20 thèses pour la démocratie populaire

Version de novembre 2019. Texte disponible au format pdf.

1.

Il y a deux faits marquants sur le plan des tendances à l’échelle mondiale. Le premier est l’émergence d’une idéologie libérale cosmopolite affirmant le caractère irréductiblement différent de chaque individu. C’est là le reflet de la diffusion renforcée du capital au-delà de toutes frontières politiques, économiques, sociales, culturelles, etc., c’est-à-dire la « mondialisation ». Le second phénomène est un repli identitaire, une crispation générale sur la base nationale, avec un esprit agressif d’égoïsme et de compétition. C’est là le reflet de la concurrence capitaliste mondiale.

2.

Les forces révolutionnaires sont pratiquement inexistantes dans un tel contexte, car elles sont coincées entre un « progressisme » appuyant le libéralisme et un conservatisme aux prétentions sociales. À cet espace particulièrement restreint s’ajoute le fait que lors du grand cycle d’accumulation capitaliste commencé en 1945, la tentative de construire des avant-gardes révolutionnaires durant la période 1960-1980 a échoué, ce qui renforce d’autant plus les faiblesses et l’isolement.

3.

Le capitalisme a des besoins contradictoires. D’un côté, il a tout à fait besoin que le marché se développe, alors que de l’autre, il y a des bases capitalistes en concurrence qui vont à l’affrontement pour maintenir ou conquérir une position monopoliste, principalement les États-Unis et la Chine. La thèse communiste est que l’aspect principal de la situation mondiale est la concurrence et non l’établissement du marché mondial unifié ; la thèse sociale-réformiste prétend que c’est l’établissement du marché mondial unifié et non la guerre, celle-ci étant évitable.

4.

Les masses des pays capitalistes ont subi l’atomisation propre au capitalisme, avec la dépolitisation et l’indifférence à la démocratie dans le cadre d’une société de consommation répondant aux exigences capitalistes. Elles sont profondément corrompues dans leur mode de vie et sur le plan des valeurs en général. Elles repoussent au maximum le fait de se remettre en cause, épousent aisément le populisme comme dernier recours, sont rétives aux principes d’organisation collective et de responsabilité personnelle.

5.

Ces masses ont en même temps connu le développement des forces productives et par conséquent une élévation de leur niveau culturel, une meilleure compréhension de la réalité. Leur besoin d’une société où s’épanouir a grandi sans commune mesure, tout comme leur capacité d’analyse, d’ouverture sur des thèmes multiples. À cela s’ajoute le métissage, le dépassement des barrières ethniques ou religieuses.

6.

La paralysie des masses, l’affrontement libéralisme « progressiste » – conservatisme identitaire, la tendance à la guerre… impliquent que le principe même de démocratie endure toujours plus les coups de boutoirs de l’individualisme forcené, du sectarisme nationaliste, de la militarisation, de l’indifférence apolitique et du populisme démagogue. La démocratie bourgeoise elle-même s’effiloche, s’amenuise, s’efface.

7.

Il ne s’agit pas de savoir si le programme d’une révolution doit s’en tenir à une perspective maximaliste ou minimale. Le principe même de programme en faveur d’un socialisme construit rationnellement par des masses mobilisées positivement est une abstraction complète dans un tel contexte. Il ne peut exister au mieux que des poches de résistance et un travail au corps de toute la société par des principes.

8.

En même temps, les avancées d’un repli sectaire, nationaliste, militariste ne peuvent aucunement se maintenir sur le long terme. De manière dialectique, leur existence est liée à la passivité des masses brisées par le développement et l’approfondissement du capitalisme… alors qu’en même temps et par là même, les masses ont atteint un niveau de conscience concrète et d’ouverture sur le monde totalement incompatible avec tout nationalisme. Le capitalisme a permis l’avènement possible d’une république unifiée des masses mondiales – mais il est incapable d’y parvenir, car la concurrence produit le monopole et donc la tendance à la division par l’affrontement.

9.

Ce qui se joue à l’arrière-plan, c’est l’entrée en décadence complète des couches dominantes de la société, qui ne maîtrisent plus rien et se font les simples jouets de la compétition capitaliste mondiale. Cela se déroule alors que les masses aliénées et exploitées ont les moyens de changer tout cela, mais ne sont pas engagées encore dans le processus. C’est là où émerge la conscience naissante des masses mondiales et en particulier de la classe ouvrière, dans cet affrontement entre tendances :

* l’enfermement dans des activités bornées / l’affirmation de la nécessité de la combinaison du travail manuel et du travail intellectuel pour être épanoui ;

* l’esprit superficiel de consommation futile / la mise en valeur des classiques et l’élévation du niveau culturel ;

* l’art contemporain et le subjectivisme dans l’esthétique / le réalisme dans les arts et les lettres ;

* la démarche utilitariste de tout ce qui existe / la valorisation et la protection de la matière vivante comme produit de l’évolution ininterrompue de l’univers ;

* le rejet des réalités matérielles au nom d’un prétendu libre-arbitre / l’affirmation de la dimension naturelle de l’humanité

* les comportements concurrentiels et l’éloge de la brutalité / la défense de la civilisation et l’esprit de collectivité ;

* le goût pour la petite propriété et l’accumulation de richesses / l’épanouissement personnel dans la participation à l’universalisme de la société.

10.

L’affrontement entre ces tendances se lit comme l’affrontement entre le capitalisme en crise ainsi que toujours plus aux mains des monopoles et la démocratie populaire comme expression des intérêts réels des masses mondiales. Le processus d’affirmation des masses populaires est en effet à la fois lent et non-linéaire, il s’affirme comme une boule de neige accumulant au fur et à mesure de la puissance. Les communistes se placent et émergent dans le rôle d’appareil au service des masses dans le cadre de leur affrontement avec les valeurs anti-démocratiques, dans leur prise de conscience rationnelle des faits, dans leur auto-organisation pour établir un nouveau pouvoir permettant le triomphe de la tendance positive et l’écrasement de la tendance négative.

