PCE(r) : La critique contemplative (1986)

[L’article de 1 répond à une critique de la lutte armée dans la revue « Un monde à gagner » publiée par le Comité du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste, le regroupement maoïste international, Comité ne reflétant pas le point de vue de tous ses membres.]

novembre 1986

La polémique entamée au sein des milieux révolutionnaires en Europe occidentale, à propos des expériences les plus importantes de la lutte des classes de ces dernières années, dépasse largement ce cadre pour se transformer en un débat beaucoup plus général.

Un nombre toujours plus grand d’ouvriers, d’étudiants et d’autres démocrates s’intéressent à la discussion ouverte, et y participent même activement.

Différentes raisons motivent cet intérêt croissant, mais la principale d’entre elles – celle qu’il faut retenir – n’est autre que la persistance et l’élargissement qu’acquiert le mal dénommé « phénomène terroriste », c’est-à-dire l’incapacité des Etats impérialistes d’anéantir le mouvement de résistance populaire qui se soulève partout contre les mesures d’exploitation et d’oppression, et cela malgré l’arsenal de lois et de corps spéciaux dont ils se dotent.

C’est dans ce climat général et au milieu des expectatives qu’il crée, que l’ample débat dont nous venons de parler se déroule.

Naturellement, parmi la quantité de propositions, d’auto-critiques et de critiques plus ou moins sévères, de vieilles et de nouvelles idées, d’intentions sincères de redressement, etc. apparaît aussi de temps en temps, comme une voix étrangère, la critique de quelques intellectuels oiseux et infatués – de véritables pédants – qui n’ont fait et ne feront jamais autre chose que critiquer, en même temps qu’ils s’arrogent le droit d’enseigner aux autres ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire.

Une de ces voix grinçantes, celle d’un certain P. Becker, est descendue dans l’arène avec un article intitulé «La voie erronée de la guérilla urbaine en Europe occidentale», qui est paru dans le quatrième numéro de la revue «Un monde à gagner», l’organe de l’auto-proclamé «Mouvement Révolutionnaire Internationaliste».

Il serait long et ennuyeux d’aborder ici les abondantes interprétations tendancieuses, les omissions, et tous les lieux communs du répertoire de la presse bourgeoise la plus réactionnaire que ce texte renferme.

Voilà pourquoi nous ne nous arrêterons que sur les questions d’une grande actualité, que sur celles qui, à notre avis, revêtent un grand intérêt.

P. Becker commence son article en avouant son intention de mener «une critique décisive», destructrice, et cela à partir d’une prétendue position «scientifique» marxiste-léniniste, de ce qu’il n’hésite pas à qualifier de «continuelles déviations révisionnistes et réformistes» dans le mouvement révolutionnaire des pays d’Europe Occidentale.

Voyons comment il s’y prend:

«L’année dernière, en Europe Occidentale ont été commis une série d’actes de sabotage et d’assassinat, de l’explosion de bombes contre des objectifs de l’O.T.A.N. et contre des compagnies «ayant des rapports avec l’Afrique du Sud, jusqu’à «es épisodes plus dramatiques: l’élimination d’un général français et d’un fabricant d’armes ouest«allemand pendant l’hiver 1985».

Telles sont les «déviations révisionnistes et réformistes» (les «dramatiques» épisodes, les «sabotages et les assassinats») qui provoquent les réactions les plus incontrôlées de monsieur Becker.

On pourrait certainement supposer, ne fût-ce qu’un instant, qu’il s’agit seulement là d’un lapsus, d’un de ces mauvais tours que «les démons de l’inconscient» jouent souvent aux individus en son genre; cependant, le passage que nous venons de citer traduit l’expression la plus achevée de sa véritable position de classe.

Cette même position se manifeste, au fil de son long article, de multiples autres manières. Mais poursuivons son exposé:

« Dans certains pays – insiste plus loin Becker en citant une déclaration du M.R.I. – un petit nombre d’individus est passé au terrorisme, une ligne politique et idéologique qui ne s’appuie pas sur les «masses révolutionnaires et qui n’a pas une perspective correcte du renversement révolutionnaire de l’impérialisme.

