitant de la construction du Parti ;

* de l’autre côté :

– ceux traitant de la société indienne,

– ceux traitant de l’idéologie comme guide révolutionnaire.

Le premier aspect est lié à la forme de la lutte, le second à l’infrastructure du pays.

L’Inde comme pays semi-féodal semi-colonial

Charu Mazumdar défend le point de vue du matérialisme dialectique au sujet de l’Inde. Selon lui :

« Le système social qui existe en Inde est semi-féodal et semi-colonial. Ainsi, la révolution démocratique dans ce pays signifie la révolution agraire. Tous les problèmes de l’Inde sont liés à cette tâche. »

C’est la position correcte expliquant que l’Inde a besoin d’une Révolution de Nouvelle Démocratie.

« Venez, camarades, que tous les travailleurs se préparent de manière unie pour la lutte armée contre ce gouvernement, sous la direction de la classe ouvrière, sur la base du programme de la révolution agraire. D’autre part, posons la fondation de l’Inde de nouvelle démocratie populaire en construisant des zones paysannes libérées par des révoltes paysannes. »

La révolution agraire

La question est ici : est-ce que Charu Mazumdar a formulé la voie pour la révolution agraire ? Oui, il l’a fait. Il a analysé la société indienne et proposé une voie à suivre. Voici comment il l’explique :

« La révolution agraire est la tâche de ce moment précis ; cette tâche ne peut pas être laissée non réalisée, et sans la réaliser, rien de bien ne peut être fait pour les paysans.

Mais avant de mener la révolution agraire, la destruction du pouvoir d’État est nécessaire. Faire des efforts pour la révolution agraire sans la destruction du pouvoir d’Etat, cela revient à un révisionnisme complet. Par conséquent, la destruction du pouvoir d’Etat est aujourd’hui la première et principale tâche du mouvement paysan.

Si cela ne peut pas être fait sur une base à l’échelle de tout le pays, de tout l’Etat, les paysans attendront-ils silencieusement ? Non, le marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong nous a enseigné que si dans une zone les paysans peuvent être soulevés politiquement, alors on doit aller de l’avant avec la tâche de détruire le pouvoir d’État dans cette zone. C’est ce qui est appelé comme une zone libérée de paysans.

La lutte pour construire cette zone libérée est la tâche la plus urgente du mouvement paysan aujourd’hui, un tâche du moment. Que devons-nous appeler une zone libérée ? Nous devons appeler cette zone paysanne libérée là où nous avons été capable de renverser les ennemis de classe. Pour construire cette zone libérée, nous avons besoin de la force armée des paysans. Lorsque nous parlons de force armée, nous avons à l’esprit les armes faites par les paysans. Ainsi, nous voulons également des armes. »

La lutte armée comme tâche centrale

Comme la révolution agraire nécessite la destruction de l’Etat, alors la position de Charu Mazumdar est, en elle-même, celle de la lutte armée. Pour lui, il est clair que :

« Nous sommes encore incapable de réaliser que dans l’époque présente, nous ne pouvons pas construire des mouvements de masse pacifiquement. Car la classe dominante ne nous donnera pas et ne nous donne pas non plus une telle opportunité. »

Et malgré cela :

« Il y a quelques camarades qui prennent peur lorsque les luttes armées sont mentionnées, et continuent d’y voir le spectre de l’aventurisme. »

Selon Charu Mazumdar, la seule conséquence logique de tout cela est que :

« Si nous prenons conscience de la vérité comme quoi la révolution indienne prendra invariablement la forme de la guerre civile, alors la tactique de la prise du pouvoir par zone est la seule tactique. La tactique de la prise du pouvoir en Chine est la seule tactique. La tactique qui a été adopté par le grand dirigeant de la Chine Mao Zedong – la même tactique doit être adoptée par les marxistes indiens. »

L’anéantissement

Ce n’est pas tout. La position clef de Charu Mazumdar dans son affirmation de la lutte armée est la politique de l’anéantissement. Cela lui est très particulier ; au début des années 1970, la politique de l’anéantissement était la pensée de Charu Mazumdar en elle-même.

Voici comment il explique sa conception :

« Tous les types de mouvement doivent être portés à toutes les époques, mais la forme du mouvement principal dépend de la classe dominante.

La caractéristique présente de notre époque est que le gouvernement combat tout mouvement par de violentes attaques. Ainsi, pour le peuple, le mouvement de résistance armée est apparu comme la nécessité la plus importante.

Ainsi, dans l’intérêt des mouvements de masse, l’appel doit être donné à la classe ouvrière, la paysannerie combattante et chaque personne combattante : (1) prendre les armes ; (2) former des unités armées pour la confrontation ; (3) éduquer politiquement chaque unité armée.

Ne pas donner cet appel signifie pousser sans considération les masses désarmées à la mort. La classe dominante veut cela, car de cette manière ils peuvent briser la force de l’esprit des masses combattantes. Les masses agitées aujourd’hui attaquent des stations de train, des commissariats, etc. D’innombrables agitations éclatent contre les bâtiments gouvernementaux, ou les bus, les trams et les trains.

C’est comme l’agitation des Luddites contre les machines. Les révolutionnaires doivent apporter la direction consciente, frapper les bureaucrates haïs, les employés de la police, les officiers militaires ; le peuple doit se voir enseigner que la répression n’est pas faite par les commissariats, mais par les officiers en charge de ceux-ci, les attaques ne visent pas les bâtiments gouvernementaux ou les transports, mais les hommes de la machine répressive du gouvernement, et c’est contre ceux-ci que nos attaques sont dirigées.

La classe ouvrière et les masses révolutionnaires doivent se voir enseigner qu’elles ne doivent pas attaquer simplement pour attaquer, mais doivent finir la personne qu’elles attaquent. Car, si elles attaquent seulement, la machinerie réactionnaire se vengera. Mais si elles anéantissent, chaque élément de la machinerie répressive basculera dans la panique. »

La bataille de l’anéantissement

L’anéantissement n’est pas seulement une tactique décisive, c’est la stratégie, la pensée de Charu Mazumdar en elle-même. L’anéantissement est considérée comme le principe en lui-même de la lutte de classe. Charu Mazumdar dit :

« Sans la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – l’initiative des masses paysannes pauvres ne peut pas être lancée, la conscience politique des combattants ne peut pas être élevée, l’humain nouveau ne peut pas émerger, l’armée du peuple ne peut pas être créé.

Ce n’est qu’en menant la lutte de classe – la bataille de l’anéantissement – que l’humain nouveau sera créé, l’humain nouveau qui défiera la mort et sera libre de toutes les pensées d’intérêt personnel.

Et avec cet esprit défiant la mort, il se rapprochera de l’ennemi, volera son fusil, vengera les martyrs et l’armée du peuple émergera.

Se rapprocher de l’ennemi est nécessaire pour conquérir toute pensée de soi. Et cela ne peut être achevé que par le sang des martyrs. Qui inspire et crée des humains nouveaux à partir des combattants, les remplit avec la haine de classe et les fait aller proche de l’ennemi et lui arracher à mains nues son fusil. »

Et c’est universel :

« L’anéantissement de la classe ennemie – cette arme dans nos mains – est le plus grand danger des réactionnaires et des révisionnistes dans le monde entier. »

Charu Mazumdar

Le Parti militarisé

La conséquence de la conception de Charu Mazumdar est que le PCI (ML) fut un Parti militarisé opérant depuis la clandestinité. La tâche primaire des cadres était la lutte armée.

Charu Mazumdar explique ici :

« La signification des Groupes Activistes du Parti aujourd’hui est qu’ils seront des « unités combattantes ». Leur devoir principal sera la campagne de propagande politique et de frapper les forces contre-révolutionnaires.

Nous devons toujours garder à l’esprit que l’enseignement de Mao Zedong – « les attaques ne sont pas menées dans l’intention d’attaquer simplement, les attaques sont seulement pour l’anéantissement ». Ceux qui doivent être attaqués sont principalement : (1) les représentants de la machinerie d’Etat comme la police, les officiers militaires ; (2) la bureaucratie haïe ; (3) les ennemis de classe.

L’objectif de ces attaques doit également être l’obtention d’armes. A l’époque présente, ces attaques peuvent être menées partout, dans les villes et dans les campagnes. Notre attention particulière doit être donnée spécialement dans les zones paysannes. »

Le volontarisme

Pour Charu Mazumdar, l’époque entière était marquée par la lutte armée ; il parle de « l’époque de la lutte armée », il dit : « Aujourd’hui, dans l’époque du soulèvement révolutionnaire ». En raison de cela, il appelle au volontarisme, à l’esprit de sacrifice :

« Encore et encore, l’agitation parmi les paysans a éclaté. Ils ont de manière répétée recherchée une orientation de la part du Parti Communiste. Nous ne leur avons pas dit que la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte des armes constituent la seule voie. Cette voie est la voie de la classe ouvrière, la voie de la libération, la voie de l’établissement d’une société libre de l’exploitation.

Dans chaque État de l’Inde, les paysans sont aujourd’hui dans un état d’agitation, les communistes doivent leur montrer la voie. La voie est celle de la politique de la lutte armée et de la campagne de collecte d’armes. Nous devons porter de manière ferme cette seule et unique voie de la libération.

La grande révolution culturelle de la Chine a déclaré la guerre à tous les types d’égoïsme, de mentalité de groupe, de révisionnisme, de suivisme de la bourgeoisie, d’éloge de l’idéologie bourgeoise – l’impact étincelant de cette révolution a également atteint l’Inde.

L’appel de cette révolution est : « Sois préparé à faire de manière résolue toutes les sortes de sacrifice, à balayer tous les obstacles le long de la voie, un par un, la victoire sera à nous. » 

Aussi terrible que soit l’apparence de l’impérialisme, aussi horrible que soit le piège posé par le révisionnisme, les jours des forces réactionnaires sont comptés, les brillants rayons du soleil du marxisme-léninisme Pensée Mao Zedong effaceront toute obscurité. »

La lutte armée comme ligne de démarcation

La conséquence de la position de Charu Mazumdar fut le rejet du révisionnisme du PCI (Marxiste), parce que ce parti prétendait lancer la révolution un jour, mais ne s’engageait pas dans la lutte armée.

Ainsi, la lutte armée devint le critère, la ligne de démarcation :

« Il faut toujours rappeler que si les mots « Prise du Pouvoir Politique » sont abandonnés, le Parti ne reste plus un Parti révolutionnaire. Bien qu’il reste un Parti révolutionnaire sur le plan du nom, il sera réduit en fait en un parti réformiste de la bourgeoisie.

Lorsqu’ils parlent de la prise du pouvoir politique, certains pensent au centre [du pouvoir]. Ils pensent qu’avec l’expansion graduelle des limites du mouvement, notre seul objectif est de capturer le pouvoir centralement. Cette pensée n’est pas seulement fausse ; cette pensée détruit la pensée révolutionnaire correcte au sein du parti et le réduit à un parti réformiste. »

L’aide idéologique de la Chine

La position de Charu Mazumdar était bien connue par la Chine Rouge, qui la soutenait. C’est ce que veut dire Charu Mazumdar quand il dit :

« C’est pourquoi la direction internationale nous a encore et encore rappelé de l’importance de construire un Parti. »

De fait, le Parti Communiste de Chine a saluté fraternellement à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar. Construire le Parti était une tâche devant arriver rapidement ; Charu Mazumdar dit :

« Nous devons immédiatement prendre en main la tâche de construire un tel parti. Ce n’est peut-être pas possible, juste maintenant, de construire un tel Parti sur une base pan-indienne, mais cela ne doit pas nous décourager.

Nous devons commencer notre travail où que ce soit où nous pouvons construire un tel parti, quelle que soit la petitesse d’une zone. Nous devons mettre de côté les peurs d’être une minorité, et avancer avec une foi inébranlable dans la pensée du Président [Mao Zedong]. »

Le Parti comme condition d’une étape supérieure de la révolution

La révolution indienne a de fait réalisé un grand saut avec la naissance du PCI (ML), parce que sans cela, les luttes auraient été isolées. D’un manière correcte, dans une position qui est celle de la social-démocratie historiquement, lorsqu’elle était révolutionnaire, le Parti est nécessaire pour amener le mouvement à une étape supérieure :

« L’autorité révolutionnaire ne peut pas grandir si nous dépendons seulement des initiatives locales pour développer toutes ces luttes sur la même voie et à une étape supérieure. Comme résultat, ces luttes échoueront à aller à une étape supérieure.

Pour amener ces luttes plus avant, il est nécessaire de construire un Parti dans toute l’Inde et un centre reconnu par tous les révolutionnaires. La discipline auto-imposée est essentielle pour construire ce centre. »

Et ainsi, toutes les tâches étaient inter-reliées :

« La tâche principale de notre politique sera d’établir consciemment cette lutte armée sur une base de masse. Les trois points élémentaires sont : (1) l’unité ouvrière-paysanne sous la direction de la classe ouvrière, (2) l’établissement conscient de la lutte armée sur une base de masse et (3) le ferme établissement de la direction du Parti Communiste.

Il est impératif de ne pas mettre de côté une seule de ces trois tâches. »

La construction du Parti comme clef

La conclusion de l’interconnexion  de ces tâches est que la construction du Parti est l’aspect principal pour évaluer le niveau de la révolution indienne.

« Le futur de la révolution dépend d’à quelle vitesse nous pouvons construire durant cette période les organisations du Parti parmi les classes. De cela dépendra si nous sommes capables de diriger ce soulèvement révolutionnaire ou pas.

Il est possible que ce soulèvement prendra place durant la lutte arrivant pour saisir les récoltes. Faisons que les intellectuels révolutionnaires aillent de l’avant et aident à construire le parti révolutionnaire en répandant et en propageant la pensée du Président Mao parmi les ouvriers et les paysans. »

Et :

« Nos tâches cardinales, ainsi, sont de construire le Parti et de l’avoir enraciné parmi les sans-terres et les paysans pauvres. La construction du Parti signifie le développement de la lutte de classe armée. Et sans lutte de classe armée, le Parti ne peut pas être développé et ne peut pas s’enraciner dans les masses. »

La pensée de Charu Mazumdar considérée comme reflet de la Pensée Mao Zedong

Quand il expliquait tout cela, Charu Mazumdar considérait seulement qu’il était en train de redire la conception de Mao Zedong. Charu Mazumdar essaie d’être l’activiste le plus discipliné et il met en avant la pensée Mao Zedong comme pensée à suivre :

« Nous devons sans cesse propager la politique de la révolution agraire et la pensée du président Mao parmi la classe ouvrière. »

« Les citations de la Guerre Populaire publiées par les Comité Central du grand Parti Communiste de Chine sont maintenant disponibles pour nous, une traduction en bangla ayant déjà été publiée. Ce libre est fait à l’intention des ouvriers et paysans révolutionnaires. Nous devons faire de celles-ci notre propagande et notre matériel d’agitation.

Si un ouvrier est révolutionnaire ou non sera jugé sur la base du nombre d’ouvriers et de paysans à qui il a lu et expliqué ce livre. »

« L’organisation politique de la jeunesse et des étudiants doit nécessairement être une organisation Garde Rouge, et ils doivent entreprendre la tâche de répandre les citations du Président Mao de manière aussi large que possible dans différentes zones. »

Reconnaissance du maoïsme

Ici, nous trouvons la clef. Charu Mazumdar reconnaissait l’aspect universel des contributions de Mao Zedong. Il était en fait à la fois faisant cela, et formant une pensée – une pensée qu’il pensait être celle de Mao Zedong, et non pas la sienne.

C’est pourquoi il peut dire :

« La Révolution Démocratique du Peuple dans notre pays peut être amenée à une fin victorieuse seulement sur la base de la pensée du Président Mao. La mesure dans laquelle quelqu’un assimile et applique la pensée du Président détermine si c’est un révolutionnaire ou pas.

Qui plus est, la mesure du soulèvement révolutionnaire dépendra d’à quel point nous pouvons diffuser et propager la pensée du Président parmi les paysans et les ouvriers. Cela, parce que la pensée du Président n’est pas simplement le marxisme-léninisme de notre époque présente : le Président a fait progresser le marxisme-léninisme lui-même jusqu’à une étape complètement nouvelle.

C’est pourquoi l’époque présente est devenu l’époque de la pensée du Président. »

Les pensées Charu Mazumdar et Mao Zedong – unies de manière abstraite

La conséquence de la non-compréhension par Charu Mazumdar des deux côtés de la question – sa pensée comme expression nationale indienne et en tant qu’application du maoïsme universel, a amené une confusion idéologique, tous ces aspects étant mélangés.

Cela est clair quand Charu Mazumdar dit :

« Dans l’époque présente, la pensée du Président Mao est le plus haut développement du marxisme-léninisme. Le président Mao n’a pas seulement appliqué créativement le marxisme-léninisme, mais a enrichi le marxisme-léninisme et l’a développé jusqu’à une nouvelle étape. La pensée de Mao Zedong peut être appelé le marxisme-léninisme de notre époque où l’impérialisme va à son effondrement complet et où le socialisme avance vers la victoire à l’échelle mondiale.

Le Président Mao nous a enseigné que dans un pays semi-féodal, semi-colonial, les paysans constituent la majorité de la population et que la paysannerie est exploitée et gouvernée par trois montagnes, à savoir l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique.

C’est pourquoi les paysans sont extrêmement désireux de faire la révolution. Ainsi, le prolétariat doit s’appuyer sur les paysans, afin d’achever la victoire par la Guerre Populaire.

Le Président Mao nous a enseigné que les paysans sont la principale force de la révolution, et la victoire de la révolution dépend de l’éveil et de l’armement des masses paysannes. C’est le devoir du parti révolutionnaire du prolétariat d’aller aux masses paysannes et d’assidûment travailler parmi elles pour une longue période, avec en perspective la construction de zones de lutte armée dans les campagnes.

Le manque à réaliser l’importance de cette question paysanne aboutit à la formation au sein du parti de déviations de « gauche » et de droite. Et la révolution démocratique est de manière primaire une révolution agraire. Par conséquent, c’est la responsabilité du prolétariat de fournir la direction à cette révolution agraire. »

C’est à la fois universel et indien.

La Pensée Charu Mazumdar existe : la synthèse

Par conséquent, nous devons dire qu’il y a une pensée Charu Mazumdar, synthétisée dans la position suivante:

« En Inde, qui est maintenant comme un volcan, la révolte des masses paysannes peut être victorieuse seulement en appliquant avec succès la pensée du Président Mao, c’est-à-dire en enthousiasmant les masses paysannes avec la politique de la prise du pouvoir et ainsi leur rendant possible, sous la direction des ouvriers et des paysans pauvres et sans-terres, de participer activement à mener plus avant la révolution agraire ; en chassant les ennemis de classe des campagnes au moyen de la lutte de guérilla, en étendant de telles zones et en établissant des zones libérées, en construisant une armée du peuple à partir des groupes armés de guérilla et en encerclant les villes parles campagnes pour finalement les capturer.

