L’unification par en haut du Parti Socialiste SFIO

Le puissant développement de la social-démocratie en Allemagne et en Autriche-Hongrie ne pouvait pas ne pas toucher la classe ouvrière française, malgré l’orientation entachée d’anarchisme et de syndicalisme de celle-ci. Pour cette raison, l’existence d’un seul parti, au lieu de plusieurs mouvements eux-mêmes issus de plusieurs tendances, apparaissait comme une obligation incontournable par rapport à la pression ouvrière internationale en ce sens.

Ainsi, au congrès d’Amsterdam de la seconde Internationale en 1904, avec notamment 101 délégués anglais, 66 délégués allemands, 38 délégués belges, 29 délégués polonais, 45 délégués russes, et 89 délégués français, la tendance de Jean Jaurès s’était faite plus que taper sur les doigts pour sa logique de participation gouvernementale : il lui fallut céder relativement pour rester dans le cadre ouvrier international. Et céder signifier aussi accepter l’exigence du Congrès voulant qu’il n’y ait qu’un seul Parti par pays.

Délégués de l’Internationale à Amsterdam

Le Parti socialiste français de Jean Jaurès et le Parti socialiste de France de Jules Guesde, mais aussi les Fédérations autonomes (des Bouches-du-Rhône, de Bretagne, de l’Hérault, de la Somme, de l’Yonne) où était actif Gustave Hervé et le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire, se virent donc historiquement forcés de s’unir, ce qui fut fait dans le cadre d’un congrès du 23 au 25 avril 1905, avec 286 délégués se réunissant dans la Salle du Globe, boulevard de Strasbourg à Paris.

Sont présents, comme représentants de l’Internationale, Camille Huysmans, secrétaire du Bureau socialiste international, ainsi qu’Emile Vandervelde. L’Humanité du 30 octobre 1905 parle d’un

« vaste local orné de drapeaux rouges avec la grande inscription en lettres dorés sur fond rouge : Parti socialiste section française de l’Internationale ouvrière. Face au bureau s’étale la belle devise : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. Le Congrès est fort bien organisé. Autour de quatre rangées de tables perpendiculaires au bureau, se groupent les congressistes. La fanfare ouvrière joue l’Internationale. »

Le congrès de 1905

La manière dont cela fut fait souligne l’importance de cet arrière-plan : la naissance du Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière est surtout l’expression d’une logique internationale ouvrière.

Le courant de Jean Jaurès ne représentait en effet que 8 500 membres, celui de Jules Guesde que 16 000 membres. Ces chiffres, outre qu’ils montrent l’absence d’ancrage organisé dans la classe ouvrière, allaient par contre de paire avec un ancrage électoral puissant : 406 000 et 487 000 voix respectivement. Et justement le Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière ne sortira jamais de cette opposition entre un écho organisationnel très faible et un électorat solide ; il en ira par ailleurs de même avec la SFIO d’après 1920 et le Parti Socialiste ensuite.

Les mouvement socialistes sont en France surtout des machines électorales, sans base militante et pour cette raison d’ailleurs, le congrès d’unification ne fut pas déterminé par les membres, mais par une interprétation semi-électoraliste. La convocation au « congrès d’unification » précise en effet dans son troisième article :

« Le Congrès est convoqué sur la base d’une représentation proportionnelle des forces socialistes constatées lors du Congrès d’Amsterdam et calculées, d’une part, sur le nombre des membres cotisants et, d’autre part, sur le chiffre des voix obtenues au premier tour des élections législatives générales de 1902. »

C’est là une entorse fondamentale à la démarche social-démocrate qui raisonne en termes de programme et de valeurs. Les Fédérations devaient même initialement recevoir, pour les congrès, des mandats selon les résultats électoraux, mais ce point fut supprimé lors des débats de l’unification.

Néanmoins, cette tendance de fond va avoir une conséquence significative : celle de renforcer le poids des zones d’implantations déjà existantes. Il y a ainsi 3 mandats dans l’Ain, 2 en Dordogne, 3 en Isère, 4 dans la Somme mais 8 dans l’Aube, 12 en Gironde, et surtout 47 du Nord et 47 de la Seine (soit la région parisienne grosso modo). Cette tendance à avoir de gros pôles et une présence quasi inexistante dans de nombreuses régions ne cessera pas par la suite.

En ce sens, il faut avoir un regard particulièrement critique sur le grand accent mis, de la part de la commission d’unification, sur la nécessaire centralisation et le caractère unanime devant assurer la vie interne de la nouvelle organisation. Il ne s’agit pas d’un processus démocratique amenant un saut qualitatif à un Parti conscient de lui-même, mais d’un rassemblement chapeauté de manière administrative et asséchant immédiatement la vie interne.

En quoi consiste d’ailleurs la direction ? Voici comment le règlement du nouveau Parti présente la chose dans les articles 20 et 21 :

« Dans l’intervalle des Congrès nationaux, l’administration du Parti est confiée au Conseil national. Le Conseil national est constitué par les délégués des Fédérations, la délégation collective du Groupe socialiste au Parlement, la Commission administrative permanente élue par le Congrès national. »

On voit bien qu’aux délégués de la base s’opposent non seulement les parlementaires formant une entité à part, mais en plus une « commission administrative » formant un véritable appareil séparé, d’autant plus que ses 22 membres sont élus au congrès par les délégués présents. Il ne s’agit pas d’un Comité Central élu et devenant lui-même la direction, mais d’une direction parallèle aux autres.

