Mao Zedong : Entretien avec le correspondant du Xinhua Ribao sur la nouvelle situation internationale

1 Septembre 1939

   Le correspondant : Quelle est la portée du pacte de non-agression conclu entre l’Union soviétique et l’Allemagne ?

   Mao Zedong : Le pacte soviéto-allemand de non-agression résulte de l’accroissement des forces du socialisme en Union soviétique et de la politique de paix pratiquée indéfectiblement par le gouvernement soviétique.

Ce pacte a fait échec aux intrigues de la bourgeoisie réactionnaire internationale, représentée par Chamberlain et Daladier et qui voulait provoquer une guerre entre l’Union soviétique et l’Allemagne ; il a rompu l’encerclement de l’U.R.S.S. par le bloc anticommuniste germano-italo-japonais, renforcé la paix entre l’Union soviétique et l’Allemagne et garanti le développement de l’édification socialiste en Union soviétique. En Orient, le pacte a porté un coup au japon et aidé la Chine ; il a, en Chine même, renforcé les positions des partisans de la Résistance et frappé les capitulards.

Tout cela jette les bases d’une aide aux peuples du monde en lutte pour leur liberté et leur émancipation. Voilà toute la portée politique du pacte soviéto-allemand de non-agression.

   Question : Certains ont de la peine à comprendre que le pacte soviéto-allemand de non-agression résulte de la rupture des pourparlers entre la Grande-Bretagne, la France et l’U.R.S.S. ; ils estiment au contraire que c’est la conclusion de ce pacte qui a provoqué leur rupture. Voudriez-vous exposer les raison de l’échec des pourparlers anglo-franco soviétiques ?

   Réponse : Les pourparlers ont échoué uniquement à cause de la mauvaise foi des gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France. Depuis quelques années, la bourgeoisie réactionnaire mondiale, et avant tout celle de la Grande-Bretagne et de la France, pratique, face à l’agression fasciste allemande, italienne et japonaise, la politique réactionnaire dite de « non-intervention ».

   Son but est d’encourager tacitement la guerre d’agression et d’en tirer profit. C’est ainsi que la Grande-Bretagne et la France ont opposé un refus catégorique aux propositions réitérées de l’Union soviétique d’organiser un véritable front de lutte contre l’agression ; restant sur la touche, elles ont choisi la « non-intervention » et ont ainsi encouragé tacitement l’agression allemande, italienne et japonaise.

Leur but était d’intervenir après avoir laissé les deux parties belligérantes s’épuiser mutuellement. En poursuivant cette politique réactionnaire, elles ont sacrifié la moitié de la Chine au japon, et toute l’Abyssinie, toute l’Espagne, toute l’Autriche, toute la Tchécoslovaquie à l’Allemagne et à l’Italie.

   Cette fois-ci, elles avaient l’intention de sacrifier l’Union soviétique. Leur manœuvre est apparue en pleine lumière au cours des récents pourparlers anglo-franco-soviétiques où, durant plus de quatre mois, soit du 15 avril au 23 août, l’Union soviétique a fait preuve de la plus grande patience.

Tout au long des pourparlers, la Grande-Bretagne et la France n’ont jamais voulu accepter le principe de l’égalité et de la réciprocité : elles exigeaient que l’Union soviétique garantît leur sécurité, mais ne voulaient pas, de leur côté, garantir celle de l’Union soviétique ; elles refusaient de garantir celle des petits Etats baltes, ménageant ainsi une brèche pour le passage des forces allemandes ; de plus, elles ne permettaient pas à l’armée soviétique de traverser la Pologne pour se porter au-devant des agresseurs.

   Ainsi s’explique l’échec des pourparlers. Entretemps, l’Allemagne se déclara disposée à cesser ses activités antisoviétiques et à renoncer au « pacte antikomintern » et elle reconnut l’inviolabilité des frontières de l’Union soviétique ; c’est alors que fut conclu le pacte de non-agression soviéto-allemand.

La politique de « non-intervention » de la réaction internationale et, avant tout, de la réaction britannique et française, c’est « d’observer le combat des tigres du haut de la montagne », politique impérialiste par excellence, qui consiste à s’assurer des avantages aux dépens d’autrui.

Inaugurée par l’arrivée au pouvoir de Chamberlain, elle a atteint son point culminant avec la conclusion de l’Accord de Munich en septembre de l’an dernier et a fait définitivement faillite au cours des récents pourparlers anglo-franco-soviétiques.

   Désormais, la situation évoluera irrémédiablement dans le sens d’un conflit direct entre deux grands blocs impérialistes : le bloc anglo-français et le bloc germano-italien.

Comme je le disais, en octobre 1938, à la sixième session plénière du Comité central issu du Vie Congrès de notre Parti, « la politique de Chamberlain reviendra nécessairement à soulever une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds ».

Chamberlain a commencé par vouloir nuire à d’autres et il a fini par se nuire à lui-même. Telle est la loi du développement de toute politique réactionnaire.

   Question : Comment, à votre avis, évoluera la situation actuelle ?

 Réponse : La situation internationale a déjà pris une tournure nouvelle.

Le caractère unilatéral que revêt depuis un certain temps déjà la seconde guerre impérialiste, c’est-à-dire la situation dans laquelle, par suite de la politique de « non-intervention », un groupe d’Etats impérialistes attaque pendant que l’autre le regarde faire, disparaîtra inévitablement, et la guerre sera généralisée en ce qui concerne l’Europe. La seconde guerre impérialiste est déjà entrée dans une phase nouvelle.

   En Europe, une grande guerre impérialiste pour la domination des peuples coloniaux est imminente entre les blocs impérialistes germano-italien et anglo-français.

Dans cette guerre, chacune des deux parties belligérantes proclamera sans vergogne que sa cause est juste, et celle de l’adversaire, injuste, afin de duper le peuple et de gagner l’appui de l’opinion publique.

Ce sera pure tromperie, car les deux parties poursuivent des buts impérialistes ; l’une comme l’autre luttent pour la domination sur les colonies et les semi-colonies et pour les sphères d’influence ; toutes deux mènent une guerre annexionniste.

   Actuellement, elles se disputent la Pologne, les Balkans et le littoral méditerranéen. Une telle guerre n’est en aucune façon une guerre juste. Seules sont justes les guerres non annexionnistes, émancipatrices.

Les communistes ne soutiendront jamais une guerre de conquête. Ils se dresseront hardiment pour soutenir toute guerre juste, non annexionniste, émancipatrice, et ils y seront en première ligne.

Quant aux partis social-démocrates de la IIe Internationale, une différenciation s’opère en leur sein, à la suite des menaces et des promesses faites par Chamberlain et Daladier. Une partie – la couche supérieure réactionnaire retombe dans la même ornière qu’à l’époque de la Première guerre mondiale et se prépare à soutenir la nouvelle guerre impérialiste.

   Mais une autre partie formera avec les communistes un front populaire contre la guerre et le fascisme. Prenant exemple sur l’Allemagne et l’Italie, Chamberlain et Daladier se font de plus en plus réactionnaires et utilisent tous deux la mobilisation pour fasciser leur Etat et mettre l’économie de leur pays sur le pied de guerre. Bref, les deux grands blocs impérialistes se préparent fiévreusement à la guerre, et la menace d’un grand carnage pèse sur des millions d’hommes.

Cela ne manquera pas de susciter des mouvements de résistance parmi les masses. Si le peuple ne veut pas servir de chair à canon aux impérialistes, il lui faudra se dresser, en Allemagne comme en Italie, en Grande-Bretagne comme en France, en Europe comme dans les autres parties du monde, pour lutter par tous les moyens contre la guerre impérialiste.

   Outre les deux grands blocs précités, le monde capitaliste en compte un troisième : celui qui a les Etats-Unis à sa tête et qui comprend toute une série d’Etats d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Soucieux de ses propres intérêts, ce bloc n’entrera pas en guerre pour le moment.

Sous le prétexte de la neutralité, l’impérialisme américain renonce provisoirement à se joindre à l’une ou l’autre des parties belligérantes, afin de pouvoir entrer en scène plus tard et s’emparer de la direction du monde capitaliste. Que la bourgeoisie américaine n’envisage pas, pour l’instant, d’abandonner la démocratie et l’économie du temps de paix est un facteur favorable au mouvement mondial pour la paix.

   La conclusion du pacte soviéto-allemand a été durement ressentie par l’impérialisme japonais, dont l’avenir s’annonce encore plus difficile. Deux groupes s’affrontent, au japon, sur des questions de politique extérieure.

Les militaristes envisagent une alliance avec l’Allemagne et l’Italie, afin d’instaurer une domination sans partage sur la Chine, d’envahir les pays du Sud-Est asiatique et d’éliminer de l’Orient la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France ; mais une fraction de la bourgeoisie estime préférable de faire des concessions à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à la France, afin de se concentrer sur le pillage de la Chine. Il existe actuellement au japon une forte tendance au compromis avec la Grande-Bretagne.

   Les réactionnaires britanniques offriraient au Japon le partage de la Chine accompagné d’une aide financière et économique, en échange de quoi celui-ci servirait de chien de garde pour les intérêts britanniques en Orient, s’emploierait à écraser le mouvement de libération nationale en Chine et à contenir l’Union soviétique.

C’est pourquoi, le Japon ne se détournera en aucun cas de son objectif essentiel qui est l’asservissement de la Chine. Il semble peu probable que le japon entreprenne encore en Chine des offensives militaires frontales de grand style : mais il poussera plus vigoureusement son offensive politique pour « soumettre les Chinois par les Chinois » et intensifiera son agression économique en Chine pour « alimenter la guerre par la guerre », tout en poursuivant ses sauvages opérations de « nettoyage » dans les régions qu’il a occupées ; de plus, il tentera, par le truchement de la Grande-Bretagne, de contraindre la Chine à la capitulation.

   Au moment qu’il jugera propice, le japon proposera un Munich en Orient et, avec l’appât de telle ou telle concession relativement importante, il cherchera, en joignant les promesses aux menaces, à faire accepter à la Chine ses conditions de paix, pour atteindre ainsi son but, qui est de l’asservir.

Tant que la révolution populaire n’aura pas éclaté au Japon, cet objectif impérialiste restera toujours le même, quels que soient les changements de cabinet auxquels procéderont les classes dominantes de ce pays.

   En dehors du monde capitaliste, il existe un monde radieux : c’est le pays du socialisme, l’Union soviétique. Le pacte soviéto-allemand permet à l’Union soviétique d’apporter une aide plus grande au mouvement mondial pour la paix et de soutenir davantage la Chine dans sa résistance au japon. Telle est mon appréciation de la situation internationale.

   Question : Quelles perspectives cette situation ouvre-t-elle à la Chine ?

   Réponse : Deux voies s’offrent à la Chine : La première consiste à persévérer dans la Résistance, l’union et le progrès ; c’est la voie de la renaissance. La seconde est celle du compromis, de la rupture et de la régression ; c’est la voie de l’asservissement.

   Dans la nouvelle conjoncture internationale, comme les difficultés du japon continuent à s’accroître et que notre pays se refuse catégoriquement à tout compromis, l’étape de la retraite stratégique prendra fin pour nous tandis que commencera celle de la stabilisation stratégique, qui est aussi l’étape de notre préparation à la contre-offensive.

   Toutefois, la stabilisation sur le front entraînera l’inverse sur les arrières de l’ennemi ; avec l’apparition de la stabilisation sur le front, la lutte sur les arrières de l’ennemi gagnera en intensité.

C’est pourquoi les vastes opérations de « nettoyage », lancées par l’ennemi dans les régions occupées (surtout en Chine du Nord) après la chute de Wouhan non seulement se poursuivront, mais encore s’intensifieront.

De plus, du fait que l’ennemi s’oriente principalement vers une offensive politique ayant pour but de « soumettre les Chinois par les Chinois » et vers une agression économique visant à « alimenter la guerre par la guerre », et que la politique orientale de la Grande-Bretagne tend vers un Munich d’Extrême-Orient, le danger de capitulation d’une grande partie de la Chine se trouve considérablement accru, de même que celui d’une division interne.

Quant au rapport des forces, nous sommes encore loin d’égaler l’ennemi, et nous ne pourrons rassembler les forces nécessaires à une contre-offensive que si le pays entier mène une lutte ardue dans l’unité la plus complète.