Ce n’est qu’ainsi que l’Inde peut être libérée. Par conséquent, les masses rebelles de chaque zone doivent suivre cette voie pour réaliser la victoire. »

Les manques de la Pensée de Charu Mazumdar

Il y a bien entendu une conséquence mauvaise dans la non-compréhension du double aspect de Charu Mazumdar, qui était d’un côté Plékhanov apportant le marxisme et Lénine le formulant dans un pays donné.

Il était facile, de fait, pour le gauchisme de bouger dans le sens d’appliquer un modèle chinois, s’éloignant de la société indienne. C’est ce qui est en partie arrivé, l’Inde étant considéré comme la Chine d’avant de 1949 et puis voilà.

Nous devons noter ici que, malheureusement, il n’y a pas de documents de Charu Mazumdar en tant que tel traitant de la superstructure du pays.

Nous ne trouvons pas, dans les documents de Charu Mazumdar, d’explication matérialiste de l’hindouisme, de la littérature et des films indiens, ou de la poésie, dont l’histoire est si riche, etc.

Cela provient d’une non-compréhension des deux aspects de sa pensée, et malheureusement la confusion a amené le militarisme, un gigantesque mouvement de masse de la jeunesse bengalie tentant d’être des « gardes rouges » avant d’être écrasée par la violence à une échelle massive, et enfin l’effondrement entier du PCI (ML).

L’héritage de Charu Mazumdar

Charu Mazumdar lui-même fut arrêté le 16 juillet 1972, torturé pendant dix jours, isolé du monde, avant de mourir le 28 juillet 1972. Le PCI (ML) s’effondra bientôt après, avec de nombreux groupes scissionnistes apparaissant.

La question de l’héritage de Charu Mazumdar fut bien entendu centrale, avec le principe de l’anéantissement comme débat principal. Dans les années 1960-1970, être pour l’anéantissement signifiait être avec Charu Mazumdar, le rejeter signifiait le rejeter lui, soit comme dirigeant du PCI (ML), soit, en étant en-dehors de ce dernier, en rejetant à la fois le PCI (ML) et Charu Mazumdar.

Depuis les années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, il y a de nombreux courants prétendant soutenir le PCI (ML) des années 1970 d’une manière ou d’une autre, mais rejetant la ligne de Charu Mazumdar comme « gauchiste ». Ces gens disent que la lutte armée était séparée du mouvement de masse, que c’était militariste, gauchiste, une copie aveugle de la révolution démocratique chinoise, etc.

Déjà à l’époque de Charu Mazumdar, certaines personnes autour de Kanhai Chatterji formèrent le Centre Communiste Maoïste, rejetant l’anéantissement sous le même prétexte de séparation de la lutte paysanne.

Aujourd’hui, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) soutient à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji.

La pensée de Charu Mazumdar et l’Inde

Mais il n’est pas possible de mettre en avant à la fois Charu Mazumdar et Kanhai Chatterji, sur le même plan. Si à leur époque, deux partis existaient, c’était pour une bonne raison, il n’est pas possible d’évacuer cette question. Cependant, le Parti Communiste d’Inde (Maoïste) n’a pas de position à ce sujet.

La raison de cela est que la conclusion logique censée se produire est de reconnaître la pensée Charu Mazumdar et de séparer l’aspect universel des aspects indiens.

Cela permettrait de comprendre le processus réel de la naissance du PCI (ML), pour voir comment Charu Mazumdar a réactivé le matérialisme dialectique en Inde.

Au lieu de cela, le « gauchisme » de Charu Mazumdar est oublié, comme son exigence d’avoir une perspective depuis en haut, et par conséquent les aspects nationaux sont effacés : aussi ahurissant que cela puisse sembler, les maoïstes indiens n’ont pas d’études sur l’hindouisme, l’Islam et Bollywood. La culture indienne n’est pas un thème – et c’est l’aspect manquant qui a permis à la propagande fasciste de Narendra Modi d’avoir un tel terrible succès en Inde.

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et le PC d’Inde (marxiste-léniniste)

UJC (ml) : Les révisionnistes soviétiques trahissent ouvertement la lutte du peuple indien (1968)

[Avril 1968.]

En 1967, le peuple indien a pris les armes.

Les paysans de Naxalbari, organisés par les révolutionnaires du Parti Communiste de l’Inde, se sont révoltés contre l’exploitation renforcée par les grands propriétaires fonciers, contre les fermages exorbitants, et contre la répression systématique exercée par le gouvernement réactionnaire de I. Gandhi.

Ils ont repris les terres usurpées par les féodaux, ils se sont emparés des récoltes et les ont réparties parmi le peuple.

Pour faire face à la répression, ils se sont organisés en groupes armés et ont constitué des tribunaux populaires pour juger les despotes locaux.

La presse réactionnaire de tous les pays a présenté « l’émeute » de Naxalbari comme une jacquerie, soulèvement désespéré de ceux qui n’ont plus rien à perdre !

Aujourd’hui, d’après les révélations faites par la presse indienne, les luttes paysannes pour la terre se sont développées dans huit états et cinquante localités ; à l’exemple de Naxalbari, des comités paysans se créent partout dans le pays.

Les grands propriétaires fuient la juste colère du peuple et se réfugient dans les villes, ou bien organisent la terreur blanche en faisant assassiner les paysans qui veulent se révolter. La police et l’armée lancent des assauts furieux contre les foyers insurrectionnels.

L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN : ennemi n° 1 du peuple indien

Aujourd’hui, d’après les révélations faites par la presse indienne, les luttes paysannes pour la terre se sont développées dans huit états et cinquante localités ; à l’exemple de Naxalbari, des comités paysans se créent partout dans le pays.

Les grands propriétaires fuient la juste colère du peuple et se réfugient dans les villes, ou bien organisent la terreur blanche en faisant assassiner les paysans qui veulent se révolter. La police et l’armée lancent des assauts furieux contre les foyers insurrectionnels.

L’IMPÉRIALISME AMÉRICAIN : ennemi n° 1 du peuple indien

Le peuple indien lutte contre des conditions de vie qui ne sont encore aggravées ces dernières années. La situation alimentaire est catastrophique : 150 millions d’Indiens seraient actuellement mourants de faim.

C’est là le fruit du pillage éhonté exercé par l’impérialisme américain avec la complicité des classes dirigeantes locales. Depuis vingt ans, l’Inde n’est plus une colonie, mais son indépendance n’est qu’une façade : l’impérialisme américain a progressivement pris la relève des colonialistes britanniques : 60% des investissements étrangers en Inde sont américains.

Les Etats-Unis contrôlent l’agriculture, les communications, etc… Ils camouflent leur politique impérialiste sous l’étiquette « d’aide économique et technique ». C’est là un moyen à peine déguisé pour ruiner l’économie indienne et écouler massivement les produits de l’industrie U.S.

90% des sommes prêtées de l’aide US doivent être consacrée à l’achat de produits américains, en particulier les surplus agricoles, à des prix supérieurs aux cours mondiaux.

Conséquence : le déficit commercial de l’Inde croît et les Etats- Unis contrôlent, par ce biais, la moitié de la monnaie indienne. Pour faire accepter ces conditions au peuple indien, les impérialistes US ont un gouvernement à leur dévotion, issu des couches sociales les plus réactionnaires – propriétaires fonciers, féodaux, bourgeoisie bureaucratique et compradore – et solidement encadré par un réseau de 1.500 conseillers U.S. qui se mélent de toute l’activité politique indienne (achat de députés, espionnage sous toutes les formes, etc.) et encadrent l’armée.

La politique soviétique en Inde : un cas flagrant de collusion avec l’impérialisme américain

L’Union Soviétique, elle aussi apporte son « aide » à l’Inde : révisionnistes s’acharnent à souligner qu’à la différence de l’aide américaine, la leur est désintéressée, généreuse, exempte de toutes conditions et qu’elle permet au peuple indien de sortir de la misère et d’édifier une économie nationale.

En fait, l’aide soviétique ressemble à s’y méprendre à l’aide américaine : les sommes prêtées doivent être consacrées à l’achat de produits soviétiques à des prix exorbitants.

Les usines construites par les Soviétiques en Inde, sont gérées par des patrons venus d’U.R.S.S., et les produits fabriqués à un prix de revient dérisoire grâce aux salaires de misère imposés à la main- d’oeuvre indienne, sont revendus souvent très cher en Europe ou en Afrique : les Américains ne procèdent pas autrement à Formose ou au Japon.

Récemment, Indira Gandhi a invité Kossyguine et Tito aux fêtes « nationales » indiennes : deux chefs prestigieux du bloc révisionniste venus donner leur caution à la clique fantoche de Indira Gandhi !

L’objectif principal de Kossyguine était de renforcer l’emprise économique de l’U.R.S.S. en Inde.

Il a visité plusieurs usines construites grâce à l’aide soviétique et s’est conduit en patron mécontent; il a trouvé les rendements insuffisants : les usines de matériel électrique de Harward ne travailleraient actuellement qu’à la moitié de leur capacité : les travailleurs indiens peuvent s’attendre à ce qu’on double les cadences d’ici peu.

Les décisions prises vont encore accroitre la dépendance de l’économie indienne : les Soviétiques vont acheter la plus grande partie de la production des usines qu’ils ont construites, les plans économiques des deux pays seront coordonnés et un nouveau contingent d’experts soviétiques va se rendre en Inde pour suggérer les réformes de gestion nécessaires, en d’autres termes pour réaliser de plus gros profits de type impérialiste, moyennant une exploitation accrue des travailleurs indiens!

Pour réaliser de gros profits, les révisionnistes soviétiques ont intérêt à ce que la main-d’oeuvre de leurs usines indiennes continue à toucher des salaires de misère, ils ont intérêt à ce que la clique fantoche d’Indira Gandhi se maintienne au pouvoir, ils ont intérêt à s’entendre avec l’impérialisme américain, contre le peuple indien, contre le mouvement de libération nationale, contre la Chine.

A l’exemple des paysans de Naxalbari, le peuple indien osera se révolter contre tous ceux qui l’oppriment.   

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Les modèles des fables de es Fables de Jean de La Fontaine

Si l’on porte son attention quant à la genèse des Fables, on peut voir qu’il y a 240 fables, réparties dans douze livres, de la manière suivante :

a) les livres I à III et les livres IV à VI ont été publiés au même moment, en deux volumes, en 1668, avec des illustrations de François Chauveau. Ce dernier était alors le plus connu des illustrateurs ; il a notamment réalisé notamment la « Carte de Tendre » très connu au XVIIe siècle.

L’œuvre est dédiée au Dauphin, le fils aîné de Louis XIV, alors âgé de six ans.

b) Les livres VII et VIII sont publiés en 1678, les livres IX, X et XI en 1679. Ils sont cette fois dédiés à Madame de Montespan, la maîtresse de Louis XIV.

c) Le livre XII, en réalité à l’époque le troisième des recueils, est publié en 1694.

Quant au principe des fables, Jean de La Fontaine ne l’a nullement inventé et ne l’a d’ailleurs jamais prétendu. La quasi totalité des fables s’appuie sur des modèles préexistants, qu’il modifie plus ou moins, tout en reconnaissant ouvertement sa dette intellectuelle.

Voici comment La Fontaine présente les Fables, dans sa dédicace à Monseigneur le Dauphin, mentionnant Ésope :

« Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons:
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes;
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. »

Voici l’avertissement au livre VII, qui fait l’éloge de l’Indien Pilpay :

« Voici un second recueil de fables que je présente au public (…).

Seulement je dirai, par reconnaissance, que j’en dois la plus grande partie à Pilpay, sage indien.

Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du pays le croient fort ancien, et original à l’égard d’Ésope, si ce n’est Ésope lui-même sous le nom du sage Locman.

Quelques autres m’ont fourni des sujets assez heureux. »

En fait, Pilpay n’existe pas, ce nom étant dérivé de celui de Bidpaï dans la version arabe du recueil indien appelé le Pañchatantra, dont l’auteur reste obscur, l’oeuvre ayant connue de nombreuses variations.

Et, donc, ce « Pilpay » est avec Ésope la principale inspiration de Jean de La Fontaine, chacun étant la base des deux systèmes de références dans les Fables.

Illustration et texte du Pañchatantra, Rajasthan, 18e siècle

Les six premiers livres s’appuient ainsi très largement sur les fables de l’antiquité grecque et romaine, avec principalement Ésope, mais également Phèdre et Babrius, avec également Avianus, Horace, Tite-Live.

Par contre, les six autres livres se fondent sur d’autres inspirations et principalement donc le Pañchatantra, un recueil indien de fables sans doute écrit autour de 300 ans avant notre ère, mais également des conteurs français et italiens, du Moyen-Âge et de la Renaissance.

Comment Jean de la Fontaine a-t-il découvert le Pañchatantra ? Il l’a fait de manière très indirecte, cette œuvre indienne étant passée en Perse, puis dans le monde arabe, avant d’être traduit en latin au XIIIe siècle par Jean de Capoue, un juif converti au catholicisme, sous le titre de Directorium humanae vitae alias parabola antiquorum sapientum (Guide de la vie humaine ou Parabole des anciens sages).

Il y eut ensuite une traduction en espagnol, sous le titre Recueil de faits et d’exemples contre les embûches et les périls du monde, suivi de deux œuvres italiennes écrits par des Florentins s’en inspirant : la Première façon des discours des animaux par le florentin Agnolo Firenzuola, qui fut traduite en français, ainsi qu’un ouvrage de morale écrit par Anton Francesco Doni.

Pierre de Larrivey traduisit alors les deux ouvrages en 1579, sous le titre de Deux livres de filosofie fabuleuse.

Jean de La Fontaine eut aussi accès, toutefois, à une autre source : la version arabe du Pañchatantra, le Kalîla wa Dimna.

Illustration de la version persane du Kalîla wa Dimna, 15e siècle

Cette version connut une traduction en 1644 avec comme titre Le Livre des lumières ou la Conduite des Roi, ainsi qu’une réimpression en 1698 sous le titre de Fables de Pilpay, philosophe indien, ou La conduite des rois.

A cela s’ajoute une traduction en latin du Kalîla wa Dimna, datant de 1666, effectuée par un religieux, le père Poussine, à partir d’une version en grec. On est certain que Jean de La Fontaine a connu cette traduction, car c’est la seule où l’on retrouve quelques fables en particulier (Le Chat et le Rat, Les Deux Perroquets, le Roi, et son Fils ou La Lionne et l’Ourse).

Cependant, cette double inspiration pose un grand souci.

En effet, l’approche d’Esope n’a rien à voir avec celle du Pañchatantra, même si on sait que la tradition indienne des fables a influencé les auteurs de l’antiquité grecque – on ne sait cependant pas dans quelle mesure. C’est pourquoi Jean de La Fontaine expliquait que peut-être même ce qu’on attribue à Ésope revient à Pilpay.

Quelle est la différence ?

Chez Esope, on a un apologue : un court récit à visée argumentative, se suffisant à lui-même. C’est en quelque sorte une forme proche de la parabole dans la Bible.

Il y a une histoire, dont on tire une morale, un principe. Voici une fable d’Esope, pour donner un exemple :

La Tortue et le Lièvre

Le Lièvre considérant la Tortue qui marchait d’un pas tardif, et qui ne se traînait qu’avec peine, se mit à se moquer d’elle et de sa lenteur.

La Tortue n’entendit point raillerie, et lui dit d’un ton aigre, qu’elle le défiait, et qu’elle le vaincrait à la course, quoiqu’il se vantât fièrement de sa légèreté. Le Lièvre accepta le défi.

Ils convinrent ensemble du lieu où ils devaient courir, et du terme de leur course. Le Renard fut choisi par les deux parties pour juger ce différend.

La Tortue se mit en chemin, et le Lièvre à dormir, croyant avoir toujours du temps de reste pour atteindre la Tortue, et pour arriver au but avant elle.Mais enfin elle se rendit au but avant que le Lièvre fut éveillé. Sa nonchalance l’exposa aux railleries des autres Animaux.

Le Renard, en Juge équitable, donna le prix de la course à la Tortue.

L’histoire est plaisante et autosuffisante.

Les fables du Pañchatantra sont totalement différentes.

Le Pañchatantra, Livre d’instruction en cinq parties, n’est pas un recueil de fables, mais un enseignement expliqué à travers une histoire où de multiples fables s’enchâssent. Une histoire s’ouvre et quelqu’un raconte une fable, où quelqu’un peut alors également se lancer dans l’explication d’une fable, etc.

Tous les événements sont liés les uns aux autres, se ressemblant beaucoup par moments afin d’enseigner des vérités générales concernant la justesse, la morale, la politique que doit mener le prince, l’attitude que doit avoir l’honnête homme, la femme vertueuse.

Le système moral est sous-jacent à toutes les fables qui, par ailleurs, s’appuient sur des morales préexistantes, notamment religieuses, et tout tourne ainsi autour d’une seule même grande thématique visant à l’édification.

Le Pañchatantra ne vise pas une attitude personnelle intelligente, mais une correspondance à une sagesse préexistante, fournissant les moyens d’appréhender la réalité selon des principes moraux codifiés.

Voici une fable du Pañchatantra, où on comprend aisément que la fable est l’illustration d’une compréhension de la politique.

Tu as tort, reprit Carataca, dans une affaire aussi importante que celle-ci, nous devons marcher de concert si nous voulons réussir ; sans quoi, nous courons à notre ruine ; et si nous séparons nos intérêts, nous éprouverons le sort de l’oiseau à deux becs.

Comment cela ?

L’Oiseau à deux becs.

Dans un désert vivait un oiseau à deux becs, lequel s’étant un jour perché sur un manguier, se rassasiait de ses fruits délicieux.

Tandis qu’avec un de ses becs ii les cueillait et les avalait, l’autre bec, jaloux, se plaignit à lui de ce qu’il ne cessait pas de manger, et ne lui laissait pas le temps de cueillir aussi des fruits et de les avaler à son tour.

Le bec qui travaillait dit à celui qui était oisif : Pourquoi te plains-tu ? et qu’importe que ce soit toi ou moi qui avalions les fruits, puisque nous n’avons tous les deux qu’un même estomac et qu’un même ventre ?

Le bec oisif, outré de dépit de ce que l’autre bec, qui ne cessait de manger, ne voulait pas lui donner le temps d’avaler des fruits à son tour, résolut de se venger aussitôt de ce refus.

Il crut ne pouvoir mieux y réussir qu’en avalant un grain de l’arbrisseau yteja, poison des plus subtils qui se trouvait à sa portée. Il l’avala et l’oiseau mourut à l’instant.

Ce fut la désunion des deux becs qui causa leur ruine : par-tout où règne la division on n’a que des maux à attendre.

D’ailleurs ne connais-tu pas cet ancien proverbe : « On ne doit jamais aller seul en voyage, ni se présenter sans soutien devant les rois » ?  

Veux-tu de nouveaux exemples qui te montrent les avantages qu’on trouve à se soutenir mutuellement et à se rendre des services réciproques dans les différentes circonstances de la vie ?

Comment La Fontaine combine-t-il alors les deux approches, celle d’Esope et celle du Pañchatantra ? Il faut pour cela saisir sa vision du monde, celle des moralistes.

