La peinture des ambulants russes : Ilya Répine, le maître

C’est Vladimir Stassov qui a découvert Ilya Répine, et ce peintre est considéré comme la grande figure des peintres ambulants. Né en 1844 dans la province de Kharkov dans la famille d’un militaire, il devint étudiant de l’académie de 1864 à 1871, rejoignant les expositions itinérantes à partir de 1874, pour rejoindre en 1878 la Société des Expositions itinérantes. Il devint ensuite professeur à l’académie, de 1894 à 1907.

Voici son autoportrait, et le portrait qu’il a réalisé de sa femme, Vera, ainsi qu’un autre portrait où on la voit se reposer.

Ilya Répine a peint des œuvres qui ont profondément marqué la Russie, faisant de lui une figure incontournable, dès son vivant. Celle la plus célèbre est sans doute l’une de ses premières, Les haleurs de la Volga (1870-1873). Les haleurs tiraient alors les bateaux, les faisant remonter les cours d’eaux, à contre-courant.

Le réalisme est impeccable, notamment dans sa présentation de la dimension typique, du caractère des personnages. La dénonciation allégorique du régime est évidente, et si on fait attention on voit que c’est le plus jeune, à l’habit plus clair, qui semble protester, annonçant la révolte. On a surtout une image du peuple travailleurs en pleine lumière, avec une force physique présentée comme inébranlable.

Les haleurs de la Volga

Vladimir Stassov dira de Ilya Répine et de cette peinture :

« Avec une audance sans précédent parmi nous, Ilya Répine a abandonné toutes les précédentes conceptions de l’idéal dans l’art, et a plongé sa tête dans le coeur même de la vie populaire, des intérêts populaires, et de la réalité oppressive pour le peuple… Personne en Russie n’avait jusqu’ici osé prendre un tel thème. »

Une autre œuvre extrêmement célèbre est La procession dans la province de Koursk (1880-1883). Ici encore, on a une œuvre magistrale, avec un sens du détail qui ne nuit pas au typique, et qui présente clairement la situation des masses soumises au tsar. C’est d’autant plus frappant qu’on est pourtant après l’abolition du servage.

Dans une atmosphère poussiéreuse, les masses semblent pieuses et unies, alors que les individus qui se dégagent frappent, harcèlent la foule, afin de l’empêcher d’approcher les icônes. Le peuple veut les prier pour demander de l’aide, mais elles sont fermement dans les mains des paysans riches.

La procession dans la province de Koursk

Bien entendu, Ilya Répine a également réalisé des portraits de genre plus classiques également. Voici A sa patrie. Le héros de la dernière guerre (1878), L’envoi d’une recrue (1879), Une fête en soirée (1889), Un juif priant (1875), Le vendeur des œuvres des étudiants à l’académie (1875).

A sa patrie. Le héros de la dernière guerre
L’envoi d’une recrue
Une fête en soirée
 Un juif priant
Le vendeur des œuvres des étudiants à l’académie

Ilya Répine aborda également des thèmes historiques et l’oeuvre la plus célèbre en ce domaine est certainement Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie (1880-1891). Les Zaporogues étaient des cosaques d’Ukraine qui au XVIIe siècle avaient battu les forces turques ; ils répondirent par une lettre d’insulte au sultan exigeant tout de même qu’ils se soumettent.

Gogol retrace le mode de vie des cosaques zaporogues dans Taras Boulba, qui présente la situation ukrainienne alors. Dans une lettre à Vladimir Stassov, Ilya Répine écrivit en parlant des Zaporogues :

« Tout ce que Gogol a écrit sur eux est vrai ! Un sacré peuple ! Personne dans le monde entier n’a ressenti aussi profondément la liberté, l’égalité et la fraternité. »

Au-delà de l’aspect historique, il y a donc bien sûr l’allusion à la rébellion contre l’État central.

 Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie

On notera que le cosaque riant en habit rouge a également comme modèle le journaliste Vladimir GuIlyarovski, qui descendait des cosaques zaporogues, avait lui-même travaillé comme haleur sur la Volga ou encore dans usine de plomb toxique, afin de faire carrière dans la presse en portant une attention particulière à côté sur la vie des quartiers pauvres de Moscou.

Il aida à ce titre Maxime Gorki à se documenter pour sa fameuse œuvre Les bas-fonds ; après 1917, il participa à la vie intellectuelle socialiste concernant notamment l’histoire de la vie des moscovites.

Une œuvre extrêmement forte, encore une fois historique, est Ivan le terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581 (1885). Cela montre Ivan le terrible suite à une crise de rage où il a tué son propre fils. Encore une fois, l’allusion politique sur la toute puissance meurtrière est évidente.

Ivan le terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581

Dans un même esprit, voici le Portrait de la régente Sophie (1879), Sofia Alexeïena, qui avait tenté de comploter contre Pierre Ier, au moyen des unités streltsy. Pierre Ier en avait fait pendre aux fenêtres du couvent de Novodievitchi où elle avait été recluse, à la toute fin du XVIIe siècle et on peut donc voir un cadavre à la fenêtre. Encore une fois la brutalité du régime est ici exposée.

Portrait de la régente Sophie

Ce qui est d’autant plus troublant, quand on y regarde de près, est que Ilya Répine ait pu également faire de nombreux portraits du tsar et se voir entièrement reconnu. Les haleurs de la Volga fut acheté 3 000 roubles par le fils du tsar, le grand-duc Vladimir Alexandrovitch et exposé plusieurs fois en Europe, permettant à Ilya Répine de vivre de son art. Le tableau Les zaporogues écrivent une lettre au sultan de Turquie a même été acheté par le tsar Alexandre III pour 35 000 roubles, la somme la plus importante jamais déboursée alors pour une œuvre d’un peintre russe.

En fait, après que Vladimir Stassov ait souligné sa valeur, Ilya Répine a tout de suite été compris comme un grand peintre et l’académie a tout fait pour qu’il s’intègre parfaitement, qu’il puisse voyager à l’étranger, afin de tenter de l’insérer dans leur démarche. Ce fut à lui qu’on confia en 1892 la réorganisation de l’académie ; figure tout à fait reconnue, il fut même titulaire de la légion d’honneur française en 1901.

Peintre considéré comme le plus grand en Russie alors, il réalisa par exemple de manière on ne peut plus officielle en 1903 un tableau de 4 mètres sur 8,7 mètres intitulé la Session protocolaire du Conseil d’État pour marquer son centenaire le 7 mai 1901.

Session protocolaire du Conseil d’État pour marquer son centenaire le 7 mai 1901

Ilya Répine, toutefois, resta fidèle aux itinérants et à leur approche ; voici un exemple avec une peinture sur La manifestation du 17 octobre 1905, qui suivit la capitulation du tsar et sa déclaration d’un manifeste annonçant une constitution.

La manifestation du 17 octobre 1905

La contradiction est évidente : d’un côté Ilya Répine est une figure reconnue parfaitement insérée dans les institutions, de l’autre il est partie prenant de la transformation progressiste de la société. Il s’agit en fait d’un révolutionnaire démocrate, pouvant être associé au régime dans la mesure où celui-ci tend à une monarchie absolue s’opposant au féodalisme, mais s’opposant à lui quand il s’oppose à la bourgeoisie et aux réformes démocratiques.

Ilya Répine a d’ailleurs peint des tableaux tout à fait clair dans leur expression, dans l’esprit des ambulants. Voici un tableau fameux, On ne l’attendait pas (1884-1888), montrant quelqu’un revenant de déportation, affaibli.

Quel sera l’accueil qui lui sera fait, après tant d’années? Les portraits des grands démocrates Taras Chevtchenko et Nikolaï Nekrassov, qu’on voit sur le mur, annonce la tendance : il sera la bienvenue !

On ne l’attendait pas

Dans un même esprit, voici La réunion clandestine (1883), Le refus de la confession avant l’exécution (1879-1885), dont la fin du titre est souvent oublié et pourtant change tout, ainsi que deux versions de L’arrestation du propagandiste (1880-1892).

La réunion clandestine
Le refus de la confession avant l’exécution
L’arrestation du propagandiste
L’arrestation du propagandiste

Voici également un tableau de 1883, qui présente La réunion de commémoration annuelle près du mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise à Paris. On a là un tableau dont la dimension révolutionnaire est évidente, mais on peut déjà noter que dans la structure de l’oeuvre, il y a une très forte influence de l’impressionnisme.

Cette influence, que Ilya Répine assumera grandement pour une partie de ses œuvres, était évidemment la hantise de quelqu’un comme Vladimir Stassov. A la place du réalisme, il y a une tentative d’élaboration subjectiviste avec des jeux sur les lumières et les couleurs.

La réunion de commémoration annuelle près du mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise

L’enterrement rouge, peinture de 1916, est ainsi engagée politiquement, mais sa forme a tout à fait basculé dans l’impressionnisme.

L’enterrement rouge

La dimension impressionniste est également tout à fait frappante pour Léon Tolstoï labourant un champ, tableau de 1887, ou pour le portrait du savant Dmitri Mendeleïev, en 1885.