   Poursuivre sans défaillance la Guerre de Résistance demeure donc pour nous une tâche d’une importance extrême, et il ne doit pas y avoir le moindre relâchement dans ce domaine.

   Il est hors de doute que la Chine ne doit en aucun cas laisser échapper l’occasion présente ni prendre une décision erronée, mais adopter une position politique ferme.

   Cela signifie : Premièrement, persévérer dans la Résistance et s’opposer à toute tendance au compromis. Frapper énergiquement tous les Wang Tsing-wei, déclarés ou camouflés. Repousser résolument toute promesse, qu’elle émane du japon ou de la Grande-Bretagne : La Chine ne doit en aucun cas participer à un Munich d’Orient.

   Deuxièmement, s’en tenir fermement à l’union et combattre toute activité de division. Maintenir une vigilance de tout instant à l’égard de telles activités, qu’elles soient menées par le japon impérialiste, par tout autre pays ou par les capitulards chinois. Mettre rigoureusement fin à toutes les « frictions » internes qui nuisent à la cause de la Guerre de Résistance.

   Troisièmement, persister dans la voie du progrès et combattre toute régression. Reconsidérer et réviser effectivement, dans l’intérêt de la Guerre de Résistance, toutes les idées, institutions et mesures qui lui sont nuisibles dans les domaines militaire, politique, financier et économique, dans les affaires de parti, dans les domaines de la culture et de l’éducation ainsi que dans celui des mouvements de masse.

   Une fois tout cela réalisé, la Chine pourra préparer comme il faut ses forces pour la contre-offensive.

   Désormais, tout le pays doit considérer la « préparation de la contre-offensive » comme sa tâche générale dans la Guerre de Résistance.

   A présent, il faut, d’une part, apporter un soutien sérieux à notre défense sur le front et accorder une aide énergique aux opérations sur les arrières de l’ennemi, et, d’autre part, réaliser des réformes politiques, militaires et autres et accumuler des forces considérables afin de pouvoir, le moment venu, les lancer contre l’adversaire dans une contre-offensive de grande envergure pour recouvrer les territoires perdus.

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Mao Zedong : D’où viennent les idées justes ?

Tombent-elles du ciel ? Non.

   Sont-elles innées ? Non.

   Elles ne peuvent venir que de la pratique sociale, de trois sortes de pratique sociale : la lutte pour le production, la lutte de classes et l’expérimentation scientifique. L’existence sociale des hommes détermine leur pensée.

   Et les idées justes qui sont le propre d’une classe d’avant-garde deviennent, dès qu’elles pénètrent les mas des luttes diverses au cours de la pratique sociale, les hommes acquièrent une riche expérience, qu’ils tirent de leurs succès comme de leurs revers.

D’innombrables phénomènes du monde extérieur objectif sont reflétés dans le cerveau par le canal des cinq organes des sens – la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; ainsi se constitue, au début, la connaissance sensible.

   Quand ces données sensibles se sont suffisamment accumulées, il se produit un bond par lequel elles se transforment en connaissance rationnelle, c’est-à-dire en idées.

   C’est là un processus de la connaissance. C’est le premier degré du processus général de la connaissance, le degré du passage de la matière, qui est objective, à l’esprit, qui est subjectif, de l’être à la pensée. A ce degré, il n’est pas encore prouvé que l’esprit ou la pensée (donc les théories, la politique, les plans, les moyens d’action envisagés) reflètent correctement les lois du monde objectif ; il n’est pas encore possible de déterminer s’ils sont justes ou non.

   Vient ensuite le second degré du processus de la connaissance, le degré du passage de l’esprit à la matière, de la pensée à l’être : il s’agit alors d’appliquer dans la pratique sociale la connaissance acquise au cours du premier degré, pour voir si ces théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. produisent les résultats attendus.

En général, est juste ce qui réussit, est faux ce qui échoue ; cela est vrai surtout de la lutte des hommes contre la nature.

   Dans la lutte sociale, les forces qui représentent la classe d’avant-garde subissent parfois des revers, non qu’elles aient des idées fausses, mais parce que, dans le rapport des forces qui s’affrontent, elles sont temporairement moins puissantes que les forces de la réaction ; de là viennent leurs échecs provisoires, mais elles finissent toujours par triompher.

   En passant par le creuset de la pratique, la connaissance humaine fait donc un autre bond, d’une plus grande signification encore que le précèdent.

   Seul, en effet, ce bond permet d’éprouver la valeur du premier, c’est-à-dire de s’assurer si les idées, théories, politiques, plans, moyens d’action, etc. élaborés au cours du processus de réflexion du monde objectif sont justes ou faux ; il n’y a pas d’autres moyen de faire l’épreuve de la vérité. Or, si le prolétariat cherche à connaître le monde, c’est pour le transformer ; il n’a point d’autre but.

   Pour que s’achève le mouvement qui conduit à une connaissance juste, il faut souvent mainte répétition du processus consistant à passer de la matière à l’esprit, puis de l’esprit à la matière, c’est-à-dire de la pratique à la connaissance, puis de la connaissance à la pratique.

   Telle est la théorie marxiste de la connaissance, la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance.

   Mais, parmi nos camarades, beaucoup ne comprennent pas encore cette théorie. Si on leur demande d’où viennent leurs idées, opinions, politique, méthodes, plans, conclusions, d’où viennent leurs discours interminables et leurs articles prolixes, ils trouvent la question étrange et ne savent que répondre.

Et ces bonds par lesquels la matière se transforme en esprit et l’esprit en matière, phénomène ordinaire de la vie quotidienne, restent tout aussi incompréhensibles pour eux.

Il faut donc enseigner à nos camarades la théorie matérialiste-dialectique de la connaissance, afin qu’ils sachent s’orienter dans leurs idées, faire des enquêtes et des recherches et dresser le bilan de leur expérience, qu’ils puissent surmonter les difficultés, éviter autant que possible de commettre des erreurs, faire bien leur travail et contribuer de toutes leurs forces à édifier un grand et puissant pays socialiste et enfin aider les masses opprimées et exploitées du monde en vue d’accomplir le noble devoir internationaliste qui nous incombe.

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Mao Zedong : Comment Yukong déplaça les montagnes

Discours de clôture prononcé par le camarade Mao Zedong au VIIe Congrès
du Parti communiste de Chine

11 juin 1945

Notre Congrès a été un très grand succès. Trois choses ont été accomplies.

   Premièrement, nous avons défini la ligne de notre Parti : mobiliser hardiment les masses, accroître les forces du peuple et, sous la direction de notre Parti, vaincre les agresseurs japonais, libérer le peuple tout entier et fonder une Chine de démocratie nouvelle.

   Deuxièmement, nous avons adopté les nouveaux statuts du Parti.

   Troisièmement, nous avons élu notre organe dirigeant : le Comité central. Notre tâche est désormais de guider tout le Parti dans l’application de la ligne adoptée.

   Nous avons tenu un congrès de la victoire, un congrès de l’unité. Les délégués ont exprimé des avis fort intéressants sur les trois rapports. Nombre de camarades ont pratiqué l’autocritique ; aspirant à l’unité, nous y sommes parvenus par ce moyen. Ce Congrès est un modèle d’unité, d’autocritique et de démocratie à l’intérieur du Parti.

   A l’issue de nos travaux, beaucoup de nos camarades retourneront à leur poste ou se rendront sur les divers fronts de la guerre. Partout où vous irez, Camarades, vous ferez connaître la ligne du Congrès et, par l’intermédiaire des membres de tout le Parti, un large travail d’explication devra être accompli auprès des masses populaires.

   En faisant connaître cette ligne, nous donnerons à tout le Parti et à tout le peuple la certitude que notre révolution triomphera. Il faut, en premier lieu, que le détachement d’avant-garde en soit conscient, qu’il s’arme de résolution, ne recule devant aucun sacrifice et surmonte toutes les difficultés pour remporter la victoire.

Mais cela ne suffit pas ; il faut, en outre, que les larges masses de notre pays en prennent conscience, qu’elles combattent de plein gré à nos côtés pour arracher la victoire. Il faut que tout notre peuple ait la conviction que la Chine appartient au peuple chinois et non aux réactionnaires.

   Dans la Chine antique, il y avait une fable intitulée « Comment Yukong déplaça les montagnes ». On y raconte qu’il était une fois, en Chine septentrionale ; un vieillard appelé Yukong des Montagnes du Nord.

Sa maison donnait, au sud, sur deux grandes montagnes, le Taihang et le Wangwou, qui en barraient les abords. Yukong décida d’enlever, avec l’aide de ses fils, ces deux montagnes, à coups de pioche.

   Un autre vieillard, nommé Tcheseou, les voyant à l’œuvre, éclata de rire et leur dit :

   « Quelle sottise faites-vous là ! Vous n’arriverez jamais, à vous seuls, à enlever ces deux montagnes ! »

   Yukong lui répondit :

   « Quand je mourrai, il y aura mes fils ; quand ils mourront à leur tour, il y aura les petits-enfants, ainsi les générations se succéderont sans fin. Si hautes que soient ces montagnes, elles ne pourront plus grandir ; à chaque coup de pioche, elles diminueront d’autant ; pourquoi donc ne parviendrions-nous pas à les aplanir ? »

   Après avoir ainsi réfuté les vues erronées de Tcheseou, Yukong, inébranlable, continua de piocher, jour après jour. Le Ciel en fut ému et envoya sur terre deux génies célestes, qui emportèrent ces montagnes sur leur dos.

   Aujourd’hui, il y a également deux grosses montagnes qui pèsent lourdement sur le peuple chinois : l’une est l’impérialisme, l’autre le féodalisme. Le Parti communiste chinois a décidé depuis longtemps de les enlever.

Nous devons persévérer dans notre tâche et y travailler sans relâche, nous aussi nous arriverons à émouvoir le Ciel. Notre Ciel à nous n’est autre que la masse du peuple chinois. Si elle se dresse tout entière pour enlever avec nous ces deux montagnes, comment ne pourrions-nous pas les aplanir ?

   Voici ce que j’ai dit hier à deux Américains qui allaient rentrer aux États-Unis : Le gouvernement américain veut nous détruire, mais cela ne sera pas. Nous nous opposons à sa politique qui est de soutenir Tchiang Kaï-chek contre le Parti communiste.

Toutefois, nous établissons une différence, premièrement, entre le gouvernement des États-Unis et le peuple américain ; et deuxièmement, au sein même de l’appareil gouvernemental, entre ceux qui déterminent la politique et ceux qui sont de simples subordonnés.

   J’ai donc dit aux deux Américains : Faites savoir à ceux qui déterminent la politique de votre gouvernement que l’accès de nos régions libérées vous est interdit à vous autres, parce que la politique américaine est de soutenir Tchiang Kaï-chek contre le Parti communiste, et que nous nous méfions de vous. Vous pouvez venir chez nous si c’est pour combattre le Japon, mais il faut d’abord conclure un accord. Nous ne vous permettrons pas d’aller fureter partout.

   Du moment que Hurley s’est publiquement prononcé contre toute coopération avec le Parti communiste chinois, pourquoi donc venir rôder dans nos régions libérées ?

   La politique du gouvernement américain de soutien à Tchiang Kaï-chek contre le Parti communiste est une preuve de la démence de la réaction américaine.

Mais toute tentative des réactionnaires chinois et étrangers pour faire obstacle à la victoire de notre peuple est condamnée à l’échec. Dans le monde actuel, les forces démocratiques constituent le courant principal, alors que la réaction, qui est anti-démocratique, n’est qu’un contre-courant.

   Pour le moment, ce dernier cherche à l’emporter sur le courant principal de l’indépendance nationale et de la démocratie populaire, mais il ne deviendra jamais le courant principal.

Les trois grandes contradictions relevées par Staline, il y a longtemps, subsistent de nos jours dans le vieux monde : la première est celle qui existe dans les pays impérialistes entre le prolétariat et la bourgeoisie ; la deuxième est celle entre les différentes puissances impérialistes ; la troisième, enfin, oppose les pays coloniaux et semi-coloniaux aux métropoles impérialistes.

Ces trois contradictions subsistent, elles sont même devenues plus aiguës et ont pris plus d’ampleur. Le contre-courant antisoviétique, anticommuniste et anti-démocratique qui existe actuellement sera vaincu un jour, en raison même de ces contradictions et de leur développement.

   Deux congrès se tiennent en ce moment en Chine : le VIe Congrès national du Kuomintang et le VIIe Congrès du Parti communiste chinois.