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Mao Zedong : lettre à B.T. Ranadive

LETTRE À B.T. RANADIVE

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU

PARTI COMMUNISTE D’INDE

Cher camarade Ranadive,

J’ai reçu votre télégramme de félicitations en date du 12 octobre et je vous remercie beaucoup des salutations chaleureuses que vous avez adressées à la République Populaire de Chine et au Parti communiste de Chine.

Tout le peuple chinois a éprouvé de la joie et de la fierté en trouvant dans votre télégramme l’expression de l’amitié fraternelle du peuple révolutionnaire indien.

La nation indienne est une des grandes nations de l’Asie, avec une longue histoire et une nombreuse population. Son destiné passé et son chemin vers l’avenir ressemblent à bien des égards à ceux de la Chine.

Je suis fermement persuadé que, s’appuyant sur le vaillant Parti communiste d’Inde, et sur l’unité et la lutte de tous les patriotes indiens, l’Inde ne restera pas longtemps sous le joug de l’impérialisme et de ses collaborateurs.

Comme la Chine libre, une Inde libre émergera un jour dans le monde comme un membre de la famille du socialisme et de la démocratie populaire. Ce jour-là mettra fin à l’époque de l’impérialisme réactionnaire dans l’histoire de l’humanité.

Mes meilleurs voeux à la victoire de l’unité et de la lutte du peuple patriotique de l’Inde!

Vive l’unité fraternelle du peuple indien et du peuple chinois!

Mao Zedong, 19 novembre 1949

=>Oeuvres de Mao Zedong

La question de la nation bengalie

La question du Bengale est un cas très proche de la question allemande, les pays allemands se séparant en deux nations : l’Allemagne et l’Autriche. Fondamentalement, dans l’histoire, le Bengale a été coupé en deux parties, partageant le même langage, mais divisées pour ce qui concerne la principale idéologie, qui était, à cette époque féodale, la religion.

En raison de cela et suivant la définition marxiste de la nation, la séparation de l’Ouest et de l’Est est plus proche de la séparation Allemagne / Autriche que de la séparation Allemagne de l’Ouest/de l’Est de 1945-1989.

Voyons maintenant comment le peuple bengali a évolué.

Bengale : l’impossibilité de la conversion à l’Islam de masse depuis l’extérieur

La raison d’une telle séparation comme celle qui s’est déroulée au Bengale – avec la formation du Bangladesh – ne peut pas simplement s’expliquer par les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans.

L’Islam est arrivé au 12ème siècle, par la conquête d’un côté, par le commerce de l’autre, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong par exemple. Ensuite, de nombreux missionnaires arrivèrent pour propager l’Islam.

Mais cela ne peut pas avoir amené au fait qu’aujourd’hui, 90,4% de la population du Bangladesh est de culture islamique.

Pourquoi cela ?

a) Premièrement, nous pouvons voir que la culture islamique ne s’est pas répandue avec cette ampleur dans la partie occidentale du Bengale. De plus, l’Islam n’a pas commencé comme un courant tentant de devenir le courant principal.

Il n’a jamais eu les particularités d’une culture minoritaire, comme cela a été le cas à Hyderabad en Andhra Pradesh, où il s’agit d’une sorte « d’île » islamique.

En raison de cela, l’explication qui donne un rôle central aux gouverneurs, rois, nizams, etc. musulmans et aux missionnaires n’est pas valide.

L’Islam a simplement été accepté par les masses du Bengale oriental, et cela d’une manière massive, du jour au lendemain. Le langage bengali – le bangla – est resté pratiquement intouché, restant fortement fondé sur une origine sanskrite et des emprunts aborigènes.

Il n’y a absolument pas eu de processus de construction d’une langue comme l’hindustani, où ce qui est aujourd’hui le hindi et l’ourdou ont massivement emprunté au vocabulaire et aux expressions du persan, en raison de l’influence majeure de la culture islamique.

Les masses du Bangladesh ont même pris la langue comme une arme principale dans le leur lutte contre le Pakistan occidental, une culture où la culture islamique avait l’hégémonie.

b) Ensuite, nous pouvons voir que le Bengale musulman était et est toujours aujourd’hui une petite poche dans une zone du monde où l’hindouisme est toujours une composante principale de l’idéologie dominante : l’Inde.

Le Bengale était loin des centres culturels islamiques ; il était séparé par de nombreux peuples et de nombreuses cultures ; il n’était pas en contact direct.

L’empire britannique a essayé de comprendre cette réalité, et le recensement effectué en 1872 montre que les proches musulmanes au Bengal se situaient dans les plaines alluviales.

Voyant cela, ainsi que seulement un peut plus d’1% de la population interrogée affirmait être d’origine étrangère, les cadres britanniques pensaient qu’ils venaient des basses castes, qui s’étaient converties à l’Islam pour échapper à la domination de l’hindouisme.

Mais cette explication est mécanique. Le Bengale était en effet avant l’Islam sous l’influence du bouddhisme, et le bouddhisme ne connaît pas les castes. Il y avait également le jaïnisme qui existait dans l’Inde ancienne, et qui ne reconnaissait pas les castes.

Pourquoi est-ce que les masses opprimées choisiraient une religion venant de loin, si c’était uniquement pour une question de castes, alors qu’elles pourraient simplement soutenir le bouddhisme, comme auparavant ?

La situation particulière du Bengale

Le matérialisme dialectique nous enseigne que la contradiction est un processus interne. Ainsi, la raison pour le triomphe de l’Islam dans la partie orientale du Bengale doit venir du Bengale oriental lui-même.

L’Islam au Bengale ne peut pas avoir été « importé. »

Donc, regardons l’histoire du Bengale. Nous pouvons voir ces traits particuliers :

a) Suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 après JC), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).

b) Ce n’est que sous l’Empire Maurya (321-185 avant JC) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.

c) Ce n’est que lors de l’empire Gupta (320-550 après JC), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que sous l’empire Maurya, le Bengale (principalement son côté occidental) a connu un saut de civilisation, notablement par l’intermédiaire du grand empereur bouddhiste Ashoka.

Puis, avec l’Empire Gupta et son extermination du Bouddhisme en Inde, le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme. S’ensuivit une politique de missionnaires promouvant l’hindouisme.

Il est clair que les empires Maurya et Gupta ont changé la réalité du Bengale occidental, développant sa société à un stage supérieur, avec une administration d’État produite par le haut développement en Inde occidentale.

En raison de cela, l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyaya. » Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.

Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental. Cela aura des conséquences fatales pour l’unité du Bengale.

La source de la division du Bengale

A cette époque, le Bengale bouddhiste qui aurait été une partie de l’Inde ancienne n’aurait pas été possible : les forces hindouistes contrôlaient l’Inde, le Bengale en était dépendant, et ainsi la culture hindouiste se répandit dans la culture des Palas.

Les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’État hindouiste (de la poésie aux ministres), se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde ancienne, cette fois de manière décisive.

Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte, que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.

De fait, le bouddhisme bengali de cette époque était caractérisé par la présence massive de déesses. Nous trouvons par exemple ces importantes figures, présentes dans la version du bouddhisme des Palas :

  • Tara
  • Kurukullâ
  • Aparâjita
  • Vasudharâ
  • Marîchî
  • Paranùabari
  • Prajnâparamitpa
  • Dhundâ

Nous verrons que la présence massive de déesses dans la culture bengali nous aidera d’une manière significative.

Néanmoins, et ce qui compte ici dans ce processus, c’est que ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales – reliées à l’Inde hindouiste – renversent la dynastie des Palas. Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindouiste, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.

La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse », d’une manière fortement hiérarchique.

Le Bengale était pratiquement colonisé par l’Inde ancienne hindouiste ; l’impact de cette colonisation avait évidemment un centre de gravité au centre du Bengale.

La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.

Pour cette raison, le Bengale est devenu féodal, par le haut de la société, en raison de l’influence de l’Inde ancienne.

Nous avons ici la clef principale de la division. En effet, nous pouvons voir ici :

a) l’influence Maurya et Gupta a amené le Bengale occidental à un stade plus élevé de culture, tandis que la partie orientale restait arriérée, mais toujours influencée par la culture aborigène et le matriarcat ;

b) Ensuite, il y avait la chance historique pour le Bengale de s’unifier – sous la bannière du bouddhisme, comme ce qui est arrivé dans les pays à l’Est du Bengale (Birmanie, Laos, Thaïlande…). Cette unification aurait été faite par un royaume fondé principalement dans la partie occidentale et la généralisation du commerce.

c) Mais la dynastie Sena s’est effondrée, en raison de l’expansion de l’Inde ancienne, et le Bengale occidental est devenu une composante de celle-ci sur les plans culturels et économiques, ce qui signifie que l’aspect féodal a triomphé sur les aspects pré-bourgeois portés par le bouddhisme et les villes.

d) La partie orientale avait besoin d’un saut qualitatif, qui a été pratiquement raté durant les empires Maurya et Gupta, mais cela ne pouvait pas être fondé sur le bouddhisme, puisqu’il avait été l’idéologie de la dynastie des Palas, dont le fondement était dans la partie orientale ou même au Bihar.

e) L’invasion musulmane est arrivée précisément à ce moment d’une besoin général d’un mouvement anti-féodal.

f) Néanmoins, le mouvement pré-bourgeois anti-brahmane ne sera pas présent qu’à l’est, avec l’Islam – il existera également dans la partie occidentale, par le culte de la déesse qui était déjà présent dans le bouddhisme, et qui sera placé dans l’hindouisme.

Une nouvelle dynamique

Les historiens bourgeois pensent que la conversion de masse à l’Islam a été une réaction paysanne à la pénétration aryenne au Bengale oriental ; en fait, l’Islam à l’est et l’hindouisme influencé par les aborigènes à l’ouest ont été tous deux une expression pré-bourgeoise contre le féodalisme.

Les historiens bourgeois notent que les paysans étaient trop faibles sur le plan économique, mais pensent qu’ils ont essayé de combattre dans les domaines idéologiques et culturels, par les armes de l’Islam empruntés à l’étranger.

Cela signifierait que les paysans seraient une classe unie et consciente – ce qui n’a jamais été le cas dans l’histoire. En fait, les classes pré-bourgeoises ont construit une arme idéologique pour contre-attaquer face à la pénétration féodale au Bengale.

L’invasion islamique – qui n’a pas été une invasion, mais une conquête – a été le détonateur de ce moment historique de la lutte de classe.

Au Bengale oriental, l’Islam a été massivement accepté. Mais cet Islam était spécifiquement bengali. Il y avait une sur-importance accordée aux aspects magiques des missionnaires qui apportaient l’Islam. Ces « soufis » étaient considérés comme guérissant les malades, marchant sur l’eau, etc.

Même si l’Islam au Bangladesh est sunnite, d’une manière unique il célèbre les saints, les tombes sont l’occasion de pèlerinages, etc.

De la même manière, les sites hindous et bouddhistes ont simplement été adaptés au culte musulman.

Au Bengale occidental, l’hindouisme devint hégémonique, mais il a étalement été altéré. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi) ou de la déesse (Devi), également connu sous le nom de shaktisme.

Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme peut être considéré comme plus puissant que le shivaïsme et le vaishnavisme, qui représentent des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.

Ainsi, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.

Mais ce n’est pas tout. Le syncrétisme est apparu comme la tendance nationale bengalie à l’unification.

Lorsque le Bengale occidental s’est tourné vers une variante de l’hindouisme et le Bengale oriental vers une variante de l’Islam, et en raison de l’unité encore grande entre ces deux parties du monde, une tendance syncrétique s’est développée.

Il s’agissait clairement d’une expression d’éléments pré-bourgeois, qui essayaient d’unifier et non pas de diviser ; en raison de cet aspect bourgeois, l’expression était universaliste.

Dans la partie occidentale, Chaitanya Mahaprabhu (1486–1534) a développé un culte de Krishna comme seul Dieu réel, au-dessus des castes, fondé sur « l’amour » dans une union mystique avec la vérité absolue ; au Bengale oriental, les soufis enseignaient le caractère central de l’amour pour rejoindre Dieu, au-delà des aspects formels de la religion.

Dans ce cas musulman, les soufis ont adopté la position des gourous dans l’hindouisme et le bouddhisme, enseignant la voie de la vérité au disciple, par la méditation en particulier.

La question principale était alors : est-ce que les deux se rejoindraient finalement ? Ou bien ces deux tendances suivraient des voies particulières, modifiant les traits psychologiques en deux parties séparées, donnant naissance à deux différentes nations ?

Si nous avons raison concernant la thèse sur la situation du Bengale à l’arrivée de l’Islam, alors les points suivants doivent être vérifiés :

– tout d’abord, d’acharnées luttes de classe doivent avoir eu lieu avec les nouvelles armes idéologiques (hindouisme shakti et l’islam);

– ces armes, si elles étaient de vraies armes, doivent avoir prouvé leur efficacité, si non alors une autre arme aurait été soulevée;

– la classe dirigeante au Bengale doit nécessairement aussi avoir reflété cette situation de «deux voies culturelles» au Bengale.

Le Bengale réussit à se protéger

De fait, le Bengale a prospéré et a ou défendre sa situation nouvelle. Deux points principaux sont à noter:

a) Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.

Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.

Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie!).

Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale. De nombreux éléments ont été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamant croisé etc.).

Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.

b) Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya Mahaprabhu pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vishnouisme (ou Vaishnavisme) (pas de castes, culte de l’amour, universalité, etc.).

Cela a été l’aspect positif de la nouvelle situation. Le Bengale existait en tant que structure, avec une solide base interne, ce qui n’aurait pas été possible:

– Si le Bengale était bouddhiste, parce que le conquérant musulman aurait totalement rejeté tout compromis avec les élites locales, et surtout pillé la terre;

– Si le Bengale avait été hindou dans sa version traditionnelle, car alors il aurait idéologiquement submergé par l’Inde ancienne, et serait devenu une simple région orientale, sans réelle possibilité de développement local.

Les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengali, nommé par les dirigeants musulmans. Le Bengale existait et pouvait se développer. Cela montre que la résistance pré-bourgeoise pouvait se structurer à travers une certaine variante de l’hindouisme et une certaine version de l’islam.

Regardons maintenant l’aspect négatif. Le fait que deux religions existent au Bengale était un problème idéologique. Pour réaliser une forte unité nationale, l’existence d’une seule unité religieuse dans le pays était nécessaire pour l’élément pré-bourgeois, allié au conquérant locale établissant son autorité.

Nous verrons que cet objectif sera retrouvé beaucoup de fois, même dans l’histoire moderne du Bengale.

Quoi qu’il en soit, à cette époque, les problèmes étaient les suivants:

– il y avait nécessairement deux factions soutenant l’islam ou l’hindouisme comme principal centre idéologique;

– ces factions seraient nécessairement en lutte et essayant de gagner de l’importance au sein du pouvoir d’État, qui était dominée par les conquérants musulmans.

L’épisode de la dynastie Ganesha au 15ème siècle a été une expression de cela: le propriétaire terrien Raja Ganesha a renversé la dynastie musulmane, mis son fils comme souverain musulman pour le renverser dès que l’invasion musulmane était passée, il essaiera même la manœuvre une seconde fois, mais a alors été tué.

Cela montre quelle a été la faiblesse de la position de l’élite locale. Cela aura une conséquence fatale.

L’ère moghole

Le Bengale avait du 12ème siècle au 16ème siècle pour faire son unité. Il a réussi à se protéger et à maintenir sa culture nationale, mais il a échoué à s’unir dans un sens national fort, avec une culture pré-bourgeoise unifiée au niveau de toute la nation.

Cela a eu une terrible conséquence, lorsque l’empereur moghol réussi à envahir le Bengale. Dès cet instant, le Bengale était gouverné par le haut – un haut loin du Bengale lui-même, basé dans le nord de l’Inde.

De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.

Le Bengale était considéré comme un endroit riche, dont les richesses devaient appartenir au moghol en Inde du Nord, et particulièrement l’armée. Pour cette raison, les cadres de l’Empire moghol ont été envoyés au Bengale.

Le souverain moghol Akbar mis même en place un nouveau calendrier, encore utilisé aujourd’hui. Le but de ce calendrier était d’améliorer la collecte de l’impôt foncier au Bengale. Comme ailleurs sous la domination moghole, le langage utilisé pour la justice et l’administration était le persan.

Le pays n’était plus en mesure de produire sa propre classe dirigeante. La classe dirigeante était une construction faite par le Moghol, et composé d’aristocrates musulmans, parlant l’ourdou comme dans le nord de l’Inde, et séparés sur le plan culturel des autres musulmans.

Akbar célébrant la victoire moghole au Bengale

Fin de l’ère moghole: le Nawabs

Lorsque l’empire moghol était sur le déclin, la situation n’a pas changé. Le Bengale a commencé à être gouverné par une dynastie de gouverneur, et le subahdar bengali était désormais connu comme le nawab du Bengale (le mot donnant le mot français « Nabab »).

Cela signifie que le modèle féodal de l’empire moghol a été importé au Bengale, et même modernisé.

Murshid Quli Khan, premier Nawab (de 1717 à 1727), a aboli le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (avec sa mort la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).

Au lieu du système du jagirdar, qui était adapté à l’État militaire des Moghols, Murshid Quli Khan a installé le système mal zamini. Dans ce système, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général.

Cela était plus adapté à une économie où un autocrate avait besoin de richesses produites localement, de la même manière que la monarchie française déclinante avec les « Fermiers Généraux ». Comme le fermier général payait au gouvernement les neuf dixième de la production, il était très engagé pour faire une meilleure production.

Mais Murshid Quli Khan fit face au fait que, ce faisant, il ne pouvait pas fonder ce système sur un ijaradar musulman, parce qu’il avait besoin d’aller contre la culture moghole, et de toute façon il ne recevait plus les cadres plus de l’Empire moghol à placer comme fermier général.

Murshid Quli Khan organisa par conséquent son système ijaradar de cette façon: il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant mis en place comme chaklahdars, et il a choisi essentiellement des hindous. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.

La colonisation britannique: la première période

De manière intéressante, l’Empire britannique qui a colonisé le Bengale a continué de la « même manière. » L’acte d’établissement permanent de 1793 a rendu héréditaire les positions des fermiers généraux.

Par conséquent, le système de fermiers généraux de Murshid Quli Khan doit être considéré comme un système parasitaire, d’un type féodal. Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :

« Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.

Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes]. Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).

Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.

L’Angleterre a [quant à elle] décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.

Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »

Karl Marx a parfaitement vu cette question de la mélancolie, tellement présente dans les pays opprimés, une mélancolie donnant naissance à de nombreux fondamentalismes romantiques.

En tout cas, du côté britannique, cela a également clairement suivi la logique impérialiste traditionnelle de « diviser pour régner. »

Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.

Ensuite, l’empire britannique a défait le nabab à la bataille de Plassey en 1757, créant la présidence du Bengale et dirigeant finalement directement le Bengale et l’Inde.

La colonisation britannique: la deuxième période

La soumission du Bengale par l’impérialisme britannique a apporté une nouvelle situation, dans le sens où au féodalisme post-moghole, il faut ajouter le colonialisme britannique.

Ce ne fut pas compris à cause du manque d’analyse matérialiste dialectique. L’impérialisme a été compris comme le seul et unique responsable de la situation. Cela a été aidé bien sûr par le fait que l’impérialisme britannique a utilisé les hindous comme fermiers généraux.

