Le Venezuela

Lorsque les conquistadors pénétrèrent dans l’actuel Venezuela, ils se retrouvèrent face à des tribus indiennes, surtout Arawaks et Caraïbes, qui étaient peu développées, pratiquant la chasse, la pêche et l’agriculture primitive.

Et la colonisation eut lieu d’autant plus vite que c’est Christophe Colomb qui découvrit le pays, en 1498 ; charmé, il l’appela Isla de Gracia (Île de Grâce) puis Tierra de Gracia (Terre de Grâce) en s’apercevant que ce n’était pas une île.

Le troisième voyage de Christophe Colomb (wikipedia)

Dès l’année suivante, l’expédition espagnole d’Alonso de Ojeda explora le littoral sur toute sa longueur et atteint le golfe de Maracaibo.

La parcours d’Alonso de Ojeda (wikipedia)

Y voyant des maisons sur pilotis, il fut décidé de donner comme nom à la région « Veneziola », c’est-à-dire Petite Venise ; le nom devint Venezuela.

On a alors le début classique de la soumission des Indiens, qui étaient au nombre d’un million et dont la très grande majorité périt en raison des maladies apportées d’Europe, ainsi que des guerres et de leur réduction à un état de semi-esclavage.

L’élevage d’animaux importés d’Europe commença à être systématisé, les mines d’or furent mises en place et il y avait des plantations de canne à sucre, de coton, de tabac et surtout de cacao, avec comme main d’œuvre les Indiens, ainsi que des esclaves amenés d’Afrique.

On est dans l’instauration du système des haciendas, avec de vastes fermes autosuffisantes où règnent des Espagnols criollos, nés en Amérique et soumis à une administration coloniale gérée par les Espagnols peninsulares, nés en métropole et présents avec un mandat de quelques années.

Le pays dépend alors de la Real Audiencia de Santo Domingo, c’est-à-dire l’Audience Royale mise en place en 1511 sur l’île de Saint-Domingue, puis la majeure partie fit partie de la Vice-royauté de Nouvelle-Grenade en 1777, juste avant la crise de la monarchie espagnole.

Celle-ci fut, en effet, renversée en Europe par l’invasion napoléonienne ; même si elle parvint à se remettre en place, cela provoqua une série de soulèvements dans les colonies américaines.

Maintenant, il faut se tourner vers ce qui est spécifique au Venezuela. Ce qui joue, c’est son emplacement géographique.

Le pays est placé tout au nord de l’Amérique du Sud, en étant relativement tourné vers l’Est.

Cela permettait des contacts maritimes appuyés avec l’Europe et les colonies françaises et britanniques des Caraïbes.

D’ailleurs, c’est pour cela qu’initialement, le Venezuela dépendait de l’Audiencia de Saint-Domingue.

Il y a ainsi un moindre isolement intellectuel, une plus grande circulation d’ouvrages français et britanniques.

Une personnalité notable est ici Andrés de Jesús María y José Bello López, un écrivain, philologue, juriste, historien, philosophe traducteur du français, qui fut également le professeur d’histoire et de présentation des thèses sur l’univers de Simón Bolívar.

Mais ces mêmes Caraïbes vont aussi apporter des aides matérielles.

La clef, c’est Saint-Domingue. Les Espagnols ne la contrôlent pas toute entière : la moitié est une colonie française.

Or, la révolution française prône les droits de l’Homme, ce qui est en contradiction avec des Français blancs qui exploitaient de manière horrible l’écrasante majorité de la population, consistant en des esclaves noirs, et rejetant les métis et les noirs affranchis.

Même si la France maintient le lien avec Saint-Domingue, sa réalité était tellement affaiblie dans le contexte que les esclaves se révoltèrent, ce qui donne naissance à Haïti, en 1804.

Toussaint Louverture, sa grande figure, ne la verra pas : il meurt enfermé en 1803, dans une prison dans le massif du Jura.

L’importance pour le Venezuela, c’est que Haïti promit son soutien aux Espagnols criollos. Ce fut également le cas des Britanniques, qui profitaient non loin de Trinité-et-Tobago comme base de soutien.

C’est ici qu’on trouve Francisco de Miranda et Simón Bolívar, deux éléments de la plus haute aristocratie criollos.

François Miranda, général de division à l’armée du Nord en 1792, Georges Rouget, 1835,

Francisco de Miranda a quitté le Venezuela pour ses études, allant en Espagne, en France, et en Angleterre. Il est d’abord actif dans l’armée espagnole, puis participe à la révolution française en tant que général.