Leurs objectifs sont tout à fait différents : il s’agit, pour l’un, d’anéantir le Parti communiste et les forces démocratiques de Chine et de précipiter notre pays dans les ténèbres ; pour l’autre, d’abattre l’impérialisme japonais et ses valets, les forces féodales chinoises, d’édifier une Chine de démocratie nouvelle et de conduire notre pays vers la lumière.

Ces deux lignes se combattent l’une l’autre. Nous sommes fermement convaincus que notre peuple, guidé par le Parti communiste chinois et la ligne de son vue Congrès, remportera une victoire complète et que la ligne contre-révolutionnaire du Kuomintang est vouée à l’échec.

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Mao Zedong : Analyse de classe de la société chinoise

Mars 1926

Quels sont nos ennemis, quels sont nos amis? C’est là une question d’une importance primordiale pour la révolution.

Si, dans le passé, toutes les révolutions en Chine n’ont obtenu que peu de résultats, la raison essentielle en est qu’elles n’ont point réussi à unir autour d’elles leurs vrais amis pour porter des coups à leurs vrais ennemis. Le parti révolutionnaire est le guide des masses, et jamais révolution n’a pu éviter l’échec quand ce parti a orienté les masses sur une voie fausse.

Pour être sûrs de ne pas les conduire sur la voie fausse et de remporter la victoire dans la révolution, nous devons absolument veiller à nous unir avec nos vrais amis pour porter des coups à nos vrais ennemis.

Et pour distinguer nos vrais amis de nos vrais ennemis, nous devons entreprendre une analyse générale des conditions économiques des diverses classes de la société chinoise et de leur attitude respective envers la révolution.

Quelle est la situation des différentes classes de la société chinoise?

La classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore (1). Dans ce pays économiquement arriéré, semi- colonial, qu’est la Chine, la classe des propriétaires fonciers et la bourgeoisie compradore sont de véritables appendices de la bourgeoisie internationale et dépendent de l’impérialisme quant à leur existence et développement.

Ces classes représentent les rapports de production les plus arriérés et les plus réactionnaires de la Chine et font obstacle au développement des forces productives du pays. Leur existence est absolument incompatible avec les buts de la révolution chinoise.

Ceci est particulièrement vrai des grands propriétaires fonciers et des grands compradores qui sont toujours du côté de l’impérialisme et qui constituent le groupe contre- révolutionnaire extrême. Leurs représentants politiques sont les étatistes (2) et l’aile droite du Kuomintang.

La moyenne bourgeoisie. Elle représente les rapports capitalistes de production dans les villes et les campagnes chinoises. Par moyenne bourgeoisie, on entend surtout la bourgeoisie nationale (3).

Elle est inconsistante dans son attitude à l’égard de la révolution chinoise: Quand elle souffre sous les rudes coups que lui porte le capital étranger et le joug que font peser sur elle les seigneurs de guerre, elle sent le besoin d’une révolution et se déclare pour le mouvement révolutionnaire dirigé contre l’impérialisme et les seigneurs de guerre; mais elle se méfie de la révolution quand elle sent qu’avec la participation impétueuse du prolétariat du pays et le soutien actif du prolétariat international cette révolution met en danger la réalisation de son rêve de s’élever au rang de la grande bourgeoisie.

Sa plate-forme politique, c’est la création d’un Etat dominé par une seule classe, la bourgeoisie nationale.

Quelqu’un qui se prétend véritable disciple de Tai Ki-tao (4) a déclaré dans le Tchenpao (5) de Pékin: « Levez votre bras gauche pour écraser les impérialistes et votre bras droit pour écraser les communistes ».

Ces mots révèlent le dilemme angoissant devant lequel se trouve la bourgeoisie nationale. Cette classe s’oppose à ce que le principe du bien-être du peuple, tel qu’il est formulé par le Kuomintang, soit interprété suivant la théorie de la lutte de classes, à ce que le Kuomintang applique la politique d’alliance avec la Russie et admette en son sein les communistes (6) et les éléments de gauche.

Mais la tentative de cette classe de créer un Etat dirigé par la bourgeoisie nationale est absolument vaine, maintenant que dans le monde se déroule une lutte décisive entre deux forces gigantesques: la révolution et la contre-révolution.

Chacune d’elles a levé un immense drapeau: l’un est le drapeau rouge de la révolution, et c’est la IIIe Internationale qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les classes opprimées du monde; l’autre est le drapeau blanc de la contre-révolution, et c’est la Société des Nations qui l’a levé afin de rallier autour de lui toutes les forces contre-révolutionnaires du monde.

Il se produira inévitablement, à une date très prochaine, une scission parmi les classes intermédiaires: les unes iront à gauche vers la révolution, les autres à droite vers la contre- révolution. Pour ces classes, la possibilité d’occuper une position « indépendante » est exclue.

C’est pourquoi la conception, si chère à la moyenne bourgeoisie chinoise, d’une révolution « indépendante » où cette classe assumerait le rôle principal n’est que pure illusion.

La petite bourgeoisie. Appartiennent à la petite bourgeoisie les paysans propriétaires (7), les propriétaires d’entreprises artisanales, les couches inférieures des intellectuels étudiants, enseignants des écoles primaires et secondaires, petits fonctionnaires, petits employés, petits avocats et les petits commerçants.

Par son nombre comme par sa nature de classe, la petite bourgeoisie mérite une attention sérieuse. Les paysans propriétaires comme les propriétaires d’entreprises artisanales sont engagés dans la petite exploitation. Bien que les différentes couches de la petite bourgeoisie se trouvent toutes dans la situation économique particulière à cette classe, elles se divisent en trois groupes.

Le premier comprend les gens qui ont une certaine aisance, c’est-à-dire ceux à qui le produit de leur travail manuel ou intellectuel laisse chaque année, leurs besoins propres une fois satisfaits, un certain excédent de grain ou de revenu.

Aspirant très fort à s’enrichir, ils vouent un culte au maréchal Tchao (8); sans s’illusionner sur leurs possibilités d’amasser de grandes fortunes, ils ont néanmoins le désir de s’élever au rang de la moyenne bourgeoisie.

Lorsqu’ils voient de quels respects on entoure les petits bourgeois ainsi parvenus, ils en bavent souvent d’envie. Ce sont d’ailleurs des poltrons: ils ont peur des autorités, et la révolution leur inspire aussi une certaine crainte. Très proches, par leur condition économique, de la moyenne bourgeoisie, ilssont crédules à sa propagande et méfiants à l’égard de la révolution.

Ce groupe représente une minorité au sein de la petite bourgeoisie, dont il constitue l’aile droite. Le second groupe se compose de ceux qui arrivent à se suffire pour l’essentiel sur le plan économique. Les gens de ce groupe sont tout différents de ceux du premier.

Eux aussi rêvent de s’enrichir, mais le maréchal Tchao n’exauce jamais leur voeux; de plus, ils ont ces dernières années assez souffert de l’oppression et de l’exploitation de l’impérialisme, des seigneurs de guerre, des propriétaires fonciers féodaux et de la grande bourgeoisie compradore pour comprendre que le monde n’est plus ce qu’il était autrefois. Ils se rendent compte que s’ils travaillent juste autant qu’avant, ils risquent de ne plus pouvoir assurer leur existence.

Il leur faut désormais, pour subvenir à leurs besoins, allonger leur journée de travail, trimer de l’aube au crépuscule et redoubler de soin dans l’exercice de leur profession. Mais les voilà qui commencent à se répandre en injures; ils traitent les étrangers de « diables étrangers », les seigneurs de guerre de « chefs de brigands », les despotes locaux et les mauvais hobereaux d' »écorcheurs ».

En ce qui concerne le mouvement contre les impérialistes et les seigneurs de guerre, ils doutent seulement de son succès (car les étrangers et les seigneurs de guerre leur semblent si puissants), et, n’osant pas se risquer à y prendre part, ils préfèrent adopter une position neutre, mais ils n’interviennent en aucune façon contre la révolution.

Ce groupe est fort nombreux: il constitue la moitié environ de toute la petite bourgeoisie. Le troisième groupe comprend les gens dont les conditions de vie empirent de jour en jour.

Beaucoup d’entre eux appartenaient, semble-t-il, à des familles réputées aisées, mais ils arrivent tout juste à vivre, leur situation s’aggrave progressivement.

Lorsqu’ils font leurs comptes à la fin de l’année, ils s’écrient, atterrés: « Comment! Encore des déficits! » Et comme ils vivaient autrefois assez bien, qu’ils ont vu ensuite, d’année en année, leur situation s’aggraver, leurs dettes se gonfler et qu’ils ont maintenant commencé à mener une existence misérable, « la seule pensée de l’avenir leur donne le frisson ».

Ces gens souffrent moralement d’autant plus qu’ils ont conservé un vif souvenir des jours meilleurs, si différents des temps présents. Ils jouent un rôle très important dans le mouvement révolutionnaire, car ils constituent une masse assez nombreuse et forment l’aile gauche de la petite bourgeoisie. En temps normal, ces trois groupes de la petite bourgeoisie ont chacun une attitude différente à l’égard de la révolution.

Mais en temps de guerre, c’est-à-dire dans une période d’essor révolutionnaire, dès que l’aurore de la victoire commence à luire, on voit participer à la révolution non seulement les éléments de gauche de la petite bourgeoisie, mais également les éléments du centre; et même les éléments de droite, emportés par le flux de l’élan révolutionnaire du prolétariat et des éléments de gauche de la petite bourgeoisie, sont contraints de suivre le courant de la révolution.

L’expérience du Mouvement du 30 Mai 1925 (9) et du mouvement paysan en divers endroits

démontre la justesse d’une telle affirmation.

Le semi-prolétariat. Nous rattacherons au semi-prolétariat: 1) l’écrasante majorité des paysans semi-propriétaires (10); 2) les paysans pauvres; 3) les petits artisans; 4) les commis11; 5) les marchands ambulants. L’écrasante majorité des paysans semi- propriétaires et les paysans pauvres forment une masse rurale énorme.

Et ce qu’on appelle le problème paysan est essentiellement leur problème. Les paysans semi-propriétaires, les paysans pauvres et les petits artisans sont engagés dans une exploitation d’une échelle encore plus réduite que celle des paysans propriétaires et des propriétaires d’entreprises artisanales.

Bien que les paysans semi-propriétaires dans leur écrasante majorité et les paysans pauvres appartiennent les uns et les autres au semi-prolétariat, ces deux catégories réunies se divisent encore, selon leur condition économique, en un groupe supérieur, un groupe moyen et un groupe inférieur.

Les paysans semi-propriétaires ont une existence plus pénible que celle des paysans propriétaires, car leur propre grain ne couvre chaque année que la moitié environ de leurs besoins, si bien que, pour acquérir des moyens supplémentaires d’existence, ils se voient contraints de prendre à ferme de la terre d’autrui, ou de vendre une partie de leur force de travail, ou encore d’exercer un petit commerce.

A la fin du printemps et au début de l’été, lorsque la récolte de l’année écoulée commence à s’épuiser et que la prochaine est encore en herbe, ils sont obligés d’emprunter de l’argent à un taux usuraire et d’acheter du grain au prix fort.

L’existence qu’ils mènent est donc plus difficile que celle des paysans propriétaires qui ne dépendent de personne, mais ils ont néanmoins une vie plus assurée que les paysans pauvres, car ceux-ci ne possèdent aucune terre en propre, ils cultivent laterre d’autrui et ne reçoivent, pour leur travail, que la moitié de la récolte ou même moins.

Bien que les paysans semi-propriétaires ne reçoivent également que la moitié, ou moins, de la récolte produite par la terre qu’ils ont louée, ils gardent la récolte entière de leur propre terre.

C’est pourquoi les paysans semi-propriétaires sont plus révolutionnaires que les paysans propriétaires, mais moins que les paysans pauvres. Ceux-ci sont des fermiers qui subissent l’exploitation des propriétaires fonciers.

On peut diviser les paysans pauvres en deux groupes selon leur condition économique.

Le premier possède un matériel agricole relativement suffisant et dispose de certains fonds. Ces paysans peuvent recevoir la moitié de ce qu’ils ont produit par leur travail. Ils suppléent à ce qui leur manque par la culture des céréales secondaires, la pêche, l’élevage de la volaille et des porcs, la vente d’une partie de leur force de travail; de cette manière, ils parviennent à assurer tant bien que mal leur subsistance et espèrent arriver à tenir toute l’année en dépit des conditions matérielles difficiles.