Léon Tolstoï labourant un champ
Dmitri Mendeleïev

Paradoxalement voici deux œuvres à prétention religieuse mais dont l’approche réaliste transcende clairement la religion, pour arriver à la compassion. Il s’agit de Saint Nicolas sauvant trois innocents de la mort (1888) et de Nicolas de Myre empêchant la mort de trois innocents (1890).

Saint Nicolas sauvant trois innocents de la mort
Nicolas de Myre empêchant la mort de trois innocents

Ilya Répine a découvert l’impressionnisme à Paris. Cela ne se ressent pratiquement pas pour le magistral Un café parisien (1875) et ses détails typiques, ses caractères exemplaires, en faisant une oeuvre terriblement sous-estimée de par sa dimension réaliste d’une immense force (notamment au niveau des lumières de l’époque), mais c’est déjà relativement apparent pour Un vendeur de nouveautés à Paris (1873).

n café parisien 
Un vendeur de nouveautés à Paris

De manière plus pertinente, on a une inspiration dans les contes et légendes russes, comme ici de manière très réussie avec le majestueux Sadko (1876).

Sadko

Ilya Répine vivait dans ses « pénates », à une quarantaine de kilomètres de Saint-Pétersbourg, dans une maison sans aucun serviteur où il invitait de nombreuses personnes, qui découvrait cependant à leur arrivée une pancarte avec inscrite dessus « Débrouillez-vous ! ».

Chaque mercredi était prétexte à un rendez-vous de discussions. Voici une esquisse datant de 1905 montrant l’illustre Maxime Gorki lisant, dans les pénates, des extraits de sa pièce Les enfants du soleil. Suit une photographie à l’extérieur des pénates avec Maxime Gorki, Vladimir Stassov et Ilya Répine.

Ilya Répine avait peint Alexandre Kerensky, chef de file de la révolution de février 1917. Il remit le portrait, clairement impressionniste, non réaliste, avec des esquisses sur la révolution de 1905, au Musée Central de la Révolution, en 1926, année d’une visite d’une délégation soviétique. Sa maison se trouvait alors en zone finlandaise. L’année précédente, une exposition de ses œuvres avait eu lieu à Léningrad.

Alexandre Kerensky

L’œuvre d’Ilya Répine, malgré une ouverture à l’impressionnisme qui nuisit à la continuité de son élan – alors que lui-même rejetait l’impressionnisme -, reste magistrale. On a ici un réalisme ancré dans la dignité du réel, écrasant tant le conservatisme académique que les modernistes dédacents. Au grand dam d’un peintre idéaliste comme Mikhaïl Vroubel (1856-1910), qui dénonça ainsi l’époque et Ilya Répine :

 « Au style grossier des années soixante succéda un mouvement nationaliste intellectuel qui estimait un tableau pour la simplicité de son idée, sa valeur d’affiche et l’anonymat de sa technique. Même le grand talent de Ilya Répine s’éteignit dans cette atmosphère inanimée ; son manque d’intensité artistique imprima à son œuvre un caractère informe. »

L’idéalisme rejette par définition le matérialisme, et la perspective de Ilya Répine est matérialiste, un matérialisme vécu au plus profond de son existence :

« De toutes mes misérables forces je tâche d’incarner mes idées dans la vérité; la vie qui m’entoure m’émeut trop, me travaille sans répit, m’appelle à mon chevalet ; la réalité est trop cruelle pour y broder la conscience tranquille des motifs insolites. »

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes et l’importance de Vladimir Stassov

A la suite des ambulants développant leur réalisme, il exista un autre courant rejetant l’académisme, qu’on peut qualifier de « moderniste ». Porté par Serge de Diaghilev (1872-1929), célèbre pour ses « ballets russes » parisiens, et Alexandre Benois (1870-1960), le modernisme avait comme organe de presse Mir iskousstva (Le monde de l’art) et défendait l’ouverture culturelle aux pays où le capitalisme s’était élancé et l’acceptation des nouvelles formes.

La menace que cela faisait peser sur les ambulants fut parfaitement compris par Vladimir Stassov (1824-1906). Critique d’art ayant joué un rôle très important pour les ambulants, devenant en quelque sorte leur porte-parole en théorisant leur démarche, il mena une fervente bataille contre les modernistes, contre leur démarche consistant, pour reprendre ses formules, en du « trash décadent » et « une orgie de débauche ».

Vladimir Stassov par Ilya Répine

Vladimir Stassov voulait à la fois sortir du conservatisme féodal, de l’arriération et de l’isolement culturel, mais en même temps cela ne devait pas, selon lui, passer par l’acquisition des principes développés ailleurs qu’en Russie. On a ici une démarche de rejet tant du conservatisme que du cosmopolitisme, qu’on retrouvera précisément dans le réalisme socialiste.

A la bourgeoisie « moderniste » reprenant les concepts directement depuis les pays capitalistes, Vladimir Stassov opposait les principes de démocratie, d’art comme production du peuple. Vladimir Stassov défendait la conception nationale bourgeoise démocratique, contre le conservatisme féodal et le décadentisme bourgeois. Il était un partisan de ce qu’on appelle le « folklore », dans toute sa richesse en tant que production du peuple.

Vladimir Stassov par Ilya Répine

Cette position n’est évidemment compréhensible que par le matérialisme dialectique ; les commentateurs bourgeois n’ont jamais compris Vladimir Stassov, qui serait passé d’une position libérale à un chauvinisme conservateur. Il y a en réalité une profonde continuité, consistant en la défense d’un art national, présentant la réalité du peuple, puisant dans sa tradition.

Vladimir Stassov par Ilya Répine

Il est d’ailleurs significatif qu’il écrivait dans les pages dédiés à l’art de la Gazette des nouvelles et du marché boursier, journal des entrepreneurs russes, publié depuis Saint-Pétersbourg. Vladimir Stassov représentait bien la bourgeoisie, mais dans sa dimension réellement démocratique face au féodalisme.

Vladimir Stassov n’a d’ailleurs pas que défendu les ambulants, faisant connaître de très nombreux d’entre eux, comme fit connaître,  comme Perov, Chichkine, Vasnetsov  ; il a été le conseiller du groupe des cinq, cercle de compositeurs partisans de se fonder sur les traditions populaires, et auquel ont appartenu Mili Balakirev (1837-1910), Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Alexandre Borodine (1833-1887), Modeste Moussorgski (1839-1881) et César Cui (1835-1918).

Vladimir Stassov par Ilya Répine

Vladimir Stassov les mit en valeur et les accompagna, les poussant à se professionnaliser, eux qui étaient bien plus jeunes : en 1862, il avait 38 ans, alors que Balakirev avait 25 ans, Cui 27 ans, Moussorgski 23 ans, Rimsky-Korsakov 18 ans, Borodine 28 ans.

A l’inverse, Piotr Tchaïkovski, qui était la grande figure musicale alors, n’était considéré par Vladimir Stassov que comme un « compositeur hautement talentueux », à qui il manquait cependant la « sincérité de la créativité » ; il lui reprochait de ne pas être lié aux éléments nationaux et de tendre à ne pas coller à la production historique : « De la tête aux pieds il fut cosmopolite et éclectique ».

Lui-même avait fondé de son côté une École libre de musique, qui en 1863 avait déjà inscrit 700 étudiants. On a ici une dimension culturelle absolument profonde ; on a ici l’esprit matérialiste qui défend la conception de l’art comme étant issu du peuple et forcément d’expression réaliste. Aux yeux de Vladimir Stassov :

« L’essence de l’art n’est pas le talent seul. Il y a quelque chose qu’on ne peut pas oublier, qui ne peuvent remplacer ni le talent, ni la maîtrise, pas non plus la virtuosité. Il y a quelque chose sans quoi tout est mort et sans valeur. C’est le sentiment sain et direct, l’idée, une appréciation de la vie. »

Vladimir Stassov a été une machine intellectuelle et culturelle au service de cette perspective ; il n’a cessé de batailler, avec de multiples écrits, des articles comme des monographies sur des artistes, mais fournissant également aux artistes des thèmes, de la documentation historique.

De la même manière, en l’honneur des artistes disparus, Vladimir Stassov organisa des concerts, de expositions, la construction de monuments. C’est lui qui fit en sorte qu’Ilya Répine puisse peindre le compositeur Modeste Moussorgski (1839-1881), juste avant sa mort.

Vladimir Stassov se considérait comme ayant compris la portée historique des artistes et il notait que, même s’il pouvait faire des erreurs, le fait est qu’apparemment personne à part lui ne racontait la vie des artistes, leurs œuvres, leurs significations historiques. Il constate ainsi :

« Je me rappelle que dans ma vie il y a eu cent tentatives faites par l’un ou l’autre pour me faire cesser d’écrire sur un tel ou un tel qui était important pour moi. On me disait : c’est trop prématuré, tu devrais attendre, alors que d’autres argumentaient : ce n’est pas à toi mais à quelqu’un d’autre d’écrire.