Il était inévitable qu’il y ait des conflits entre ces trois appareils, reflétant une base non unifiée idéologiquement. Cela est d’ailleurs assumé, puis qu’au sujet de la contrôle de la presse du Parti, le règlement affirme la chose suivante :

« La liberté de discussion est entière dans la presse pour toutes les questions de doctrine ou de méthode ; mais pour l’action, tous les journaux, toutes les revues socialistes doivent se conformer aux décisions des Congrès nationaux et internationaux interprétées par le Conseil national du Parti. »

Cette absence d’unité idéologique, sans parler de la culture, en dit long sur la nature pratiquement syndicaliste du projet de Parti socialiste. La soumission à la CGT pour ce qui concerne les questions économiques sera de fait par la suite entièrement assumée, tel quel.

Par là-même, il faut être circonspect sur les affirmations effectuées à l’occasion du document signé par les protagonistes pour entamer le processus d’unification. On y lit notamment :

« Le Parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste et communiste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat.

Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le Parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution.

Les élus du Parti au Parlement forment un groupe unique, en face de toutes les fractions politiques bourgeoises. Le groupe socialiste au Parlement doit refuser au Gouvernement tous les moyens qui assurent la domination de la bourgeoisie et son maintien au pouvoir ; refuser, en conséquence, les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l’ensemble du budget. »

Ces points ont été écrits sous l’influence de l’Internationale ; ils ne reflètent cependant nullement le sens de la démarche de nombre de dirigeants et responsables socialistes, qui n’ont en pratique aucune force vive à part le réservoir électoral.

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Le Parti Socialiste SFIO, une tradition collectiviste et non social-démocrate

Le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière est né en 1905, comme unité de tous les socialistes répondant à l’appel de la social-démocratie internationale, et plus précisément la section allemande. Cette dernière, forte de son prestige, tant par l’affirmation de l’idéologie de Karl Marx et Friedrich Engels que par sa très grand puissance sur le plan de l’organisation, joua un rôle décisif pour littéralement forcer les Français à cesser leurs divisions.

Karl Marx

Encore faut-il noter que cela ne fut pas suffisant. Non seulement des socialistes dits « indépendants » subsistèrent à l’écart, notamment sur le plan électoral, mais même à l’intérieur du Parti unifié, les regroupements se maintenaient et s’affrontaient.

Pire encore, le fait que ces regroupements ne soient pas formalisés amena de véritable conflits internes, à tous les niveaux. Une majorité et des minorités se combattaient au sein des sections, au sein des Fédérations, au sein du Parti lui-même, et ce fut d’autant plus puissant que le Parti Socialiste SFIO conserva toujours une structure entièrement fédérale.

Le Parti ne disposait d’une unité qu’en apparence, que de manière formelle. Et cela ne fut pas le seul souci fondamental du Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière. En effet, celui-ci émerge au moment où la République s’affirme de manière moderne, porté par des « radicaux » se positionnant au centre et se voulant clairement anti-conservateurs. Cela se déroule parallèlement à un grand élan capitaliste, connu sous le nom de Belle Époque.

Une partie significative des socialistes du Parti unifié était attirée par cette dynamique, au nom de la perspective d’une « république sociale ». A l’arrière-plan, il y a ici l’influence prépondérante de la franc-maçonnerie, qui phagocyte littéralement tous les aspects intellectuels au sein du Parti même.

Pour ajouter à la complexité, l’anarchisme exerçait également une influence puissante. La majorité du Parti était tout à fait d’accord avec la ligne selon laquelle le syndicat se développant parallèlement, la Confédération générale du travail, devait rester totalement indépendante du Parti. Ce dernier était considéré comme devant s’occuper des élections, les travailleurs devant à l’opposé préparer la société future en s’organisant de manière syndicale.

Sigle de la CGT adopté en 1904

Or, tant le Parti Socialiste – Section Française de l’Internationale Ouvrière que la Confédération générale du travail étaient tout à fait minoritaires. Leur optimisme particulièrement volontariste ne s’appuyait sur rien de conséquent, malgré les rodomontades systématiques comme quoi la France était à la pointe du mouvement ouvrier mondial.

Cela se lira de manière pratique avec l’effondrement en 1914. Cet effondrement n’est pas simplement idéologique : en pratique, ni le PS – SFIO ni la CGT n’avaient de base cohérente. Il y aurait dû y avoir un refus de la guerre au moins pour des raisons culturelles, par antimilitarisme, mais on avait affaire ici à un idéalisme collectiviste.

Et cet idéalisme forçait, par définition, la réalité. Le vrai fond du problème est que, avec la guerre faisant irruption, le PS – SFIO et la CGT ont été obligés de constater la vanité de leurs conceptions de minorités agissantes.

Ni l’un ni l’autre n’avaient de prise sur le réel, de présence authentique dans la société française toute entière. Il s’agissait de phénomènes non pas marginaux, mais en tout cas sans poids réel sur l’évolution des choses.

Cela ne pouvait amener qu’au seul choix restant : celui de l’accompagnement. D’ailleurs, la trajectoire des socialistes après 1918 resta un simple accompagnement.

La majorité accompagna la révolution russe, sans en comprendre les tenants et aboutissants, la minorité accompagna la république, les cadres opportunistes accompagnèrent les hautes instances institutionnelles du capitalisme et de l’Etat, d’autres encore accompagnèrent la montée du fascisme et le régime de Pétain.

Le Parti Socialiste SFIO est un exemple de l’échec en raison de sa nature non social-démocrate ; c’est un cas d’école du collectivisme à la française, avec tous ses errements.

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