Leur vie est plus pénible que celle des paysans semi- propriétaires, mais plus facile que celle des paysans pauvres du second groupe. Ils sont plus révolutionnaires que les paysans semi-propriétaires, mais moins que les paysans pauvres du second groupe. Ces derniers n’ont pas de matériel agricole

suffisant, pas de fonds, pas assez d’engrais et n’obtiennent que de maigres récoltes; lorsqu’ils ont payé leur fermage, il ne leur reste plus grand-chose.

C’est pourquoi ils ont encore plus besoin de vendre une partie de leur force de travail. Dans les années de famine, dans les mois difficiles, ils mendient, à charge de revanche, auprès de leurs parents et amis, quelques mesures de grain qui leur permettent de tenir encore, ne fût-ce que quatre ou cinq jours; leurs dettes grossissent et ils en sont accablés comme des bêtes de somme.

Ils représentent la partie de la paysannerie qui vit dans une profonde misère et ils sont très réceptifs à la propagande révolutionnaire. Les petits artisans sont rattachés au semi- prolétariat, car, bien qu’ils disposent de quelques moyens de production rudimentaires et qu’ils exercent des professions « libres », ils sont souvent contraints, eux aussi, de vendre en partie leur force de travail et se trouvent dans une situation économique qui correspond sensiblement à celle des paysans pauvres.

Le lourd fardeau des dépenses familiales, l’écart entre leur gain et le coût de la vie, les privations incessantes, la peur que le travail ne vienne à manquer: tout cela les apparente également aux paysans pauvres.

Les commis sont les travailleurs salariés des entreprises commerciales. Ils doivent faire vivre leur famille sur leur modeste salaire qui d’ordinaire n’est augmenté qu’une fois en plusieurs années, alors que les prix montent chaque année.

Aussi, quand vous entrez en conversation avec eux, sont-ils intarissables en plaintes sur leur sort. Leur situation diffère peu de celle des paysans pauvres et des petits artisans et ils sont très réceptifs à la propagande révolutionnaire.

Les marchands ambulants, qu’ils soient colporteurs ou vendeurs à l’éventaire, ont un capital insignifiant, et le peu qu’ils gagnent ne suffit pas à les faire vivre. Ils se trouvent sensiblement dans la même situation que les paysans pauvres et ils sont au même titre intéressés à une révolution qui changerait l’ordre des choses.

Le prolétariat. Le prolétariat industriel moderne compte en Chine environ deux millions de représentants. Ce nombre réduit s’explique par le retard de la Chine sur le plan économique. Les ouvriers d’industrie sont principalement employés dans cinq secteurs: les chemins de fer, les mines, les transports maritimes, l’industrie textile et les chantiers navals; il faut ajouter qu’un grand nombre d’entre eux sont sous le joug du capital étranger.

Bien que faible en effectif, le prolétariat industriel incarne les nouvelles forces productives, constitue la classe la plus progressive de la Chine moderne et est devenu la force dirigeante du mouvement révolutionnaire.

Pour se rendre compte de l’importance du prolétariat industriel dans la révolution chinoise, il suffit de voir quelle force s’est manifestée dans les grèves des quatre dernières années, par exemple dans celles des marins (12), des cheminots (13), des ouvriers des Houillères de Kailouan et des Houillères de Tsiaotsouo (14), dans la grève de Shameen (15) et les grèves générales de Changhaï et de Hongkong après l’Incident sanglant du 30 Mai (16).

La première raison pour laquelle les ouvriers de l’industrie jouent un rôle si important dans la révolution chinoise est leur concentration. Aucun autre secteur de la population ne peut rivaliser avec eux de ce point de vue. La seconde raison est qu’ils se trouvent économiquement dans une situation inférieure.

Ils sont privés de moyens de production, ils n’ont plus que leurs bras et ils n’ont aucun espoir de s’enrichir; de plus, ils sont traités de la façon la plus féroce par les impérialistes, les seigneurs de guerre, la bourgeoisie, c’est pourquoi ils se battent particulièrement bien.

Les coolies des villes constituent aussi une force digne d’une sérieuse attention. Ce groupe comprend surtout les dockers et les tireurs de pousse, et également les vidangeurs et les éboueurs.

Comme ils n’ont rien d’autre que leurs bras, les travailleurs de ce groupe sont proches, par leur condition économique, des ouvriers de l’industrie et ne leur cèdent que par le degré de concentration et l’importance de leur rôle dans la production.

L’agriculture capitaliste moderne est encore faiblement développée en Chine. Le terme de prolétariat agricole désigne les salariés agricoles embauchés pour l’année ou travaillant au mois ou à la journée.

Dépourvus de terre et de matériel agricole, et aussi de tout moyen financier, ils ne peuvent subsister qu’en vendant leur force de travail. De tous les ouvriers, ce sont eux qui ont la plus longue journée de travail et le salaire le plus bas, eux qui sont les plus mal traités et en butte à la plus grande insécurité d’emploi. Soumis aux privations les plus lourdes, ce groupe de la population rurale occupe dans le mouvement paysan une position aussi importante que celle des paysans pauvres.

Il existe encore un Lumpenproletariat assez nombreux composé de paysans qui ont perdu leur terre et d’ouvriers artisanaux qui n’ont pu trouver du travail. Ces gens mènent une vie plus précaire que n’importe quel autre groupe de la société.

Ils ont partout des organisations secrètes, qui étaient à l’origine des organisations d’entraide dans la lutte politique et économique; par exemple, le Sanhohouei dans les provinces du Foukien et du Kouangtong, le Kehlaohouei dans les provincesdu Hounan, du Houpei, du Koueitcheou et du Setchouan, le Tataohouei dans les provinces de l’Anhouei, du Honan et du Chantong, le Tsailihouei dans la province du Tcheli (17) et les trois provinces du Nord-Est, le Tsingpang à Changhaï et ailleurs (18).

C’est un des problèmes difficiles de la Chine que de savoir quelle politique adopter à l’égard de ces gens. Ils sont capables de lutter avec un très grand courage, mais enclins aux actions destructives; conduits d’une manière juste, ils peuvent devenir une force révolutionnaire.

Il ressort de tout ce qui vient d’être dit que tous les seigneurs de guerre, les bureaucrates, les compradores et les gros propriétaires fonciers qui sont de mèche avec les impérialistes, de même que cette fraction réactionnaire des intellectuels qui en dépend, sont nos ennemis.

Le prolétariat industriel est la force dirigeante de notre révolution. Nos plus proches amis sont l’ensemble du semi- prolétariat et de la petite bourgeoisie. De la moyenne bourgeoisie toujours oscillante, l’aile droite peut être notre ennemie et l’aile gauche notre amie; mais nous devons constamment prendre garde que cette dernière ne vienne désorganiser notre front.

NOTES

1 Le comprador, dans le sens originel du mot, était le gérant chinois ou le premier commis chinois dans une entreprise commerciale appartenant à des étrangers. Les compradores servaient les intérêts économiques étrangers et entretenaient des relations étroites avec l’impérialisme et le capital étranger.

2 Il s’agit de la poignée de vils politiciens fascistes qui avaient organisé la Ligue de la Jeunesse étatiste de Chine, laquelle changea, par la suite, son nom en Parti de la Jeunesse de Chine.

Les étatistes faisaient carrière dans la contre-révolution en attaquant le Parti communiste et l’Union soviétique et recevaient des subsides des différents groupements réactionnaires au pouvoir et des impérialistes.

3 Pour ce qui est du rôle de la bourgeoisie nationale, voir « La Révolution chinoise et le Parti communiste chinois », chapitre II, section 4.

4 Tai Ki-tao adhéra au Kuomintang dès sa jeunesse et s’occupa pour un temps de spéculations boursières avec Tchiang Kaï- chek. Après la mort de Sun Yat-sen, en 1925, il organisa une campagne anticommuniste, préparant ainsi moralement le coup d’Etat contre-révolutionnaire de Tchiang Kaï-chek de 1927.

Pendant des années, il fut un chien fidèle de Tchiang Kaï-chek dans la contre-révolution. En février 1949, constatant que la domination de Tchiang Kaï-chek allait s’effondrer et que la situation était sans issue, Tai Ki-tao se suicida.

5 Organe de l’Association pour l’Etude du Gouvernement constitutionnel, un des groupes politiques qui soutenaient la domination des seigneurs de guerre du Peiyang.

6 En 1923, avec le concours des communistes, Sun Yat-sen décida de réorganiser le Kuomintang, d’établir la coopération de ce dernier avec le Parti communiste et d’admettre les communistes au sein du Kuomintang, et en janvier 1924, au Ier Congrès national du Kuomintang, convoqué à Canton, il formula ses trois thèses politiques fondamentales: alliance avec la Russie, alliance avec le Parti communiste, soutien aux paysans et aux ouvriers. Prirent part aux travaux de ce Congrèsles camarades Mao Tsé-toung, Li Ta-tchao, Lin Po-kiu et Kiu Tsieou-pai qui jouèrent un rôle important en aidant le Kuomintang à prendre la voie de la révolution. C’est à cette époque que ces camarades furent élus membres ou membres suppléants du Comité exécutif central du Kuomintang.

7 Le camarade Mao Tsé-toung pense ici aux paysans moyens.

8 Le maréchal Tchao (Tchao Kong-ming) est le dieu de la Richesse dans la légende populaire chinoise.

9 Il s’agit du mouvement anti-impérialiste déclenché dans tout le pays en protestation contre le massacre de la population chinoise par la police anglaise le 30 mai 1925 à Changhaï.

Dans le courant de ce mois s’étaient déclenchées dans un certain nombre d’usines textiles japonaises établies à Tsingtao et à Changhaï de grandes grèves que réprimèrent les impérialistes japonais et leurs valets, les seigneurs de guerre du Peiyang. Le 15 mai, sous les balles des patrons des usines textiles japonaises de Changhaï, l’ouvrier Kou Tcheng-hong fut tué et une dizaine d’autres ouvriers furent blessés.

Le 28 mai, huit ouvriers de Tsingtao furent massacrés par le gouvernement réactionnaire. Le 30 mai, plus de 2.000 étudiants de Changhaï firent de l’agitation dans les concessions étrangères en faveur des ouvriers en grève et pour le retour des concessions à la Chine. Ralliant plus de 10.000 personnes, ils arrivèrent devant la direction de la police anglaise de la concession internationale. Les manifestants criaient des mots d’ordre tels que « A bas l’impérialisme! », « Peuple chinois, unis-toi! »

La police anglaise ouvrit le feu, tuant et blessant de nombreux étudiants. Cet événement, connu sous la dénomination d’Incident sanglant du 30 Mai, ne tarda pas à soulever l’indignation générale du peuple chinois; une vague de manifestations et de grèves d’ouvriers, d’étudiants et decommerçants déferla sur le pays, culminant en un immense mouvement anti-impérialiste.

10 Par « écrasante majorité des paysans semi-propriétaires », le camarade Mao Tsé-toung entend ici les paysans appauvris qui travaillent en partie sur leur propre terre et en partie sur des terres prises à ferme.

11 Il existait dans l’ancienne Chine plusieurs catégories de commis. Le camarade Mao Tsé-toung pense ici à la majorité d’entre eux; en ce qui concerne ceux de la catégorie inférieure, ils se trouvent dans la même situation matérielle que les prolétaires.

12 Il s’agit des grèves générales déclenchées par les marins de Hongkong et les équipages des navires du Yangtsé au début de 1922. La grève des marins de Hongkong dura huit semaines; à l’issue d’une lutte acharnée, sanglante, les marins contraignirent les autorités impérialistes britanniques de Hongkong à augmenter les salaires, à lever l’interdit sur les syndicats, à libérer les ouvriers arrêtés et à accorder des indemnités aux familles des martyrs. Peu après, les équipages des navires du Yangtsé se mitent en grève, ils luttèrent pendant deux semaines et remportèrent également la victoire.

13 Après sa fondation en 1921, le Parti communiste chinois se livra à un travail d’organisation parmi les cheminots; en 1922 et 1923 se déroula, sous sa direction, un mouvement de grèves sur les lignes principales du pays.

