Union et désunion dans les rangs au sixième congrès de l’Internationale Communiste

Dans la foulée de la présentation du bilan de la direction par Boukharine, pratiquement 90 orateurs prennent la parole. Cela est marqué par trois soucis.

Tout d’abord, il y a des orateurs du même pays, du même Parti, qui interviennent et se dénoncent les uns les autres, ou bien la majorité, la minorité, etc. Ensuite, tous ces orateurs parlent comme si tout le monde connaissait en détail la situation chez eux, ce qui est vrai de la part de la direction de l’Internationale Communiste, mais naturellement pas des délégués en général.

On a notamment les délégués américains qui intervinrent à de nombreuses reprises, s’étalant sur la situation dans leur pays et sur les problèmes internes du Parti, accaparant une énergie importante.

Cela signifie ainsi que les orateurs prennent la parole, disent qu’ils soutiennent les thèses du rapport de la direction, puis se lancent dans leur interprétation de la situation dans leur pays, dénoncent X ou Y, les accusent d’être la source des maux du Parti, rentrent dans les détails, perdant de ce fait forcément tout le monde en cours de route.

Cela ressemble, en apparence au moins, aux congrès précédents, sauf qu’il y a deux aspects bien différents. Il y a d’abord la quantité : bien plus de personnes ont prises la parole. Il y a ensuite la qualité : la présentation de la situation dans le pays et dans le Parti est à chaque fois très détaillée, très précise.

Or, à partir du moment où l’on est désormais dans une capacité opérationnelle avec un certain niveau, une certaine dimension, tout cela n’est plus possible et il faut aller de l’avant. De fait, le ménage commence à être fait. Ainsi, Hans Tittel est le seul représentant de l’aile droite du KPD au VIe congrès ; il se fera qui plus est exclure du Parti à la fin de l’année. L’expulsion des éléments d’ultra-gauche ou déviant à droite a d’ailleurs en général déjà été lancé.

Au VIe congrès, Ercoli (c’est-à-dire Palmiro Togliatti) souligne d’ailleurs qu’à part le parti italien ayant combattu tant l’ultra-gauche que les déviations droitières, tous les autres partis pratiquement ont changé de direction depuis le dernier congrès.

Palmiro Togliatti

Que ce soit Ercoli-Togliatti qui dise cela est lourd de sens ; on sait comment après 1953 il va devenir une figure de proue du révisionnisme. C’est à cela qu’on voit un point essentiel dans l’histoire du mouvement communiste international.

L’Internationale Communiste n’est pas le Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik), au sens d’un Parti avec une actualité unique, une direction solidifiée, une idéologie guide. L’Internationale Communiste se veut depuis le départ un Parti Communiste Mondial, sauf que son actualité a toujours reposé sur la constitution de Partis Communistes et leur développement tant pratique qu’organisationnel.

Il y a ainsi une dimension techniciste de la part de la direction, amenant à des directives tendant au gauchisme, comme avec Zinoviev pour les cinq premiers congrès. Et lorsque la vague révolutionnaire semble passer par une période de relative stabilisation, le succès de la droite avec Boukharine amène un certain glissement pragmatique dans l’Internationale Communiste.

Cela est évidemment plus aisément visible a posteriori. Cependant, cela explique le double caractère des dirigeants de l’Internationale Communiste.

Il est en effet souvent considéré comme frappant que des figures communistes comme Maurice Thorez ou Palmiro Togliatti soient passés si facilement dans le camp révisionniste.

Maurice Thorez

Cela apparaît pourtant comme bien plus compréhensible lorsqu’on porte son attention sur l’Internationale Communiste. En effet, la formation des Partis Communistes dans le monde n’a pas été celle du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik). Le matérialisme dialectique était bien entendu transmis, ainsi que les principes fondamentaux, mais pour ainsi dire par la bande.

La base de la formation des Partis Communistes dans le monde, c’est l’Internationale Communiste et principalement ses congrès. Or, ceux-ci portent sur l’actualité politique, les questions tactiques, parfois des questions de fond comme le rapport aux paysans, à la petite-bourgeoise… et jamais sur les questions idéologiques en tant que tel.

C’est cela qui fait que lorsqu’on a des Partis Communistes avec une réelle base, des luttes concrètes de grande ampleur, avec un niveau idéologique élevé pour des raisons historiques, notamment avec la social-démocratie auparavant, on obtient l’Allemand Ernst Thälmann, le Bulgare Georgi Dimitrov, le Tchécoslovaque Klement Gottwald.

Inversement, lorsqu’on a des Partis Communistes naissant dans un élan sérieux, mais ne parvenant pas à passer le premier cap en raison de lourdes traditions réformistes, syndicalistes révolutionnaires, ou bien une défaite… on a le Français Maurice Thorez, l’Italien Togliatti, le Finlandais Otto Kuusinen, le Hongrois Eugen Varga.

C’est cela qui rend difficile à suivre l’Internationale Communiste, puisque des tendances erronées ou contre-révolutionnaires (comme le trotskysme) sont expulsés, sans que pour autant il y ait une base idéologique qui soit établie comme c’est le cas en URSS.

L’Internationale Communiste vise avant tout à une « méthode » pour analyser les situations et organiser les tactiques correspondantes. Et justement Togliatti devint une figure dans l’Internationale Communiste en se posant comme au-delà des conflits internes, des oppositions entre minorité et majorité. Il le fait d’autant plus aisément qu’il est italien et que face au régime fasciste, les communistes sont réduits à la portion congrue et assument un esprit unitaire.

Pareillement, Maurice Thorez va apparaître comme la figure autour duquel le ménage est fait dans la section française. Mais c’est un produit d’une exigence extérieure, venant de l’Internationale Communiste, et se réduisant à une dimension technique.

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de l’Internationale Communiste