Il propose alors ses services aux Britanniques pour renverser le pouvoir espagnol au Venezuela, mais son initiative avec une centaine d’hommes échoue en 1806.

C’est alors que se produit l’effondrement de la monarchie espagnole, en 1808.

Francisco de Miranda prend alors les commandes du mouvement pour l’indépendance, mais il finit par capituler et est mis de côté par Simón Bolívar, qui prône la guerre à outrance.

Simón Bolívar en 1812

Suivent de nombreuses batailles, finalement la victoire et le soutien aux luttes des autres Espagnols criollos contre la monarchie espagnole, ce qui aboutit à l’indépendance de la República de Colombia en 1819, qui se divise en 1830 en la Colombie, l’Équateur et le Venezuela.

La República de Colombia de 1826 à 1830 (wikipedia)

Simón Bolívar meurt à ce moment-là et avec lui son rêve d’une unité latino-américaine. Et, ce qui est flagrant, c’est que seuls les Espagnols criollos ont été actifs durant tout ce processus.

Les affrontements ont concerné quelques centaines, plusieurs milliers d’hommes. Jamais l’écrasante majorité des masses n’a été mise en mouvement.

L’indépendance a, en substance, consisté en une révolution de palais : les Espagnols peninsulares, nés en Espagne, se sont fait chassés et remplacés par les Espagnols criollos.

Ceux-ci se retrouvent avec un pays pratiquement pas développé, avec une capitale, Caracas, qui est à peine une ville.

Le pays est qui plus est constitué de zones très différentes : une zone côtière et caribéenne au climat humide, une zone andine avec des terres fertiles pour l’agriculture, la zone du fleuve Orénoque avec de vastes plaines et savanes, une zone amazonienne, une zone constituée de hauts plateaux avec des montagnes à sommets plats, une zone de vastes plaines inondables favorables à l’agriculture et à l’élevage.

(wikipedia)

Il n’y a donc aucune unité, à part formelle.

C’est la bataille féodale pour le pouvoir, avec les grands propriétaires terriens formant des centres de pouvoir irradiant jusqu’à générer des forces à prétention hégémoniques.

Une centaine de métis étaient recrutée, puis il y avait une tentative de secouer le pouvoir local, et ainsi de suite jusqu’au pouvoir central.

De 1829 à 1899, le Venezuela eut 41 présidents, dans un entrelacement d’élections hautement fictives, de négociations, compromis, coups de forces, tentatives de coups de force, etc.

José Antonio Páez fut notamment président directement ou indirectement de 1829 à 1846, puis dictateur de 1860 à 1863 ; entre les deux séquences eut lieu une terrible guerre civile, causant la mort de 300 000 personnes.

José Antonio Páez

De manière traditionnelle à l’Amérique latine, cela consistait en l’affrontement entre libéraux (ici fédéralistes) et conservateurs (ici centralistes), avec toujours cet équilibre à trouver entre les capitalistes en liaison étroite avec le capital des pays étrangers et les grands propriétaires terriens.

Par la suite, Antonio Guzmán Blanco dirigea en tant que président, de 1870 à 1877, de 1879 à 1884, de 1886 jusqu’à sa retraite en 1887, dans le cadre d’un régime réactionnaire totalement verrouillé.

Antonio Guzmán Blanco

C’est de cette période que date le culte de Simón Bolívar, présenté par Antonio Guzmán Blanco comme « le plus grand homme que l’humanité ait produit depuis Jésus-Christ » lors de l’inauguration d’une statue à Caracas en 1874.

Il faut bien parler d’un culte, car on a là une sorte de religiosité étatique et « nationale » qui doit ouvertement faire le pendant de la religion catholique, que Antonio Guzmán Blanco s’évertuait à mettre de côté.

Oeuvre de Tito Salas consacrant Simón Bolívar dans le panthéon national (construit sous Antonio Guzmán Blanco) où reposent ses restes

Il va de soi que tout cela était accompagné d’une véritable « adoration » d’Antonio Guzmán Blanco lui-même.

En 1895, les Britanniques s’approprièrent une partie du pays qu’ils ajoutèrent à leur colonie voisine, la Guyane britannique ; en 1902-1903 eut lieu un blocus naval par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, en raison de dettes non payées.

Le militaire Cipriano Castro, qui a dominé de 1899 à 1908, tablait que les États-Unis refuseraient une intervention européenne ; finalement, un compromis fut trouvé mais le pays passa entièrement dans l’orbite américaine.