La plus connue fut la grève générale déclenchée le 4 février 1923 par les cheminots de la ligne Pékin-Hankeou pour réclamer la liberté d’organiser un syndicat unifié. Le 7 février, les seigneurs de guerre du Peiyang, Wou Pei-fou et Siao Yao-nan, soutenus par l’impérialisme britannique, déclenchèrent contre les ouvriers engrève une féroce répression, connue depuis dans l’histoire de la Chine sous le nom d’Incident sanglant du 7 Février.

14 Les Houillères de Kailouan était la dénomination générale donnée aux mines de Kaiping et de Louantcheou dans la province du Hopei. Elles constituent un important bassin qui occupait alors plus de 50.000 ouvriers. Quand les impérialistes britanniques se furent emparés des mines de Kaiping, à l’époque du Mouvement des Yihotouan en 1900, les patrons chinois créèrent la Compagnie houillère de Louantcheou.

Par la suite, les mines de Kaiping et de Louantcheou furent placées sous une direction générale unique, si bien qu’elles tombèrent sous le contrôle exclusif des impérialistes britanniques. La grève des Houillères de Kailouan eut lieu en octobre-novembre 1922.

La grève des Houillères de Tsiaotsouo, situées dans le nord du Honan et également contrôlées par les impérialistes britanniques, éclata en juillet 1925. Cette grève, qui fit écho au Mouvement du 30 Mai, dura plus de sept mois.

15 Shameen, ancienne concession des impérialistes britanniques à Canton. En juillet 1924, les impérialistes britanniques qui contrôlaient Shameen introduisirent une nouvelle réglementation policière, aux termes de laquelle les citoyens chinois résidant à Shameen devaient montrer un laissez-passer avec leur photographie chaque fois qu’ils entreraient dans la concession ou en sortiraient, tandis que les étrangers pouvaient circuler librement.

Le 15 juillet, les ouvriers de Shameen déclenchèrent une grève pour protester contre cette discrimination. Finalement, les impérialistes britanniques se virent contraints d’annuler leur nouvelle réglementation policière.

16 Après les événements de Changhaï du 30 mai 1925, une grève générale éclata dans cette ville le 1er juin, puis une autreà Hongkong le 19 juin. Plus de 200.000 travailleurs participèrent à celle de Changhaï et 250.000 à celle de Hongkong. Cette dernière, qui bénéficia de l’appui du peuple tout entier, dura un an et quatre mois; c’est la plus longue grève qu’ait jamais connue l’histoire du mouvement ouvrier mondial.

17 Aujourd’hui province du Hopei.

18 Le Sanhohouei (Société de la Triade), le Kehlaohouei (Société des Frères), le Tataohouei (Société des Cimeterres), le Tsailihouei (Société pour une Vie rationnelle), le Tsingpang (Clan bleu) étaient des sociétés secrètes primitives ramifiées dans la masse de la population. Ces organisations rassemblaient essentiellement des paysans ruinés, des artisans en chômage, des éléments du Lumpenproletariat.

Dans la Chine féodale, les liens qui unissaient tous ces éléments tenaient souvent à des pratiques religieuses ou superstitieuses. Une forme d’organisation patriarcale régissait ces sociétés aux appellations diverses; certaines d’entre elles disposaient d’armes. Leurs membres s’efforçaient de s’assurer une entraide dans les différentes circonstances de l’existence et utilisèrent, à certains moments, ces sociétés pour organiser la lutte contre les oppresseurs: bureaucrates et propriétaires fonciers.

Il est toutefois évident qu’en adhérant à ces organisations d’un caractère rétrograde,les paysans et les artisans ne pouvaient trouver une issue à leur situation. Souvent, les propriétaires fonciers et les despotes locaux réussirent sans difficulté à les contrôler et à les utiliser, et on pouvait en outre observer dans ces sociétés une tendance à la destruction aveugle, de sorte que certaines d’entre elles devinrent des forces réactionnaires.

En 1927, lors de son coup d’Etat contre-révolutionnaire, Tchiang Kaï-chek se servit de ces organisations rétrogrades comme d’un instrument pour détruire l’unité du peuple travailleur et saper la révolution. A la suite du puissant essor des forces du prolétariat industriel moderne, la paysannerie, sous la direction de la classe ouvrière, a créé des organisations entièrement nouvelles qui lui sont propres, et l’existence de semblables organisations primitives et rétrogrades a désormais perdu toute signification.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong : À la mémoire de Norman Béthune

21 Décembre 1939

[Norman Béthune fut membre du Parti communiste du Canada et célèbre chirurgien. En 1936, lorsque les hordes fascistes allemandes et italiennes attaquèrent l’Espagne, il se rendit sur le front et se mit au service du peuple espagnol qui luttait contre le fascisme.

Au début de 1938, après qu’eut éclaté la Guerre de Résistance, il arriva en Chine à la tête d’une équipe médicale. Il atteignit Yenan vers mars-avril et alla peu après dans la région frontière du Chansi-Tchahar-Hopei.

Animé d’un fervent esprit internationaliste et faisant preuve du plus grand dévouement et d’une totale abnégation, le camarade Béthune soigna, pendant près de deux ans, les malades et les blessés de la VIII Armée de Route. Il contracta une septicémie en faisant une opération d’urgence et mourut à Tanghsien, dans le Hopei, le 12 novembre 1939, malgré tous les soins qui lui furent prodigués. ]

   Au début de 1938, après qu’eut éclaté la Guerre de Résistance, il arriva en Chine à la tête d’une équipe médicale. Il atteignit Yenan vers mars-avril et alla peu après dans la région frontière du Chansi-Tchahar-Hopei.

   Animé d’un fervent esprit internationaliste et faisant preuve du plus grand dévouement et d’une totale abnégation, le camarade Béthune soigna, pendant près de deux ans, les malades et les blessés de la VIII Armée de Route. Il contracta une septicémie en faisant une opération d’urgence et mourut à Tanghsien, dans le Hopei, le 12 novembre 1939, malgré tous les soins qui lui furent prodigués. était membre du Parti communiste du Canada. Il avait une cinquantaine d’années lorsqu’il fut envoyé en Chine par le Parti communiste du Canada et le Parti communiste des Etats-Unis ; il n’hésita pas à faire des milliers de kilomètres pour venir nous aider dans la Guerre de Résistance contre le Japon.

   Il arriva à Yenan au printemps de l’année dernière, puis alla travailler dans le Woutaichan où, à notre plus grand regret, il est mort à son poste. Voilà donc un étranger qui, sans être poussé par aucun intérêt personnel, a fait sienne la cause de la libération du peuple chinois: Quel est l’esprit qui l’a inspiré? C’est l’esprit de l’internationalisme, du communisme, celui que tout communiste chinois doit s’assimiler.

   Le léninisme enseigne que la révolution mondiale ne peut triompher que si le prolétariat des pays capitalistes soutient la lutte libératrice des peuples coloniaux et semi-coloniaux et si le prolétariat des colonies et semi-colonies soutient la lutte libératrice du prolétariat des pays capitalistes.

   Le camarade Béthune a mis en pratique cette ligne léniniste. Nous, membres du Parti communiste chinois, devons faire de même. Il nous faut nous unir au prolétariat de tous les pays capitalistes, au prolétariat du Japon, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie et de tout autre pays capitaliste, pour qu’il soit possible d’abattre l’impérialisme, de parvenir à la libération de notre nation et de notre peuple, des nations et des peuples du monde entier. Tel est notre internationalisme, celui que nous opposons au nationalisme et au patriotisme étroits.

   L’esprit du camarade Béthune, oubli total de soi et entier dévouement aux autres, apparaissait dans son profond sens des responsabilités à l’égard du travail et dans son affection sans bornes pour les camarades, pour le peuple.

   Tout communiste doit le prendre pour exemple. Ils ne sont pas rares ceux à qui manque le sens des responsabilités dans leur travail, qui choisissent les tâches faciles et se dérobent aux besognes pénibles, laissant aux autres le fardeau le plus lourd et prenant la charge la plus légère. En toute chose, ils pensent d’abord à eux-mêmes, aux autres après.

   A peine ont-ils accompli quelque effort, craignant qu’on ne s’en soit pas aperçu, ils s’en vantent et s’enflent d’orgueil. Ils n’éprouvent point de sentiments chaleureux pour les camarades et pour le peuple, ils n’ont à leur endroit que froideur, indifférence, insensibilité.

   En vérité, ces gens-là ne sont pas des communistes ou, du moins, ne peuvent être considérés comme de vrais communistes. Parmi ceux qui revenaient du front, il n’y avait personne qui, parlant de Béthune, ne manifestât son admiration pour lui, et qui fût resté insensible à l’esprit qui l’animait. Il n’est pas un soldat, pas un civil de la région frontière du Chansi-Tchahar-Hopei qui, ayant reçu les soins du docteur Béthune ou l’ayant vu à l’œuvre, ne garde de lui un souvenir ému.

   Tout membre de notre Parti doit apprendre du camarade Béthune cet esprit authentiquement communiste.

   Le camarade Béthune était médecin. L’art de guérir était sa profession, il s’y perfectionnait sans cesse et se distinguait par son habileté dans tout le service médical de la VIIIe Armée de Route. Son cas exemplaire devrait faire réfléchir tous ceux qui ne pensent qu’à changer de métier sitôt qu’ils en entrevoient un autre, ou qui dédaignent le travail technique, le considérant comme insignifiant, sans avenir.

   Je n’ai rencontré qu’une seule fois le camarade Béthune. Il m’a souvent écrit depuis. Mais, pris par mes occupations, je ne lui ai répondu qu’une fois, et je ne sais même pas s’il a reçu ma lettre. Sa mort m’a beaucoup affligé.

   Maintenant, nous honorons tous sa mémoire, c’est dire la profondeur des sentiments que son exemple nous inspire. Nous devons apprendre de lui ce parfait esprit d’abnégation. Ainsi, chacun pourra devenir très utile au peuple.

   Qu’on soit plus ou moins capable, il suffit de posséder cet esprit pour être un homme aux sentiments nobles, intègres, un homme d’une haute moralité, détaché des intérêts mesquins, un homme utile au peuple.

=>Oeuvres de Mao Zedong

Mao Zedong sur la contradiction : l’identité des contraires

Mao Zedong constate également une chose qui peut surprendre. En parlant des aspects de la contradiction, il en souligne l’unité. On pourrait se dire qu’il vaudrait mieux noter leur affrontement. Seulement, ce serait là aboutir au caractère indépendant, isolé d’un aspect de la contradiction – ce qui est impossible.

Mao Zedong explique cela dans un passage important :

« L’identité, l’unité, la coïncidence, l’interpénétration, l’imprégnation réciproque, l’interdépendance (ou bien le conditionnement mutuel), la liaison réciproque ou la coopération mutuelle – tous ces termes ont la même signification et se rapportent aux deux points suivants : premièrement, chacun des deux aspects d’une contradiction dans le processus de développement d’une chose ou d’un phénomène présuppose l’existence de l’autre aspect qui est son contraire, tous deux coexistant dans l’unité ; deuxièmement, chacun des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans des conditions déterminées.

C’est ce qu’on appelle l’identité (…).

Les aspects contradictoires dans tous processus s’excluent l’un l’autre, sont en lutte l’un contre l’autre et s’opposent l’un à l’autre.

Dans le processus de développement de toute chose comme dans la pensée humaine, il y a de ces aspects contradictoires, et cela sans exception. Un processus simple ne renferme qu’une seule paire de contraires, alors qu’un processus complexe en contient davantage.

Et ces paires de contraires, à leur tour, entrent en contradiction entre elles. C’est ainsi que sont constituées toutes les choses du monde objectif et toutes les pensées humaines, c’est ainsi qu’elles sont mises en mouvement.

Puisqu’il en est ainsi, les contraires sont loin d’être à l’état d’identité et d’unité ; pourquoi parlons-nous alors de leur identité et de leur unité ?

C’est que les aspects contradictoires ne peuvent exister isolément, l’un sans l’autre. Si l’un des deux aspects opposés, contradictoires, fait défaut, la condition d’existence de l’autre aspect disparaît aussi. »

Mao Zedong, De la contradiction

Sans un aspect, il n’y a pas l’autre, sans ces deux aspects il n’y a plus de mouvement, et sans mouvement plus de phénomène, plus de matière en mouvement. Ce qui existe relève donc de l’unité, et cette unité est relative.

Toutefois, ce n’est pas tout : dans le mouvement dialectique, où le nouveau triomphe de l’ancien, il y a conversion d’un aspect en l’autre.