Tandis qu’ils aiment apparaître comme très « révolutionnaires », ces mouvements terroristes ont intégré dans la plupart des cas, toute une série de déviations révisionnistes et réformistes, telle que « la lutte de libération » dans les pays impérialistes, la défense de l’U.R.S.S. impérialiste, et ainsi de suite.

Ces mouvements partagent avec l’économisme l’incapacité fondamentale de comprendre la centralité de la tâche d’élever la conscience politique des masses et de les guider à la lutte politique comme préparation pour la révolution. »

Voilà la synthèse de la critique portée au «terrorisme» par Becker, ainsi que la conception sur laquelle elle est fondée, et son programme politique. Mais il y a plus, d’après lui:

« dans les pays impérialistes les situations révolutionnaires ne sont pas habituelles: elles se présentent très rarement».

Dans de telles conditions de paix, de stabilité politique et de progrès général, Becker interroge:

« Comment une stratégie de guerre d’usure peut-elle mobiliser les masses pour la guerre révolutionnaire?»

Comme on peut le constater aisément, la réponse se trouve dans la question elle-même, et pour cette raison nous pensons que tout autre commentaire à ce sujet serait superflu.

Ce qu’il importe de souligner, c’est que cette vision idyllique de l’actuelle société bourgeoise – vision qui, nous aurons l’occasion de le vérifier, se changera immédiatement en vision catastrophiste –  n’empêche pas Becker de reconnaître que, dans les pays impérialistes, « émergeront inévitablement des situations révolutionnaires.»

Le fonctionnement même du système, pontifie Becker, « y compris les dynamiques qui le conduisent vers une guerre inter-impérialiste mondiale (…) précipiteront des milliers d’individus sur la scène de l’histoire.»

C’est à ce moment-là que les conditions pour l’insurrection seront créées, et que l’heure tant attendue aura sonné pour faire « un bond au moment fatidique ».

Pour écrire ce que nous venons de présenter, Becker a dû laisser de côté une donnée aussi flagrante et essentielle que la crise générale dans laquelle le monde capitaliste se débat actuellement; il a dû escamoter les préparatifs bellicistes que les impérialistes développent, ainsi que la montée des vagues de lutte révolutionnaire que l’on observe partout dans le monde.

Becker soutient que dans les pays capitalistes il n’y a pas de situation révolutionnaire, pour reconnaître aussitôt après que ces conditions «émergeront inévitablement». Il est clair que dans tous les cas il fait dépendre ces conditions du déclenchement – et nous supposons également du développement – d’une troisième guerre mondiale.

Toutes les idées de Becker tournent autour de cette conception. Celle-ci relève-t-elle du marxisme? Becker le prétend. Mao écrit: «Ou bien la révolution empêche la guerre, ou bien la guerre fera éclater la révolution. »

Et Becker, lui, écarte toute possibilité de révolution avant que n’éclate la guerre, et il nous laisse nus et impuissants face aux forces aveugles déchaînées par le capitalisme.

On pourrait objecter à la conclusion que nous venons d’exprimer, que Mao faisait allusion à la révolution dans des pays arriérés ou du Tiers-Monde; néanmoins, nous ne savons pas très bien comment ces derniers pourraient éviter la guerre sans l’alliance et l’appui des pays du «deuxième monde», comme le soutiennent les actuels dirigeants chinois. Comme on peut l’apprécier, cette thèse archi-révisionniste renferme tout au moins une certaine logique.

La conception du monde que nous désignons comme «catastrophiste», (un seul et indivisible monde, se dirigeant inéluctablement vers les abîmes de son auto-destruction), constitue la base idéologique des positions politiques de Becker.

D’après cette conception, il n’y a actuellement dans le monde qu’un seul système économico-social (le système impérialiste), et celui- ci s’achemine, poussé par la force d’inertie de ses contradictions internes, vers une nouvelle conflagration générale.