11.

L’Internationale Communiste constatait déjà que la France était une puissance capitaliste vivant au-dessus de ses moyens. Son passé colonial, sa puissance financière, sa base industrielle, son aura culturelle… l’amènent à vouloir se maintenir comme une des puissances majeures, mais cela lui a toujours été difficile. Les déconvenues ont été nombreuses, comme la défaite de 1940 et le démantèlement de l’immense empire colonial, même si dans ce dernier cas une forme nouvelle de colonialisme, plus subtile, s’est instaurée. La France apparaît ici comme le maillon faible de la chaîne impérialiste, avec un État historiquement très volontariste et une bourgeoisie aux ambitions démesurées. La tendance au néo-gaullisme lui est naturelle.

12.

La France a une longue tradition de rapports bourgeois pacifiés, au moyen de dispositifs puissants tels les syndicats, la franc-maçonnerie, l’idéologie de la neutralité républicaine, le monde associatif, le réseau des municipalités, des départements et des régions. Même le Parti Communiste français membre de l’Internationale Communiste a fini par succomber culturellement et idéologiquement malgré sa puissante base de masse. Il y a en France une grande tradition du « refus des extrêmes », de la « mesure » comme critère de vérité, d’annulation des contradictions.

13.

En France, les masses sont systématiquement mises à l’écart des processus de décisions, mais en même temps leur mobilisation-intégration dans les institutions, les initiatives militaristes… est une règle considérée comme incontournable. Il y a un style napoléonien chez les couches dominantes, qui ne se contentent pas de vouloir une soumission, mais exigent bien une participation au mouvement d’ensemble.

14.

L’idéologie républicaine est très puissante depuis Jean Jaurès ; elle affirme que la défense du régime républicain implique en soi une défense des masses populaires, voire même une tendance à la justice sociale, à la socialisation, au socialisme. C’est un aspect idéologique et culturel très puissant, qui a historiquement anéanti en France l’assimilation des enseignements de Karl Marx et Friedrich Engels. La France n’a pas connu de social-démocratie, mais des socialistes fédérés, sans unité ni souci de cohérence. Le Parti Communiste français a émergé par la suite comme courant ultra-gauchiste avant de se recentrer.

15.

L’anarchisme est une démarche très importante en France. Cela tient à la petite propriété paysanne s’étant très longtemps maintenue, ainsi qu’à l’existence d’une petite-bourgeoisie numériquement très importante. Sans ambition mais soucieux de faire du bruit et de se raccrocher à tout ce qu’il peut, l’anarchisme français est un obstacle majeur à une lutte prolongée, consciente, organisée, assumant la formation d’un nouveau pouvoir.

16.

Les larges masses affrontent ici deux écueils : tout d’abord, la capacité de la haute-bourgeoisie à parvenir à des mobilisations dans le sens de la réimpulsion du régime, du capitalisme, sous une bannière néo-gaulliste. Ensuite, les voies de garage des versions républicaine ou anarchiste de protestation, les deux se nourrissant l’une de l’autre de par les trahisons des uns, les absences de résultat de l’autre.

17.

De par son histoire, la France a cependant un important parcours de combat démocratique et d’exigences populaires. Le refus d’un caractère trop unilatéral des décisions étatiques est fortement présent, ainsi qu’un large refus de la torture et de la militarisation. Même le chauvinisme de grande puissance échoue à s’enraciner suffisamment pour aboutir à un nationalisme ayant une large base populaire organisée. À cela s’ajoute un souci très partagé d’exigence en termes de civilisation.

18.

La France connaît également des marqueurs historiques servant d’indicateurs dans la compréhension de la lutte des masses populaires : la Commune de Paris de 1871, le Front populaire de 1936, la Résistance, mai 1968. Il y a également une tradition d’effervescence combative dans de larges secteurs des masses, notamment la jeunesse. À cela s’ajoute la question de l’écologie et des animaux qui apparaît comme un nouveau et très important segment du réseau de contradictions de la société française.

19.

Il apparaît de tout ceci que les masses n’ont aucune capacité à agir de manière consciente et organisée face aux événements ; elles sont clairement à la traîne par rapport à ceux-ci. Tout volontarisme visant à pousser de manière offensive les masses à l’action sur un terrain de grande ampleur ou bien avec un niveau approfondi ne peut qu’échouer. Il y a toutefois le terreau parfait pour une résistance aux initiatives des couches dominantes, à condition que les masses disposent des outils adéquats pour canaliser leur résistance et établir des points de fixation où développer la conscience de leur expérience et, au-delà, la conscience de l’ensemble des rapports sociaux.

20.

La démocratie populaire est la bannière adéquate pour synthétiser les oppositions de masse qui cherchent à dépasser le simple horizon immédiat de résistance pour tenter d’aller à une véritable mise en perspective. La multiplicité des expériences pose ici la nécessité de toute une série d’étapes démocratiques, qui permettront d’aller dans le sens d’une synthèse socialiste sous l’impulsion de la classe ouvrière. Le retard à l’allumage des masses populaires se convertit ainsi en résistance populaire diffuse, se cristallisant au fur et à mesure de l’affirmation de la tendance à la guerre, se synthétisant dans le refus du triomphe de la tendance négative et comprenant la nécessité absolue de faire triompher la tendance positive : celle de la socialisation des monopoles, de la destruction du parti de la guerre, de l’écrasement de la haute bourgeoisie décadente.