Mao Zedong formule cela ainsi :

« La question ne se limite pas au fait que les deux aspects de la contradiction se conditionnent mutuellement ; ce qui est encore plus important, c’est qu’ils se convertissent l’un en l’autre. Autrement dit, chacun des deux aspects contradictoires d’un phénomène tend à se transformer, dans des conditions déterminées, en son opposé, à prendre la position qu’occupé son contraire (…).

Tous les contraires sont liés entre eux ; non seulement ils coexistent dans l’unité dans des conditions déterminées, mais ils se convertissent l’un en l’autre dans d’autres conditions déterminées, tel est le plein sens de l’identité des contraires (…).

L’unité ou l’identité des aspects contradictoires d’une chose ou d’un phénomène qui existe objectivement n’est jamais morte, pétrifiée, mais vivante, conditionnée, mobile, passagère, relative ; tout aspect contradictoire se convertit, dans des conditions déterminées, en son contraire.

Et le reflet de cela dans la pensée humaine, c’est la conception marxiste, matérialiste-dialectique, du monde.

Seules les classes dominantes réactionnaires d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que les métaphysiciens qui sont à leur service, considèrent les contraires non comme vivants, conditionnés, mobiles, se convertissant l’un en l’autre, mais comme morts, pétrifiés, et ils propagent partout cette fausse conception pour égarer les masses populaires afin de pouvoir perpétuer leur domination. »

Mao Zedong, De la contradiction

Contrairement à ce que pensent ceux qui ne saisissent pas la substance de cela, il n’y a pas « destruction » mais dépassement au sein de la contradiction. Le mode de production capitaliste est dépassé ; le socialisme profite de cette étape historique relative. Il y a conversion de la matière du mode de production capitaliste en base pour le socialisme.

La bourgeoisie devient une classe dominée, alors qu’elle était dominante, et la classe ouvrière passe dominée à dominante.

Cela amène à comprendre le sens du concept d’antagonisme. En l’occurrence, entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, il y a antagonisme à l’époque du mode de production capitaliste.

Toutefois, pour d’autres phénomènes, le mouvement dialectique peut se développer différement.

Ainsi, Mao Zedong affirme-t-il :

« Nous devons étudier d’une manière concrète les différentes situations dans lesquelles se trouve la lutte des contraires et éviter d’appliquer hors de propos à tous les phénomènes le terme mentionné ci-dessus.

Les contradictions et la lutte sont universelles, absolues, mais les méthodes pour résoudre les contradictions, c’est-à-dire les formes de lutte, varient selon le caractère de ces contradictions : certaines contradictions revêtent le caractère d’un antagonisme déclaré, d’autres non.

Suivant le développement concret des choses et des phénomènes, certaines contradictions primitivement non antagonistes se développent en contradictions antagonistes, alors que d’autres, primitivement antagonistes, se développent en contradictions non antagonistes. »

Mao Zedong, De la contradiction

Cela demande une capacité très importante d’analyse du phénomène ; il faut en suivre le processus, à chaque étape, pour en cerner non seulement les deux aspects, mais aussi la dimension antagonique.

De la contradiction est, à ce titre, un manuel incontournable, aux enseignements fondamentaux pour comprendre le matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : discerner les aspects

Il est une chose qu’il ne faut jamais perdre de vue : le matérialisme dialectique considère que tout mouvement est une contradiction ; or, qui dit contradiction dit deux aspects.

Cela signifie que pour comprendre la contradiction, il faut parfaitement connaître les deux aspects, et non simplement un, ni même la « contradiction » comme forme abstraite.

Sans ces aspects, on rate la dimension concrète du mouvement, qui repose justement sur la dialectique propre aux deux aspects pris spécifiquement. D’où cet appel à porter toute son attention sur le caractère propre aux deux aspects d’une contradiction en particulier :

« Pour faire apparaître le caractère spécifique des contradictions considérées dans leur ensemble ou dans leur liaison mutuelle au cours du processus de développement d’une chose ou d’un phénomène, c’est-à-dire pour faire apparaître l’essence du processus, il faut faire apparaître le caractère spécifique des deux aspects de chacune des contradictions dans ce processus ; sinon, il sera impossible de faire apparaître l’essence du processus ; cela aussi exige la plus grande attention dans notre étude. »

Mao Zedong, De la contradiction

Si on ne fait pas cela, quelles sont les conséquences ? On rate la réalité, on pratique une analyse abstraite, car coupée des faits, du mouvement réel. C’est là un idéalisme qui se masque derrière un discours pseudo-scientifique, pour cacher qu’il évite les faits, qu’il n’affronte pas l’essence réel du phénomène.

C’est un discours vain, qui tourne en rond, qui s’auto-nourrit et se répète, sans aucune consistance. Sa nature stérile, desséchée, ne peut bien entendu plus échapper à personne, alors que la réalité se modifie.

Mao Zedong parle également d’une attitude fondamentalement erronée, consistant à être unilatéral, parce qu’on oublie ou nie certaines parties de la réalité. On est là dans le subjectivisme, qui nie justement les interrelations entre les phénomènes, prétendant passer au-dessus d’elles, pouvoir agir sur la réalité sans les prendre en compte.

Encore une fois, ici on a la perspective de la totalité. Tout est relié à tout, et même si on ne peut pas connaître toutes les médiations et inter-relations des phénomènes, on peut cerner les principaux aspects, comprendre la tendance, et même le mouvement général.

Cela demande un travail de fond, une connaissance de la nature dialectique de la matière elle-même. Il ne s’agit pas d’une « méthode » dialectique, mais de la saisie de la réalité telle qu’elle est. Mao Zedong affirme de manière parfaitement juste :

« Dans leur être objectif, les choses sont en fait liées les unes aux autres et possèdent des lois internes ; or, il est des gens qui, au lieu de refléter les choses telles qu’elles sont, les considèrent d’une manière unilatérale ou superficielle, sans connaître leur liaison mutuelle ni leurs lois internes ; une telle méthode est donc subjective. »

Mao Zedong, De la contradiction

C’est d’autant plus faux que d’être unilatéral que, dans le processus de résolution de la contradiction principale, les contradictions secondaires changent : certaines se résolvent, d’autres s’accentuent, certaines apparaissent, d’autres semblent avoir disparues mais en fait c’est seulement de manière temporaire, etc.

Ne pas saisir la multiplicité des contradictions dans un phénomène peut avoir de graves conséquences, et faire perdre de vue la contradiction principale.

Mao Zedong donne l’exemple de la révolution chinoise, avec justement une présentation des interrelations historiques comprises par le Parti Communiste de Chine, dans le cadre de la situation concrète. Il présente également la juste analyse de Staline dans les Principes du léninisme.

Il en revient cependant toujours à la dimension générale, à la conception générale du matérialisme dialectique, n’hésitant pas à constater que :

« Comme les choses et les phénomènes sont d’une prodigieuse diversité et qu’il n’y a aucune limite à leur développement, ce qui est universel dans tel contexte peut devenir particulier dans un autre. Inversement, ce qui est particulier dans tel contexte peut devenir universel dans un autre. »

Mao Zedong, De la contradiction

Cela rend bien entendu difficile l’approche des phénomènes ; il faut se rappeler cependant qu’il ne s’agit jamais d’une vue « neutre », concept bourgeois par excellence : une analyse concrète se fonde toujours, et ne peut que se fonder que sur le nouveau, sur ce qui naît.

Le communisme ne peut être compris que d’un point de vue prolétarien ; le matérialisme dialectique ne saurait être employé sans être à l’avant-garde du processus révolutionnaire.

Il ne s’agit pas d’une question de choix subjectif, mais de se situer au bon endroit, afin que sa pensée reflète la réalité de manière adéquate.

C’est pour cela que Mao Zedong enseigne qu’il est nécessaire, en quelque sorte, de bien discerner les aspects et de savoir faire le tri. Mao Zedong prend l’exemple de l’histoire chinoise ; l’analyse matérialiste dialectique de l’histoire chinoise ne pouvait réussir qu’en se fondant sur le point suivant :

« Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions ; l’une d’elles est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux (…).

Dans toute contradiction, les aspects contradictoires se développent d’une manière inégale. Il semble qu’il y ait parfois équilibre entre eux, mais ce n’est là qu’un état passager et relatif ; la situation fondamentale, c’est le développement inégal. Des deux aspects contradictoires, l’un est nécessairement principal, l’autre secondaire. Le principal, c’est celui qui joue le rôle dominant dans la contradiction.

Le caractère des choses et des phénomènes est surtout déterminé par cet aspect principal de la contradiction, lequel occupe la position dominante.

Mais cette situation n’est pas statique ; l’aspect principal et l’aspect secondaire de la contradiction se convertissent l’un en l’autre et le caractère des phénomènes change en conséquence.

Si, dans un processus déterminé ou à une étape déterminée du développement de la contradiction, l’aspect principal est A et l’aspect secondaire B, à une autre étape ou dans un autre processus du développement, les rôles sont renversés ; ce changement est fonction du degré de croissance ou de décroissance atteint par la force de chaque aspect dans sa lutte contre l’autre au cours du développement du phénomène (…).

Rien au monde ne se développe d’une manière absolument égale, et nous devons combattre la théorie du développement égal ou la théorie de l’équilibre. »

Mao Zedong, De la contradiction

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Mao Zedong sur la contradiction : chaque branche de la science touche un type de mouvement

Connaître le mouvement, c’est connaître la matière. Connaître un mouvement en particulier, c’est connaître un phénomène en particulier. S’il y a des choses différentes, c’est parce que leur mouvement est différent.

Voici ce qu’explique Mao Zedong, dans un passage très important :

« Toute forme de mouvement contient en soi ses propres contradictions spécifiques, lesquelles constituent cette essence spécifique qui différencie une chose des autres. C’est cela qui est la cause interne ou si l’on veut la base de la diversité infinie des choses dans le monde.

Il existe dans la nature une multitude de formes du mouvement : le mouvement mécanique, le son, la lumière, la chaleur, l’électricité, la dissociation, la combinaison, etc.

Toutes ces formes du mouvement de la matière sont en interdépendance, mais se distinguent les unes des autres dans leur essence.

L’essence spécifique de chaque forme de mouvement est déterminée par les contradictions spécifiques qui lui sont inhérentes. Il en est ainsi non seulement de la nature, mais également des phénomènes de la société et de la pensée. Chaque forme sociale, chaque forme de la pensée contient ses contradictions spécifiques et possède son essence spécifique. »

Mao Zedong, De la contradiction

Il en ressort qu’il n’y a qu’une science, le matérialisme dialectique, se divisant en branches consistant en une attention portée sur tel ou tel type de mouvement. Mao Zedong définit cela de la manière suivante :

« Les contradictions propres à la sphère d’un phénomène donné constituent l’objet d’étude d’une branche déterminée de la science.

Par exemple, le + et le — en mathématiques ; l’action et la réaction en mécanique ; l’électricité positive et négative en physique ; la combinaison et la dissociation en chimie ; les forces productives et les rapports de production, la lutte entre les classes dans les sciences sociales ; l’attaque et la défense dans la science militaire ; l’idéalisme et le matérialisme, la métaphysique et la dialectique en philosophie – tout cela constitue les objets d’étude de différentes branches de la science en raison justement de l’existence de contradictions spécifiques et d’une essence spécifique dans chaque branche. »

Mao Zedong, De la contradiction

Comme on le voit, la détermination d’une branche scientifique dépend non pas de l’approche intellectuelle, mais de la reconnaissance de tel ou tel type de mouvement.

Or, pour reconnaître tel ou type de mouvement, il faut déjà maîtriser le matérialisme dialectique.

Sans connaître le matérialisme dialectique en général, on ne peut pas connaître les phénomènes en particulier ; inversement, il faut se confronter aux contradictions spécifiques aux phénomènes et non pas en rester au général.

D’ailleurs, on ne saurait comprendre le matérialisme dialectique en général, sans connaître un mouvement dialectique en particulier, qui porte la connaissance du général dans son statut de spécifique, de particulier.

Chaque mouvement dialectique est spécifique, mais porte la dialectique en général. Mao Zedong précise la chose de la manière suivante :

« Faute de connaître ce qu’il y a d’universel dans les contradictions, il est impossible de découvrir les causes générales ou les bases générales du mouvement, du développement des choses et des phénomènes.