Mais je n’ai jamais accepté cela et je pense que j’avais raison quand j’écrivais. Je me souviens comment [le grand critique d’art et mécène historique] Tretiakov m’a réprimandé pour avoir écrit une biographie de Kramskoï après sa mort… Mais depuis 1887 douze années complètes ont passé… et personne, vraiment personne n’a écrit une seule ligne sur Kramskoï, pas une mot ou une lettre !! »

Vladimir Stassov considérait que l’art allait de pair avec la civilisation, avec la démocratie, avec la réalité ; les artistes, s’ils étaient authentiques, étaient forcément liés à cela, sans quoi ce n’était plus des artistes. Vladimir Stassov fit notamment cet appel :

« Laissons les artistes seuls depuis le départ. Ne les altérons pas dans leurs sentiments ou leurs pensées, et chacun d’entre eux sera inévitablement national. C’est le plus naturel et le plus simple. Chacun est né avec cela. Ne dérangeons pas une fleur ou un arbre, ne les faisons pas pencher dans une quelconque direction particulière et ils se tourneront d’eux-mêmes vers le soleil – d’où vient leur vie. »

Il est intéressant de voir le point de vue de Vladimir Stassov lorsqu’il critiqua le sculpteur Mark Antokolski (1843-1902), issu d’une famille juive pauvre. Vladimir Stassov avait célébré ses premières œuvres, mais dénonça son opportunisme :

« Je regrette de voir qu’il ne peut plus, jamais plus, y avoir d’accord entre nous !!! Selon moi, tu as changé de voie et la raison pour cela, ce sont les pays étrangers… Tu as cessé d’être le porte-parole des masses plongées dans l’ignorance, des plèbes, de la démocratie… et des individus de la « vie quotidienne ». Maintenant tu es derrière les « aristocrates » de l’humanité  (le Christ, Socrate, Spinoza, Moïse, etc.).

Maintenant, tu n’as plus besoin que de grands noms « historiques » ! Comme si toute l’histoire s’incarnait en eux ! Complètement faux ! Le tailleur juif, L’Inquisition [intervenant contre des Juifs célébrant clandestinement la Pâques] et Controverse sur le Talmud ne sont pas moins historiques, mais, probablement, pour moi, en tout cas, même davantage. »

Cela n’empêche pas Vladimir Stassov de continuer à écrire sur ce sculpteur, d’insister pour qu’après sa mort il soit enterré à Saint-Pétersbourg, d’organiser ses funérailles, d’écrire sa nécrologie, d’organiser une conférence commémorative, de publier sa correspondance et ses articles.

Vladimir Stassov par Ilya Répine

Par la suite chef du département d’Art de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, Vladimir Stassov sera également particulièrement proche du peintre ambulant Ilya Répine, qu’il contribua grandement à faire connaître et qui réalisa plusieurs portraits de lui.

Ilya Répine respecta Vladimir Stassov de la manière la plus absolue, la plus complète, faisant toujours référence à son rôle. Pourtant, Vladimir Stassov fit également des critiques à Ilya Répine, pour sa tendance à s’institutionnaliser et à perdre le lien avec la dignité du réel.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes et le rôle de Vassili Perov

Il serait erroné de penser que l’académie et l’association formaient deux blocs absolument distincts, en confrontation unilatérale. En effet, le régime russe était autocratique, mais la monarchie absolue tentait de trouver un chemin. Cela fait qu’au sein de l’académie, il existait une contradiction entre les forces rigoureusement féodales et conservatrices, et celles partisanes de la monarchie absolue et donc de la modernisation.

L’une des figures clefs qui témoigne de ce conflit est le peintre Vassili Perov (1834-1882). Rentré à l’académie en 1853, il va avoir une carrière pratiquement exemplaire au sein de celle-ci, tout en étant indubitablement un titan du réalisme.

Il obtient ainsi une médaille d’argent dès 1856, pour l’esquisse d’une tête de garçon ; il obtient la même récompense en 1858 pour le tableau L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête, dont le réalisme et l’engagement en faveur du peuple est indubitable.

Par la suite, il obtient deux médailles d’or en 1860, pour La Scène sur la tombe, Le Fils du sacristain promu au premier grade de la Table des rangs, et une nouvelle en 1861 pour le tableau Le Sermon dans le village. Voici les œuvres, qui sont caractéristiques du réalisme russe. Le premier tableau décrit la misère du peuple et comment la religion n’est véritablement qu’une vaine tentative de consolation.

Le second montre la vanité, en l’occurrence d’avancer au premier rang d’un vaste système pratiquement de castes. Le troisième montre les différences de classe dans l’église, avec les pauvres qui sont pieux, alors que le riche s’endort et que sa femme écoute ce que lui raconte celui qu’on devine être son amant.

La Scène sur la tombe
Le Fils du sacristain promu au premier grade de la Table des rang
Le Sermon dans le village

Ces œuvres sont évidemment agressives pour le régime, et pourtant Vassili Perov a pu faire carrière à l’académie. Ses autres œuvres sont dans la même perspective ; voici Repas au monastère, de 1876 ; qui présente de manière particulièrement offensive l’honteuse démarche des prêtres orthodoxes et des classes dominantes.

Les humbles, les pauvres, sont ici présentés comme l’aspect principal d’une société injuste, de type aristocratique-féodale.

Repas au monastère

La procession de Pâques (1861) est également un tableau fameux de Perov, avec une présentation exemplaire et typique du peuple. Encore une fois, la religion est présentée comme un refuge, avec une incapacité de celle-ci d’être à la hauteur, montrant son caractère vain.

La procession de Pâques

Deux autres œuvres témoignent directement de l’incroyable maîtrise réaliste de Vassili Perov. Le réalisme, ce n’est pas qu’un portrait : c’est un portrait typique.

Dans le tableau suivant, Troïka (1866), il est vrai que Vassili Perov force le trait de l’expression, mais c’est justement pour souligner la dimension typique. L’opposition entre les enfants, accompagné du chien fidèle, avec les adultes à l’arrière-plan souffrant, disparaissant pratiquement dans le brouillard, est d’un contraste saisissant.

Troïka

On retrouve le chien fidèle et agressif car protecteur dans Le dernier adieu, terrible tableau de 1865, où le cheval ploie sous la difficulté, autant que l’adulte – une femme – alors qu’un enfant s’agrippe à un cercueil – celui du mari-, le second enfant apparaissant comme malade.

C’est là un portrait qui dépasse ce qu’on voit, le particulier, pour atteindre le général. C’est toute une société qu’on lit dans ce tableau.

 Le dernier adieu

Vassili Perov a une capacité certaine à présenter les situations typiques, dans toute leur densité, leur profondeur, tout en ajoutant un élément de noire ironie, un petit détachement qui permet de contribuer à l’esprit de dénonciation d’un certain type de situation. C’est particulièrement frappant avec La nouvelle gouvernante, tableau de 1866.

La nouvelle gouvernante

Vassili Perov n’a pas hésite à présenter des situations typiques de la vie du peuple. Il prend des situations précises, qu’il présente dans toute leur dignité, la dignité du réel. Voici La queue au réservoir et La dernière taverne à la porte de la ville.

 La queue au réservoir
La dernière taverne à la porte de la ville.

Dans certains cas, Vassili Perov souligne davantage le caractère jovial du peuple, plutôt que son activité lui-même. On présente ici le peuple plus pour ce qu’il est que pour ce qu’il fait. Voici Sur la voie ferréeLes chasseurs se reposent, ainsi que L’oiseleur. On y retrouve une forme de bonhomie, une certaine vision des rapports intimes, tout un style populaire.

Sur la voie ferrée
 Les chasseurs se reposent
L’oiseleur

Il est d’autant plus frappant que Vassili Perov ait pu faire un parcours dans l’académie, alors qu’il se situait aux premières loges du réalisme. Voici son portrait du dramaturge réaliste russe Alexandre Ostrovski, qui est pas moins que le fondateur du théâtre national dans son pays.

Suivent le portrait du très célèbre écrivain Fiodor Dostoïevski, et celui de Vladimir Dahl, qui a compilé 30 000 proverbes et dictons russes dans son Dictionnaire raisonné du russe vivant.

Alexandre Ostrovski
Fiodor Dostoïevski
Vladimir Dahl

L’État finança même en 1862 un voyage à Vassili Perov, dans différentes villes allemandes et à Paris.

Voici des tableaux présentant un aspect de Paris. Il est à noter ici que c’est Vassili Perov lui-même qui demande à rentrer plus tôt en Russie :

« Le manque de connaissance du caractère et de la vie morale du peuple me rend impossible le fait de terminer une quelconque de mes œuvres. »

Malgré son positionnement, Vassili Perov enseigna même à l’académie de 1871 à à sa mort 1882, alors que dans la seconde moitié des années 1860 il avait rejoint l’association des itinérants. Il servit donc d’agent catalyseur au sein même de l’académie, pavant la voie au triomphe général des peintes itinérants (ou ambulantes). Le réalisme, en tant que vecteur du progrès, avançait culturellement et idéologiquement, s’affrontant avec le féodalisme.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes, représentations typiques et collectives

La bataille pour le réalisme n’existe pas qu’entre les courants ; les peintres eux-mêmes oscillent entre deux choix. Victor Vasnétsov (1848-1926), par exemple, fit de la peinture de genre, comme Le Départ de la maison, en 1876, ou encore La préférence, en 1879, avant de basculer ouvertement dans une peinture épique se fondant sur les contes et légendes.