Pour cette raison, la lutte des classes se développa sur une base religieuse: les grands propriétaires terriens étaient hindous au Bengale, et comme l’impérialisme britannique travaillaient avec eux, alors logiquement l’Islam devait être pris comme un drapeau révolutionnaire.

Cela a également été causée par le fait que les anciens dirigeants – ceux avant les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport au moghol) et les Nawabs semi-autonome et indépendant (par rapport aux Britanniques), c’est à dire les aristocrates formés par les Moghols – semblaient être un idéal romantique.

Une expression très importante de cette conception romantique jusqu’à aujourd’hui au Bangladesh est l’appréciation très forte du Taj Mahal, qui peut être trouvé dans de nombreux dessins, en particulier sur les rick-shaws.

En raison de cela, l’islam « pur » idéologiquement – celui des moghols, qui semblait « anti-impérialiste » – a été prise comme une arme.

Cela s’est passé avec le mouvement Faraizi, fondée par Haji Shariatullah (1781-1840). Il est allé en Arabie et a utilisé la version de l’islam là-bas – le wahhabisme – comme arme fondamentaliste au Bengale, faisant la promotion d’un islam « purifié » de l’influence hindouiste, c’est-à-dire de la présence britannique.

« Fairaz » désigne l’obligation due à Dieu ; bien sûr, l’islam bengali était très loin de l’islam arabe, avec toutes ses pensées magiques et son esprit d’ouverture d’esprit aux déesses hindoues.

Mais ce mouvement de « purification » a été perçue comme une façon romantique afin, au moins, d’affirmer la nation du Bengale.

Néanmoins, ce fut romantique, et comprenant de manière non dialectique l’hindouisme comme un simple allié de l’impérialisme. Ainsi, ce processus de « purification » de l’islam, même si elle ne s’est pas généralisée – a tué pour de bon la possibilité d’une union du Bengale sous le drapeau bourgeois. Le Bengale aurait pu avoir été unifié seulement si son élément culturel national pouvait être pris comme un dénominateur commun.

Le fondamentalisme a tué cette possibilité. Voulant lutter contre l’impérialisme, les masses paysannes ont rejetée hindouisme comme autant qu’elles le pouvaient, ne voyant pas que le problème était la question agraire.

Haji Shariatullah avait mis en avant une lutte cosmopolite anti-nationale – mais cela semblait révolutionnaire, parce que cela sonnait anti-impérialiste (et par là anti-féodal).

Néanmoins, pour cette raison, le mouvement Fairazi a été pris par les masses comme anti-impérialiste (et par là anti-féodal); un Etat dans l’Etat a été créée au Bengale, formant une énorme opposition à l’Empire britannique.

Les masses n’ont pas vu que le problème était la question agraire, mais ils ont estimé que soutenir le mouvement Fairazi – non pas tant dans la purification religieuse que socialement – était dans leur intérêt.

En ce sens, le mouvement Fairazi était un mouvement anti-féodal, mais dirigé par des cercles intellectuels et non pas une bourgeoisie qui était terriblement faible en raison du type d’économie moghol et post-moghol.

Pour cette raison, le mouvement Fairazi s’est transformé en un mouvement paysan utopique et vint même mettre en avant la doctrine de la propriété de la terre comme revenant au travail.

Logiquement, le même processus a existé avec l’hindouisme, naturellement avec un centre de gravité au Bengale occidental. Les éléments bourgeois ont essayé de construire une nouvelle idéologie, un hindouisme en mesure de mobiliser les masses, en mettant de côté le systèmes des castes et la hiérarchie religieuse.

Ainsi naquit le Brahmo Samaj, fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).

Mais plus encore que le mouvement Fairazi, il échoua à mobiliser les masses de façon révolutionnaire – les deux ont été portés par les cercles intellectuels tentant de trouver une sortie universelle de la situation au Bengale alors, mais au moins le mouvement au Bengale oriental a réussi à avoir un forte identité populaire.

Ainsi, les deux ont été progressistes dans le sens où ils ont été critiquant et rejetant le féodalisme, tous les deux ont pris une position universelle, mais les deux ont regardé dans un passé idéalisé pour trouver le noyau de l’idéologie qui aurait dû être trouvé dans le présent.

Tous deux ont été petit-bourgeois, un mouvement romantique. Leur échec était inévitable parce que la bourgeoisie était faible, arrivant trop tard dans l’histoire, et ne pouvait pas freiner le progrès de l’impérialisme.

Mais il y avait une différence: au Bengale occidental, le processus a été organisé autour des cercles petits-bourgeois et grand bourgeois, ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs. ».

Les « bhadra lok » étaient culturellement occidentalisés, mais idéologiquement ils voulaient une société bourgeoise et rejetaient par conséquent la culture occidentale (exactement comme le fondateur du Pakistan ne parlait pas l’ourdou et était l’un des hommes les « mieux » habillés dans le monde, soit dans le style anglais).

Au Bengale oriental, le mouvement réussit, au contraire, à profondément influencer les masses, à défaut de les mobiliser de manière révolutionnaire.

La colonisation britannique: troisième période

Après le Brahmo Samaj et le mouvement Fairazi, il n’y avait plus de forces pour unir le Bengale ; la bourgeoisie est arrivée trop tard, et les éléments petits-bourgeois étaient faibles et idéologiquement divisés en deux parties du Bengale.

Au contraire, les forces pour diviser le Bengale étaient fortes. L’empire britannique a joué un rôle important en divisant le Bengale pour des raisons administratives en 1905. Il n’a pas réussi à cela – du Bengale a été unifié à nouveau, en 1919.

Mais il pousse la contradiction entre l’Ouest et l’Est du Bengale. Les Hindous, qui avaient gagné des points avec le colonialisme et ensuite pensaient qu’ils allaient bénéficier d’une Inde indépendante, comme elle serait principalement hindoue, ont mené une lutte contre la partition de 1905.

Les forces petites-bourgeoises, au Bangladesh, craignant l’hégémonie de la partie hindoue, ont accepté pour leur part cette partition, parce qu’ils pensaient que cela permettrait le renforcement de la nation bengalie.

Ce processus, une fois engagé, ne pouvait plus être arrêté: en 1919, les Britanniques ont divisé le peuple bengali avec des élections séparées pour les hindous et les musulmans. Encore une fois, les forces petites-bourgeoises du Bengale oriental ont pensé que cela était favorable à leur affirmation.

Le colonialisme britannique est allé très loin dans cette politique, utilisant même la famine. La famine de 1770 a tué approximativement le tiers de la population (donc, environ 10 millions de personnes); il y eut par la suite des famines en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897. Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.

Quand les Japonais ont conquis la Birmanie, le colonialisme britannique a poursuivi cette politique de façon extrême, donnant la mort à près de 5 millions de personnes au Bengale en 1943-1944. La famine n’a même pas été officiellement déclarée. Satyajit Ray a fait un fameux film sur cet événement, Distant Thunder.

La situation était par conséquent inacceptable et il était nécessaire de faire un saut, à tout prix. Ceci a conduit à la scission du Bengale, en le Bengale occidental et le Pakistan oriental.

En 1947, l’Inde est devenue indépendante, mais bien sûr ce n’était pas possible pour les éléments bourgeois au Bengale Oriental de lutter contre l’Inde pour des liens ouverts avec le Bengale occidental; de toute façon la bourgeoisie (hindoue) du Bengale occidental pensait – à cause de sa propre force – qu’il serait plus intéressant d’être une partie de l’Inde.

Donc, le Bengale oriental s’est précipité dans les bras du « Pakistan », devenant le Pakistan oriental. Les Pakistan occidental et oriental étaient à 1,600 kilomètres de distance ; il n’y avait entre eux aucun lien économique, psychologique et culturel véritable entre les Pakistan de l’Ouest et de l’Est.

Mais c’était une option pratique pour, au moins, avoir ce qui a semblé être un Bengale indépendant.

« Le Pakistan oriental » était une façon de libérer le Bengale de l’Inde « hindouiste. » Le Pakistan était vu comme un retour à l’ère moghole.

Fondamentalement, il est facile de voir que le choix du Pakistan n’était pas en effet une définition religieuse, mais une définition nationale. Une preuve pour ceci était la prise de la chanson « Amar Shonar Bangla » (« Mon Bengale d’or ») écrite par Rabindranath Tagore comme hymne national.

Nous avons ici des éléments étonnants : tout d’abord, cela a signifié que le Pakistan oriental s’est compris comme le vrai Bengale.

Dans la même façon, nous devons voir que l’Inde a également pris une chanson de Tagore comme hymne national – ceci ne peut pas relever du hasard et a été clairement connecté à la question du Bengale Occidental, que l’Inde voulait garder à n’importe quel prix.

Et, finalement, nous devons voir un fait étrange : Amar Shonar Bangla a été à l’origine écrit contre la division 1905, que les dirigeants musulmans du Bengale Oriental ont accepté. Il ne devrait pas être logique de choisir cette chanson – à moins que nous ne comprenions que le but était un Bengale unifié, séparé de l’Inde.

Rabindranath Tagore (1861-1941)

Le Bengale oriental devient le Pakistan oriental

Quand le Bengale oriental a rejoint le Pakistan, l’espoir était que le pays serait gouverné d’une façon qui permettrait à la bourgeoisie orientale du Bengale de se développer. Pour la bourgeoisie qui a adopté l’Islam comme une identité, ceci devrait être une conséquence logique.

Mais l’Islam n’était pas celui du Bengale historiquement; c’était une construction de l’impérialisme, théorisé par des étudiants indiens en Angleterre, inventant un « Pakistan » comme les sionistes ont inventé « l’État d’Israël. » Il n’y avait aucun rapport avec une conception idéalisée d’un « retour au moghol. »

C’était une illusion de penser que l’État pakistanais serait un développement en termes historiques. Et la situation est devenue bientôt épouvantable.

Le Pakistan avait 69 millions de personnes, 44 millions étant au Pakistan oriental. Mais le Pakistan occidental avait une hégémonie totale : il avait la capitale fédérale, le commandement militaire, la cour suprême de justice…

Depuis le début on a donné la priorité au Pakistan occidental qui avait les ¾ des fonds de développement. Le Pakistan oriental produisait la plupart des exportations (jute, thé…), mais avait seulement ¼ des revenus.

Et la situation n’était pas seulement insupportable pour le Pakistan oriental. Le Pakistan est né comme semi-colonie britannique et est de plus en plus devenu une semi-colonie américaine.

Manifestation d’étudiantes à Dhaka, le 21 février 1953,
bravant l’interdiction et exigeant l’emploi de la langue bengalie.

Les masses, dans l’atmosphère révolutionnaire mondiale générale, ont commencé à protester avec les étudiants en 1968, suivis ensuite par les paysans et les ouvriers, dans un front commun contre la dictature militaire.

Un intellectuel rural a réussi à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani. Profondément influencé par la Chine, il s’est même séparé de l’Awami League pro-bourgeois (Awami signifiant peuple) pour former le National Awami Party.

Mais Bhashani était un démocrate, dans une période où la révolution démocratique ne pouvait être menée que par le Parti communiste. Pour cette raison, il a fait plusieurs erreurs, notamment en 1970 en laissant la Ligue Awami être seule présente dans les élections.

Sheikh Mujibur Rahman, dirigeant de la Ligue Awami bourgeoise (ou plutôt petit-bourgeoise), a reçu un triomphe, devenant pour les masses le dirigeant de la lutte démocratique. 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental étaient ainsi détenus par la Ligue Awami.

La Ligue Awami n’était certainement pas prête pour la sécession – mais les masses éveillées, notamment par le Parti National Awami, poussait à une libération de l’hégémonie du Pakistan occidental.

A joué ici aussi un rôle important le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’a pas été en mesure d’organiser un secours sérieux. A ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.

Pour cette raison, le 25 mars 1971, l’armée pakistanaise a fait une intervention, qui est devenu un véritable génocide.

L’objectif de l’armée pakistanaise était d’écraser tous les intellectuels de langue bengali, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de tuer autant que possible les hindous. La langue bengali et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.

Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale.

Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams. Cette fraction de l’Est du Bengale s’est donc transformée en une bourgeoisie bureaucratique servant les intérêts pakistanais.

Les résultats de ce processus a été trois millions de morts.

La naissance du Bangladesh

Le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.

Mais la défaite totale du Pakistan aurait également signifié la défaite de l’Inde. L’Inde ne pouvait pas accepter un Bangladesh indépendant, cela signifierait la perte du Bengale occidental à moyen terme.

Cela était particulièrement évident alors que les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, la guerre populaire étant également initiée par différentes organisations, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.

Peter Hazlehurst du Times commente alors: « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad. » Il est à noter que le philosophe français Bernard Henri Lévy, publiant ses premiers travaux sur la question indienne et le Bangladesh, n’a pas compris ce processus et pensait que la guerre populaire initiée n’avait pas comme objectif la révolution démocratique au Bengale, favorisant ainsi le pessimisme et la confusion.

En raison de la situation, l’armée indienne a lancé une offensive contre le Pakistan et organisé depuis le début à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami. L’objectif était la formation d’un Bengale oriental, sous contrôle de l’Inde et son maître, le social-impérialisme russe.

La situation était très compliquée pour les révolutionnaires. Ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales. Et l’impérialisme américain et le social-impérialisme russe soutenaient certaines fractions pour les transformer en une bourgeoisie bureaucratique.

Carte de la situation militaire en 1971

L’intervention massive de l’Inde a apporté beaucoup de problèmes tactiques, l’ennemi principal changeant de manière rapide. Cela a permis la formation du Bangladesh, sous contrôle indien. Le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président.

Représenter le bourgeoisie bureaucratique pro-Inde et pro-URSS social-impérialiste, Sheikh Mujib a commencé à donner la même orientation idéologique. Il a mis en avant, comme principes fondamentaux, « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme. »

Il a fait en sorte que seule un partie a été toléré dans le pays, la Bangladesh Krishak Sramik Awami League-BAKSAL, et se mit en tant que président à vie.

Ce fut bien sûr inacceptable par les masses, et cela a été utilisé par les impérialistes. Après la famine de 1974, qui a tué 1,5 millions de personnes, l’impérialisme américain a poussé à un coup d’Etat militaire, le 15 août en 1975.

L’officier de l’armée Ziaur Rahman est devenu le dirigeant, qui a créé un parti politique exprimant les intérêts de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui est soumis: le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’Etat a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national; Golam Azad, chef exilé du Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc

Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’Etat, qui ont tous échoué, même s’il a été tué dans cellede 1981. Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais a formé son propre parti politique, le Parti Jatiya.

Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh «démocratique» – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.

La domination de la Ligue Awami et du BNP

Sous le régime Ershad – qui a servi comme un Bonaparte dans une situation de crise – la Ligue Awami et le BNP se sont réorganisés.

Khaleda Zia, veuve de Zia, est devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des 7 partis.

De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des 15 partis.

Le BNP et la Ligue Awami se sont unis contre la loi martiale d’Ershad. Ils se sont alliés aussi avec la Jamaat-e-Islami, et une « Ligue démocratique » qui était également pro-américaine.

En 1987, la Ligue Awami a boycotté les élections, en 1988, elle a été rejoint dans son boycott par le BNP. La pression générale contre lui – des fractions bureaucratiques, mais aussi des masses, où les révolutionnaires jouaient un rôle significatif – ont amené Ershad à démissionner, en 1990. Son parti politique devint alors un allié de la Ligue Awami.

Depuis 1990, la BNP et la Ligue Awami sont les principaux partis politiques institutionnels, représentant les deux principales tendances bureaucratiques bourgeoise, avec la Jamaat-e-Islami.

En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalent, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.

De 1991 à 1996, Khaleda Zia, a été Premier ministre, Sheikh Hasina a alors dominé de 1996 à 2001, Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009.

Bangladesh: un pays opprimé

Pour comprendre la situation d’aujourd’hui, nous allons jeter un oeil à ce qu’il est possible de lire sur un site web contre les criminels de guerre de 1971:

«En 1971, deux pouvoirs suprêmes les États-Unis et la Chine étaient avec eux. Mais Allah était avec les Bengalis désarmés. Donc nous avons gagné la guerre. Bien que nous ayons perdu nos bien-aimés, mais nous avons eu notre désiré Bangladesh. »

Ce qui est écrit ici m’aide beaucoup à comprendre l’illusion qui prévaut dans beaucoup de secteurs des masses.

Parce que ce n’était pas « Allah », mais l’armée indienne qui a donné des armes et combattu contre l’armée pakistanaise d’un côté, les masses qui se sont armées de l’autre, avec une forte influence communiste.

Mais en raison de la faiblesse de l’avant-garde communiste, le Bangladesh, à sa fondation, est devenu une marionnette de l’Inde et de l’URSS social-impérialiste. Cela a donné de nouveau de la vigueur à l’idéologie du « retour au moghol », qui a été de nouveau utilisée par la bourgeoisie bureaucratique pro-américaine. Et elle a permis aux ex-Razakars de se « justifier. »

Nous avons ici une clé idéologique. Le Bangladesh est né comme un pays sur un génocide de 3 millions de personnes, dont la seule faute était d’être Bengali et en cette nouvelle nation n’a pas été en mesure jusqu’à présent de préserver leur mémoire et de punir les criminels.

Comment cela est-il possible?

C’est parce que l’aspect religieux est si forte que même juste après l’indépendance de 1971, le nouvel État du Bangladesh n’a pas été en mesure de réprimer la razakars, qui ont aidé l’armée pakistanaise dans ses massacres. Même Mujib a utilisé l’islam comme une arme idéologique.

Et, de plus en plus, le Bangladesh connaît une influence plus grande de l’islam. En juin 1988, la constitution a même été modifiée afin d’établir l’Islam comme religion d’État, abandonnant la laïcité de l’État. La Ligue Awami accepte cela – parce qu’elle n’a absolument plus aucun aspect bourgeois, elle est purement bureaucratique.

Ceci est logique: le Bangladesh, rejetant une voie démocratique, est de plus en plus en train d’utiliser l’islam d’une manière national-bureaucratique abstraite, afin de maintenir le Bangladesh tel qu’il est. Même les forces pro-Inde ont besoin de cet islam pour maintenir le Bangladesh comme il est, pour être en mesure d’exister.

L’option des maoïstes au début des années 1970 a été correcte: l’organisation de la révolution agraire se propage comme un feu au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, elle permettrait d’unifier les masses qui ont déjà beaucoup de liens culturels. Et cela permettrait de s’opposer à la fois aux forces pro-américaines et pro-URSS.

Mais le Bangladesh a désormais de plus en plus un capitalisme bureaucratique organisé par le haut, avec des milliers d’usines où des grandes rébellions sont mêmes organisées. Il n’est pas possible de nier cette évolution.

Le pays a pris ou prend le tournant, comme beaucoup de pays, d’un pays semi-colonial semi-capitaliste bureaucratique, avec des éléments semi-féodaux massifs sur le plan culturel et idéologique. Il y a même un système idéologique unifié pour justifier l’État: un islam influencé par un romantisme du « retour au moghol. »

Bangladesh: nation inachevée du Bengale

Néanmoins, cette idéologie d’État, de plus en plus influencée par l’islam, a une base très faible. Elle n’est pas conforme à la base nationale.