Mais si l’on n’étudie pas ce qu’il y a de spécifique dans les contradictions, il est impossible de déterminer cette essence spécifique qui distingue une chose des autres, impossible de découvrir les causes spécifiques ou les bases spécifiques du mouvement, du développement des choses et des phénomènes, impossible par conséquent de distinguer les choses et les phénomènes, de délimiter les domaines de la recherche scientifique.

Si l’on considère l’ordre suivi par le mouvement de la connaissance humaine, on voit que celle-ci part toujours de la connaissance du particulier et du spécifique pour s’élargir graduellement jusqu’à atteindre celle du général. Les hommes commencent toujours par connaître d’abord l’essence spécifique d’une multitude de choses différentes avant d’être en mesure de passer à la généralisation et de connaître l’essence commune des choses.

Quand ils sont parvenus à cette connaissance, elle leur sert de guide pour étudier plus avant les différentes choses concrètes qui n’ont pas encore été étudiées ou qui l’ont été insuffisamment, de façon à trouver leur essence spécifique ; c’est ainsi seulement qu’ils peuvent compléter, enrichir et développer leur connaissance de l’essence commune des choses et l’empêcher de se dessécher ou de se pétrifier.

Ce sont là les deux étapes du processus de la connaissance : la première va du spécifique au général, la seconde du général au spécifique. Le développement de la connaissance humaine représente toujours un mouvement en spirale et (si l’on observe rigoureusement la méthode scientifique) chaque cycle élève la connaissance à un degré supérieur et sans cesse l’approfondit. »

Mao Zedong, De la contradiction

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Mao Zedong sur la contradiction : la différence elle-même constitue une contradiction

De la contradiction de Mao Zedong a particulièrement marqué les esprits; sa force a été particulièrement reconnue. Pourtant le matérialisme dialectique était déjà l’idéologie largement diffusée depuis l’URSS, alors pourquoi l’œuvre fut-elle si marquante ?

La raison en est que le document de Mao Zedong est particulièrement clair, la dialectique y est présentée de manière très vivante.

Il y a de véritables sentences, qui résume admirablement la conception communiste. Voici un exemple de comment Mao Zedong assène les vérités du matérialisme dialectique:

« Dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin. »

Non seulement le mouvement dialectique est partout – puisque toute la réalité est matérielle – mais en plus le mouvement dialectique est complet. C’est cela qui a frappé, lorsque l’œuvre fut diffusée dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, au sein de tout le Mouvement Communiste International.

Le Capital de Marx avait pareillement marqué les esprits, de par sa capacité à saisir les différents aspects du mode de production capitaliste. La description que fait Karl Marx est vivante, on lit véritablement le processus. C’est cela que souligne Mao Zedong, systématisant les enseignements de Lénine. Mao Zedong explique ainsi :

« Lénine souligne que Marx, dans Le Capital, a donné un modèle d’analyse du mouvement contradictoire qui traverse tout le processus de développement d’une chose, d’un phénomène, du début à la fin. C’est la méthode à employer lorsqu’on étudie le processus de développement de toute chose, de tout phénomène. »

Le matérialisme dialectique était déjà mis en avant par l’URSS, mais la position était plus celle de l’observation scientifique, dans le sens où Mao Zedong, à l’inverse, porte son attention sur les questions spécifiques du mouvement dialectique, sur l’étude des cas concrets.

Gonzalo, dirigeant du Parti Communiste du Pérou, a admirablement compris cela ; il donne de nombreux exemples, comme lorsqu’il affirme que la peur est une contradiction. La perspective ouverte par Mao est réellement celle d’une étude très concrète des contradictions ; c’est une école de la dialectique.

Cette école a, par définition, une nature ininterrompue, car à partir du moment où il y a un cerveau comme matière grise, comme caisse de résonance de la réalité, le processus est lancé. Dans De la contradiction, Mao Zedong cite ici Friedrich Engels :

« Nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contradictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaître, intérieurement infinie, et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, – tout au moins dans le progrès sans fin. »

On pourrait, peut-être, penser qu’il y a identité entre la connaissance et l’humanité en tant que telle, puisque, après tout, la série des générations consiste en l’humanité.

Cela serait ici une erreur, car il existe bien entendu une différence entre le concept d’humanité en général et les individus apparaissant au fur et à mesure ; tous les individus appartiennent à l’humanité et sont des produits historiques, mais ils sont relativement différents de par leur place dans l’espace et le temps.

C’est cette différence qu’il faut saisir, car elle est en fait une contradiction. Elle est ici entre les dirigeants révolutionnaires et les masses – Mao Zedong développera le principe de la pensée-guide – mais dans tous les cas, discerner c’est déjà établir des interrelations qui, par définition, obéissent à la loi de la contradiction puisqu’elles existent.

Mao Zedong souligne bien :

« Dans toute différence il y a déjà une contradiction et que la différence elle-même constitue une contradiction. »

Et, de fait, comme tout ce qui est est par la contradiction, alors on peut dire comme le fait Mao Zedong :

« Il n’est rien qui ne contienne des contradictions. Sans contradictions, pas d’univers. »

Bien entendu, ici l’évolutionnisme vulgaire pourrait prétendre admettre les contradictions, mais en niant le caractère unitaire du processus, ne reconnaissant qu’un Univers décousu, avec des contradictions locales n’ayant pas de signification en tant que totalité.

Cela apparaît d’autant plus impossible pour l’évolutionnisme vulgaire que le matérialisme dialectique affirme à la fois le caractère unitaire de l’Univers et son caractère infini. Cela dépasse littéralement l’idéologie bourgeoise, aussi « progressiste » qu’elle puisse prétendre être.

On touche ici la question de la détermination : pour le matérialisme dialectique, tout est déterminé, il n’y a pas de hasard. Tout obéit aux lois du mouvement dialectique, par essence même, et il n’y a rien d’autre, absolument rien d’autre. 

Mao Zedong résume cela de manière nette :

« Dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement, le mouvement de la matière revêtant d’ailleurs toujours des formes déterminées. »

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Qu’en fait, même, ce qui distingue la matière d’une autre matière c’est justement le mouvement, parce que chaque mouvement a comme base la matière et que donc deux phénomènes matériels se distinguent matériellement, mais également voire en fait réellement par le mouvement.

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Mao Zedong sur la contradiction : une totalité, un processus complet

Le matérialisme dialectique est une science et il est donc tout à fait normal d’en parler comme d’une découverte. C’est même la science absolue, qui touche tous les aspects de la vie ; c’est la clef pour la compréhension générale de la nature et de la société, de tous les phénomènes.

Mao Zedong rappelle de la manière suivante ce qu’est l’idéologie communiste :

« Depuis la découverte de la conception matérialiste-dialectique du monde par les grands fondateurs et continuateurs du marxisme, Marx, Engels, Lénine et Staline, la dialectique matérialiste a été appliquée avec le plus grand succès à l’analyse de nombreux aspects de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle, ainsi qu’à la transformation de nombreux aspects de la société et de la nature (par exemple en U.R.S.S.) ; l’universalité de la contradiction est donc déjà largement reconnue et nous n’aurons pas besoin de l’expliquer longuement. »

Mao Zedong, De la contradiction

Ce qui est marquant ici, c’est que Mao Zedong affirme une chose qui, inversement, est méconnue ou refusée en Europe de l’Ouest. L’universalité de la question n’a jamais été en tant que tel réellement assumée par les Partis Communistes en Europe de l’Ouest.

L’un des grands exemples est l’italien Antonio Gramsci, considéré comme un grand intellectuel communiste des années 1920-1930 par les progressistes en Europe de l’Ouest, ainsi que par la bourgeoisie. Antonio Gramsci, de fait, considérait que le matérialisme dialectique était secondaire, que c’était peut-être vrai, mais peut-être faux, et qu’au final cela ne comptait pas ; le matérialisme historique suffirait.

Une telle attitude libérale est extrêmement choquante du point de vue communiste, et cela en dit long sur la nature des communistes d’Europe de l’Ouest des annés 1920-1950, dont le rapport au matérialisme dialectique fut ambivalent, ambigu, réticent, hostile, etc.

Le triomphe de la révolution chinoise tient, à l’inverse, à la reconnaissance de l’universalité de la contradiction par les communistes de Chine et à leur tête Mao Zedong.

Le principe du matérialisme dialectique est absolu. Il ne s’agit pas simplement de constater qu’il y a un processus contradictoire : tout processus est contradictoire. Tout mouvement est contradiction, et inversement.

Mao dit donc :

« L’universalité ou le caractère absolu de la contradiction a une double signification: la première est que les contradictions existent dans le processus de développement de toute chose et de tout phénomène; la seconde, que, dans le processus de développement de chaque chose, de chaque phénomène, le mouvement contradictoire existe du début à la fin. »

Mao Zedong, De la contradiction

Mao Zedong cite ici Friedrich Engels et Lénine, afin de vraiment appuyer la compréhension de cette question. La contradiction n’est pas partielle, elle n’existe pas à côté d’autre chose. Elle est un processus totalitaire, englobant toute la réalité ; rien ne peut lui échapper.

Quand la bourgeoisie dénonce les « totalitarismes », elle attaque en fait le principe même de totalité, de processus complet. C’est là une importante clef idéologique.

La bourgeoisie considère que l’être humain est isolé, indépendant, il peut « penser ». Pour le matérialisme dialectique, la pensée est le reflet de la réalité, à des degrés plus ou moins synthétisés.

Inévitablement, Mao Zedong rappelle donc la conception matérialiste dialectique du reflet : tous les concepts forgés par notre pensée ne sont que des reflets des processus ayant lieu dans la réalité. Il résume cela ainsi:

« Il convient de considérer toute différence dans nos concepts comme le reflet de contradictions objectives.

La réflexion des contradictions objectives dans la pensée subjective forme le mouvement contradictoire des concepts, stimule le développement des idées, résout continuellement les problèmes qui se posent à la pensée humaine. »

Mao Zedong, De la contradiction

La pensée et ses formes n’existent qu’en tant que reflets et le rapport entre réalité objective et pensée individuelle, subjective, est nécessairement lui-même dialectique. Les concepts scientifiques se forgent donc au cours du processus ; c’est cela qui justifie le passage, par exemple, du marxisme au marxisme-léninisme.

On ne peut pas penser en-dehors d’un processus, d’un phénomène, et ce qu’on pense reflète, à différents degrés, le processus, le phénomène. On voit ici le degré de compréhension totale du matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : causes internes et causes externes

Le matérialisme dialectique a une signification universelle. La dialectique est la loi de la matière, de toute la matière, de tous les phénomènes matériels (et il n’y a que des phénomènes matériels).

Or, la société humaine est un phénomène matériel, et par conséquent elle possède une contradiction interne. C’est la conclusion logique de ce qui a été expliqué précédemment.

Voici donc ce que déduit Mao Zedong :

« Selon le point de vue de la dialectique matérialiste, les changements dans la nature sont dus principalement au développement de ses contradictions internes.

Ceux qui interviennent dans la société proviennent surtout du développement des contradictions à l’intérieur de la société, c’est-à-dire des contradictions entre les forces productives et les rapports de production, entre les classes, entre le nouveau et l’ancien. Le développement de ces contradictions fait avancer la société, amène le remplacement de la vieille société par la nouvelle. »

Mao Zedong, De la contradiction

On a là de nouveau ce que Mao Zedong souligne : on ne peut saisir la réalité qu’en se plaçant dans le mouvement du nouveau contre l’ancien. Sans cela, on a un point de vue erroné, car séparé du développement, et donc non porté par lui.

Au sein d’une société, la production et la reproduction de la vie sociale, des moyens de vivre, établissent des contradictions qui elles-mêmes amènent des changements.

Alors qu’aujourd’hui nous pouvons bien mieux saisir le rapport entre la nature et la société, leurs interrelations, nous pouvons accorder toute notre attention à ce que Mao Zedong a expliqué sur le rapport entre causes internes et causes externes.

Un phénomène, en effet, n’existe pas indépendamment du reste. Un changement dépend toujours de son environnement. Rien n’est plus faux ici que la conception subjectiviste présentant le marxisme comme une science applicable par une humanité toute puissante, ayant pour ainsi dire une capacité divine.

L’anthropocentrisme est une grave déviation, qui nie les interrelations au sein des phénomènes et le caractère unique de l’univers. Comprendre la dialectique des interrelations, c’est saisir les phénomènes dans leur cadre concret.