Toute autre fut la démarche de Nikolaï Kassatkine (1859-1930), qui fut fidèle à l’esprit des ambulants et rejoignit ensuite la cause soviétique, étant par ailleurs nommé Artiste du peuple. Lors de ses études à l’académie, il fut un disciple de Vassili Perov, rejoignant en 1890 les expositions itinérantes. Par la suite il enseigna à l’académie et fut profondément marqué par la révolution de 1905.

Voici Les orphelins, Ramassage du charbon par les pauvres à la décharge de la mine, de 1894, Qui ? de 1897, Dans une famille ouvrière de 1890 et Dans le couloir du jugement du district, 1897.

Voici également L’ouvrier combattant, de 1905.

Certaines œuvres de Vassili Sourikov (1848-1916) sont très connus, ce peintre ayant réussi le premier à représenter le peuple dans une fresque historique, en lui accordant le premier rôle.

Vassili Sourikov appartint aux ambulants à partir de 1881, après avoir étudié à l’académie de 1869 à 1875 ; réussit à placer une grande intensité dans ses œuvres, la dimension conflictuelle ressort de manière saisissante. Ses tableaux arrivent à représenter de manière typique le mouvement collectif, à travers un grand esprit de synthèse. Il faut absolument voir ces œuvres en grande taille pour saisir la force de leur détail, pour avoir une vue d’ensemble correct.

Voici La Prise de la forteresse de neige, de 1891. La scène présente une bataille de neige lors de l’équivalent orthodoxe du mardi-gras : une forteresse de neige est bâtie, une équipe la défend et une autre doit la prendre.

Voici deux tableaux où la critique de l’autocratie est patente. 

La Boyarine Morozova (1887) représente Feodosia Morozova, adepte du mouvement des vieux-croyants refusant les changements dans la religion orthodoxe effectué par l’État central au XVIIe siècle, alors qu’elle est arrêtée.

On la voit lever la main en faisant l’ancien signe, avec les deux doigts et non trois comme nouvellement instaurés ; on remarquera que, dans l’abattement général, seul l’ascète, à droite, répond par le même signe, alors qu’à ses côtés une jeune femme baisse la tête et une vieille mendiante donne tout son respect.

C’est là la conscience du peuple, qui respecte et ose s’exprimer, face à la terreur.

Le Matin de l’exécution des Streltsy présente la situation de ces troupes à la suite de l’échec de leur révolte de 1698 contre l’État central. On voit ces soldats, avec leur famille éplorée, avant l’exécution. Leur fierté est ostensible, tout autant que la dimension terriblement pathétique et collective, en plein centre de Moscou.

Le tableau suivant est intitulé La Conquête de la Sibérie par Ermak et date de 1895. Il présente l’affrontement avec les tatares pour l’élargissement historique de la Russie à l’est.

Voici également un tableau de 1899, intitulé La Marche de Souvorov à travers les Alpes et dont la dimension épique se combine avec l’humour. On y voit, de manière stylisée, la traversée des Alpes par l’armée russe en 1799, dans le cadre des batailles napoléoniennes.

Vassili Sourikov est un excellent exemple de peintre ambulant reconnaissant toute son importance à la question historique et voici un dernier exemple très pertinent, puisque datant de 1906, l’année suivant la révolution de 1905. Stepan Razine présente ce dirigeant cosaque qui organisa une grande révolte contre l’autocratie, au XVIIe siècle, manquant de faire s’effondrer le régime et devenant un personnage de folklore.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes: reconnaissance sociale, contraste social

Grigori Miassoïédov (1834-1911) étudia de 1853 à 1862 à l’académie, puis joua un rôle éminent au sein des ambulants, en tant qu’animateur et organisateur. Ses peintures concernant la paysannerie font de lui un véritable maître du genre.

Voici un tableau de 1872 intitulé Le Zemstvo déjeune.

Il s’agit de membres d’un organe administratif  paysan, où l’autogestion sert bien sûr de relais aux classes dominantes. Celles-ci sont symbolisées sur ce tableau par l’intermédiaire d’une personne faisant la vaisselle, que l’on voit par la fenêtre, alors que les paysans n’ont pas d’endroit pour manger, à part la rue elle-même. Le contraste de classe est ici présenté non pas de manière abstraite, mais dans un portrait allant au typique.

Le Zemstvo déjeune

La Lecture du manifeste du 19 février 1861, tableau de 1873, montre des paysans – souvent illettrés – en train de lire le document d’abolition du servage, promu par Alexandre II.

Ce dernier avait compris que la Russie féodale – 60 millions d’habitants alors dont 50 millions de paysans – courait à la défaite, comme en témoignait la défaite en Crimée de son père Nicolas Ier. L’abolition du servage fut une tentative de modernisation, dans le cadre d’une élaboration d’une monarchie absolue.

 Lecture du manifeste du 19 février 1861

Les Faucheurs, tableau de 1887, s’inscrivent dans ce cadre de la reconnaissance démocratique de la paysannerie, contre les classes dominantes. Le travail en lui-même se voit reconnu une valeur, dans l’esprit de la bourgeoisie, mais là ce sont les masses elles-mêmes qui sont valorisées.

Faucheurs

Le Sentier dans un champ de seigle, de 1881, témoigne qu’au travail s’ajoute toujours chez les ambulants la reconnaissance de la nature, non pas simplement comme paysage (comme en France), mais bien comme cadre de la vie nationale, comme pays.

Le Sentier dans un champ de seigle

Voici une œuvre très intéressante également, où Grigori Miassoïédov montre le rapport des paysans aux propriétaires, avec Les jeunes mariés chez le propriétaire terrien, de 1861.

Les jeunes mariés chez le propriétaire terrien

En fait, avec les ambulants, tous les aspects de la vie pouvaient être représenter, du moment qu’ils étaient ancrés dans le réel, avec une dimension typique et dans le respect de la dignité de ce qui est représenté. Nikolaï Bogdanov-Belski (1868-1945), qui passa par l’académie puis participa aux expositions itinérantes, avant de rejoindre la Société des ambulants en 1895, s’intéressa notamment particulièrement à l’école.

Voici Calcul mental à l’école populaire de S. A. Ratchinski et Dimanche de lecture dans une école rurale, deux tableaux de 1895, suivis de Au seuil de la classe de 1897.

Calcul mental à l’école populaire de S. A. Ratchinski
 Dimanche de lecture dans une école rurale
Au seuil de la classe

Venant d’une famille de paysans, Abram Arkhipov (1862-1930) étudia à l’académie de 1877 à 1883, puis en 1886-1887, étudiant aux Beaux-Arts entretemps. Il participe à partir de 1889 aux expositions itinérantes et rejoignit les ambulants en 1891, devenant en 1894 enseignant à l’académie.

Son niveau fut indubitablement très grand et il fut l’un des tout premiers peintres à recevoir de la Russie socialiste le titre d’Artiste du peuple ; lui-même continua d’enseigner dans les structures soviétiques moscovites, l’Ateliers supérieurs d’art et de techniques de Moscou (Vkhoutemas), puis l’Association des artistes de la Russie révolutionnaire (AkhRR).

Voici Sur l’Oka, de 1889, Après le dégel en attendant le bateau et Radonitsa avant la liturgie, de 1892.

Sur l’Oka
Après le dégel en attendant le bateau
Radonitsa avant la liturgie

Voici également de lui, Les blanchisseuses, de 1890.

Les blanchisseuses

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes et la société des expositions itinérantes

L’artel avait réussi à promouvoir une indépendance des artistes réalistes par rapport à l’autocratie.

Le terme le plus exact serait ici celui d’autonomie ; l’artel avait d’ailleurs comme pratique de mener des réunions tous les jeudis, pour échanger sur la situation sociale, les questions artistiques.

Il est significatif d’ailleurs que l’artel refusait ce qui apparaissait comme décadent – comme le jeu de cartes – pour privilégier des jeux candides, comme le colin maillard. Les artistes étaient tournés vers le peuple, vers sa réalité, et à ce titre l’artel participa à une exposition à Nijni Novgorod, dans sa volonté de diffuser sa manière de voir les choses.

Constantin Makovski, Baiser rituel

Une conception aussi puissante ne pouvait qu’avancer, malgré les détours. Aussi, une nouvelle association d’entraide apparut, en 1870, fondée par Ivan Kramskoï, avec Grigori Miassoïédov, Vassili Pérov et Nikolaï Gay.

L’idée était brillante : les expositions collectives qui se tinrent chaque année à Saint-Pétersbourg et Moscou, à partir de 1871, étaient réitérées dans les autres villes importantes : Kiev et Kharkov tout d’abord, puis ensuite des villes comme Tula, Saratov, Yaroslav, Poltava, Koursk, Kichinev, Odessa, Astrakhan, Kazan, Elizavetgrad, Vilna, Varsovie. Les œuvres peintres devaient l’être spécifiquement pour une exposition.

