Vladimir Vernadsky et la migration biogène des atomes : les oiseaux et les humains

Voici comment Vladimir Vernadsky, dans La Matière vivante et la chimie de la mer, présente en 1924 l’exemple des oiseaux pour les migrations des éléments chimiques.

« Je ne dirai que quelques mots sur l’importance que présente l’activité des animaux terrestres. Nous ne nous rendons habituellement pas compte de la portée de leur vie au point de vue géochimique. L’appareil qui à l’heure présente remplit cette fonction est représenté principalement parle règne des oiseaux ─ des organismes ailés.

En particulier, il se manifeste par leurs migrations périodiques, qui forment une importante et caractéristique partie du mécanisme qui mélange les éléments chimiques sur la surface de notre planète.

Des myriades d’oiseaux accomplissent d’immenses migrations à des dates régulières, ils traversent des milliers de kilomètres et transportent dans leurs corps d’un lieu à d’autres de notre planète des éléments chimiques, accomplissant par ce procédé un immense travail chimique.

Un grand rôle est rempli par les oiseaux marins, qui arrivent en hiver dans les pays chauds et au printemps s’envolent pour les rivages froids de l’océan.

Mais aussi la masse principale des oiseaux marins qui restent toujours sur place (par exemple les pingouins et d’autres oiseaux qui forment des marchés d’oiseaux) accomplissent un travail identique.

Ils tirent continuellement de la mer une grande quantité d’éléments chimiques pour leur nourriture, et les transportent sur la terre ferme.

La portée de ce phénomène est évidente. Il suffit de nous représenter la quantité des restes qui se rassemblent sous forme de guano dans des conditions climatiques favorables.

Dans les régions littorales de l’océan ─ pauvres en météores aquatiques ─ ils forment des masses de dizaines et de centaines de milliers de tonnes. »

Vladimir Vernadsky, La Matière vivante et la chimie de la mer, 1924

Voici comment, dans L’évolution des espèces et la matière vivante, en 1928, il reprend cette idée, et expose le rôle de l’humanité désormais pour cette migration. Il est le premier à affirmer :

a) que cette migration provoquée par l’humanité est de grande ampleur et en cours ;

b) qu’on en était alors qu’à des débuts d’une transformation générale.

« Dans le mécanisme de la biosphère, dans la migration biogène des atomes, les oiseaux, ainsi que les autres organismes volants, jouent un rôle immense pour ce qui est de l’échange de la matière entre la Terre ferme et l’eau, principalement entre le continent et l’Océan !

Le rôle des oiseaux s’oppose ici à celui des fleuves, mais, par la quantité des masses transportées, il s’en rapproche. Les migrations des oiseaux rendent ce rôle encore plus important en ce qui concerne la circulation biogène des atomes.

L’apparition de ces espèces de vertébrés ailés a non seulement créé de nouvelles formes de migrations biogènes et a eu une répercussion sur la balance chimique de la mer et du continent, mais elle a provoqué encore une recrudescence de la migration biogène au cours de l’histoire de corps séparés, en particulier dans celle du phosphore.

Les invertébrés ailés, les insectes, n’ont pas joué un rôle aussi important. Il est vrai que les sauriens volants sont apparus avant les oiseaux, mais tout indique qu’ils n’ont pas exercé une action comparable à la leur. L’apparition des oiseaux paraît liée à celle de nouveaux types de forêts, ou, en tout cas, semble avoir coïncidé avec celle-ci.

Le rôle de l’humanité civilisée du point de vue de la migration biogène a été infiniment plus important que celui des autres vertébrés.

Ici, pour la première fois dans l’histoire de la Terre, la migration biogène, due au développement de l’action de la technique a pu avoir une signification plus grande que la migration biogène déterminée par la masse de la matière vivante.

En même temps, les migrations biogènes ont changé pour tous les éléments.

Ce processus s’est effectué très rapidement dans un espace de temps insignifiant.

La face de la Terre s’est transformée d’une façon méconnaissable et pourtant il est évident que l’ère de cette transformation ne fait que commencer. »

Vladimir Vernadsky, L’évolution des espèces et la matière vivante, 1928

Ces dernières lignes font de Vladimir Vernadsky l’un des plus grands penseurs du XXe siècle.

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