Cipriano Castro en 1906

Et cela se produisit au moment où l’industrie du pétrole allait commencer à jouer un rôle majeur.

Découvert en 1922, le pétrole devint la principale exportation du pays, qui devint même le principal exportateur mondial un peu après 1945.

À la fin des années 1970, le pétrole représentait près de 90% des recettes d’exportation et environ 30% du PIB, et cela en resta ainsi pour les décennies suivantes.

Les puits de pétrole et les raffineries

Le pays était devenu ni plus ni moins qu’une colonie américaine. Les Espagnols criollos qui ont remplacé les Espagnols peninsulares n’étaient rien de plus que des gouverneurs : tout comme auparavant les Espagnols peninsulares agissaient en faveur de la monarchie espagnole en se servant au passage, les Espagnols criollos agissaient de la même manière pour les États-Unis.

C’était le prolongement inévitable de divisions locales ininterrompues avec à chaque fois un « caudillo » local faisant office de dictateur ; le pouvoir dictatorial n’était qu’un assemblage dictatorial de mini dictateurs.

Le régime, malgré ses prétentions républicaines, n’était finalement qu’une pétro-monarchie artificielle.

Afin de maintenir le découpage féodal, il y a une reconnaissance de 23 « États » (à quoi s’ajoutent la capitale et les îles regroupées en une « dépendance fédérale »), avec chacun leur propre gouverneur.

(wikipedia)

Sept États ont comme nom des figures « historiques » liées à l’indépendance, à quoi s’ajoute celui qui s’appelle « nouvelle Sparte » pour son rôle lié à l’indépendance ; 10 ont des noms liés à la géographie, les autres ont des noms de villes espagnoles ou liées aux tribus indiennes.

On a donc une continuité dans la dictature ; le général Juan Vicente Gómez exerça le pouvoir de 1908 à 1935, avec une police secrète terroriste (« La Sagrada »).

Juan Vicente Gómez

Suivirent le général Eleazar López Contreras et le général Isaías Medina Angarita.

Inévitablement, des protestations face à une telle situation se perpétuant se cristallisèrent, cela donna le parti Acción Democrática (Action Démocratique) et la chute du régime en 1945, avant une reprise en main par les militaires en 1948.

La dictature militaire dura jusqu’en 1958, avec Marcos Pérez Jiménez. C’est le véritable moment clef de l’histoire du Venezuela.

Marcos Pérez Jiménez

On a, en effet, la mise en place du Nuevo Ideal Nacional (Nouvel Idéal National) comme mystique ; la nation devient officiellement un projet en construction, et il y a une modernisation du pays, des infrastructures notamment.

C’est le moment où la pétromonarchie cherche à établir un régime en phase avec le développement mondial des forces productives ; il n’est plus possible de rester à l’écart sur une base féodale même un peu développée.

On ne sera nullement étonné des propos tenus par la suite par Hugo Chávez, qui prendra le pouvoir un peu plus tard.

« Je crois que le général Pérez Jiménez a été le meilleur président que le Venezuela ait eu depuis longtemps. (…)

Il était meilleur que Rómulo Betancourt, il était meilleur que tous les autres. Je ne vais pas les nommer. (…)

Ils le détestaient parce que c’était un militaire (…).

Écoutez, sans le général Pérez Jiménez, pensez-vous que nous aurions Fuerte Tiuna[un bâtiment militaire], l’Académie, l’Efofac[Escuela Fundamental de Formación de la Fuerza Armada de Caracas, l’école fondamentale de formation des Forces armées de Caracas], le Cercle militaire[un Club pour les militaires], Los Próceres[important monument et boulevard à Caracas, dédié aux héros nationaux], l’autoroute Caracas-La Guaira[reliant la capitale et un port important], les superblocs du 23 janvier[blocs d’appartements], l’autoroute du Centre[reliant Caracas et les régions centrales], le téléphérique[reliant Caracas à la montagne Avila],la sidérurgie,[le complexe hydroélectrique de]Guri ? »

Et la suite des événements explique justement la position de Hugo Chávez.

Car l’ignoble dictateur militaire Marcos Pérez Jiménez cherchait à moderniser le capitalisme bureaucratique du Venezuela, de manière unifiée.

Cela finit par déplaire aux États-Unis qui portèrent Rómulo Betancourt au pouvoir en 1958, avec le parti Acción Democrática (Action Démocratique). Il avait déjà été président durant le court intermède de 1945-1948 et cela souligne la question de fond.