Constantin Makovski, Noce dans une famille boyarde, 1883

Dans cette logique les peintres assumèrent comme identité le terme « itinérants », en russe « pérédvijniki », qu’on traduit également par « ambulants ». La société des expositions itinérantes exista alors de 1870 à 1923, réalisant 48 expositions itinérantes au total.

Le succès fut énorme. A l’opposé de l’artel, né d’un coup de force des quatorze à l’académie, cette fois les peintres étaient connus, leur conception limpide, leur initiative parfaitement lisible. L’organisation était beaucoup plus rodée : on ne pouvait rejoindre l’association qu’à l’issue d’un vote une fois l’an, avec présentation d’une œuvre.

Constantin Makovski, [Le marchand Kuzma] Minin sur la place de Nizhny Novgorod, appelant les gens à faire un don [afin de former des milices patriotiques], 1896

Le mouvement semblait même tellement irrésistible que l’académie dut tenter de converger avec la société des expositions itinérantes, avec les ambulants. La première exposition de la société eut ainsi lieu à l’académie elle-même, avec 46 tableaux. Ce n’était qu’une petite concession, les expositions de l’académie présentant 300-400 œuvres.

Hors de question par contre pour l’académie d’accepter que les itinérants (ou ambulants) choisissent leurs propres œuvres et les présentent en toute indépendance à l’exposition universelle de Londres de 1873 ou à l’exposition panrusse art-industrie de 1880 à Moscou.

Lors de cette dernière exposition, l’académie fit exprès de disperser les 100 œuvres des itinérants parmi 428 exemples d’art officiel, avec es thèmes religieux, classiques, méditerranéens. Les responsables d’entreprises de Moscou répondirent alors en publiant à leurs frais un catalogue des œuvres itinérantes, y compris avec des œuvres polémiques, notamment d’esprit anti-clérical.

Constantin Makovski, Sous la couronne [du mariage]

L’académie fit même en sorte par la suite, en 1885, de concurrencer les expositions itinérantes, avec des expositions concurrentes organisées par ses soins, à des tarifs moins élevés que ceux de l’association. L’impact culturel des itinérants sur les provinces restait toutefois très important, de par l’esprit du progrès qu’ils exprimaient.

A Kiev, Mykola Murashko fonda ainsi une école de dessins dans l’esprit des itinérants et l’exposition itinérante jouait un rôle essentiel dans la formation de ses étudiants. L’école profita du soutien financier de la famille Tereschenko, qui était richissime de par son monopole du sucre (400 000 hectares possédées, 1/5 des travailleurs ukrainiens à leur service, un Tereschenko fut par la suite le ministre des finances du gouvernement Kerensky juste avant octobre 1917). Elle donna également sa collection pour l’ouverture du musée de Kiev, avec de très nombreux tableaux des itinérants.

On a ainsi un conflit clair entre la monarchie absolue exigeant d’intégrer les itinérants et la bourgeoisie soutenant leur démarche. La pression augmenta encore lorsque le grand-duc Vladimir Alexandrovitch, président de l’Académie impériale des Arts, exerça également de vigoureuses pressions sur des membres individuels de l’association des itinérants.

Constantin Makovski, Les augures de la période de Noël, 1905

Finalement, l’académie mit fin aux expositions itinérantes dans ses locaux, interdit ses étudiants d’avoir des liens avec l’association, alors que la ville de Saint-Pétersbourg fit toute une série de sabotages administratifs pour les empêcher de construire un bâtiment qui leur serait dédié.

Une répression fut effectuée sur les expressions favorables aux itinérants : la revue Nouveaux Temps dut cesser la publication de l’essai de Kramskoï, « La destinée de l’art russe » ; la revue illustrée L’abeille fut censurée dans son soutien aux itinérants, puis interdite, son éditeur Adrian Prakhov licencié de son poste d’assistant en histoire de l’art à l’académie.

Une société des expositions artistiques, fondée en 1875, fut également fondée par l’académie comme sas pour retourner les itinérants et les intégrer. Quant à la maison impériale, bien sûr, elle cessa l’achat d’œuvres auprès des itinérants. Comme elle payait 1500 roubles pour une copie et 10-15000 roubles pour un tableau original, ce fut un coup rude : l’entrepreneur et mécène Pavel Tretiakov payait de son côté dans les années 1870 un tableau 1000-2000 roubles, soit plus du double du prix d’un tableau lors des années 1860.

La ligne de démarcation semblait nette entre l’académie et l’association des expositions itinérantes.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La première vague de la peinture des ambulants russes

Ce que Pavel Fedotov n’avait pas pu faire ouvertement, la modification de la situation permit à ses successeurs de le faire. Les institutions officielles avaient permis à partir de 1859 la peinture de la vie quotidienne, avec toutefois au maximum l’obtention d’une médaille d’argent.

Pourtant, dès 1860, Vassili Perov obtient une petite médaille d’or pour sa représentation d’un Fils d’un petit clerc, où on se moque de la fascination pour le premier uniforme, témoignant de l’obtention du premier grade du service civil. 

L’année d’après, ce fut la grande médaille d’or qui fut obtenue, ainsi qu’une bourse pour étudier à l’étranger, pour un Sermon de village. On y voit que la dignité revient aux seuls paysans, alors que l’homme riche dort et que sa femme écoute les ragots ou se fait charmer. Ces deux tableaux marquent l’affirmation du réalisme.

Fils d’un petit clerc
Sermon de village

Ce sont là d’éminents tableaux faisant des portraits de caractère et c’était l’ouverture de toute une série. Désormais, les médailles d’or étaient remises aux peintres tant pour des choix bibliques que pour ceux de la vie quotidienne, et ce malgré les statuts officiels. C’était une victoire et un passage en force du progrès.

Voici le tableau ayant valu la petite médaille d’or de 1861, Le Repos à la moisson d’Alexandre Morozov (1835-1904). Suivent d’autres tableaux de lui : La Sortie d’une église de province datant de l’année suivante et lui valant l’acceptation comme académicien, ainsi que L’École gratuite de village.

Le Repos à la moisson
La Sortie d’une église de province
 L’École gratuite de village

Il faut ici souligner le rôle d’Ivan Nikolaïevitch Kramskoï, qui a joué le rôle moteur dans la révolte des quatorze puis dans l’artel qui fut créé, collectif d’artistes. De 1863 à 1868, il enseigna à l’école de dessin de la Société d’encouragement des artistes et chercha à tout prix à ce que les artistes réalistes ne se fassent pas happer par le régime.

Nikolaïevitch Kramskoï avait affirmé en 1863 qu’il ne fallait jamais chercher un autre que celui d’artiste, et lorsqu’en 1869 l’académie le nomma académicien, il écrivit une lettre pour que ce soit annulé, ce qui ne fut pas fait. C’était là une contradiction évidente dans sa nouvelle situation, d’autant plus douloureuse pour lui, qui fut à la tête de la révolte des quatorze, qu’il y avait alors déjà sept peintres de l’artel qui avaient déjà soumis des peintures à l’académie et obtenu le titre d’académicien.

Ses tableaux les plus connus furent Le garde-forestier (1874), portrait d’un travailleur, chose révolutionnaire ; on a également Le Christ au désert (1872), avec un Christ non pas glorieux dans l’esprit de l’autocratie russe, mais dans la pauvreté et le doute (il s’agit du fameux moment de la tentation effectuée par le diable), ainsi que le Portrait de Mina Moisséïëv (1882).

Le garde-forestier 
Le Christ au désert
Portrait de Mina Moisséïëv

Il faut noter également ses portraits, notamment L’inconnue, de 1883, qui est une œuvre frappant de par sa profondeur, sa densité, ou encore Inconsolable chagrin, de 1884.

L’inconnue
Inconsolable chagrin

Voici Le vieil homme à la béquille.

Le vieil homme à la béquille

Enfin il y a lieu de porter son attention sur ses portraits : celui de Léon Tolstoï en 1873, de Nékrassov composant les derniers chants en 1877, de l’illustre auteur national ukrainien Taras Chevtchenko et du peintre Litovtchenko en 1878.

Léon Tolstoï
Nékrassov
Taras Chevtchenko
Litovtchenko

Nikolaïevitch Kramskoï fut un combattant inlassable en faveur du réalisme et de l’autonomie des artistes face au régime ; le peintre Ilya Répine lui dira ainsi :

« Tu es vite devenu le dirigeant du groupe de jeunes, les plus doués et les plus instruits, de l’Académie des Beaux-Arts. Avec une énergie gigantesque tu as fondé l’une après l’autre deux associations artistiques, tu renversas irrévocablement les sommités classiques vétustes et fis respecter et aimer la création artistique de notre pays. Citoyen et peintre, tu as bien mérité un monument national ! »

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes, de Karl Brioullov à Pavel Fedotov

Le choix de la peinture dite de genre fut effectué par les peintres eux-mêmes et pourtant, cela put s’insérer dans la société où le tsar décidait de tout. Comment cela a-t-il pu se passer ?