D’après cette même conception, les masses populaires des différents pays n’ont aucun rôle à jouer ici: les «millions d’individus» auxquels fait allusion Becker n’ayant pas encore été poussés «sur la scène de l’histoire» par la tendance historique (par la crise, l’impérialisme et les convulsions que celui-ci provoque). A ce qu’il paraît, les deux guerres mondiales et les révolutions qu’elles ont engendrées ont été des jeux d’enfants.

De plus, toujours selon Becker, la crise générale du système que ces deux guerres ont engendrée ne méritent même pas d’être prise en considération; et quant à la prochaine guerre que les milieux impérialistes les plus agressifs préparent, elle ne traduit pas plus une situation de crise aiguë du système et, en tout cas, les masses «révolutionnaires» devront attendre, tranquillement assises, que l’éclatement des bombes les pousse jusqu’à «la scène».

Et donc, aux dires de Becker, quand celles-là dégringoleront sur les pauvres têtes de celles-ci, le moment suprême (l’heure de l’insurrection) sonnera; mais entre-temps, les travailleurs de tous les pays, et en particulier ceux de l’Europe Occidentale – puisque c’est d’elle qu’il s’agit – ne peuvent rien faire pour empêcher cette guerre, ni en fomentant la révolution partout, ni en opposant la guerre révolutionnaire à la guerre impérialiste.

En réalité, ce que Becker et ceux de son espèce poursuivent, n’est autre que lier les mains des travailleurs et assurer l’arrière- garde de l’impérialisme, car si cet objectif n’était pas atteint, l’U.R.S.S. et les autres pays socialistes et progressistes se trouveraient dans de meilleures conditions pour affronter l’agression.

En «théorie» la position défendue par Becker appelle à la lutte contre les deux super-puissances et à se maintenir équidistants de celles-ci afin de pouvoir faire la révolution, mais, même en supposant que cette manière de penser contienne un dessein révolutionnaire sincère, la force des événements pousse souvent vers une des deux parties, précisément du côté des capitalistes, et cela, non seulement contre l’U.R.S.S. «impérialiste», mais aussi contre tous les pays et mouvements révolutionnaires.

Il n’est pas surprenant du tout de voir monsieur Becker couronner son article par une attaque furieuse dirigée contre la guérilla urbaine en Europe Occidentale, qualifiant celle-ci de «troupes de choc de Gorbatchev».

Que pourrait-on dire de lui et de ceux qui comme lui apportent continuellement de l’eau au moulin de l’impérialisme yankee?

LA THEOLOGIE DE L’INSURRECTION

Son mépris de la lutte armée organisée et l’apologie que Becker fait des explosions spontanées de la lutte des masses (qu’il considère lui-même comme «authentiquement révolutionnaires»), nous alerte – dès début de son article – sur ses véritables idées politiques:

« Un jour de révolte à Birmingham inflige aux impérialistes cent fois plus de dommages matériels que des années de leur guérilla urbaine – mais le dommage le plus important est sans doute le fait d’avoir porté des coups politiques et idéologiques à la bourgeoisie et ses prétentions à une société juste et satisfaisante – à côté desquels les actions des terroristes font pâle figure.»

Notre héros se place à une distance prudente du champ de bataille et d’un promontoire, il harangue les révolutionnaires organisés et les masses révoltées; il leur déclare: Abandonnez votre engagement, déposez les armes! Est-ce que vous ignorez que «le dommage le plus important» que l’on peut causer à la bourgeoisie est de lui porter «des coups politiques et idéologiques»?

D’un côté, les luttes spontanées, et de l’autre les «coups» politiques et idéologiques, telle est la plate-forme de l’économisme que Becker veut faire passer en contrebande comme le dernier cri du marxisme révolutionnaire.

Certes, toutes ces bagatelles nous font pâlir.

Ce qui nous laisse vraiment étonnés et perplexes, c’est cette constante préoccupation qui semble faire perdre le sommeil à monsieur Becker, et qui l’amène à critiquer de la façon la plus hargneuse et démagogique une ligne politique qui, selon lui, «remplace la lutte révolutionnaire des masses par des attaques armées d’un petit groupe».

