A Prague, reconnu comme religieux important, Thomas Müntzer rencontra des personnalités importantes de la ville et il montre immédiatement que son objectif est simple : créer un second front idéologico-théologique pour faire contre-poids à l’interprétation institutionnelle de Martin Luther, en réactivant la rébellion hussite-taborite.
La situation était alors la suivante : Georges de Bohême avait été le premier roi non catholique en Europe. Mais après la mort en 1471 de ce roi hussite, c’est Vladislas IV, fils du roi de Pologne, qui prit le pouvoir ; contrôlant également la Hongrie, il fit de celle-ci le centre de son pouvoir, avec Buda comme capitale.
C’est à ce moment qu’eut lieu le formidable et terrible épisode de la révolte paysanne de György Dózsa. Devant mener une croisade contre la menace ottomane et constatant l’incapacité de la noblesse à soutenir l’initiative lancée par le pape et portée surtout par les masses, György Dózsa se mit à la tête d’une rébellion anti-féodale massive.
La répression fut terrible, 70 000 paysans étant torturés et massacrés, György Dózsa étant en 1514 placé sur un trône de fer chauffé à blanc, avec une couronne de fer et un sceptre l’étant également, plusieurs de ses compagnons étant mis dans l’obligation de le dévorer vivant.
Le roi suivant, Louis II, fut tué en 1526 lors de la bataille de Mohács, qui scella le sort de la Hongrie, désormais sous le contrôle de l’empire ottoman, avec un impact terrible sur l’opinion des pays européens quant aux avancées ottomanes.
Au cours de ce processus où la Bohême fut marginalisé politiquement, les aristocrates n’hésitaient pas à procéder à des pillages et à chercher à augmenter leur puissance, ce qui provoquait de lourds mécontentements.
Thomas Müntzer eut donc un important soutien à Prague, où sa ligne de mobilisation des masses apparaissait favorablement comme le pendant de celle des Habsbourg, qui pourchassait les luthériens et se posait en obstacle principal à l’empire ottoman. Ce dernier échoua effectivement, en 1529 (puis en 1683), à prendre Vienne.
Thomas Müntzer lui-même plaçait tous ses espoirs en la Bohème ; dans une lettre, il écrit alors :
« Dieu va faire des choses merveilleuses avec ses élus, en particulier dans ce pays. Lorsque la nouvelle Église bourgeonnera ici, ce peuple sera un miroir du monde entier. »
A cet effet, en plus de prêcher très rapidement, Thomas Münzer publia le premier novembre 1521 un manifeste, avec quatre versions : une en latin, une version brève et une version longue en alleman, une version en tchèque.
En voici un extrait significatif, d’une très grande importance historique :
« Moi, Thomas Mùntzer, natif de Stolberg et résidant à Prague, la ville du saint et valeureux combattant Jean HussJ’ail ‘intention d’emplir d’un chant nouveau à la louange de l’Esprit- Saint les trompettes éclatantes qui sonneront le mouvement.
De tout mon cœur j’apporte témoignage et adresse de pitoyables plaintes à toute l’Eglise des Elus ainsi qu’au monde entier, partout où cette missive pourra parvenir.
Le Christ et tous les Elus qui m’ont connu depuis mes jeunes années attesteront ce projet: Je déclare et assure par ce que j’ai de plus précieux que je me suis appliqué de toutes mes forces à reconnaître mieux et plus profondément que quiconque quels sont les fondements de la sainte et invincible foi chrétienne.
Et je suis assez hardi pour dire en vérité qu’il n’est pas un seul prêtre oint, de poix, pas un seul moine cagot qui aient jamais été capables de dire la moindre chose sur ce fondement de la foi.
De même, bien des gens ont déploré avec moi avoir été véritablement l’objet d’une intolérable tromperie, sans que leur soit apporté aucun réconfort qui leur eût permis de conduire avec prudence tous leurs désirs et toutes leurs actions selon la foi et de surmonter par eux-mêmes tous les obstacles.
Et ils n’ont pas pu nom plus et ne pourront au grand jamais découvrir les épreuves salutaires, ni combien est profitable l’abîme d’une âme prédestinée qui a fait le vide en elle.
Car l’esprit de la crainte de Dieu ne les a pas possédés, lequel se présente inébranlablement comme unique but aux Elus submergés et noyés dans ces ondes que le monde ne peut supporter. Bref, tout homme doit avoir reçu l’Esprit-Saint sept fois, faute de quoi il ne peut entendre ni concevoir le Dieu vivant.
Je déclare sincèrement et avec force que je n’ai jamais entendu un seul de ces docteurs (qui ne valent pas un pet d’âne) murmurer, à plus forte raison énoncer. à haute et intelligible voix un seul petit mot et sur le moindre point au sujet de l’Ordre qui réside en Dieu et dans les créatures.
Même ceux qui ont le premier rang parmi les chrétiens (c’est aux prêtres suppôts de l’enfer que je pense) n’ont jamais flairé une seule fois ce qu’est le Tout, ou Perfection non divisée, qui est la mesure égale de toutes les parties et supérieure à ce qui est partiel, I Corinthiens 13, Luc 3, Ephésiens 4, Actes 2, 15, 1 7.
Bien souvent, je les ai entendus citer l’Ecriture, et rien de plus qu ‘ils ont sournoisement dérobée dans la Bible avec la fourberie des voleurs et la cruauté des meurtriers.