En fait, le tsar avait compris que le développement de son pouvoir nécessitait la reconnaissance de la modernisation, exactement comme avec la monarchie absolue au XVIIe siècle en France. Cela fait qu’au milieu des années 1850, c’est une seconde vague des peintres démocratiques qui intervient en fait, après l’échec de la première qui était par contre née contre le régime.

En 1825 avait eu lieu en effet une tentative de coup d’État, à l’occasion de l’intronisation du nouveau tsar, Nicolas Ier. A l’initiative notamment du colonel républicain Pavel Pestel (1793-1825), les « décabristes » (c’est-à-dire les « décembristes ») tentaient d’arracher par la force une constitution et l’abolition du servage.

Leur échec fut suivi d’une intense répression et l’autocratie se maintint par la suite, avec une brutalité extrême. L’opposition fut difficile, et on trouve notamment le « cercle » organisé par Mikhaïl Petrachevski (1821-1866), dont les membres furent souvent arrêtés, victimes de simulacres d’exécution, déportés aux travaux forcés, etc.

Le membre le plus connu du cercle fut l’écrivain Fiodor Dostoïevski et le peintre Pavel Fedotov (1815 – 1852) en était proche, mais sa marge de manœuvre était nulle. Aussi, son approche démocratique – passant par le réalisme – devait se placer au service du régime, tout en profitant d’une petite touche désinvolte et d’un sens très marqué pour la moquerie.

Pavel Fedotov, auo-portrait

Il était en cela influencé par le fabuliste Ivan Krylov (1769-1844), qui était en quelque sorte le La Fontaine russe. Ivan Krylov avait d’ailleurs encouragé Pavel Fedotov à quitter l’armée – il venait d’un milieu extrêmement pauvre, son père était un lieutenant à la retraite qui l’avait poussé à s’engager.

Pavel Fedotov demanda cependant, avant de se lancer, l’avis de Karl Brioullov, le premier peintre russe à disposer d’une renommée internationale. Karl Brioullov était parti en Italie, où il avait obtenu un succès retentissant avec Le Dernier Jour de Pompéi, peint au début des années 1830 et faisant 6,5 mètres sur 4,5. Son retour en Russie fut alors triomphal.

Voici deux autres peintures de Karl Brioullov marquée par le mouvement, la vivacité, la tendance au portrait d’une situation et de leurs caractères : Le siège de Pskov par Étienne Báthory, ainsi que La Fontaine de Bahchisaraja.

Le siège de Pskov par Étienne Báthory
La Fontaine de Bahchisaraja

Karl Brioullov était en pratique le premier peintre russe à rompre avec l’esprit précédent qui ne faisait que tenter de former un néo-classicisme sans contenu, simplement formel. Sans aller jusqu’à la représentation de la réalité, il promeut un style plus personnel, d’esprit romantique.

Voici le Portrait de la comtesse Ioulia Samoilova avec sa fille Amazilia Paccini,  La cavalière (avec Amazilia et sa soeur Giovannina), Cavaliers, Olga Fersen sur un âne, Portrait de Prince Mikhail Obolensky.

Portrait de la comtesse Ioulia Samoilova avec sa fille Amazilia Paccini
La cavalière (avec Amazilia et sa soeur Giovannina)
Cavaliers
Olga Fersen sur un âne
Portrait de Prince Mikhail Obolensky

Karl Brioullov a donc encouragé Pavel Fedotov, dont il admirait le travail. Pavel Fedotov n’abandonna l’armée que par la suite pourtant, car cela signifiait une vie dans la misère la plus totale, en attendant une reconnaissance éventuelle.

Celle-ci se produisit, en fin de compte, notamment avec Fiançailles d’un major, qui présente la demande en mariage d’un major endetté. Le mariage est présenté comme une cérémonie au caractère faux, car calculé. L’esprit moqueur se retrouve également avec La fiancée difficile, où les parents écoutent et… espèrent.

 Fiançailles d’un major
La fiancée difficile

Voici deux autres oeuvres typiques de la démarche de Pavel Fedotov. Le Petit-déjeuner d’un aristocrate nous montre la vanité de l’aristocrate interrompu en catastrophe dans son train-train quotidien, alors que Fraîchement médaillé montre la matinée d’un bureaucrate ayant reçu sa première médaille, affirmant son orgueil ridicule.

Enfin, Une jeune veuve présente la situation dramatique d’une jeune femme enceinte ayant perdu son mari et donc étant désocialisé dans la Russie tsariste et son organisation féodale pratiquement en castes.

Petit-déjeuner d’un aristocrate
Fraîchement médaillé 
Une jeune veuve

Pavel Fedotov ne vécut cependant pas à la bonne époque. La répression était générale ; il n’y avait pas de place pour la représentation du réel. La revue Sovremennik (Le contemporain) à laquelle il était lié fut interdite, lui-même sombrera dans la folie et mourra à 37 ans.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes et la «révolte des quatorze»

Repartons en arrière et voyons comment se déroula la rupture avec l’académisme qui se déroule donc vers les années 1860.

En fait, cet académisme exigeait les thèmes que le régime comptait mettre en avant. Il s’agit de ceux se fondant sur le style pseudo-classique, célébrant le conservatisme, l’approche formelle de la vie, superficielle de la réalité, quand cette dernière n’était simplement niée.

L’académisme célébrait donc les scènes de la Bible, la vie des « saints », des thèmes historiques de l’antiquité gréco-romaine, des sujets mythologiques.

Cette tendance avait été décidé par Nicolas Ier, qui a régné de 1825 à 1855. Il avait prit, de ce fait, le parti-pris opposé de Catherine II de Russie. C’est effectivement celle-ci qui était à l’origine de l’académie impériale des arts ; lorsqu’elle promulgua ses statuts en 1764, elle prit comme modèle l’académie des Beaux-arts fondé en France par Colbert pour Louis XIV.

L’idée était de promouvoir des artistes contribuant à l’esprit nouveau, c’est-à-dire aux attentes de la monarchie absolue dans sa critique partielle du féodalisme.

A ce titre, les artistes ne pouvaient pas être appelées par l’armée ni par quelque organisme d’État qui soit et même s’ils venaient de classes sociales défavorisées, ils avaient accès aux salons littéraires, à une formation du meilleur niveau, bref tout pour rejoindre une intelligentsia contribuant à faire progresser la Russie.

Avec Nicolas Ier, cette ligne indéniablement libérale dans les arts, consistant en un soutien d’État aux artistes, se modifia radicalement, les contrôles administratifs devenant la norme et les tableaux devant obéir aux critères esthétiques de l’autocratie tsariste.

Nicolas Ier prit cela très au sérieux : il nommait lui-même les professeurs, portait son attention sur l’évolution des étudiants. En visite à Rome, en 1839, il fit même une inspection pour surveiller les peintres boursiers présents dans cette ville.

Nicolas Ier doubla également pratiquement la taille des statuts de l’académie, en ajoutant deux amendements.

Exposition dans les salles de l’Académie impériale des arts

Il y avait auparavant deux rangs qui existaient jusque-là – peintre au niveau du 14e rang civil (le plus bas) pouvant travailler librement en tant que tel dans l’empire et académicien au niveau du 10e rang. Nicolas Ier remplaça ce double niveau par toute une hiérarchie de rangs et de titres, le tout supervisé par l’administration, avec des périodes de probation, des examens, etc.

Ce classement permettait à Nicolas Ier de casser l’unité des artistes et de les placer devant des possibilités de carrière, exigeant d’eux une mentalité absolument soumise, puisque le risque était de ne pas se voir reconnu du tout comme peintre, ou bien de ne plus progresser dans l’échelle des rangs.

La tête de l’administration de l’académie passa d’ailleurs désormais entièrement dans les rangs de la famille royale, ainsi que du ministère de l’éducation à celui de la maison impériale, accentuant la pression. Sur le plan de l’encadrement, c’était désormais la discipline militaire qui devait être suivie, avec une surveillance, des baraquements pour logement, la menace d’être envoyé dans l’armée pour 25 ans, etc.

Nicolas Ier

Enfin, les concours pour la médaille d’or prenaient un tournant très éloigné de toute approche artistique. Une fois le thème donné, les peintres étaient surveillés pendant les vingt-quatre heures où ils devaient faire une esquisse, qu’ils n’avaient plus le droit de modifier pendant l’année de sa réalisation.

Quant aux écoles d’art qui étaient privées, elles voyaient leurs artistes systématiquement mis de côté, avec un monopole de l’académie sur les titres et les médailles, et le refus systématique d’ouvrir des annexes dans les autres grandes villes.

Un enseignement au sein de l’Académie impériale des arts

Seules deux grandes écoles prévalaient, à Moscou et Saint-Pétersbourg, le ministère de la maison royale encadrant la vie de celles-ci, celle de Saint-Pétersbourg ayant la prévalence absolue, celle de Moscou ne fournissant que le niveau plus bas de diplôme et de reconnaissance.

La société pour la promotion des artistes de Saint-Pétersbourg fut pareillement « nationalisé » par le tsar, devenant une « société impériale » sous son contrôle. L’État mettait la main-mise sur la vie des artistes et leur existence financière ; en 1860, il n’y a à Saint-Pétersbourg que trois ateliers privés d’artistes.