Or, à la lumière de ce que nous venons de lire, à la lumière de la conception de la «lutte révolutionnaire» des masses exposée par Becker, ne sommes-nous pas en droit d’affirmer que ce qui le préoccupe réellement, c’est justement tout le contraire de ce qu’il affirme?

C’est-à-dire que la lutte armée de la guérilla urbaine, dirigée-par un véritable détachement communiste, non seulement ne «remplace» pas (comment pourrait-elle le faire?) la lutte des masses mais, au contraire – comme nous le soutenons – qu’elle la stimule, qu’elle contribue à sa meilleure organisation, qu’elle lui fraie le chemin et qu’elle lui permet de se doter d’un programme et d’objectifs clairs.

De notre côté, aucun doute n’est permis à ce propos, mais si nous en avions, si nous manquions de conviction, la seule apparition de la critique portée par Becker au « terrorisme » suffirait à nous convaincre définitivement.

Les opportunistes ont peur d’être démasqués par le développement de la lutte des classes.

C’est pour cela que leur travail le plus saillant consiste à s’attaquer à ceux qui se soulèvent les armes à la main pour combattre l’impérialisme, en prétextant continuellement que ceux-là réalisent leurs actions «en marge» de la lutte des masses, qu’ils «la remplacent», qu’ils «retardent» ou «désarticulent» leur mouvement, etc.

Les opportunistes disent cela tandis que, d’un autre côté, ils prêchent la soumis; sion et le respect superstitieux devant la légalité imposée par les fusils de la bourgeoisie, ils prêchent le pacifisme et le réformisme; et quand, malgré ce travail de trahison, des ouvriers et d’autres travailleurs se lancent dans le combat franc et résolu, alors, afin d’éviter d’être complètement démasqués, ils fouillent dans les classiques pour «argumenter» sur «l’inopportunité du moment», sur «le rapport de force défavorable», ou «le manque de préparation de la lutte armée», et autres choses du même acabit; quand ils ne se retranchent pas derrière les secteurs les plus arriérés afin d’isoler et de contraindre à reculer ceux qui marchent en avant, ceux qui sont vraiment prêts à lutter et à donner l’exemple aux autres.

Que nous enseigne l’expérience dans notre pays?

Pendant des années, les carrillistes et autres ruffians ont axé leur activité sur la liquidation du mouvement ouvrier révolutionnaire, en s’appuyant sur l’argument suprême selon lequel «les conditions de crise du système n’étaient pas réunies» et, en même temps qu’ils appelaient les ouvriers à «conquérir» le syndicat fasciste et qu’ils se réunissaient en tables rondes avec les secteurs «évolutionnistes» de l’oligarchie, ils se livraient à la persécution des communistes, (de tous ceux qui s’opposaient et dénonçaient leurs manèges anti-ouvriers), en nous taxant «d’impatience», de vouloir faire de la politique «rien qu’avec une mitraillette», de «revanchisme», de «provocation», etc.

De telle sorte que, lorsque la crise économique et politique du régime se déchaîna – et que ce dernier déclencha ses plans de réforme – nous ne fûmes absolument pas surpris de voir surgir ces mêmes individus proclamant l’urgente nécessité de «sortir le pays de la crise» afin de sauver «la démocratie» et les miettes du grand festin que la bourgeoisie financière avait laissé tomber de la table pour les tenir contents.

Bon, nous découvrons maintenant dans l’article de Becker – et sans pouvoir retenir une moue de mépris – la même rengaine démagogique avec laquelle toute la meute de «la gauche» («communistes», «marxistes-léninistes», et même «maoïstes») nous a cassé les oreilles ces dernières années.

Car il s’agit du même discours, même s’il diffère dans quelques détails.

Ce qu’il y a de neuf chez Becker – et c’est cela qui a retenu notre attention – c’est l’animosité et l’acharnement qui le saisissent dans son délire de persécution.