La révolution de nouvelle démocratie lève ce drapeau, pour unifier les masses contre ceux qui invente de faux principes pour maintenir leur domination.

Mais la principale question révolutionnaire est la suivante: où est le soutien principal de la révolution de nouvelle démocratie?

Hier, cela aurait été essentiellement la révolution agraire. Aujourd’hui, alors que la nation a avancé mais d’une façon erronée, cela doit encore être l’aspect démocratique, mais sur une base populaire. La lutte contre le fascisme et les forces fascistes a de fait été très forte depuis 1971.

Et certainement, la question de la culture bengali joue un rôle central. Une révolution démocratique réalise un aspect universel, et comme il est un voisin très proche sur le plan culturel – le Bengale occidental – la question de la révolution démocratique porte de nouveau la question de la nation bengalie.

Ce n’est pas seulement que le socialisme unifie les peuples, c’est aussi qu’une fédération des deux Bengale a une valeur idéologique démocratique. Tant l’Ouest que l’Est ont vécu des expériences de soumission à des formes qui ne permettent pas leur développement. Ils ont besoin de trouver une autre voie – leur réunion démocratique, d’une manière ou d’une autre, est inévitable.

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Jaïnisme et capitalisme

Qu’est-il advenu du capitalisme indien? Il avait en fait déjà une idéologie extrêmement développée : le jaïnisme.

Mais Karl Marx n’a pas pu voir cela, pour deux raisons. Tout d’abord, le jaïnisme était moins connu, pour ne pas dire inconnu, ce qui est encore aujourd’hui le cas. Ensuite, Marx connaissait une forme avancée d’idéologie capitaliste, et le jaïnisme était « démocratique » dans une forme très élémentaire.

Le jaïnisme est apparu au même moment que le bouddhisme ; sa philosophie en était très proche. Mais si le bouddhisme était l’idéologie de la ville, du royaume, le jaïnisme était directement l’idéologie du capitalisme.

C’est pourquoi le jaïnisme est beaucoup plus exigeant : une personne qui offre à son insu de la nourriture empoisonnée est innocente selon le bouddhisme, coupable selon le jaïnisme.

Extrait du Kalpa Sūtra, qui contient les biographies des grandes figures jaines, 15e siècle

Si le mot jaïnisme vient en effet du verbe sanskrit jin, qui signifie se battre – ici la bataille contre les passions et la réalité de la matière -, le paradoxe est que le jaïnisme est une religion très pragmatique.

Sur le plan scientifique, c’est de l’empirisme dans la tradition bourgeoise primitive : les choses sont supposées avoir de multiples aspects, chaque personne prenant peut-être un aspect différent, et ainsi toute proposition est vraie de façon conditionnelle et non pas de façon absolue.

C’est un relativisme très utile au capitalisme ; en fait c’est ici une forme ouverte de libéralisme, un appel à la pratique autonome, sans avoir à être jugé par des « forces suprêmes ».

Un jaïn devait être austère et digne de confiance ; pour le jaïnisme, il n’y avait ni castes, ni possibilité d’être « parfait » en tant qu’être humain, seule la mort pouvait provoquer la libération finale. Et le jaïnisme des débuts refusait aussi le culte des images.

Il est évident que tout ceci a la même dynamique que le protestantisme.

Les 24 grandes figures jaines, vers 1850

Et nous voyons que du point de vue matérialiste, le jaïnisme rejette le concept de la création de l’univers ; dans la même perspective, le jaïnisme réfute le principe d’une « force suprême » qui « organiserait » le monde.

Ce qui est ici extraordinaire, c’est que cette ligne pré-bourgeoise était si progressiste qu’elle acceptait ouvertement la conception matérialiste de l’unité du monde.

Le jaïnisme était la religion la plus proche de considérer que la réincarnation était le développement éternel de la matière vivante par le mouvement des atomes.

Le jaïnisme allait si loin, qu’il considérait que tous les êtres vivants étaient liés ; comme l’a formulé le mathématicien jaïn Umā Svāti au deuxième siècle :

« Les âmes existent pour se rendre service les unes aux autres. »

Dans la lignée de cette reconnaissance de la matière vivante, il est interdit pour les jaïns de faire du mal à tout être vivant. Dans le livre sacré traditionnel appelé l’uttaradhyayana sutra, nous pouvons lire ceci :

« Des bâtons et des couteaux, des pieux et des massues, de mes membres brisés,

J’ai impitoyablement souffert à d’innombrables reprises.

Par des rasoirs, des couteaux, des lances bien affûtées, j’ai été si souvent

Traîné, écartelé, découpé et dépecé

Tel un cerf aux abois pris au collet, tombé dans un piège,

J’ai si souvent été attaché, ligoté et même tué.

Comme un poisson sans défense, j’ai été pris avec des hameçons et dans des filets,

Crocheté, écaillé, fendu et éviscéré, et tué un million de fois…

Né arbre, j’ai été abattu et débité, à coup de hache et de burin

Puis découpé en planche à l’infini.

Incarné dans le fer, j’ai subi le marteau et les pinces

Tellement de fois, pris en étau, frappé, tordu…

Toujours tremblant de peur ; dans une souffrance permanente,

J’ai ressenti la plus grandes tristesse, la plus grande agonie. »

De nos jours, le jaïnisme a encore quatre millions d’adeptes, la plupart en Inde où cette religion a toujours été associée aux marchands ; en Belgique, cette communauté est connue à Anvers pour sa présence dans le commerce des diamants.

Les jaïns ont donc pour ainsi dire été intégrés comme une caste de marchands au sein de l’hindouisme, après que ce dernier ait bien sûr triomphé du bouddhisme, qui était le grand concurrent du jaïnisme.

Sous la domination islamique, les jaïns ont conservé ce rôle de commerçants, pour lequel ils étaient protégés, et même tenus en grand respect par Akbar, le grand souverain qui a tenté d’unifier l’empire comme l’avait fait Ashoka.

Akbar, profondément influencé par Hiravijaya ji (1526-1595), a renoncé à la pêche et à la chasse, est devenu végétarien et a interdit le meurtre d’animaux pendant les festivals de Paryusana et Mahavir Jayanti, a fait interdire l’abattage des animaux pendant six mois dans le Gujarat, a abandonné certains impôts ; etc..

Mais ce n’est pas tout, même après la tentative d’Akbar de construire une nouvelle idéologie pacifique et universelle, le Sulh-e-Kul, les commerçants jaïns ont conservé la protection de l’empire Moghol, même sous Aurangzeb. Les jaïns avaient la liberté de culte, la protection des pèlerinages et la possibilité de les entreprendre comme ils le souhaitaient, etc.

Extrait du Kalpa Sūtra, 15e siècle

Symboles de cette liberté dans les affaires, les temples jaïns, dont la construction a débuté au 11e siècle, se trouvent par centaines sur le mont Shatrunjaya, dans le Gujarat.

Le fait que le jaïnisme se soit maintenu uniquement dans le nord-ouest de l’Inde est important. Sa dimension politique avait déjà disparu à l’époque de l’ascension du bouddhisme ; c’était uniquement l’idéologie capitaliste de l’ascension de la bourgeoisie à ses débuts.

Mais comme le jaïnisme avait déjà un niveau culturel très élevé, nous y trouvons beaucoup d’interdictions morales qui ont joué un grand rôle dans l’échec du capitalisme indien.

Parmi ces interdictions, on retrouve celles qui sont liées aux êtres vivants. Un jaïn ne peut pas participer à la production et à la vente de charbon de bois et de bois, tout comme il n’a pas le droit d’utiliser ou de vendre des animaux, et donc pas le droit de construire ou de vendre des chariots (à cause du bois et de l’utilisation des animaux).

Mahavira, fondateur du jainisme, 14e siècle

Étaient évidemment interdits le commerce des produits issus des animaux comme l’ivoire, les os, les coquillages, les peaux, mais aussi le commerce de l’alcool ou d’articles dangereux comme les armes, les poisons, et encore les outils agricoles qui représentaient une menace à la vie dans le sol (les jaïns évitent ainsi de manger de l’ail et des oignons, comme leur arrachage est un danger pour des êtres vivants).

Dans le même esprit, il était interdit d’assécher des lacs ou de défricher des forêts, notamment par le feu, ou d’opérer des moulins ou des presses à écraser le grain et la canne à sucre.

Les jaïns étaient donc usuriers, commerçants, prêteurs sur gages, etc. ; ils refusaient d’investir dans toute production opposée au principe de l’« Ahiṃsā », d’absence de souffrance. Les marchands du Gujarat profitaient des échanges maritimes internationaux, étant présents dans les ports de Goa, Chaul, Diu.

Mahavira, vers 1825

Nous tenons ici l’explication de l’échec du capitalisme dans l’Inde antique.

Comme le brahmanisme était un système de caste raciste, il s’opposait à la responsabilité et à l’initiative individuelles nécessaires aux marchands. Il était donc inévitable que ces derniers forgent leur propre idéologie.

Mais contrairement à la situation en Europe, les marchands ne pouvaient pas cohabiter avec la monarchie absolue. Par conséquent, le jaïnisme en tant qu’idéologie du capitalisme a décliné, pour devenir une religion locale ; cette défaite a empêché la construction d’une idéologie capitaliste forte présente dans tout le pays.

De plus, les artisans étant sous le joug du féodalisme, les marchands ne pouvaient pas établir de liens avec eux.

Mais ce n’était pas tout, et ce dernier point explique pourquoi Karl Marx n’a pas pu voir le jaïnisme. Le capitalisme est un mode de production, et donc de reproduction. Cela veut dire que l’argent doit circuler d’un côté, et que des travailleurs individuels doivent être prêts à travailler de l’autre côté.

Le problème n’était pas seulement que le féodalisme bloquait l’émergence de travailleurs libres. C’était aussi que le faible capitalisme indien n’avait pas de marché.

Comment le capitalisme européen s’est-il développé ? Par la vente de marchandises à la bourgeoisie.

Mais Rosa Luxembourg a posé cette question : comment le capital peut-il s’élargir si tout l’argent est dans les mains de la bourgeoisie ? Et elle pensait que la clé était l’intégration des secteurs non capitalistes.

La réponse est claire avec l’exemple indien : l’accumulation du capital s’est accélérée grâce à l’intensification du travail animal, et de la vente de produits entraînant des dépendances tels que l’alcool, l’opium, le sucre, le tabac, etc.

Ces ventes ont permis de s’emparer de tout l’argent et de le réinjecter dans le circuit capitaliste. Mais en Inde, le jaïnisme était déjà une idéologie hautement civilisée.

La base même de l’accumulation n’a pu être atteinte à cause de cela ; même le commerce le plus lucratif, celui des chevaux, était rejeté par les jaïns. Le résultat a été un faible développement de la bourgeoise.

Ainsi, le jaïnisme n’a jamais plus été en capacité de défier l’hindouisme, qui est devenu l’idéologie du féodalisme. Ce féodalisme a été pris d’assaut par les envahisseurs, qui n’ont eu qu’à maintenir les choses telles qu’elle étaient, bloquant la société indienne.

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Hindouisme, bouddhisme et jaïnisme en Inde: unification et glaciation de la société indienne

La Bhakti a permis au brahmanisme, puis à l’hindouisme, de bénéficier d’un bastion idéologique solide dans les masses, le prix à payer étant l’implication active des masses dans ce processus. Cela a permis au féodalisme de s’enraciner profondément dans la société.

Mais nous observons ici autre chose : ce processus a mené à l’unification de l’Inde. Comment cela a-t-il pu être possible ?

Après l’effondrement de l’empire Maurya, l’Inde antique était divisée en de nombreux royaumes qui se disputaient la suprématie. L’empire Gupta n’a été que le succès temporaire d’un royaume en particulier ; en pratique, le pays se divisait en une multitude de pouvoir locaux.

L’hindouisme était l’idéologie du système féodal en général, chaque instance de pouvoir local mettant en avant sa divinité, etc. Les masses étaient de cette façon impliquées dans les querelles intestines féodales.

Dans ce contexte, à chaque fois qu’un roi accédait à une position importante, il soutenait une religion en octroyant au clergé des terres et des temples. Un temple recevait de la terre et des paysans pour la travailler, avec pour résultat l’approfondissement du féodalisme.

Les rois ont commencé à octroyer également des terres aux forces féodales qui leur apportaient leur soutien, même si officiellement la propriété foncière n’a jamais été problématisée en Inde antique et féodale : les rapports de pouvoir, par l’intermédiaire des castes, étaient suffisants.

A travers ce processus, la partie sud de l’Inde a rejoint la partie nord. L’Inde du sud possédait déjà une culture forte, en particulier chez les Tamouls ; des royaumes entreprenaient déjà de créer des idéologies, en particulier au moyen du bouddhisme.

Représentation moderne de la déesse Sarasvati

Ce bouddhisme était cependant très différent de celui de l’époque d’Ashoka. C’était désormais une religion organisée, connue sous le nom de Mahāyāna (« Grand Véhicule » en sanskrit) et qui comportait de nombreux dieux, des rituels, un clergé, etc.

Le but n’était plus la libération, mais le culte des Bodhisattvas, des divinités qui pourraient devenir des bouddhas mais qui choisissent de repousser ce moment pour rester dans le monde, ce afin d’aider les masses (ce qui en fait des « modèles » pour les humains). C’était une variante féodale décadente du bouddhisme des origines, comme en témoignent les énormes statues couvertes d’or, de bijoux, etc.

Finalement, la vigueur idéologique de l’hindouisme a conduit les forces féodales du sud à rallier l’hindouisme, les seigneurs féodaux ont été intégrés dans la castes des kshatriya, des prêtres ont été formés, et toute une histoire a été « écrite » pour intégrer le sud à la culture du nord.

C’était une construction idéologique pure et simple, et dans les faits, le sud n’a jamais connu quatre castes, mais seulement un système traditionnel à deux niveaux, avec d’un côté les seigneurs féodaux et le clergé, et de l’autre des masses opprimées.

Une autre variante concernait les zones tribales intégrées ; dans ces cas, l’hindouisme devait s’adapter, ce qui a donné naissance au tantrisme et ses éléments de magie.

Comme R.S. Sharma le souligne dans « La société médiévale indienne à ses débuts »:

« Une enquête géographique des concessions foncières montrerait que, sauf dans le sud profond où les colonies brahmanes apparaissent en grand nombre à partir du huitième siècle, cela a été du cinquième au septième siècles que les concessions de terres à grande échelle ont été faites aux brahmanes dans les zones périphériques comme l’Assam, le Bengale, l’Orissa, l’Inde du centre et du sud. Les zones de l’Himalaya et le Népal ont également été ouverts aux brahmanes dans les périodes post-gupta par des concessions de terres. »

L’hindouisme a permis la généralisation d’un système dans lequel les seigneurs féodaux gouvernaient principalement un ensemble de villages, où la Bhakti, portée par les populations locales, a apporté les prémices de l’élément national.

Sans la Bhakti, la dévotion des masses, les souverains féodaux auraient gouverné des royaumes complètement disparates ; grâce à la Bhakti, les masses ont trouvé un point de rencontre malgré les barrières linguistiques et culturelles.

Le choc causé par les invasions islamiques a permis de mettre cela en perspective. Tout d’abord, les envahisseurs ont progressivement gagné la domination sur tous les royaumes, formant un nouvel empire et unifiant le pays sur le plan administratif, les forces féodales devenant une interface avec le pouvoir central.

De plus, les masses soutenant la Bhakti se retrouvaient confrontées à une autre religion, ce qui a renforcé l’unification, excepté dans les zones directement liées aux envahisseurs, comme l’Inde du nord-ouest, ou historiquement réticentes à la domination septentrionale, comme le Bengale qui était un bastion bouddhiste, et dont la partie orientale est devenue principalement musulmane.

La déesse de la destruction Kali sur le corps de Shiva, entre 1800 et 1825. Kali est historiquement particulièrement révéré au Bengale occidental.

L’empire Moghol a maintenu tel quel le système féodal sans abolir les castes, se contentant de coordonner les choses par le haut, comme une sorte d’antithèse de l’empire Maurya (à l’exception de l’idéologie progressiste Sulh-e-Kul de l’empereur Akbar, qui tenta d’unifier l’empire de façon similaire, tel un Ashoka moderne).

Les forces féodales étant dans l’incapacité d’évoluer vers une monarchie absolue, les envahisseurs ont pu former une monarchie tyrannique et parasitaire, et vivre des revenus de la collecte des impôts et de la propriété foncière directe (plus ou moins un cinquième de l’empire, selon la période).

C’est précisément cela que Marx avait vu, et qui l’a amené à penser que l’Inde n’était jamais parvenue à dépasser la dispersion féodale d’une part, et d’autre part à former un état central pour mettre de l’ordre dans ce chaos.

Dans un article de 1853 intitulé Les conséquences futures de la domination britannique en Inde, publié dans le New York Daily Tribune, Karl Marx écrit dans cet esprit :

« La société indienne n’a pas d’histoire du tout, du moins pas d’histoire connue.

Ce que nous appelons histoire, n’est que l’histoire des envahisseurs successifs qui ont fondé leurs empires sur les bases passives de cette société immuable et qui n’offrait pas de résistance.

La question, donc, n’est pas de savoir si les anglais avaient le droit de conquérir l’Inde, mais de savoir si nous préférons que l’Inde soit conquise pas les Turcs, les Perses, les Russes, ou les Britanniques.

L’Angleterre a une double mission à remplir en Inde : la mission de détruire, et la mission de régénérer l’anéantissement de l’ancienne société asiatique, et de jeter les bases matérielles de la société occidentale en Asie (…).

Les classes dirigeantes de Grande-Bretagne n’ont trouvé jusqu’à présent qu’un intérêt fortuit, transitoire et épisodique aux progrès de l’Inde. L’aristocratie voulait la conquérir, l’argentocratie voulait la piller, et la manufacturocratie voulait la brader. Mais à présent, c’est une autre affaire.

La manufacturocratie a découvert que la transformation de l’Inde en pays producteur a pris pour eux une importance vitale, et qu’à cette fin, il est nécessaire par dessus tout de la doter de moyens d’irrigation et de communication interne (…).

L’industrie moderne, résultante du système de chemins de fer, va dissoudre les divisions héréditaires du travail sur lesquelles reposent les castes indiennes, ces obstacles décisifs au progrès indien et au pouvoir indien.

Rien, parmi tout ce que la bourgeoisie anglaise sera contrainte de faire, n’émancipera ni n’améliorera la condition sociale de la masse du peuple, laquelle dépend non seulement du développement des forces productives mais aussi de leur appropriation par le peuple. Mais ce que la bourgeoisie ne manquera pas de faire, c’est de poser les bases matérielles de ces deux conditions.

La période bourgeoise de l’histoire doit créer les bases matérielles du nouveau monde – d’une part, les échanges universaux fondés sur la dépendance mutuelle de l’humanité, et les conditions de ces échanges ; d’autre part, le développement des forces productives de l’homme, et la transformation de la production matérielle en une domination scientifique des instances naturelles.

L’industrie et le commerce bourgeois créent les conditions matérielles d’un nouveau monde de la même façon que les révolutions géologiques ont créé la surface de la terre ».