Rómulo Betancourt

Les régimes militaires étaient considérés par les États-Unis comme un problème sur le plan de la gestion, le manque de modernité leur était flagrant.

Il fallait, avec le développement du capitalisme à l’échelle mondiale, une forte capacité d’adaptation et seul un certain libéralisme le permettait, à leurs yeux.

Au lieu d’interdire les communistes, comme auparavant, il valait mieux les exclure, selon les États-Unis.

C’est le sens du Pacte de Puntofijo signé en 1958 par trois partis se partageant les institutions : les modernistes d’Acción Democrática (Action Démocratique), les démocrates-chrétiens du Comité de Organización Política Electoral Independiente (Comité d’organisation politique électorale indépendante), les libéraux-sociaux de la Unión Republicana Democrática (Union Républicaine Démocratique).

Le drapeau du Venezuela

Suivirent comme présidents Raúl Leoni (Acción Democrática), Rafael Caldera (Comité de Organización Política Electoral Independiente), Carlos Andrés Pérez (Acción Democrática), Luis Herrera Campins (Comité de Organización Política Electoral Independiente), Jaime Lusinchi (Acción Democrática), Carlos Andrés Pérez (Acción Democrática)…

Puis certains présidents revinrent, mais c’est sans importance. C’est qu’entre en scène un militaire nostalgique de la tentative d’instaurer un capitalisme bureaucratique réellement constitué : Hugo Chávez.

Celui-ci avait fondé un mouvement au sein de l’armée, avec finalement une composante civile, le Movimiento Bolivariano Revolucionario-200 (Mouvement Bolivarien Révolutionnaire – 200, pour le 200e anniversaire de Simón Bolívar).

La tentative de coup d’État en 1992 échoua, mais Hugo Chávez fut élu président en 1998 avec 56,2 % des voix, réélu en 2000 avec 59,8 % des voix, puis en 2006 avec 62,8 % des voix et en 2012 avec 55,1 % des voix.

Hugo Chávez au moment de la tentative de soulèvement (wikipedia)

Il est décédé en 2013 et c’est Nicolás Maduro qui lui succéda, et qui poursuivit la « révolution bolivarienne », avec comme parti dirigeant le Partido Socialista Unido de Venezuela (Parti Socialiste Uni du Venezuela).

Si on n’a pas suivi le parcours du Venezuela, et si on n’a pas compris la tentative du général Marcos Pérez Jiménez d’instaurer un capitalisme bureaucratique « moderne » dans les années 1950, on ne peut pas comprendre l’idéologie du « bolivarisme », qui semble mélanger toutes les idéologies.

Hugo Chávez joua lui-même beaucoup là-dessus, expliquant en 1999 au quotidien américain le New York Times :

« Si vous essayez de déterminer si Chávez est de gauche, de droite ou du centre, s’il est socialiste, communiste ou capitaliste, eh bien, je ne suis aucun de ceux-là, mais j’ai un peu de tout cela. »

Car il faut bien comprendre la chose suivante : le Venezuela n’est pas encore une nation.

C’est une province coloniale espagnole, où les Espagnols nés sur place ont fini par prendre le pouvoir.

Ils ont alors dominé de manière féodale, et ont cherché à moderniser leur domination.

Le pays était tellement arriéré que tout a été lent, très lent, jusqu’à ce qu’il y ait le pétrole.

Caracas

Là deux options s’opposent : devenir une simple colonie américaine en s’adaptant comme il semble bon aux États-Unis, ou maintenir comme depuis le départ un cadre particulièrement rigide.

Le pétrole permettait la tentative rigide : c’est le sens de la politique de Hugo Chávez, qui se tourna vers Cuba, l’Iran, la Russie et la Chine afin d’avoir des partenaires autres que les États-Unis, qui eux voulaient un Venezuela « adaptable »

Hugo Chávez et le président russe Vladimir Poutine, 2004

C’est cette contradiction qui permet à Hugo Chávez de se présenter comme patriote, anti-impérialiste, etc. ; en réalité, il a agi afin de maintenir le cadre initial qui a donné naissance, par en haut, à l’État du Venezuela.

Et, somme toute, Hugo Chávez a « raison » au sens où, sans le capitalisme bureaucratique qu’il a promu, il ne peut même plus y avoir de Venezuela !

Le Venezuela se transformerait en simple lieu géographique, dont l’emploi est de servir les États-Unis.

Inversement, aucune nation ne peut « naître » par en haut. La nation vient du peuple, de son parcours historique.