Écoutons-le encore une fois:

« Les regards de ceux qui brûlent d’impatience, dans l’attente du jour où ils pourront régler leurs comptes avec la bourgeoisie, doivent s’élever un peu plus haut, au-delà de la pure et simple soif de vengeance, jusqu’à l’horizon où se dessine la perspective d’engager la lutte armée pour faire avancer le genre humain jusqu’à une époque entièrement nouvelle dans l’histoire de l’espèce. »

Et Becker complète cette position béate par un appel désolé à remplacer la critique des armes portée contre la société bourgeoise putride par «l’arme» de la critique, ou, comme il le précise, «par l’arme de la science de la révolution».

Les bigots, eux aussi, ont toujours voulu présenter la théologie comme une «science».

Le fait que, dans ce cas, Becker appelle sa théologie «science de la révolution», ne change en rien les fondements de l’affaire.

Dans les deux cas, la pratique n’intervient pas. Toute la différence réside en ceci: le marxisme est une doctrine pour l’action, tandis que le «marxisme» usé de Becker n’est rien d’autre – en imaginant le meilleur – qu’un doctrinarisme inopérant et contemplatif.

C’est d’ailleurs à partir de cette position contemplative – très satisfaite d’elle-même – que Becker nous invite à «élever le regard» (pardessus les choses du monde), «un peu plus haut», afin de «faire avancer le genre humain» et de le tirer hors des ténèbres qui l’entourent.

Pas question de «règlements de comptes»!, prêche-t-il: Laissez de côté la «pure et simple soif de vengeance»! Regardez «vers l’horizon où se dessine la perspective»!!

UN FAUX DILEMME : LA VIOLENCE DE QUELQUES-UNS
OU LA VIOLENCE DE BEAUCOUP

En fait, la violence n’est pas la question centrale dans la critique faite par Becker à la guérilla urbaine. Sa tentative a pour objet de poser le faux dilemme de savoir si ce sont les masses ou un «petit groupe» qui doivent l’exercer.

Mais, que nous sachions, personne ici n’a dit que la révolution puisse être l’affaire de quelques élus, si héroïques, ardents ou disposés au sacrifice qu’ils se montrent.

Ce que nous soutenons, c’est la nécessité absolue d’incorporer la lutte armée dans la stratégie révolutionnaire, en la concevant comme une partie essentielle, comme quelque chose qui découle de tout le développement historique et des conditions matérielles objectives dans lesquelles se livre aujourd’hui la lutte des classes au sein des Etats impérialistes, de leur nature fasciste et spoliatrice, profondément réactionnaire.

Dans ces conditions, que monsieur Becker se garde bien de mentionner, la lutte armée naît de façon inévitable du fait de la crise, du renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière et des autres travailleurs, des brutalités et de l’oppression subies de la part de l’Etat; elle naît de la résistance que les masses opposent, consciemment, au système de la bourgeoisie en processus de ruine et de désagrégation.

Au moment venu – qu’il est impossible de fixer dès maintenant – cette forme de lutte devra devenir principale, et toutes les autres devront y être subordonnées.

Est-ce que cette conception exclut le travail d’un parti, la lutte idéologique et politique, le travail d’organisation, etc?

Nous, nous soutenons que non seulement cette conception n’exclut pas tout cela, mais, au contraire, qu’elle le présuppose et le renforce; elle le rend nécessaire de la façon la plus évidente.

Nous ne nions pas qu’il existe de «petits groupes» qui s’obstinent à refuser la nécessité du parti prolétarien, armé de la théorie marxisteléniniste, des groupes dont l’activité armée, dans la plupart des cas, ne revient qu’à leur porter préjudice.

Mais cela est une autre question qui n’a rien ou très peu à voir avec ce dont nous traitons ici.

Ce que nous soutenons, encore une fois, c’est que la propagande et la « critique », la lutte politique et la lutte idéologique telles qu’elles étaient conçues dans la phase précédente du développement du système capitaliste, ne suffisent plus en elles-mêmes pour élever les masses jusqu’à la compréhension de leurs objectifs historiques, et encore moins pour les mener au combat pour le pouvoir.

Nos idées à ce sujet sont bien connues, car nous avons analysé ce problème maintes fois et, par là, les nombreuses interprétations fausses faites par monsieur Becker dans son article ne lui serviront à rien..