Mais, comme nous l’avons vu, il y a une histoire complexe dont le bouddhisme et le jaïnisme sont les expressions conflictuelles par rapport à l’hindouisme. C’est là un aspect cependant secondaire par rapport à ce que constate Karl Marx avec justesse alors : l’Inde est d’une faiblesse complète au moment de la colonisation, elle n’a pas d’ossature.

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L’apparition des masses avec la Bhakti

L’hindouisme est parvenu à écraser le bouddhisme grâce à la Bhakti, mais le prix à payer a été élevé, car il a fallu intégrer la dévotion des masses dans la pratique religieuse. Voici comment Damodar Dharmananda Kosambi décrit ce processus dans Culture et Civilisation de l’Inde Antique :

« Les brahmanes ont peu à peu étendu leur influence aux tribus et aux castes corporatives qui y échappaient encore, un processus qui se poursuit aujourd’hui. Cela impliquait le culte de nouveaux dieux, y compris Krishna, qui avait supplanté le culte d’Indra dans plaine du Punjab avant l’invasion d’Alexandre.

Mais la spécificité des rituels et des cultes tribaux a été modifiée, les divinités tribales devenant des équivalents des dieux brahmaniques standard, et de nouvelles écritures brahmaniques ont rendu respectables les dieux qui ne pouvaient être assimilés tels quels.

Ces divinités nouvelles ou à l’identité redéfinie allaient de pair avec de nouveaux rituels, et des dates supplémentaires au calendrier lunaire pour les occasions particulières. De nouveaux lieux de pèlerinage sont apparus, ainsi que les mythes leur conférant une respectabilité suffisante, alors qu’ils n’étaient auparavant que des lieux de culte primitifs pré-brahmaniques.

Le Mahabharata, le Ramayana et surtout les Puranas regorgent de tels éléments.

Le mécanisme d’assimilation est particulièrement intéressant. Non seulement Krishna, mais aussi le Bouddha lui-même, ainsi que des divinités totémiques telles que les très anciens Poisson, Tortue et Ours furent transformés en incarnations de Vishnu-Narayana.

Le dieu Hanuman à tête de singe, populaire auprès des cultivateurs à tel point qu’il était le dieu associé à l’agriculture et faisait l’objet d’un culte particulier, est ainsi devenu le fidèle compagnon-serviteur de Rama, une autre incarnation de Vishnu. Vishnu-Narayana utilise le grand Cobra portant le monde comme un lit pour dormir sur les eaux ; et en même temps, ce même Cobra sert d’étole à Shiva, et d’arme à Ganesha.

Ganesha, dieu à la tête d’éléphant, est le fils de Shiva, ou plutôt de la femme de Shiva. Shiva lui-même est le maître des gobelins et des démons, beaucoup d’entre eux – comme le cacodémon [un esprit mauvais, démoniaque] Vétala – étant des dieux extrêmement primitifs et liés à l’origine aux cultes populaires des villages.

Nandi, le taureau de Shiva, faisait l’objet d’un culte dans l’Inde du sud à l’époque néolithique, où aucun maître humain ni aucune divinité ne le chevauchait ; il apparaît indépendamment sur d’innombrables sceaux datant de la civilisation de l’Indus.

Cette assimilation se poursuit à l’infini, et si l’on regroupe toutes les légendes on voit bien qu’elles ne sont qu’un agrégat informe.

Pourtant, l’importance de ce processus ne doit pas être sous-estimé. Le culte de ces divinités primitives ré-assimilées faisait partie d’un mécanisme d’acculturation, de concessions mutuelles.

Tout d’abord, ceux qui auparavant vouaient un culte au Cobra pouvaient encore le vénérer même en s’inclinant devant Shiva, et inversement ceux qui révéraient Shiva rendaient hommage au Cobra dans leurs propres pratiques rituelles. Plus tard, nombreux sont ceux qui allaient observer chaque année le jour du Cobra, pendant lequel il est interdit de travailler la terre et où de la nourriture est donnée en offrande aux serpents.

Des éléments matriarcaux ont été ajoutés, par assimilation de la déesse mère à l’ « épouse » d’un dieu masculin, comme par exemple Durga-Parvati (qui peut avoir des noms différents selon le lieu, comme Tukaï ou Kalubaï) l’épouse de Shiva, ou Lakshmi l’épouse de Vishnou.

Cette complexe généalogie divine conservait des éléments de syncrétisme : Skanda et Ganesha sont devenus les fils de Shiva. »

Ce processus comportait d’énormes risques, car il produisait des mouvements de masse mystiques rejetant les prêtres eux-mêmes au nom de l’amour mystique.

Des figures éminentes de la bhakti : Namdeva, Kabir, Raidas et Pipaji, 19e siècle

Kabir (1440-1518) est le meneur le plus célèbre de l’un de ces mouvement ; sa « voie » est théorisée dans le Bijak, une compilation de poèmes mystiques aujourd’hui encore très célèbre.

En voici un exemple :

« Oh servant, où Me cherches tu ?

Regarde ! Je suis près de toi.

Je ne suis ni au temple ni à la mosquée : ni à la Kaaba ni à Kailash :

Je ne suis ni dans les rites ni dans les cérémonies,

ni dans le Yoga ni dans la renonciation.

Si tu cherches vraiment, tu Me verras tout de suite :

Tu viendras en un instant à Ma rencontre. »

« Je ne suis pas Hindou,

Ni Musulman non plus!

Je suis ce corps, un théâtre

Des cinq éléments ; un spectacle

De l’esprit qui danse

Avec la joie et la tristesse ».

Un autre personnage important est Nanak (1469-1539), le fondateur du sikhisme, pareillement orienté vers le rejet de l’hindouisme et de l’islam, au nom de la dévotion et de la vérité éternelle.

Nanak enseignant à des ascètes, entre 1828 et 1830

Kabir et Nanak, entre autres, rejetaient le principe des prêtres, des textes sacrés, de la fonction de yogi, des dogmes : l’amour et la fusion avec le « un » était un « appel » mystique.

Dans de tels cas, il y avait une rupture avec l’hindouisme, avec les système des castes, avec une quelconque forme de clergé. La mobilisation de masse était au cœur de la démarche.

Même à l’intérieur de l’hindouisme, de telles tendances existaient, très fortes, et elles ont marqué leur époque. Le vaishnavisme de Chaitanya est par exemple allé très loin avec le culte de Krishna, tout comme le poète Surdas (1528- vers 1581) et la poétesse Mira Bai (vers 1498- vers 1546) dont voici un poème :

« Impérissable, O Seigneur,

Est l’amour

Qui me lie à Toi :

Comme un diamant,

Il brise le marteau qui le frappe.

Mon cœur s’imprègne dans le Tien

Comme la cire dans de l’or.

Tel que le lotus qui vit au sein de l’eau,

Je vis en Toi.

Comme l’oiseau

Qui toute la nuit

Contemple la lune décroissante,

Je me suis perdue en Ton sein.

Ô, reviens, mon Adoré ».

En voici un autre :

« Dans mes voyages j’ai passé du temps avec un grand yogi.

Un jour il m’a dit :

Deviens si immobile que tu puisses entendre

le sang couler dans tes veines. 

Une nuit alors que j’étais assise au calme,

Il m’a semblé être sur le point d’entrer dans un monde si vaste

Que je sais que c’est notre source à tous ».

Nous trouvons aussi des personnages comme Eknath (1533-1599), et le très important Tulsidas (1532-1623), qui ont formulé une « voie » où Dieu est considéré à la fois comme personnel et impersonnel, c’est-à-dire comme le but d’une quête mystique, mais aussi d’un culte personnel.

La Bhakti a permis à l’hindouisme de gagner les masses, mais cela signifiait l’irruption des masses dans la religion elle-même.

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Le mouvement de la Bhakti

Shankara a produit une doctrine classique de l’hindouisme, une nouvelle forme de brahmanisme où les castes étaient réintégrées, l’ordre ancien était de retour, et le bouddhisme, cet ennemi idéologique, était vaincu.

Malgré cela, voilà ce que nous lisons dans le Bhāgavata Purāṇa, la légende éternelle et divine du Dieu Suprême, qui se compose de dix-huit mille vers écrits entre le 9ème et le 10ème siècle (mais qui existaient auparavant  de manière orale) :

« Ni le Yoga ni le Samkhya ni le dharma ni l’étude des Védas, ni la sobriété religieuse ni l’abandon de soi ne Le ravissent (si pleinement) qu’une intense dévotion.

Moi, qui suis le Soi bien-aimé des vertueux, ne peux être saisi (qu’) à travers une dévotion absolue et pleine de révérence.

La dévotion entièrement dirigée vers Lui absout même les Svapakas (qui cuisinent et mangent la chair des chiens) du stigmate qui leur est apposé dès la naissance. »

En effet, l’hindouisme n’avait triomphé que dans la forme. La perspective de Shankara n’a pas été suivie, car elle était trop rigide, trop uniforme et pas adaptée aux multiples situations locales qui nécessitaient l’intégration de divinités spécifiques.

Nous trouvons donc, en compétition idéologique avec Shankara, Madhvacharya (1199-1278) et Ramanuja (1017-1137), qui ont développé un système non-dualiste.

Alors que Shankara appelait à rejoindre le « Un » car tout le reste n’est qu’illusion, exactement comme Platon et son allégorie de la caverne, Madhvacharya et Ramanuja faisaient la promotion d’un système dualiste traditionnel.

Selon eux, il y avait l’univers d’un côté et Dieu de l’autre, et les êtres humains devaient prier Dieu le seigneur de l’univers.

Nous sommes ici dans le domaine du vaïshnavisme, le culte de Vishnou ; mais nous trouvons aussi, parallèlement à cela et à a même période, le « shivaïsme », le culte de Shiva.

Le shivaïsme était très répandu sans être aussi puissant, et idéologiquement plus présent aux limites de l’Inde antique, notamment au Cachemire ; il était principalement connecté aux pratiques magiques et mystiques qui avaient encore cours à l’époque.

Représentation shivaïte par Raja Ravi Varma (1848-1906), avec Shiva et Parvati, entouré des autres dieux n’ayant ici qu’une place secondaire

La célébration de Shiva s’accompagnait par exemple du culte du lingam, le phallus en tant que symbole d’énergie ; Shiva était en fait un dieu pré-védique, puis il a été intégré dans les védas par assimilation avec le dieu védique Rudra, un processus qui s’est achevé dans le Shvetashvatara Upanishad.

Le vaïshnavisme était la forme populaire de l’hindouisme : jusqu’à ce jour, le système « non-dualiste » de Shankara, bien que très estimé, n’a jamais bénéficié d’une vraie popularité. Le vaïshnavisme était si populaire qu’il était lié au mouvement de la « Bhakti » (« portion », « part », « dévotion », « attachement à », etc.).

Comme nous l’avons vu dans la citation ci-dessus, le mouvement de la Bhakti acceptait la théologie hindouiste, mais rejetait plus ou moins les castes, et même les rituels védiques, au nom d’une connexion directe avec un dieu, au moyen du chant, de la prière, de la dévotion etc.

Représentation au 18e siècle de Kalki, la dernière forme de Vishnou sur terre intervenant pour faire cesser le Kali Yuga, le dernier âge, et faire recommencer les cycles cosmiques depuis de le départ

Le phénomène le plus étonnant ici est que le mouvement de la Bhakti, malgré ces positions, ait pu être intégré à l’hindouisme, et exister pacifiquement aux côtés de la tradition orthodoxe.

Comment un mouvement populaire de dévotion au dieu unique et accessible à tous, a-t-il pu coexister avec la tradition orthodoxe ?

C’est parce que le mouvement de la Bhakti était l’expression de l’évolution historique de l’idéologie féodale et de sa base sociale. L’hindouisme orthodoxe était l’idéologie des villages, mais partout où les traditions étaient enchevêtrées dans des situations complexes, nous trouvons l’approche de la Bhakti, qui est en fait un équivalent du christianisme européen du haut moyen-âge.

L’hindouisme orthodoxe a du accepter cela, afin de protéger ses propres traditions des mouvements de masse, mais aussi parce que la Bhakti était un front idéologique de mobilisation de masse permettant de contenir l’avancée de l’Islam.

Alors que dans l’hindouisme orthodoxe c’est le clergé qui est en position centrale, dans le mouvement de la Bhakti c’est la société entière, c’est-à-dire les dirigeants locaux ; on vénérait le dieu suprême, que ce soit sous sa forme propre, sous la forme d’autres sous-dieux ou déesses, ou même sous la forme d’un professeur, d’un « gourou ».

Alors que Shankara appelait à comprendre de façon plutôt rationnelle la vacuité de l’ego, la Bhakti expliquait que l’amour pour Dieu permettait de fusionner avec lui, dans une perspective mystique, car nous vivons dans le dernier yuga, le dernier cycle d’une période de 4,1 à 8,2 milliards d’années où l’univers est détruit et recréé.

Ici, l’influence du soufisme musulman est manifeste puisqu’on y retrouve le rapport individuel à Dieu, alors qu’auparavant Dieu était une entité équivalente à l’univers, donc distant et inaccessible, mis à part pour les âmes pures.

Avec la Bhakti tout le monde pouvait « fusionner » avec Dieu à travers l’adoration, les prières, les chants collectifs, etc. Ce qu’on appelle la mouvance « Hare Krishna » en Europe et aux États-Unis est basée sur la tradition Bhakti, le but des disciples étant de ressembler à Radha, la femme aimée du dieu suprême Krishna.

Des dévots de l’Association internationale pour la conscience de Krishna, plus connus
comme les « Hare Krishna »

Le mouvement de la Bhakti n’appelait pas à l’anéantissement de l’ego, mais à sa rencontre avec le suprême. Son concurrent n’était pas le bouddhisme, c’était l’Islam, dans la situation concrète de l’Inde à l’apparition du féodalisme.

Il faut ici mentionner le grand mathématicien Damodar Dharmananda Kosambi (1907-1966), qui était aussi un historien. Citons ici sa compréhension du matérialisme dialectique et soulignons-en la valeur :

« Le matérialisme dialectique soutient que la matière est primordiale et que les propriétés de la matière sont inépuisables. L’esprit est un aspect de la matière en tant que fonction du cerveau, les idées ne sont donc pas des phénomènes primaires, mais plutôt le reflet de processus et de changements matériels de la conscience humaine, qui est elle-même un processus matériel.

En définitive, les idées se forment à partir de l’expérience humaine.

La matière n’est pas inerte, mais dans un état permanent d’interaction et d’échange ; c’est un processus complexe plutôt qu’un agrégat de choses. A chaque niveau il y a cette caractéristique inhérente du changement, cette « contradiction interne », qui mène à une négation (pas nécessairement unique) de ce niveau ou de cette condition. » (Exasperating Essays: Exercises in Dialectical Method).

L’historien indien Damodar
Dharmananda Kosambi
(1907-1966)

Citons ici son ouvrage Aspects économiques et sociaux de la Bhagavad-gītā :

« Pourtant, le Gita contenait quand même une innovation parfaitement adaptée aux besoins de cette dernière période : la Bhakti, l’adoration personnelle. Pour qui avait composé cette œuvre, la Bhakti était le moyen de justifier que tous les points de vue dérivent de la même source divine.

Comme nous l’avons constaté par la suite avec le plutôt insipide Anu-Gita, cela n’a pas suffit à l’époque. Mais avec la fin des grands empires personnels en vue, – celui de Harsa étant le dernier – le nouvel État devait être féodal de haut en bas.

L’essence du féodalisme pleinement abouti, c’est la chaîne de loyautés personnelles qui relie le servant à l’intendant, le métayer au seigneur et le baron au roi ou à l’empereur.

Il ne s’agit pas de loyauté au sens abstrait, mais sur les bases solides des moyens et des rapports sociaux de production : la propriété foncière, le service militaire, la collecte des impôts et la conversion par les magnats de la production locale en marchandise. Assurément, ce système n’aurait pas pu exister avant la fin du 6ème siècle.

Le mot-clé est samanta, qui en 532 signifiait encore « dirigeant local », et qui en 592 avait pris le sens de « baron local ». Les nouveaux barons était responsables personnellement devant le roi, et faisaient partie d’un mécanisme de collecte d’impôts.

Le roi Manusmrti, par exemple, n’avait pas de samantas ; il devait tout administrer lui-même, directement ou par le biais d’agents dépourvus de statut indépendant.

Le développement approfondi du féodalisme « par en bas » requérait à l’échelle du village une classe d’individus qui avaient des prérogatives sur la terre (en matière de culture, d’occupation ou de propriété héréditaire) et qui effectuaient un service militaire spécial ainsi qu’un service de perception d’impôts.

Pour assurer la cohésion de ce type d’État et de société, la meilleure religion est celle qui promeut la Bhakti, la foi personnelle, même si l’objet de dévotion a des défauts évidents. »

Avec la Bhakti, l’hindouisme a trouvé le moyen de faire la promotion de Dieu en général grâce à la dévotion personnelle qui élimine toute perspective rationnelle ; l’Inde a pu s’enfoncer dans le féodalisme avec cette religion coexistant avec l’hindouisme orthodoxe, ce dernier étant l’expression de la continuation du système des villages de l’Inde antique.

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Matérialisme, monisme et le message de la Baghavat

La situation du matérialisme dans l’Inde antique était intenable. Les deux directions possibles du matérialisme étaient bloquées à la fois par l’hindouisme et le bouddhisme.

Le matérialisme devait surmonter deux difficultés. La première difficulté était d’expliquer qu’il n’y a pas d’« âme », que seul le corps existe et que les êtres humains ne « pensent » pas : il n’y a que la matière.

La deuxième était de considérer que l’univers ne fait qu’un et que la pensée en est le reflet, un simple élément de sa totalité.

Cependant, ces deux affirmations étaient impossibles. Le bouddhisme expliquait déjà que les « âmes » étaient une illusion, qu’il n’y avait pas d’individu, et appelait à nier la matière pour plonger dans le Nirvana.

Ainsi, les tendances matérialistes qui comprenaient la vacuité du concept d’ « individu » avec un ego unique étaient prisonnières d’une mystique religieuse qui devenait leur seule issue.

Tout mouvement d’orientation épicurien devait se transformer en négation de l’ « âme », non pas au nom de la matière, mais au nom de sa négation et de celle de l’ « âme ».

Shiva et Parvati, le couple idéal, ici représenté comme ayant fusionné,
grottes d’Éléphanta,
autour du 6e siècle de notre ère

Il y avait ensuite la question de la pensée comme reflet de l’univers, à travers l’« intellect », pour utiliser le concept d’Aristote, d’Avicenne et d’Averroès.

Mais cette orientation n’était pas possible non plus, car l’hindouisme et en particulier Shankara avaient développé un concept très proche de celui du bouddhisme : il y avait, en effet, un intellect universel, mais il n’était pas le reflet du monde, il était le reflet de Dieu.

Ainsi, ceux qui prenaient cette direction acceptaient le monisme, mais c’était un monisme religieux qui niait la matière.