Voilà pourquoi Mao zedong précise :

« La dialectique matérialiste exclut-elle les causes externes? Nullement. Elle considère que les causes externes constituent la condition des changements, que les causes internes en sont la base, et que les causes externes opèrent par l’intermédiaire des causes internes. »

Cette question de la condition des changements est primordiale; elle est au cœur du refus de l’idéalisme, du cosmopolitisme, etc. qui nient la réalité générale au nom de contradictions internes arbitrairement séparées de la réalité.

Bien entendu, Mao Zedong ne cesse de souligner la dimension pratique, c’est logique puisque le matérialisme considère que c’est la matière qui compte et que celle-ci est toujours en mouvement.

Il ne s’agit pas pourtant du tout, comme on peut le penser de manière erronée, de pragmatisme. C’est une erreur récurrente de gens se prétendant parfois même maoïste, mais ne comprenant pas du tout Mao Zedong en réalité.

Pourquoi cela ? Bien sûr parce que c’est une question liée au matérialisme. La réalité ne saurait être comprise abstraitement et passivement ; il est nécessaire d’être partie prenante du processus. Le matérialisme dialectique affirme que tout est un seul processus lui-même composé de multiples processus, et que donc il faut participer au processus pour en saisir la signification.

Mao Zedong souligne ainsi que le matérialisme dialectique ne peut être compris que justement parce que le processus révolutionnaire est lancé en Chine. Voici comment Mao Zedong exprime cela, à la toute fin du premier chapitre.

« Dès qu’elle pénétra en Chine, elle provoqua d’immenses changements dans la pensée chinoise.

La conception dialectique du monde nous apprend surtout à observer et à analyser le mouvement contradictoire dans les différentes choses, les différents phénomènes, et à déterminer, sur la base de cette analyse, les méthodes propres à résoudre les contradictions. C’est pourquoi la compréhension concrète de la loi de la contradiction inhérente aux choses et aux phénomènes est pour nous d’une importance extrême. »

Mao Zedong, De la contradiction

Or, ceux qui ont une conception erronée inversent cette conception. Ils pensent que la pratique fait la réalité, alors que c’est la réalité qui impulse la pratique, justement parce que les conditions concrètes permettent aux contradictions internes de s’exprimer.

Les esprits pragmatiques s’imaginent trouver dans les enseignements de Mao Zedong des « recettes », des formules pratiques, des outils, etc. Cela n’a rien à voir avec le matérialisme dialectique.

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Mao Zedong sur la contradiction : rien n’est isolé

Mao Zedong ne serait pas, en quelque sorte, aussi inquiet dans De la contradiction, si ne faisait face au matérialisme dialectique que ce qu’il appelle « un idéalisme réactionnaire patent ». Il y a également un « évolutionnisme vulgaire » qui a été lancé par la bourgeoisie, pour contrer le matérialisme dialectique.

Cela signifie que les choses se compliquent : il n’est pas aussi simple que cela d’être matérialiste, dans la mesure où l’on peut justement être contaminé par cet évolutionnisme vulgaire. Mao Zedong présente de la manière suivante la base idéologique de ce dernier :

« La métaphysique, ou l’évolutionnisme vulgaire, considère toutes les choses dans le monde comme isolées, en état de repos ; elle les considère unilatéralement.

Une telle conception du monde fait regarder toutes les choses, tous les phénomènes du monde, leurs formes et leurs catégories comme éternellement isolés les uns des autres, comme éternellement immuables. Si elle reconnaît les changements, c’est seulement comme augmentation ou diminution quantitatives, comme simple déplacement.

Et les causes d’une telle augmentation, d’une telle diminution, d’un tel déplacement, elle ne les fait pas résider dans les choses ou les phénomènes eux-mêmes, mais en dehors d’eux, c’est-à-dire dans l’action de forces extérieures. »

Mao Zedong, De la contradiction

Il y a là quelque chose d’essentiel. Pour le matérialisme dialectique, les concepts et catégories ne sont que relatifs, car tout se transforme et chaque chose se transforme dans un ensemble, une totalité : l’Univers, lui-même en transformation.

Il n’y a donc pas de « briques » éternelles constituant la réalité. La réalité est un système dont chaque élément se transforme, tout comme l’ensemble.

L’évolutionnisme vulgaire a quant à lui une vision quantitative du monde, alors que le matérialisme dialectique a une vision qualitative. 

L’évolutionnisme vulgaire considère que le monde est fait de « briques » se rencontrant et se confrontant, que c’est là la source de tout changement possible, alors que Mao Zedong inversement souligne la « thèse de la dialectique matérialiste selon laquelle le développement des choses et des phénomènes est suscité par leurs contradictions internes ».

Le principe de la contradiction est en effet le moteur de la matière, le moteur interne, faisant qu’absolument rien ne puisse être statique est isolé.

On a coutume de résumer la conception formulée par Mao Zedong par « Un devient deux » ; en Chine populaire à l’époque de Mao Zedong, on disait également « Rien n’est indivisible ». Le rétablissement de cette connaissance, assumée en tant que telle, n’a pu être permise que par le PCF(mlm).

L’une des erreurs classiques, notamment en France justement, est de pratiquer l’évolutionnisme vulgaire en s’imaginant être marxiste.

Or, il ne s’agit pas simplement de regarder un phénomène et d’en rechercher le moteur interne. Il faut également saisir la nature de ce phénomène, son interrelation avec les autres phénomènes.

Ce point est considéré, paradoxalement, comme de la « métaphysique » par les évolutionnistes vulgaires se prétendant marxiste !

En réalité, ne pas saisir les interrelations, c’est en revenir aux « briques » séparées formant la réalité, même si on emprunte au matérialisme dialectique le principe du moteur interne.

Car pour le matérialisme dialectique, les deux aspects formant le moteur d’un phénomène ne sauraient exister de manière « indépendante ». C’est tout le principe d’indépendance que remet fondamentalement en cause le matérialisme dialectique.

Cela ne remet pas en cause que le moteur soit la contradiction interne ; il s’agit simplement de saisir qu’un processus dialectique n’existe pas indépendamment des autres processus, même s’il a sa dynamique propre justement avec son saut qualitatif.

Mao Zedong affirme donc :

« La conception matérialiste-dialectique veut que l’on parte, dans l’étude du développement d’une chose ou d’un phénomène, de son contenu interne, de ses relations avec d’autres choses ou d’autres phénomènes, c’est-à-dire que l’on considère le développement des choses ou des phénomènes comme leur mouvement propre, nécessaire, interne, chaque chose, chaque phénomène étant d’ailleurs, dans son mouvement, en liaison et en interaction avec les autres choses, les autres phénomènes qui l’environnent. »

Mao Zedong, De la contradiction

Ces mots, « étant d’ailleurs », sont d’une signification essentielle pour comprendre le matérialisme dialectique. L’Univers est un, il est un ensemble, sa réalité est une. L’évolutionnisme vulgaire pseudo-marxiste le décompose pourtant de manière arbitraire, en prenant certains bouts pour les « interpréter » de manière faussement matérialiste.

C’est notamment le « matérialisme historique » qui a pu être ici prétexte à une escroquerie bourgeoise, en étant séparé du matérialisme dialectique, avec des éléments historiques pris au hasard et expliqués de manière subjectiviste et idéaliste, mais avec un vocabulaire pseudo-marxiste. Il manquait toujours la liaison avec l’ensemble, avec le mouvement d’ensemble.

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Mao Zedong sur la contradiction : en défense du matérialisme dialectique

« Nous parlons souvent du « remplacement de l’ancien par le nouveau ». Telle est la loi générale et imprescriptible de l’univers. »

« La connaissance de la matière par l’homme, c’est la connaissance de ses formes de mouvement, étant donné que, dans le monde, il n’y a rien d’autre que la matière en mouvement. »

C’est en août 1937, dans la base rouge du Yenan, que Mao Zedong a écrit une œuvre d’une importance capitale pour le matérialisme dialectique : De la contradiction. Le contenu en fut expliqué à l’Université anti-japonaise, ayant une nature politico-militaire, puis révisé pour publication. L’œuvre devint un classique, étant produit par la révolution chinoise et permettant à la révolution démocratique chinoise de disposer d’un fondement solide : une juste compréhension du matérialisme dialectique.

De la contradiction fut immensément appréciée également dans les autres pays; il s’agit d’une œuvre explicative d’une très grande portée, présentant la substance du matérialisme dialectique d’une manière parfaitement lisible et avec un grand esprit de conséquence.

C’était à la fois une introduction au matérialisme dialectique, et en même temps une formidable synthèse ; Mao Zedong a réalisé cette étude en procédant à la formation de six chapitres, dont la liaison interne est à comprendre pour en saisir la perspective.

Le problème est déjà naturellement que si tout est dialectique, alors ce qu’on explique l’est aussi. Comment alors faire comprendre ce qu’on explique, puisqu’on ce qu’on explique est déjà dans l’explication elle-même ? 

Pour résoudre de manière productive cette problématique, Mao Zedong procède de la manière suivante.

La première étape est une simple constatation : il existe deux manières de voir les choses. Dans l’histoire de l’humanité jusqu’à présent, il y a l’idéalisme et le matérialisme, c’est-à-dire d’un côté le fait de séparer le corps et l’esprit, de l’autre le fait de ne pas le faire. L’idéalisme croit en un monde idéal et parallèle, non matériel c’est-à-dire spirituel, alors que le matérialisme considère que seule la matière existe.

Une fois qu’il a exposé cela, Mao Zedong présente le point de vue matérialiste, en expliquant le principe de la contradiction. C’est la base du matérialisme dialectique: le matérialisme ne peut pas être compris sans saisir la dialectique.

Pour cette raison, Mao Zedong montre d’abord la signification générale de la contradiction, sa valeur universelle, pour ensuite s’attarder sur la question de la nature spécifique de la contradiction, c’est-à-dire le fait que la contradiction, au-delà d’être un principe général, est vrai partout et qu’il faut donc saisir sa réalité dans chaque phénomène.

On a d’abord le principe, la substance, ensuite la constatation de cette substance dans chaque phénomène, puis un retour logique à la perspective générale. A ce titre, Mao Zedong continue d’affiner en faisant une distinction entre les contradictions au sein d’un même phénomène : il faut qu’il y en ait un qui prime. C’est ce qu’on appelle l’aspect principal.

Une fois cela fait, il a alors expliqué la contradiction en tant que réalité générale et il peut donc effectuer une synthèse en portant son attention sur la lutte et l’identité des deux aspects de la contradiction, c’est-à-dire la question de savoir à quel moment une contradiction amène un saut qualitatif, à travers un antagonisme.

Tel est le plan de l’œuvre, d’une discipline à toute épreuve.

Car le point de départ de Mao Zedong est le matérialisme dialectique, idéologie inscrite au cœur de l’Union Soviétique par Staline. On a ici l’expression d’une fidélité et d’une continuité.

C’est quelque chose de très erroné que l’attitude des mouvements étudiants des années 1960 en Europe de l’Ouest, qui ont opposé Mao Zedong à Staline, tout cela parce qu’ils ne connaissaient rien au matérialisme dialectique et à Staline, en raison de l’influence massive du révisionnisme et du social-impérialisme soviétique.

Mao Zedong est en pratique le produit des conditions concrètes de la Chine, mais avec comme moteur idéologique l’URSS de Staline.

Les premières phrases de De la contradiction se veulent un rappel immédiat de l’idéologie communiste définie par l’URSS de Staline :

« La loi de la contradiction inhérente aux choses, aux phénomènes, ou loi de l’unité des contraires, est la loi fondamentale de la dialectique matérialiste.

Lénine dit:

« Au sens propre, la dialectique est l’étude de la contradiction dans l’essence même des choses … ». »

Mao Zedong parle, en effet, dans ce document, en tant que dirigeant du Parti Communiste de Chine, et il se veut ici le garant de l’idéologie face aux déviationnistes. On est ici dans le cadre du mouvement communiste, où la défense de l’idéologie est primordiale ; une erreur idéologique est considérée comme ayant des conséquences infiniment graves, puisque c’est le Parti Communiste qui dirige la révolution : si ses analyses sont erronées, alors la révolution ne peut pas avancer.

On a ici affaire au primat de l’idéologie et Mao fait une présentation générale de la substance même du matérialisme dialectique, afin de le défendre.

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