Par exemple: Quand aurions-nous nié que la guerre révolutionnaire soit une guerre de classe? Cependant, nous ne nous bornons pas à répéter une vérité aussi simple comme des perroquets.

Notre attention se concentre sur la recherche des voies qui permettront aux masses d’approcher leur but, en abandonnant les voies de garage et les chemins battus (qui, comme cela est déjà parfaitement démontré, ne mènent nulle part).

N’est-ce pas là, précisément, la mission de tout parti authentiquement communiste? Selon les « bolchéviks chinois » et le Komintern qui les soutenait, la ligne défendue par Mao pour la révolution chinoise n’avait rien de « marxiste-léniniste »; ils la dénonçaient comme « nationaliste », « opportuniste », « petite- bourgeoise » et à peine « scientifique ».

On peut dire la même chose des attaques lancées par Kautsky et consorts contre Lénine et la Révolution d’Octobre, parce que cette dernière rompit avec l’orthodoxie vermoulue que Kautsky et d’autres avaient incubée pendant des dizaines d’années de développement « pacifique » du capitalisme.

Dans les deux cas, de la même façon dont s’y prend maintenant Becker en cherchant l’appui de Lénine et Mao, il s’agissait de conserver à tout prix, c’est-à-dire aux dépens du mouvement réel, une «pureté» doctrinale qui apportait de très bons résultats pour l’impérialisme.

Car, comme Lénine le rappelait face aux doctrinaires de cette espèce: «la théorie est toujours grise et l’arbre de la vie toujours vert».

Notre Parti, le P.C.E.(r), ne renonce pas à l’héritage légué par les deux grandes révolutions, mais ce que nous refusons, c’est le schéma scolastique qui trahit la révolution chaque fois qu’il la promet, en la reléguant aux calendes grecques, en usant des mêmes subterfuges que ceux employés maintenant par Becker.

S’il n’est pas possible de séparer l’objectif (la libération des masses) de la façon dont on combat, pourquoi alors ne devrait-on pas appliquer ce même principe aux méthodes de lutte pour la révolution?

Si ce dont il s’agit ici, c’est de préparer les conditions générales (et pas seulement celles de type idéologique) pour l’insurrection des masses, pourquoi ne pas commencer dès maintenant à les préparer dans tous les domaines?

Faut-il faire confiance une fois de plus, (c’est-à-dire, après toutes les expériences vécues), aux promesses insurrectionnelles qui devront s’accomplir au dernier moment?

Est-il possible d’improviser une action de cette nature?

Par cette « voie », appelée de façon incorrecte « d’Octobre », on ne parviendra jamais à l’insurrection, et si celle-ci finissait malgré tout par se produire à partir d’une réaction spontanée des travailleurs, il est certain qu’elle échouerait.

Où donc se trouvent, dans notre exposé, l’étroitesse de vue, la soif de vengeance, l’exhortation morale, « le fardeau de l’homme blanc » cher à R. Kipling, et les autres amabilités que monsieur Becker nous prodigue?

Quel est le marxiste qui oserait affirmer qüe l’intégration des masses à la lutte politique, et à la lutte armée pour le pouvoir comme expression la plus élevée, s’est produite quelque fois tout d’un coup, ou dans la première phase d’un processus révolutionnaire?

Quand Mao soutient qu’une seule étincelle peut embraser la prairie, ne fait-il pas allusion à l’intégration des masses au combat qu’une petite armée mène depuis longtemps?

Et n’était-ce pas les masses qui combattaient jusqu’alors?

Il faudrait d’ailleurs percer l’ambiguité et la relativité du concept même de masses afin de finir d’éclaircir cette affaire. C,ar même dans l’expérience de l’insurrection d’Octobre 1917, que monsieur Becker prend pour modèle, on ne peut pas parler, comme on le fait généralement, d’un acte unique ou automatique.

C’est une tromperie complète de présenter l’histoire de cette façon, de déformer ainsi l’expérience de la Révolution d’Octobre pour l’opposer – de la façon la plus opportuniste – aux formes les plus avancées de la lutte des classes qui se déroule actuellement dans les pays impérialistes, en invoquant l’absence de conditions révolutionnaires dans ces mêmes pays.