Rappelons ici la définition scientifique de la nation : « une communauté stable, historiquement constituée, de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique, qui se traduit dans la communauté de culture » (Staline).

Hugo Chávez avait comme but le « maintien » perpétuel, c’est-à-dire l’invention d’une nation, par en haut, par l’intermédiaire d’un capitalisme bureaucratique profitant du pétrole, systématisant le corporatisme et le populisme, au moyen de mythes autour de Simón Bolívar.

C’est pour cela qu’il a pu se revendiquer de la « révolution permanente » de Léon Trotsky : un tel régime, autour d’une nation fictive en constitution permanente, exige tout le temps une fuite en avant.

D’où l’agitation ininterrompue de Hugo Chávez, les mesures populistes, les propos outranciers, tout le théâtre autour de sa personnalité, etc.

Grands portraits au siège de la Banque nationale, avec Hugo Chávez, Simón Bolívar. Nicolás Maduro

D’où, immanquablement, une étatisation bureaucratique de l’économie, principalement par l’intermédiaire de l’armée, qui multiplie les initiatives économiques et dispose de centaines d’officiers dans de multiples entreprises, en plus des centaines déjà à des postes gouvernementaux.

Par contre, en même temps, il n’est pas touché aux fondamentaux du Venezuela : l’existence des grands propriétaires terriens, qui possèdent la très grande majorité des terres.

Il y a bien 3 millions d’hectares distribués, mais elles étaient inexploitées ou sans preuve de propriété légitime depuis 1830.

C’est là un fait notable. Le « bolivarisme » est le produit national d’un État qui s’est constitué de manière féodale, par un assemblage de « chefs » : il ne peut pas supprimer le féodalisme des campagnes, car il prolonge une situation dont le socle est justement ce féodalisme.

Tout l’autoritarisme bureaucratique, l’aventurisme prétentieux, bref la dimension outrancièrement patriarcale à la latino-américaine naît de là.

Quant aux origines de l’ambition du capitalisme bureaucratique, et de son aventurisme avec Hugo Chávez, elle est simple : le Venezuela est le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole du monde, avec environ 300 milliards de barils.

Il faut ajouter à cela de riches gisements de gaz, de différents minerais, de terres rares comme le coltan.

Le capitalisme bureaucratique considère qu’il peut se maintenir, et pour se maintenir il doit prétendre permettre une immense avancée nationale, son seul justificatif pour légitimer la construction permanente du pays par en haut.

Comment alors caractériser le Venezuela ?

C’est simple : son parcours ne relève pas de l’Amérique latine.

Il faut prendre en compte ses 2 600 kilomètres de côtes sur la mer des Caraïbes et considérer qu’il relève d’ailleurs des Caraïbes, voire qu’il est le prolongement de l’Amérique centrale.

Il n’y a pas eu des échanges économiques suffisants pour produire une dynamique fournissant une riche histoire, où le peuple pourrait s’insérer, d’une manière ou d’une autre, d’où le populisme, le corporatisme, le « socialisme du 21e siècle » proposé par le bolivarisme, qui relève concrètement du fascisme.

Et les États-Unis entendent mettre au pas cette tentative de capitalisme bureaucratique « fermé », d’où la tentative de coup d’État pro-américain en 2002, des opérations de déstabilisation, la remise du prix Nobel de la paix en 2025 à la dirigeante de l’opposition María Corina Machado.

Maracay

Il y a toutefois une différence avec l’Amérique centrale. Pour les pays d’Amérique centrale, qui ont été très tôt entièrement soumis par les États-Unis, c’est la question de la libération anti-impérialiste qui joue d’abord, primant même sur la dimension féodale (qui elle prime dans le reste de l’Amérique latine).

Pour le Venezuela, par contre, il y a la question pétrolière qui joue de manière principale.

Relève-t-elle de la dimension semi-féodale ou de la dimension semi-coloniale ?

Elle relève de la dimension semi-féodale, car on a vu que le féodalisme est passé par la question pétrolière pour établir le capitalisme bureaucratique. Le peuple doit s’affirmer, pour la première fois historiquement, par la guerre, pour exiger la socialisation de cette richesse centrale du pays.

La guerre populaire permettra alors la systématisation de la démocratie dans le pays – ce qui implique qu’en même temps que l’appropriation populaire du pétrole, toutes les grandes propriétés terriennes soient supprimées.

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Les pays issus de la colonisation espagnole de l’Amérique