Une œuvre très importante à cet égard, est la Baghavad-gītā, le Chant du Bienheureux, écrit vers le 5ème siècle avant notre ère. Il se compose de 700 vers issus du Mahabharata, le plus long récit épique jamais écrit en sanskrit.

Le but de la Bhagavad-gītā est la destruction directe du bouddhisme, du matérialisme et du prestige d’Ashoka.

En voici la trame : dans la bataille pour la succession au trône du roi défunt, Arjuna, qui est à la tête d’une armée, est dépité à l’idée de combattre les membres de sa propre famille, il ne veut pas d’une guerre. Mais le conducteur de son char est en fait Krishna, un avatar de Vishnou.

Krishna et Arjuna, tapis indien du XVIII-XIXe siècle

Vishnou lui explique qu’il est seul à exister, de telle manière qu’Arjuna peut tuer puisqu’il ne tuera pas vraiment, à condition de comprendre que seul Vishnou existe.

Cela signifie deux choses : d’un côté cette œuvre défend un monisme total, dans lequel seul l’univers existe en tant que « produit » de Vishnou, et dans lequel les pensées sont des sous-produits de l’existence de Vishnou. De l’autre côté, la Bhagavad-gītā explique que les castes doivent être respectées, que les Védas sont sacrés, etc.

Si cette œuvre est une arme si puissante, c’est parce que dans le renouvellement du système des castes, il apparaît que le véritable but n’est pas d’atteindre le sommet de la société, mais de quitter la fausse réalité de l’univers et de comprendre que seul Vishnou existe.

Citons ici quelques passages très intéressants de la Bhagavad-gītā qui sont vraiment très proches d’une compréhension matérialiste de la pensée comme reflet de l’univers éternel :

« Les sens sont supérieurs à la matière inerte ; l’esprit est supérieur aux sens ; l’intelligence est encore supérieure à l’esprit ; et [la conscience] est encore plus grande que l’intelligence. »

« Ce qui imprègne le corps tout entier, cela est, sachez-le, indestructible. Personne ne peut détruire cette conscience impérissable. L’enveloppe matérielle de l’entité vivante incommensurable, éternelle et indestructible est vouée à la disparition (…)

Pour la conscience il n’y a ni naissance ni mort à aucun moment. Elle n’est pas venue au monde, ne vient pas au monde, ne viendra pas au monde. Elle ne naît pas, elle est éternelle, infinie, sans âge. Elle ne meurt pas quand le corps est tué ».

« Bien que je ne sois pas né et que Mon corps transcendantal ne périsse jamais, et bien que Je sois le Seigneur de tout ce qui vit, J’apparais chaque millénaire sous ma forme transcendantale d’origine. Partout où il y a un déclin de la pratique religieuse, Ô descendant de Baratha, et une prédominance de l’irréligion – c’est à ce moment que Je descends.

Pour libérer les pieux et anéantir les mécréants, ainsi que pour rétablir les principes de la religion, J’apparais en personne, millénaire après millénaire. »

Vishnou « descend » quand cela est nécessaire : nous voyons qu’en toile de fond, il y a une mauvaise compréhension du principe de synthèse de la pensée-guide dans un moment de « crise ». Et il est comme l’univers dans sa compréhension matérialiste : éternel, sans limites, etc.

En raison de la situation, il fallait que le matérialisme dise : oui, le bouddhisme a raison de dire que la conscience individuelle est une illusion, mais il est faux de dire qu’à cause de cela la réalité est sans importance, et oui, l’hindouisme a compris que l’univers n’est qu’un et qu’il n’y a qu’une pensée, mais il est faux de dire que cette pensée émane d’un dieu extérieur à la réalité.

La situation n’était pas mûre pour cette perspective matérialiste, qui n’est apparue que plus tard avec la Falsafa arabo-persane, puis l’averroïsme latin.

La position du matérialisme en Inde était extrêmement faible. Tous les documents relatifs au matérialisme antique ont été perdus, mais nous connaissons les positions des matérialistes à travers les critiques qui en ont été faites et qui récapitulaient souvent ces positions.

Shankara nous donne les informations suivantes sur la conception de ceux qu’on appelait les Lokāyatikas, les matérialistes.

« Selon les Lokāyatikas, la fondation du monde est représentée par quatre éléments – la terre, l’eau, la chaleur, le vent – et cela est tout ; ils ne reconnaissent rien d’autre ».

Cela signifie que selon les matérialistes de l’Inde antique, il n’y a pas d’âme, seulement de la matière (comprise comme les quatre éléments indiens traditionnels).

Shankara résume ainsi leur position :

« Je suis fort, faible, vieux, jeune – ces caractéristiques sont attribuées au corps spécifique, particulier qui est ātman, et il n’y a rien à côté de cela ».

Grâce à d’autres auteurs, nous savons aussi de la même façon que selon les Lokāyatikas, seuls existent la terre, l’eau, le feu et l’air, qui une fois mis en relation constituent les corps, les organes sensoriels et les objets. Rien de vivant ne peut se maintenir dans l’ « au-delà », donc il n’y a pas d’ « au-delà ».

Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des empiristes. Ils ne prenaient pas en compte la question de l’unité globale de l’univers ou même du corps : ils ne croyaient que ce qu’ils voyaient et étaient donc un équivalent direct de l’épicurisme.

C’était une orientation pratique, un matérialisme primitif. Shankara dit aussi à propos des Lokāyatikas :

« Avec l’aide des moyens accessibles à la perception, c’est à dire l’agriculture, l’élevage, le commerce, la politique, l’administration et les occupations de ce genre, Que les sages connaissent le bonheur sur terre ».

Cela signifie que les Lokāyatikas étaient des épicuriens directement connectés aux rois. Dans l’Inde antique, les dirigeants voulaient gouverner sans l’interférence des prêtres, c’est pourquoi ils soutenaient l’épicurisme.

Dans cette opposition au sein des classes dirigeantes, les intellectuels matérialistes apparaissaient comme des armes idéologiques, dans un phénomène qui s’apparente déjà à ce que nous appelons l’averroïsme politique, apparu notamment avec John Wycliffe et le hussitisme.

Ce phénomène est allé tellement loin que nous trouvons un équivalent direct du Prince de Machiavel, l’Arthashastra, écrit pas Kautilya, le premier ministre de Chandragupta, le fondateur de l’empire Maurya, et grand-père d’Ashoka.

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Hindouisme, bouddhisme et jaïnisme en Inde: la question de l’ego et du soi

Karl Marx ne connaissait pas le bouddhisme et son rôle en Inde. Il pensait que l’hindouisme avait toujours été la forme religieuse dominante et que le culte de la nature en était un élément, alors que c’était en fait une pratique animiste des peuples autochtones colonisés et une composante pacifique du bouddhisme comme idéologie urbaine et civilisée.

Si nous prenons par exemple Adi Shankara (vers 788-820), un des plus importants théoriciens de l’hindouisme, nous voyons qu’il a combattu le culte de Khandobā, un dieu pré-aryen à tête de chien protecteur du Deccan (la partie sud de l’Inde).

Ce dieu a plus tard été transformé en forme, en « avatar » de Shiva et, en fait, l’hindouisme a surtout mis en avant Vishnu et Shiva et a intégré tous les dieux non-aryens en tant que « formes », en tant qu’ « avatars », des autres dieux.

De la même façon, Adi Shankara a lutté contre la culture « tantrique », c’est-à-dire la magie et les rituels érotiques qui existaient sur le territoire actuel de l’Assam, une région très éloignée des zones aryennes.

Représentation idéalisée d‘Adi Shankara, 1904

Adi Shankara a aussi contribué à une forte culture des monastères, une culture ascétique directement empruntée au bouddhisme qui est encore aujourd’hui très forte dans le sud de l’Inde où elle a émergé.

Adi Shankara a en fait été le grand théoricien de l’hindouisme, celui qui a écrasé le bouddhisme déjà affaibli.

Le point crucial est le suivant : le triomphe sur l’ego est clairement la composante la plus développée de l’hindouisme, du bouddhisme et du jaïnisme. Même si la réflexion à ce niveau se perd dans la psychologie réactionnaire, et si la réincarnation apparaît comme l’élément le plus fort dans ces systèmes, le niveau de questionnement est extrêmement élevé, et contenait à ses débuts une dimension matérialiste.

Selon le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet du mouvement de la matière éternelle : le mode de production tel qu’il est expliqué par Karl Marx permet de comprendre la relation entre la pensée et la matière en (éternel) développement.

Averroès, en affirmant que l’être humain ne pense pas, a ouvert la voie au matérialisme en Europe, avec l’averroïsme latin.

En Inde, c’est le « Bouddha » qui a formulé la première position allant dans ce sens. Sa position consistait à expliquer que la conscience en tant qu’ego individuel était une illusion.

Cependant, la démarche étant de libérer la société par la religion, les efforts se concentraient uniquement sur l’extinction de la fausse conscience, sans jamais attribuer de valeur à la réalité. La réalité était l’apanage du monarque absolu et des marchands.

Le Bouddha, dans le style gréco-bouddhiste typique de la région du Gandhara, actuellement au Pakistan, 1er ou 2e siècle de notre ère

Mais il y avait encore un problème : même si dans cette conception les actions sont mauvaises, car elles créent de la souffrance, il fallait quand même pouvoir expliquer les actions. Et c’est précisément là que l’hindouisme a développé une explication, en fait identique à celle de Platon et d’Aristote.

C’est ici qu’Adi Shankara a joué un rôle crucial. En fait, Shankara a admis la position du bouddhisme mais au lieu de dire que l’ego n’existait pas, il a proposé un système de fusion de la conscience individuelle et du vrai Soi.

Le système s’avérait supérieur au bouddhisme parce qu’il se présentait comme un monisme : il n’y avait qu’une réalité, celle du vrai Soi, qui englobait notre propre soi. La religion était la méthode pour comprendre cela, et les textes sacrés des Védas, rejetés par le bouddhisme, étaient d’une grande assistance.

Le bouddhisme n’expliquait pas le monde, il ne faisait que le nier. Shankara abondait dans ce sens et a utilisé la notion de « māyā », du monde comme illusion. Cependant, il a expliqué que le monde n’était pas une abstraction, mais une sorte de rêve de la superconscience.

Le bouddhisme expliquait que le monde matériel était le produit de la « volonté », qui formait une « cause » par le biais du « désir ». Quand s’accomplit l’arrêt de la volonté, la conscience demeure dans une sorte de zone tampon entre la destruction et la création : le « nirvana ».

Shankara a expliqué qu’au contraire, l’effet préexistait à la cause, notre propre réalité était superposée à la cause éternelle, notre âme n’étant en fait qu’une partie de la superconscience, l’ « ātman ».

Selon Shankara, par exemple, comme il l’explique dans le Brahmasutra :

« l’âme n’est que la réflexion de sa forme élevée, l’ātman. »

« L’âme n’est que savoir ou connaissance. »

«  Il est impossible de nier l’ātman, car précisément celui qui nie est lui-même ātman ».

« Il est impossible que la conscience individuelle, qui est connaissance, soit différente de ce Brahman, et il est impossible qu’il en existe plusieurs effets ou des consciences distinctes ».

Platon, puis les néoplatoniciens, ne disaient pas autre chose : Dieu a créé la bonté, la bonté étant quelque chose de « plus » que Dieu, une sorte de « numéro 2 » qui a produit le multiple. Les nombres du multiple ont engendré, de par leurs combinaisons, les « idées » qui ont donné forme à la matière.

Le but est donc de comprendre que chaque conscience provient de la grande conscience et qu’elle veut y retourner. Shankara dit précisément la même chose. La matière masque la conscience, c’est le principe de la māyā-avidyā, « illusion-ignorance ».

Dans son commentaire du Brahmasutra, Shankara dit :

« cette superposition, définie comme telle, est appelée avidyā [ignorance] par les sages, alors qu’ils appellent connaissance l’affirmation de la vraie nature de quelque chose que l’on distingue des choses superposées. »

Shankara a ainsi produit une arme puissante contre le bouddhisme. Toutefois il est impossible de ne pas remarquer que, de ce point de vue, l’objectif est de rejoindre la « vraie » réalité, la réalité divine, et de considérer le « bas monde » comme étant sans valeur. Le concept de māyā est même directement emprunté au bouddhisme.

Il en découle que ce système « advaita » (non dualiste) n’a pas remporté l’hégémonie dans l’hindouisme, les classes dirigeantes préférant les systèmes « dvaita », c’est-à-dire les systèmes déistes classiques. Mais pour saisir ces systèmes dvaita, il faut aussi voir la position du matérialisme et pourquoi ce dernier n’a pas pu triompher.

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La conséquence de l’hindouisme en tant que superstructure sur l’infrastructure de l’Inde antique

Le triomphe de l’hindouisme sur le bouddhisme a pris des siècles. Même après la réorganisation du brahmanisme dans sa nouvelle forme « hindouiste », le bouddhisme a d’abord maintenu sa position en Inde antique, et quelques 3000 missionnaires bouddhistes furent envoyés en Chine où le bouddhisme est rapidement devenu la religion d’État.

Néanmoins, les dernières positions du bouddhisme montraient leur faiblesse. Même si la dynastie Pala a régné sur l’Inde antique pendant une longue période (750-1147), son pouvoir s’étendait essentiellement sur le Bengale, où le bouddhisme était déjà l’idéologie de cette zone hautement développée comparativement à la zone historique des Aryens.

A l’époque des conquêtes musulmanes, du 11e au 16e siècle, le bouddhisme était déjà très affaibli. De plus, les envahisseurs ont maintenu l’ordre social que l’hindouisme avait érigé.

Il n’y avait donc pas d’espace pour le développement de centres urbains et du capitalisme, encore moins pour le développement d’un empire unifié.

Matsya, une des formes prises par le dieu Vishnou

L’hindouisme était l’idéologie des hautes castes qui avaient besoin d’une société statique et à leur service. Les « cycles » de l’hindouisme reflètent l’existence statique des petites communes, marquées comme en Chine par l’union de la petite agriculture et de l’industrie domestique.

L’hindouisme était l’idéologie de ce système de castes et contrôlait les petites communes, mais ses différentes interprétations dépendaient de l’histoire locale. Cela permettait aux dirigeants locaux de conserver une base idéologique large dans les masses qui étaient, bien sûr, très diversifiées en ce qui concerne les langues, les traditions, les cultures, etc.

A la différence du bouddhisme, de sa culture urbaine et de sa morale de citoyenneté universelle, l’hindouisme se basait d’un coté sur les grandes villes, l’état central et les pèlerinages et, de l’autre, sur les villages.

La superstructure bloquait tout changement et aidait à reproduire ce mode de production. Si le brahmanisme était le produit de la situation sociale, l’hindouisme était en revanche une nouvelle idéologie destinée à reproduire cette situation sociale et à lutter pour défendre l’ancien contre le nouveau.

Dans une lettre à Friedrich Engels du 14 juin 1853, Karl Marx parle de la situation indienne de l’époque et fait le parallèle avec l’Inde antique :

« La nature immuable de cette partie de l’Asie, en dépit de toute l’agitation politique désordonnée en surface, s’explique entièrement par deux circonstances qui s’entretiennent mutuellement :

1. par le système de grands travaux du gouvernement central et,

2. par l’empire tout entier qui, mis à part quelques grandes villes, est un amas de villages, chacun doté de sa propre organisation et chacun formant un petit monde en soi (…).

Si dans certaines de ces communautés, les terres du village [sont] cultivées en commun, dans la plupart des cas chaque habitant travaille son champ. Dans ces mêmes villages, l’esclavage et le système des castes. Sur les terrains en friche, des pâtures communes. Tissage et filage domestique réalisés par les femmes et les filles.

Ces républiques idylliques, dont seules les limites du village sont jalousement préservées des villages avoisinants, existent encore, dans un état de conservation quasi-parfait, dans les territoires d’Inde du Nord-Est qui ne sont occupés que depuis peu par les Anglais.

On ne peut concevoir, je pense, de meilleure base au despotisme et à la stagnation asiatiques.

Et peu importe à quel point les Anglais aient pu irlandiser le pays, la destruction de ces formes archétypales était la conditio sine qua non de l’européanisation.

Le percepteur n’aurait pas pu, à lui seul, provoquer cela. Il y eut un autre facteur essentiel, celui de la destruction des industries traditionnelles, qui priva les villages de leur caractère autarcique. »

L’hindouisme était la nouvelle forme de despotisme asiatique qu’avaient élaboré les conquérants aryens, un despotisme asiatique qui fut ensuite adopté tel quel par les conquérants islamiques.

Sculpture de la déesse Parvati, 11e siècle

Examinons de plus près ces villages et le despotisme asiatique.

Voici ce qui dit Karl Marx à propos de l’Inde antique dans Le Capital, pour en expliquer le système économique :

« Ces petites communautés indiennes, dont on peut suivre les traces jusqu’aux temps les plus reculés, et qui existent encore en partie, sont fondées sur la possession commune du sol, sur l’union immédiate de l’agriculture et du métier et sur une division du travail invariable, laquelle sert de plan et de modèle toutes les fois qu’il se forme des communautés nouvelles.

Établies sur un terrain qui comprend de cent à quelques milles acres, elles constituent des organismes de production complets se suffisant à eux-mêmes.

La plus grande masse du produit est destinée à la consommation immédiate de la communauté; elle ne devient point marchandise, de manière que la production est indépendante de la division du travail occasionnée par l’échange dans l’ensemble de la société indienne.

L’excédant seul des produits se transforme en marchandise, et va tout d’abord entre les mains de l’État auquel, depuis les temps les plus reculés, en revient une certaine partie à titre de rente en nature.

Ces communautés revêtent diverses formes dans différentes parties de l’Inde.

Sous sa forme la plus simple, la communauté cultive le sol en commun et partage les produits entre ses membres, tandis que chaque famille s’occupe chez elle de travaux domestiques, tels que filage, tissage, etc.

À côté de cette masse occupée d’une manière uniforme nous trouvons « l’habitant principal » juge, chef de police et receveur d’impôts, le tout en une seule personne ;

le teneur de livres qui règle les comptes de l’agriculture et du cadastre et enregistre tout ce qui s’y rapporte ;

un troisième employé qui poursuit les criminels et protège les voyageurs étrangers qu’il accompagne d’un village à l’autre, l’homme frontière qui empêche les empiétements des communautés voisines ;

l’inspecteur des eaux qui fait distribuer pour les besoins de l’agriculture l’eau dérivée des réservoirs communs ;

le bramine qui remplit les fonctions du culte ; le maître d’école qui enseigne aux enfants de la communauté à lire et à écrire sur le sable ;

le bramine calendrier qui en qualité d’astrologue indique les époques des semailles et de la moisson ainsi que les heures favorables ou funestes aux divers travaux agricoles ;

un forgeron et un charpentier qui fabriquent et réparent tous les instruments d’agriculture ; le potier qui fait toute la vaisselle du village ;

le barbier, le blanchisseur, l’orfèvre et çà et là le poète qui dans quelques communautés remplace l’orfèvre et dans d’autres, le maître d’école.

Cette douzaine de personnages est entretenue aux frais de la communauté entière.

Quand la population augmente, une communauté nouvelle est fondée sur le modèle des anciennes et s’établit dans un terrain non cultivé.