Pour ce vol, Dieu les maudit lui-même, qui dit par la bouche de Jérémie 23, 16 : «Ecoutez ! J’ai dit au sujet des prophètes : chacun de ceux-là. vole mes paroles chez son prochain, car ils trompent mon peuple. Je ne leur ai pas parlé une seule fois, et ils usurpent mes paroles pour les pourrir sur leurs lèvres fétides et dans leurs gosiers de prostitués. Car ils nient que mon Esprit parle aux hommes» (…).
Pour certains, l’Evangile et l’Ecriture tout entière sont fermés à clé, Esaïe 29 et 22, par la clé de David et celle du livre scellé de l’Apocalypse, chapitre 5. Ezéchiel a ouvert ce qui était fermé.
Le Christ dit Luc 11, que les prêtres volent la clé de ce livre qui est fermé à clé et qu ‘ils ferment à clé l’Ecriture en prétendant que Dieu ne peut parler en personne aux hommes.
C’est quand la semence tombe sur le champ fertile, c’est-à-dire dans les coeurs emplis de la crainte de Dieu, c’est là que sont le papier et le parchemin sur lesquels Dieu inscrit non pas avec de l’encre, mais de Son doigt vivant, la véritable Ecriture sainte dont la Bible extérieure est le vrai témoignage.
Et rien n’atteste de façon plus certaine la vérité de la Bible que la parole vivante de Dieu quand le Père s’adresse au Fils dans le coeur de l’homme.
Cette Ecriture-là, tous les Elus qui font fructifier leur talent peuvent la lire. Les damnés, au contraire, n’en feront rien. Leur coeur est plus dur que la pierre qui éternellement repousse le burin du maître-artisan (…).
Quant au peuple, en revanche, je ne doute pas de lui. Ah ! Pauvre multitude, si juste et si pitoyable, comme tu es assoiffée de la parole de Dieu !
Car il est clair comme le jour que personne (ou très peu de gens) ne sait ce qu ‘il doit penser et à quel parti se rallier. Ils sont très disposés à faire de leur mieux, mais ils ne parviennent pas à savoir en quoi cela consiste. Car ils ne savent ni se soumettre ni se conformer aux témoignages que l’Esprit-Saint donne à leur coeur.
C’est pourquoi ils sont tourmentés par l’esprit de la crainte de Dieu, à tel point que la prophétie de Jérémie s’est véritablement réalisée en eux, Lamentations 4,4 : «Les enfants ont demandé du pain, mais il n ‘est personne qui en ait rompu pour eux» (…).
Pourquoi faire de longs discours ? Ce sont eux, les seigneurs qui se goinfrent et boivent comme des bêtes et festoient et cherchent jour et nuit le moyen de s’empifrer et d’accumuler les prébendes, Ezéchiel 34.
Ils ne sont pas comme le Christ, Notre Seigneur bien-aimé, lequel se compare à une poule qui réchauffe ses petits, Matthieu 23. Ils ne dispensent pas non plus aux hommes désespérés et abandonnés le lait de la fontaine intarissable de l’exhortation divine. Car ils n’ont pas fait l’expérience de la foi (…).
Je l’affirme et le jure par le Dieu vivant : celui qui n ‘entend pas de la bouche même de Dieu Sa vraie parole vivante et ne distingue pas Bible et Babel, celui-là n ‘est rien d’autre qu’une chose morte. Mais la parole de Dieu, qui pénètre le coeur, le cerveau, la peau, les cheveux, les os, la moelle, le sang, la force et la vigueur, peut bien survenir d’une autre manière que ne le racontent nos couillons et idiots de docteurs (…).
Ah ! Comme les pommes sont bien blettes ! Et comme les Elus sont bien mûrs ! Voici le temps de la récolte. C ‘est pourquoi Dieu Lui-même m ‘a embauché pour Sa moisson. J’ai aiguisé ma faucille, car mes pensées sont dirigées de toute leur force vers la vérité, et mes lèvres, ma peau, mes mains, mes cheveux, mon âme, mon corps et tout mon être maudissent les impies.
C’est afin de m’acquitter convenablement de cette tâche que je suis venu dans votre pays, très chers habitants de Bohême. Je ne vous demande rien d’autre que d’étudier avec zèle la vivante parole de Dieu venue de Sa propre bouche, par quoi vous pourrez vous-mêmes voir, entendre et saisir comment le monde entier a été égaré par les prêtres qui refusent d’entendre. Aidez-moi, par le sang du Christ, à combattre ces ennemis jurés de la foi (…).
Fait à Prague le jour de Sainte Catherine, l’an du Seigneur 1521.
Thomas Mùntzer
qui ne veut pas adorer un Dieu muet, mais un Dieu qui parle. »
On a ici toute la théologie de Thomas Müntzer de synthétisée, qu’il développera dans de nombreux écrits :
– les prêtres conservent un monopole qui est mensonger, car l’Esprit Saint s’adressent à tous ;
– il faut avoir confiance en le peuple et ne pas douter de lui, car il est sincère et prêt à l’écoute ;
– les seigneurs ne sont tournés que vers la richesse ;
– les « élus » ayant compris la crainte de Dieu en eux agissent comme avant-garde ;
– Dieu est tout et le tout est supérieur aux parties ;
– Thomas Münzer assume de prendre la direction de la ligne authentique ;
– la Bohème doit prendre l’initiative pour réactiver cette ligne authentique, déjà formulée correctement par le passé par la révolte hussite – taborite.
Malheureusement, le patriciens avaient repris le dessus et démoli de l’intérieur le hussitisme, qui cherchait un compromis historique, par ailleurs vains, avec l’Église catholique.
Le conseil municipal, faisant face à la subversion de Thomas Müntzer, força celui-ci à quitter la ville et c’est deux années d’errance, de décembre 1521 à Pâques 1523, qui suivirent.
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