Comment expliquer le phénomène de la lutte armée? Par les élucubrations et la soif de vengeance de quelques individus? Becker veut qu’on le prenne au sérieux et qu’on considère comme «scientifique» son «marxisme-léninisme-pensée Mao», mais nous, nous ne sommes pas des poussins nés de la dernière pluie, et il y a longtemps que nous avons des ergots.

Si les choses étaient telles que cet homme l’affirme, il est certain que ni lui ni toute la propagande mensongère bourgeoise ne lui consacreraient tant d’espace, et ne montreraient pas une telle inquiétude à combattre « le terrorisme ».

Il serait impossible de comprendre l’insurrection d’Octobre sans la révolution démocratique-bourgeoise de février qui détrôna le tsar, et ces deux révolutions sans tenir compte de celle de 1905. De plus, la guerre impérialiste avait désarticulé un Etat russe déjà corrompu et maltraité.

Les masses, la plupart d’entre elles encadrées dans l’armée et la marine, étaient armées et résolues à lutter jusqu’au bout. Dans de telles conditions, il ne fut pas très difficile de réussir à ce qu’elles retournent les fusils contre leurs oppresseurs.

Une autre question se dégage de tout cela: une situation identique peut-elle se produire dans l’un ou l’autre pays de l’Europe Occidentale, de façon qu’elle offre au prolétariat la possibilité de concentrer ses forces jusqu’à s’emparer du pouvoir? Evidemment, on ne peut l’écarter absolument, même si cela nous semble bien improbable.

Mais la stratégie révolutionnaire ne se confond pas avec un calcul de probabilités soumises, toutes, aux caprices du hasard; la révolution exige à chaque instant que l’on parte des conditions réelles, des expériences qui découlent quotidiennement de la lutte; elle n’est pas un ramassis d’expériences passées, ni non plus un jeu de devinettes.

CE QUI EST FAUX ET CE QUI EST VRAI
DANS LE NOUVEAU MOUVEMENT
REVOLUTIONNAIRE D’EUROPE OCCIDENTALE

Ce qui fait perdre la tête à monsieur Becker, c’est toute la série de perversions des principes consacrés qu’il voit dans les groupes et organisations révolutionnaires lorsque ceux-ci affirment, avec des ambitions démesurées, «qu’ils sont l’avant-garde de la lutte des classes, guidée par le marxisme-léninisme, et que leur but est la révolution et le communisme».

En outre – se plaint-il, hystérique – « leur guérilla urbaine est définie comme l’expression pratique d’un véritable internationalisme».

Et comble des combles, ce qu’il ressent comme un véritable sacrilège, une intromission intolérable dans les affaires de son église, c’est que quelques-uns de ces groupes ont commencé à «écrire sur la nécessité d’une nouvelle Internationale Communiste» et qu’ils voient dans le « Front de la Guérilla » une sorte de pas en avant dans cette direction.

Eh bien, pour notre part, nous n’allons pas commettre la bêtise de prendre la défense de ce mouvement dans son ensemble, ni celle de toutes les conceptions politiques qu’il est en train de mettre en avant, de la même façon que nous n’approuvons pas toutes et chacune de ses actions; nous savons que dans ce mouvement convergent et combattent différents courants (et non pas rien qu’un monsieur Becker), parmi lesquels certains sont indiscutablement fort subjectivistes, anarchistes et même ouvertement nationalistes.

Cela est toujours arrivé dans les mouvements en processus de formation.

L’hétérogénéité et un bagage idéologique indéfini sont les caractéristiques qui définissent le mieux le mouvement d’ensemble actuel.

De là découle le culte du spontanéisme et le rôle prépondérant que certains donnent à des actions armées dépourvues, bien des fois, de l’orientation politique claire que seul peut apporter un véritable parti marxiste-léniniste.

C’est l’absence de tels partis dans la plupart des pays de l’Europe Occidentale qui a fait de ce mouvement un formidable bouillon de culture des idées et des conceptions bourgeoises et petites-bourgeoises les plus étranges.