L’ensemble de la communauté repose donc sur une division du travail régulière, mais la division dans le sens manufacturier est impossible puisque le marché reste immuable pour le forgeron, le charpentier, etc., et que tout au plus, selon l’importance des villages, il s’y trouve deux forgerons ou deux potiers au lieu d’un.

La loi qui règle la division du travail de la communauté agit ici avec l’autorité inviolable d’une loi physique, tandis que chaque artisan exécute chez lui, dans son atelier, d’après le mode traditionnel, mais avec indépendance et sans reconnaître aucune autorité, toutes les opérations qui sont de son ressort.

La simplicité de l’organisme productif de ces communautés qui se suffisent à elles-mêmes, se reproduisent constamment sous la même forme, et une fois détruites accidentellement se reconstituent au même lieu et avec le même nom, nous fournit la clef de l’immutabilité des sociétés asiatiques, immutabilité qui contraste d’une manière si étrange avec la dissolution et reconstruction incessantes des États asiatiques, les changements violents de leurs dynasties.

La structure des éléments économiques fondamentaux de la société, reste hors des atteintes de toutes les tourmentes de la région politique.»

Examinons ensuite la nature de l’État existant au dessus de ces villages.

Voici ce que Karl Marx dit dans un article du New York Daily Tribune publié le 10 juin 1853, intitulé « La domination britannique en Inde » :

« De manière générale et depuis des temps immémoriaux, il n’y a eu en Asie que trois ministères de gouvernement; celui de la finance, dédié au pillage de l’intérieur ; celui de la Guerre, c’est à dire le pillage de l’extérieur ; et troisièmement, le ministère des Grands Travaux d’État.

Le climat et les conditions géographiques, surtout les vastes bandes de désert qui s’étendant du Sahara, traversant l’Arabie, la Perse, l’Inde et la Tartarie jusqu’aux plus élevés des hauts plateaux asiatiques, ont fait en sorte que l’irrigation artificielle par canaux et les retenues d’eau soient le fondement de l’agriculture orientale.

Tout comme en Égypte et en Inde, on utilise les inondations pour fertiliser le sol en Mésopotamie, en Perse, etc.; on profite de l’altitude pour alimenter les canaux d’irrigation.

La nécessité primordiale d’un usage économique et commun de l’eau, qui en Occident a conduit à des initiatives privées d’association volontaire, comme en Flandres et en Italie, requérait en Orient, où la civilisation était trop arriérée et l’étendue du territoire trop vaste pour faire germer l’association volontaire, l’interférence du pouvoir centralisé du gouvernement.

D’où une fonction économique dévolue à tout gouvernement asiatique, celle d’organiser les Grands Travaux.

La fertilisation artificielle du sol, dépendante du gouvernement, et son déclin rapide dès lors que l’on négligeait l’irrigation et le drainage, explique le fait à première vue étrange que les territoires arides et déserts que nous connaissons maintenant, aient pu être jadis brillamment cultivés, comme Palmyre, Pétra, les ruines du Yémen, et de vastes provinces d’Égypte, de Perse et de l’Hindoustan; cela explique aussi qu’une seule guerre de dévastation y puisse dépeupler un pays pendant plusieurs siècles, et en détruire toute la civilisation. »

Dans le même article, Karl Marx essaie de décrire la situation des masses.

Voici que qu’il dit :

« Si révoltée que soit la sensibilité humaine devant le spectacle de la décomposition et de la dissolution de ces myriades d’organisations sociales patriarchales et inoffensives, jetées dans un complet désarroi, leurs membres individuels privés à la fois de leur forme antique de civilisation et de leur moyen de subsistance héréditaire, nous ne devons pas oublier que ces communautés villageoises idylliques, aussi inoffensives qu’elles puissent paraître, ont toujours été le solide fondement du despotisme oriental, qu’elles emprisonnaient l’esprit humain dans les limites les plus étroites qui se puissent concevoir, elles en faisaient l’instrument docile de la superstition, l’esclave des règles traditionnelles, et le privaient de toute grandeur et de toute énergie historique.

Nous ne devons pas oublier ce nombrilisme barbare qui, concentré sur quelque misérable parcelle de terre, assistait tranquillement à la ruine des empires, à la perpétration d’innombrables cruautés, au massacre de la population des grandes villes, sans réagir à ces faits plus que si c’étaient des événements naturels — et lui-même, d’ailleurs, proie sans défense du premier agresseur venu qui daignerait lui prêter attention.

Nous ne devons pas oublier que cette vie sans grandeur, stagnante, végétative, que cette forme passive d’existence attirait, au contraire, l’éclosion de forces destructives sauvages, sans but ni frein, au point de faire de l’assassinat un rite religieux dans l’Hindoustan.

Nous ne devons pas oublier que ces petites communautés étaient contaminées par les distinctions de caste et par l’esclavage, et qu’elles ont assujetti l’homme aux circonstances extérieures au lieu de l’élever pour en faire le maître de ces circonstances, qu’elles transformaient un État social capable de se développer par lui-même en une destinée naturelle immuable, entraînant ainsi un culte abrutissant de la nature qui exhibait sa dégradation dans le fait que l’homme, ce souverain de la nature, tombait à genoux en adoration face à Kanuman [en fait, Hanuman] le singe, et Sabbala, la vache. »

Cette dernière phrase montre que Karl Marx ne connaissait pas le bouddhisme et le jaïnisme (d’ailleurs il n’en a jamais parlé). Il ignorait que le culte de la nature était perpétré en dehors du brahmanisme et en opposition à ce dernier, et que l’hindouisme a dû contre son gré incorporer ce culte pour atteindre les masses.

Et évidemment, en 2013, il nous est beaucoup plus facile de comprendre la contradiction entre les villes et les campagnes.

Il faut justement saisir ce qui joue comme moteur idéologique de l’hindouisme : la fusion du soi individuel et de Dieu l’esprit suprême, par la destruction du « soi » illusoire.

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La réincarnation dans l’hindouisme, une nouvelle forme de brahmanisme en réaction au bouddhisme et au jaïnisme

Le brahmanisme était confronté à une menace énorme, celle du développement massif du bouddhisme et du jaïnisme, c’est-à-dire le développement de la monarchie absolue et de la classe des marchands.

Le bouddhisme était une idéologie qui rejetait les castes et ouvrait la voie à la modernisation, à une sécularisation de la vie sociale. Et là aussi, le végétarisme s’affirmait dans le bouddhisme et le jaïnisme, ce qui traçait une ligne de démarcation entre l’hindouisme et les autres nouvelles religions.

Le végétarisme était le produit de la tradition animiste des peuplades oppressées par les envahisseurs aryens, mais c’était aussi une façon d’affirmer une orientation capitaliste face aux aborigènes qui vivaient de chasse et de cueillette (aatavika) et en tribus dans les forêts (aranyacara).

Ashoka (304-232 avant notre ère), le premier monarque absolu à avoir unifié pratiquement toute l’Inde antique, a non seulement utilisé le bouddhisme comme son arme, mais a aussi entrepris de faire triompher un code de moralité, ou « dhamma », qui soit accepté par toutes les religions et qui puisse devenir la nouvelle culture des sujets de l’empire.

Le dharma-vijaya – la conquête par la piété – était l’idéologie du nouvel État, et on retrouve ces principes gravés sur des piliers et des blocs de pierre un peu partout dans le pays. Les symboles les plus connus sont les quatre lions indiens qui se dressent dos à dos, mais aussi « l’Ashoka Chakra ».

Les lions d’Ashoka, et en-dessous l’Ashoka Chakra, la roue d’Ashoka

Ashoka a ainsi appelé à un saut civilisationnel, en rejetant les valeurs barbares de l’époque de la domination des Aryens. Ici aussi bien sûr, le végétarisme était un élément central. C’était l’appel à une voie paisible qui ferait des humains des sujets conscients en tant qu’individus plutôt que les prisonniers d’un système barbare.

Ainsi, on trouve un appel à ne pas détruire la vie (en sanskrit prãņãtipãtaḥ, en prakrit pãņãtipãto), à ne rien prendre si ce n’est pas un don (en sanskrit adattãdãnam, en prakrit adinnãdãnaṃ), à ne pas avoir de rapports sexuels non autorisés (en sanskrit kãmamithyãcãraḥ, en prakrit kãmesu micchãcãro), à ne pas mentir (en sanskrit mṛṣãvãdaḥ, en prakrit musãvãdo) et à ne pas succomber aux boissons enivrantes (en sanskrit surãmaireyapramãdasthãnam, en prakrit surãmerayapamãdaṭṭhãnaṃ).

En conséquence, le brahmanisme a dû entreprendre une transformation interne et proposer une nouvelle perspective dans laquelle la réincarnation allait jouer un rôle central dans sa reconquête de l’hégémonie sur les masses.

La première étape fut militaire, avec la destruction de la dynastie Maurya à laquelle appartenait Ashoka. L’empereur Brihadratha fut tué par son général Pusyamitra Sunga (185-149 avant notre ère) qui forma un empire dans le nord-est de l’Inde antique, cette dernière perdant ainsi son unité.

Un processus général de lutte contre le bouddhisme commença. Les dirigeants locaux utilisaient le brahmanisme comme un outil de domination et combattaient la négation des castes, tout en rejetant le centralisme.

De ces combats incessants entre monarques a émergé un nouvel empire, celui de la dynastie Gupta, mais sa structure n’était pas très centralisée.

Carte de l’empire Gupta en l’an 400

Sous le règne de Chandra Gupta Ier, Samudra Gupta le Grand et Chandra Gupta II le Grand, l’Inde antique a vu les forces hindouistes développer leur usage de l’écriture et produire un haut niveau de culture au service du renouveau du brahmanisme.

La soi-disant nouvelle religion a intégré les dieux dans toute leur disparité afin d’unifier les classes des dirigeants féodaux de façon générale, ce qui leur a permis de tenir tête à la position unificatrice du bouddhisme. Cela a été la naissance de ce que l’on appelle « hindouisme », un terme utilisé pour marquer la différence avec le brahmanisme.

Mais cela ne suffisait pas : il fallait franchir une étape. Cette étape consistait en l’approfondissement métaphysique du concept religieux de réincarnation, ce qui allait permettre de lutter contre le bouddhisme sur les plans intellectuel et idéologique.

Il était bien sûr nécessaire de relier cet approfondissement à l’intégration de la multitude de divinités de toutes provenances, d’où les divergences de perception, d’interprétation etc. etc.

On a appelé cette période « l’Âge d’Or », mais c’était une époque dorée uniquement pour les classes dirigeantes, c’est-à-dire l’empereur, les dirigeants féodaux et les prêtres, qui ont recouvré leur position idéologique centrale.

Le système des castes a commencé à prendre le contrôle des relations sociales, évinçant le bouddhisme qui perdait ses positions une à une avec la fin du gouvernement centralisé, de l’empire unifié et la perte de grands centres urbains.

La classe des dirigeants féodaux, ainsi que les prêtres, mettaient en avant les dieux locaux, qui ont été peu à peu intégrés au brahmanisme afin de gagner les masses. Même entre dirigeants, le choix des divinités indiquait des divergences de position : la dynastie Gupta soutenait traditionnellement le dieu Vishnu, alors que ses rivaux soutenaient le dieu Shiva.

Pour cette raison, l’hindouisme a élaboré le concept de « darshan », qui signifie « vision » en sanskrit, et a reconnu six darshanas « officielles » et donc qualifiées de « astika » (« qui existent »), par opposition aux « nastika » (« qui n’existent pas ») qui désignaient le bouddhisme, le jaïnisme, les courants matérialistes, etc. c’est-à-dire tous les points de vue qui rejetaient l’autorité des Védas.

En dépit des différences, tous les nouveaux courants hindouistes considéraient la moksha (« libération ») comme le but utime, c’est-à-dire la fin du processus de réincarnation du soi.

Mais contrairement au bouddhisme qui niait l’individu et considérait la libération comme une extinction du soi – le célèbre Nirvana –, l’hindouisme dans son ensemble expliquait que la fin signifiait la coalescence (l’union, le rapprochement, la fusion, etc.) avec Dieu, l’esprit suprême.

Le brahmanisme offrait la possibilité d’accéder au sommet de la hiérarchie sociale, l’hindouisme a lui étendu le processus à Dieu lui-même.

Les divinités Shiva et Parvati, vers 1800

Les six darshanas étaient les suivantes :

– Le Mimansa (« investigation »), aussi appelé Pūrva Mimamsa (« exégèse ancienne »), est une « voie » créée en réaction directe au bouddhisme, par Jaimini au 3e siècle avant notre ère, et consiste en une nouvelle lecture des Védas, essentiellement par Bhartṛhari (5e siècle), afin d’élaborer une nouvelle « exégèse. »

La libération passe par la compréhension religieuse de la révélation : c’est une « voie » relativement traditionnelle, une tentative de relancer le brahmanisme à travers une « auto-critique » apparente.

– Le Samkhya (« empirique »), une école se fondant principalement sur le livre Samkhya Karika (vers 200 après JC), est un déisme directement concurrent du bouddhisme, qui considère qu’il y a d’un côté Dieu (Puruṣa, la conscience) et, de l’autre côté, un monde (prakrti, le domaine de la perception sensible).

Chaque âme est une parcelle de Puruṣa emprisonée dans la matière à cause du désir, l’objectif étant donc la libération de la matière.

– Le Yoga (terme qui provient soit de yujir yoga – le joug, soit de yuj samādhau – se concentrer) est très connu en France. Dans la pratique, c’est une « voie » religieuse vers la libération, avec des méthodes de méditation pour atteindre le « divin ».

L’œuvre maîtresse du Yoga se compose de 196 soutras indiens (des aphorismes) regroupés dans les Yoga Sūtras des Patañjali, qui ont vécu entre le 2e et le 4e siècle après JC).

– Le Nyaya (« récursion ») est une voie qui se fonde principalement sur des Soutras rédigés par Aksapada Gautama au cours du 2e siècle.

C’est une école basée sur la logique où la conscience est « élevée » vers la connaissance du « divin ».

– Le Vaisheshika est une voie qui a essayé de développer une interprétation atomiste du monde, et qui a fusionné avec l’école du Nyaya.

– Le Vedanta (« la fin des Védas »), également nommé Uttarā Mīmāṃsā (« exégèse approfondie ») est une voie qui a produit les œuvres majeures qui ont forgé l’identité de l’hindouisme.

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La réincarnation et l’éternité dans le bouddhisme et le jaïnisme comme opposition au brahmanisme

L’organisation du brahmanisme en tant que « mélange » entre la religion traditionnelle des Aryens et l’animisme des populations autochtones des territoires couverts par l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh aujourd’hui, a permis la formation d’une base sociale féodale tendant principalement vers un système esclavagiste.

Les diversités locales expliquent le nombre important de dieux et déesses qui témoignent des formes locales de l’animisme. Ces particularités étaient fortement mises en avant par les dirigeants féodaux locaux qui profitaient du système esclavagiste.

En effet, le système des castes a permis la formation de sociétés locales fortes, établies à l’échelle de villages, qui se sont parfois développées en vraies villes. D’où l’existence d’éléments sociaux qui tendaient vers une forme achevée de féodalisme, voire vers un pré-capitalisme.

Par ailleurs, les peuples colonisés ont commencé à renforcer leur animisme, ce qui a provoqué un gigantesque conflit idéologique.

Bases et forces idéologiques

Avec le brahmanisme, les peuples colonisés et opprimés ont commencé à s’impliquer dans la religion. C’était pour eux une façon transparente de défendre leurs intérêts, par le biais animiste de la religion.

Le respect pour les animaux est ainsi devenu la bannière des opprimés. L’élargissement de la religion aux animaux a renforcé l’aspect animiste, et affaibli l’élément idéologique dominant, à savoir la « renaissance » comme membre de la classe dirigeante.

La reconnaissance de la vie animale est devenue une arme remettant directement en question la valeur unilatérale de la vie de ces dirigeants sanguinaires.

Néanmoins, les opprimés ne formaient pas une classe révolutionnaire. Pour cette raison, deux autres formations sociales ont elles aussi brandi la bannière de la “compassion” afin d’obtenir un soutien massif dans leurs efforts pour arriver au pouvoir.

La première de ces formations sociales était la monarchie absolue. Si un roi voulait régner au delà de son territoire, il devait d’abord s’attaquer aux disparités locales qui confortaient les dirigeants locaux, afin d’affaiblir la classe parasite religieuse des prêtres.

Ainsi, le premier grand souverain de l’Inde fut Ashoka (304-232 avant notre ère). La légende raconte qu’il embrassa la religion bouddhiste après avoir été témoin des massacres de la guerre du Kalinga (plus de 100 000 morts et 150 000 déportations).

Dans les faits, Ashoka a unifié presque tout le territoire du Pakistan et de l’Inde actuels. Pour consolider son empire, il a construit une nouvelle idéologie, exactement comme l’avait fait Akhenaton en son temps.

L’empire Maurya sous Ashoka

La deuxième formation sociale était celle des marchands, préoccupés principalement par deux choses : maintenir leur existence en tant que tels au sein de la société et affaiblir la classe parasitaire des prêtres.

C’est pour cette raison qu’ils soutenaient le bouddhisme ainsi que le jaïnisme.

Bouddhisme et jaïnisme

Le bouddhisme et le jaïnisme ont tous deux été théorisés par des membres de royaumes locaux qui avaient tout abandonné pour mener une vie d’ascèse et « découvrir » la voie de la « moksha » (« libération »).

Cela signifie que Mahavira (vers 599 – 527 avant notre ère) et Gautama Bouddha (vers 563 – 483 avant notre ère) rejetaient tous les deux leur origine de classe, et en effet ils rejetaient le système des castes.

Mais il leur a fallu justifier ce rejet. Pour cela, ils se sont servi du concept d’esprit dans la réincarnation.

Représentation de la naissance de Mahavira,
fin du 14e siècle

Pour le brahmanisme, il s’agissait de justifier la possibilité, à moment donné, de se trouver au sommet de la société, au sein de la classe dirigeante. Donc, le brahmanisme proposa la fiction selon laquelle « l’âme », le « soi » personnel, se conservait dans le processus de réincarnation.

C’était un moyen de tromper les masses, de proposer, de façon idéaliste, une possibilité d’ascension sociale.

Le bouddhisme et le jaïnisme avaient entrepris de détruire cette idéologie en affirmant que, dans le système de réincarnation, l’aspect personnel n’était pas conservé. L’esprit se réincarnait mais sans ses propriétés individuelles.

Cela signifie que le bouddhisme et le jaïnisme se sont employés à afficher le caractère erroné de l’hindouisme, qui affirmait que tout le monde pouvait partir d’en bas et accéder au sommet de la société.

Bien sûr, les conséquences étaient énormes pour le clergé, dont la fonction sociale se voyait rejetée par la proposition d’une société « éclairée » où tout le monde pouvait, dans l’égalité, se mettre en quête du « moksha », de la libération du monde matériel, et où certains éléments auraient le choix de former une prêtrise ascétique retirée de la société et entretenue par elle.

Évidemment, il est impossible de ne pas voir à quel point cela est similaire en substance au protestantisme, qui allait apparaître 2000 ans plus tard.

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