La mort de Nicolas Ier se produisit dans une atmosphère d’opposition révolutionnaire grandissante et les jeunes peintres grondaient contre l’académisme de l’autocratie. Cela aboutit au premier choc, avec la « révolte des quatorze », en 1863.

Cette révolte, dirigée par le peintre Ivan Kramskoï (1837-1887), accompagné de douze autres peintres et d’un sculpteur, consista à exiger que le Conseil de l’Académie abandonne son exigence, pour son concours, de ne peindre que des thèmes de l’antiquité ou de l’histoire, notamment biblique.

Ivan Kramskoï

Les demandes restèrent sans réponse et les peintres rejetèrent le choix de l’académie tiré de la mythologie scandinave, consistant en un banquet au Valhalla en présence d’Odin avec ses deux corbeaux, avec en arrière-plan des nuages et des loups.

La réponse fut simple : les quatorze peintres furent privés de diplôme, leur atelier supprimé, toute aide matérielle empêchée, leurs activités surveillées par la police. En réaction, ils organisèrent un atelier des peintres, discutant et peignant ensemble, composant une sorte de petite association professionnelle : l’artel des artistes.

Les 14 peintres formant l’artel des artistes, avec de gauche à droite Johann Gottlieb Wenig, Firs Jouravliov, Alexandre Morozov, Kirill Lemokh, Ivan Kramskoï, Alexandre Litovtchenko, Constantin Makovski, Nikolaï Dmitriev-Orenbourgski, Nikolaï Petrovitch Petrov, Vassili Kreïtan, Mikhaïl Peskov, Nikolaï Choustov, Alexeï Korzoukhine, Alexandre Grigoriev

Cinq peintres s’installent alors ensemble, avec chacun une chambre et un lit, se partageant trois ateliers d’artistes, les autres du groupe des quatorze habitant das leurs propres logements. Le peintre Ilya Répine raconte à ce sujet :

« Après avoir beaucoup hésité, ils sont arrivés à la conclusion, qu’il fallait s’organiser et avec les autorisations officielles créer un artel d’artistes.

C’est-à-dire une sorte de coopérative artistique avec atelier et bureau, prenant ses commandes dans la rue, avec un panneau publicitaire et des statuts en bonne et due forme, approuvés par tous.

Ils ont choisi un grand appartement du côté de la ligne XVII sur l’ile Vassilievski, et s’y sont installés ensemble. »

Il y eut des succès, des commandes, et même des titres donnés par l’académie à certains, mais ce processus collectif se heurtait aux tendances individualistes de ces artistes portant les exigences bourgeoises de reconnaissance individuelle.

En théorie, il y avait ainsi une caisse commune, chacun devant donner 10% de ses ventes de tableaux, 25 % si la peinture a été faite collectivement. L’individualisme des artistes prima cependant rapidement et ceux qui réussissent s’en vont, alors que d’autres tentent leur chance individuellement. Ilya Répine raconte ainsi :

« Dans l’Artel, ce fut le début des malentendus. Cela commence par une dispute de famille entre les épouses de deux associés et cela se termine quand les deux associés quittent l’Artel. Un des membres demande une faveur spéciale à l’Académie pour obtenir un voyage à l’étranger au frais de l’Etat.

Kramskoï estime que c’est une violation des principes de l’Artel : ne pas chercher à flatter l’Académie pour obtenir des faveurs au profit d’un seul comme cela avait été décidé à la création de celle-ci, lors de la révolte des quatorze. Ne pas non plus se laisser appâter par la vente de ses talents.

Kramskoï demande alors, par écrit, à ses amis de s’exprimer sur ce qu’ils pensent du comportement d’un des leurs. Ils répondent évasivement ou se taisent. Suite à cela Kramskoï sortit de l’Artel des artistes. Après sa sortie l’Artel perd sa raison d’être et disparaît. »

Toutefois, malgré cette défaite, la révolte des quatorze a été un réel affrontement avec l’autocratie. Il va alors se dérouler une convergence entre ces peintres réalistes et le successeur de Nicolas Ier, qui choisit l’option d’aller vers la monarchie absolue.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

La peinture des ambulants russes: un premier tournant avec trois œuvres significatives et magistrales

Pour comprendre la dynamique des ambulants, il faut saisir la situation des arts et des lettres dans le cadre historique de l’époque.

Lors de la première moitié du XIXe siècle, les peintres étaient considérés en Russie comme un simple outil idéologique de l’autocratie, qui passait des commandes et surveillait toutes les activités artistiques ; il y avait très peu de connaissances de la peinture dans les autres pays, et les artistes venaient des couches inférieures de la société, étant dévalorisés et à la merci dans un système de castes.

Il n’existait que deux lieux pour l’existence sociale des peintres, qui étaient sinon à la merci du régime, notamment du service militaire et des impôts s’ils venaient de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie : l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et l’Institut moscovite pour la peinture.

C’est là qu’on va assister à un tournant. Trois ans après la mort du tsar Nicolas Ier en 1855, est exposé à l’académie l’œuvre de Vassili Perov L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête. 

C’est une œuvre magistrale, un portait réaliste de pleine dignité, exposant la vérité de l’arbitraire, des conditions de vie face à l’autocratie et sa machinerie répressive. C’est un reflet réaliste où les moindres détails exposent la vie telle qu’elle est alors, non seulement en particulier avec une situation précise, mais en général.

L’Arrivée du chef de la stanitza pour l’enquête

Une telle œuvre était un coup de semonce ; c’était un assaut des forces du progrès contre la réaction. La bataille pour la reconnaissance de la réalité et de son caractère s’étendait jusqu’à la repésentation synthétisée du monde.

L’œuvre marquante, celle du tournant, fut alors celle connue en français sous le titre de Union mal assortie, ou encore Le Mariage arrangé, ou Mésalliance, réalisée par Vassili Poukirev (1832-1890). Ce dernier obtint même en 1862 le titre de professeur de peinture pour cette œuvre, au sein du sénat académique qui avait commencé à remettre des médailles également pour les peintures de genre.

On a ici une œuvre qui est l’équivalent, dans son contenu, des œuvres de Molière, à ceci près que dans notre pays, les arts et les lettres ont exposé leur contenu culturel démocratique par le contenu psychologique ; en Russie, c’est sur la typisation des caractères que l’accent a été mis. On a ici un véritable chef d’œuvre.

Union mal assortie

La portée de cette œuvre ne saurait être sous-estimée, dans le contexte terrible de la Russie d’alors. Il s’agit d’une critique offensive d’un mariage arrangé, avec un vieil homme dignitaire de la croix de l’ordre de Saint-Vladimir se mariant à une jeune femme clairement souffrante de cela, mariage se réalisant avec l’appui direct du clergé complice. Le contenu est ouvertement anti-féodal, la charge politique est immense, sa dimension culturelle évidente.

L’affirmation de cette œuvre se place à un moment clef : elle suit immédiatement la décision par le tsar Alexandre II d’abolir le servage, en 1861. On a ici, comme avec Molière et la monarchie absolue, une tendance progressiste qui s’affirme dans la société russe.

Une seconde œuvre significative de la même période fut La Cène de Nikolaï Gay (1831-1894). En apparence, il s’agit d’une image religieuse, mais le modèle de Jésus est ni plus ni moins qu’Alexandre Herzen (1812–1870), le chef de file des partisans de la modernité en Russie alors, dont l’activité joua justement un rôle pour l’abolition du servage de 1861.

Alexandre Herzen était en exil à Londres, suite à la répression du père d’Alexandre II, Nicolas I, un autocrate ayant menée une répression féodale impitoyable ; Nikolaï Gay travailla en s’appuyant sur une photographie de Herzen, on reconnaît ici le parcours du réalisme et de ses exigences.

Le fait est que, à l’occasion de l’exposition de ce tableau en 1863, le tsar Alexandre II nomma Nikolaï Gay professeur de peintre à l’académie impérial. Là encore, l’œuvre – depuis sa réalisation jusqu’à sa reconnaissance sociale – est ouvertement politique et progressiste. 

La Cène

Tant l’Union mal assortie que La Cène témoigne d’une nouvelle époque, où la monarchie tente de réaliser le cheminement vers le pouvoir absolu, et profite des artistes nés du développement de l’État russe, qui ne venaient pas des classes dominantes d’une société ultra-hiérarchisée et totalement rigide.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

Introduction à la peinture des ambulants russes

En France, on apprécie historiquement beaucoup la littérature russe de la seconde moitié du XIXe siècle, les fameux Fiodor Dostoïevski, Anton Tchekhov, Nicolas Gogol, Ivan Tourgueniev, Léon Tolstoï.

Il est fort étrange, à ce titre, que n’aient pas été connus les peintres dits ambulants ou itinérants, parce qu’ils organisaient des expositions à travers la Russie. Leurs tableaux sont un équivalent direct de cette littérature si appréciée ; leur niveau culturel est extrêmement élevé, leur intensité interpelle nécessairement quiconque s’intéresse à l’art et à la peinture en particulier.