Mais, à moins d’être un parfait ignorant, qui oserait aujourd’hui nier qu’en son sein oeuvrent et livrent une incessante lutte politique et idéologique les seules forces saines, qui ne sont pas corrompues jusqu’à la moelle, les militants communistes honnêtes qui ont survécu à la débâcle « pro-chinoise » et « pro-albanaise » des années 60 et 70?

Qui – à moins d’être un fieffé révisionniste ou pire… (en supposant qu’il existe une chose pire que celle-là) – oserait nier que ce mouvement, malgré son hétérogénéité, ou la rigidité que l’on y décèle d’autres fois, son romantisme exagéré, etc., ne représente pas un gigantesque pas en avant par rapport à ce mélange d’esthètes et de grimaçants?

Il est inutile que monsieur Becker s’étende en considérations au sujet de «l’échec» de la «voie terroriste», comme si les «partis» qu’il représente nous offraient tous les jours la joie d’une révolution victorieuse; il est inutile qu’il s’emballe en faisant une abondante démagogie à l’aide des repentis, comme si dans les prisons d’Italie et d’autres pays il n’y avait pas des centaines de militants «purgeant» de très longues peines, subissant d’interminables tortures, parce qu’ils n’abjurent pas leurs idées révolutionnaires.

En réalité, ce que Becker propose au nom du marxisme-léninisme n’est autre que le passage en masse de tous ces révolutionnaires et nombreux communistes du côté des repentis, du côté des délateurs et des collaborateurs de la police et de la réaction.

Il essaie de cette façon de compléter le sale boulot que la bourgeoisie impérialiste, malgré tout son appareil répressif et de propagande, n’a pu et ne pourra jamais réussir.

A aucun moment Becker ne défend la position marxiste, ni devant cette importante question, ni devant n’importe quel autre problème.

Selon lui, il faudrait considérer comme un miracle qu’après les trahisons réformistes, qu’après l’apostasie d’autres et l’abandon de presque tout le reste, la crème de la jeunesse d’Europe, les jeunes les plus sagaces, les plus sains et intelligents, aient opté pour le communisme et soient occupés à en chercher le chemin.

Il est en tout cas inutile de dire que ce miracle-là n’est pas dû à l’église de Becker, mais qu’il obéit plutôt à des causes tout à fait étrangères à son travail évangélisateur adverse, qu’il obéit – comme nous venons de le voir – à la force d’attraction que le marxisme-léninisme et le communisme exercent sur de plus en plus larges secteurs de travailleurs et de la jeunesse combative.

Sur ce point, le doctrinarisme de Becker n’indique rien d’autre qu’un subjectivisme extrême.

Pour lui, comme nous avons eu l’occasion de le constater au début de son article, il n’existe dans le monde que ce qui est blanc et ce qui est noir; ceci est ceci, cela est cela, ce sont des choses totalement différentes, sans liaison, sans rapport entre elles, et, plus important, sans qu’à l’intérieur de ceci ou de cela ne soit en train de se développer un processus de lutte, de changement ou de transformation.

Les états de transition n’existent pas non plus pour monsieur Becker ; c’est-à-dire que pour lui une chose est comme elle est et ne peut se transformer en une autre différente.

Qu’il existe au sein du mouvement révolutionnaire une lutte de tendances, cela, il ne peut ou ne veut pas le reconnaître, car pour lui les choses et les phénomènes n’existent qu’à l’état «pur», de façon statique.

Cette méthode le dispense de rechercher les causes profondes et de séparer le bon grain de l’ivraie.

Évidemment, il est beaucoup plus facile de tout fourrer dans un même sac étiqueté «terrorisme» et de le balancer par-dessus bord comme s’il s’agissait d’une meute de chiens enragés.

En politique, cette conception idéaliste et sa méthode scolastique, métaphysique – dont monsieur Becker nous a déjà montré des échantillons suffisants – se traduisent par les plus grandes aberrations que l’on puisse imaginer.

Mais laissons cette question et ce qui est signalé au début de ce paragraphe pour une meilleure occasion.

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