On pourrait faire un parallèle, par ailleurs, avec la musique : si Piotr Tchaïkovsky est célèbre, pourquoi donc Modeste Moussorgski et Nikolaï Rimski-Korsakov passent-ils tant à l’arrière-plan ? Pourquoi en est-il de même avec leurs prédécesseurs, Alexandre Dargomyjski et Mikhaïl Glinka ?

Alexandre Makovski, Je m’ennuie avec toi, 1897

Au-delà des différences culturelles et de la distance géographique entre la Russie et la France, il y a surtout le fait que la Russie a été en retard dans le développement du capitalisme, et que la bourgeoisie française ne s’intéressait déjà plus à ce qu’elle avait pourtant elle-même déjà porté.

Le réalisme de la peinture des ambulants était d’une telle profondeur que cela ne pouvait que rentrer en confrontation avec une bourgeoisie française basculant dans la célébration du symbolisme et du décadentisme, rentrant de plain-pied dans la Belle Époque, dans la gestion nationaliste du pays et coloniale de l’empire.

L’état d’esprit n’était déjà plus le même entre la bourgeoisie française, triomphante, et la bourgeoisie russe, faible, bataillant contre une féodalité encore omniprésente.

Constantin Savitsky, Le départ à la guerre, 1888

Il est, avec un tel arrière-plan, absolument parlant que, tout au long du XXe siècle, il n’y a pas eu en France de « découverte » de la peinture des ambulants, alors que régulièrement sont célébrés les Malevitch et les Rodtchenko, sans parler des Picasso ou de Warhol.

On peut se demander alors pourquoi le Parti Communiste français n’a rien fait pour faire connaître les ambulants. La raison, ici aussi, est simple : il n’a jamais assumé le réalisme socialiste ; ses théoriciens ont toujours été proches des « modernistes » comme Pablo Picasso. Au début des années 1950, l’ensemble des peintres modernistes était proche du Parti Communiste français, et cela satisfaisait absolument ce dernier.

Il y a ici une véritable faillite idéologique, qui tient à une seule chose : l’incompréhension du rôle progressiste du calvinisme. C’est le protestantisme qui a fait émerger la peinture flamande, son réalisme si fort, si expressif. En France, des artistes comme le graveur Abraham Bosse ou les peintres Le Nain témoignent de cette vigueur réaliste protestante, de cette tendance au réalisme.

Constantin Makovski,
Fédor II et sa mère Maria assassinés par les agents du faux Dimitri,
1862

La tragédie elle-même, portée par Jean Racine à son point le plus éclatant, n’est rien d’autre qu’un réalisme psychologique soutenu par la monarchie absolue comme sorte de calvinisme de remplacement.

L’incompréhension du réalisme russe témoigne, en pratique, de l’incompréhension du cheminement du réalisme français. En France, le réalisme s’est exprimé avec une orientation portant principalement sur la finesse psychologique, sur l’attitude typique. Le réalisme russe s’est, quant à lui, avec verve et franchise, portée davantage sur les situations, dans ce qu’elles ont de typique.

Cela montre que chaque pays apporte sa pierre à l’édifice du matérialisme dialectique en tant qu’idéologie mondiale du prolétariat, idéologie synthétisant les apports de chaque culture démocratique nationale dans le domaine des arts et des lettres.

=>Retour au dossier sur la peinture des ambulants russes

PCMLM : les 80 ans du 6 février 1934

Le PCMLM [devenu le PCF(mlm)] salue la mémoire des masses antifascistes qui se sont levées à la suite du 6 février 1934 ! Il y a 80 ans, l’extrême-droite tentait le coup de force à la suite d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, à Paris.

Cette manifestation visait à soutenir Jean Chiappe, qui venait d’être mis de côté sous la pression des masses populaires : Chiappe était le préfet de police de Paris et menait depuis 1927 une brutale répression contre les rassemblements communistes.

Cette manifestation rentrait dans le contexte de la crise générale du capitalisme, où la bourgeoisie traditionnelle au pouvoir s’effondrait, laissant libre cours à une corruption massive, comme en témoignait alors l’affaire Stavisky (une affaire de fraude fiscale gigantesque ayant abouti au suicide douteux de Serge Staviski et dans lequel un très grand nombre d’hommes politiques étaient mouillés).

L’antiparlementarisme fasciste profitait de cette décadence du personnel politique traditionnel, notamment social-démocrate. Cette manifestation était portée par une extrême-droite encadrée et armée, profitant même d’auto-mitrailleuses et d’avions ; une partie significative de l’armée et de la police était largement acquise à ses idées.

Nombreuses furent les organisations manifestant le 6 février 1934 : les Croix de feu, l’Action française et ses « camelots du roi », Jeunesses patriotes, Solidarité française, etc.

Cette manifestation a culminé dans une tentative de coup de force, de prise d’assaut de l’Assemblée nationale, qui a échoué mais a été marquée par plus de 1500 personnes blessées, les fascistes étant partis à l’assaut, parfois même directement armés.

Mais ce n’est pas la police qui a empêché le fascisme de prendre le pouvoir – c’est au contraire le Parti Communiste qui a triomphé dans cette bataille. C’est un fait que la bourgeoisie, aidée en cela des révisionnistes ayant trahi le communisme, fait tout pour cacher.

Dès le 6 février, les communistes avaient organisé des contre-manifestations particulièrement par le biais de l’Association républicaine des anciens combattants dont les militants se sont opposés à plusieurs reprises aux fascistes – notamment sur le pont Solférino menant à l’Assemblée nationale. Le lendemain tous les faubourgs de Paris étant en alerte.

Alors que le Parti Socialiste renonçait à manifester le 8 février en raison de l’interdiction, le Parti Communiste organisait une grande manifestation illégale le 9 février. Pendant cinq heures, les communistes se sont affrontés à la police, dans une dynamique antifasciste qui fit que les travailleurs socialistes les rejoignirent. Dix révolutionnaires ont laissé la vie dans cet affrontement.

Le 12 février, à l’appel des communistes, tant le syndicat CGTU (alors proche du Parti Communiste) que la CGT (alors proche des socialistes) menèrent la grève générale, 4,5 millions de personnes cessant le travail. La manifestation dans tout le pays rassembla un million de personnes ; 200 000 personnes se rassemblèrent également à Paris pour honorer, le 17 février, les révolutionnaires tombés le 9 février.

Voilà ce qui a empêché le fascisme : une mobilisation populaire à la base, guidée par une idéologie radicale prête à se confronter avec le système capitaliste, une idéologie authentiquement révolutionnaire : le matérialisme dialectique !

Le Parti Communiste, en tant que Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC), a pris le commandement de la bataille antifasciste, il s’est lancé héroïquement dans la bataille, pesant de tout son poids idéologique, politique et culturel. Les masses ont compris alors la direction exigée par le PC-SFIC, et ce dernier les a conduit à la victoire.

Le PCMLM affirme : tel est le chemin nécessaire, tel est le chemin inévitable face au coup de force qui se profile à l’horizon en France, 80 ans après.

Seule une initiative forte d’action antifasciste, fondée sur des comités populaires solidement implantés localement et généralisés dans tout le pays, peut exercer la pression suffisante pour faire temporairement reculer le fascisme.

Seule une action antifasciste authentiquement progressiste, unifiant les progressistes, peut former un noyau dur sur un territoire donné, pour organiser la confrontation avec le fascisme et ses tentatives de prendre le contrôle de la société.

Il y a 80 ans, la juste initiative du PC-SFIC ouvrait la voir à un grand progrès des masses, à leur unification sur une base progressiste, bien que par la suite la direction opportuniste du PC-SFIC, Maurice Thorez en tête, ait saboté les principes du Front populaire pour se mettre à la remorque de la social-démocratie puis du régime bourgeois « démocratique » lui-même.

Le PCMLM affirme en ce sens que le Front populaire a été une initiative tout à fait juste, que seule son application a été, dans un second temps, opportuniste.

Face au trotskysme et à l’anarchisme qui historiquement rejettent l’antifascisme comme front, face aux anarchistes opportunistes qui prétendent assumer l’antifascisme uniquement pour le mettre à la remorque de la social-démocratie, le PCMLM affirme le caractère inévitable de la bataille antifasciste et de l’unification des progressistes sur ce terrain, seule voie pour une confrontation authentique avec le fascisme.

Honneur aux antifascistes tombés lors de la bataille de février 1934 !

Que vive l’exemple du Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste comme avant-garde de la révolution socialiste assumant la bataille antifasciste !

Face aux nouveaux 6 février 1934 qui se profilent, face aux coups de force et aux coups d’État, vive la juste résistance des masses populaires !

Parti Communiste Marxiste Léniniste Maoïste [France]
Février 2014

=>Retour au dossier sur le 6 février 1934

Anniversaire des journées de février 1934 (février 1935)

par Jacques Duclos, SFIC

Voici un an que l’ émeute fasciste de la Place de la Concorde, visant à instaurer en France un régime semblable à celui de Hitler, était refoulée par l’action des masses populaires réalisant leur front unique dans le combat.

Déjà le 6 février 1934 de nombreux camarades socialistes avaient répondu « pr ésent » à l’appel de notre Parti et étaient descendus dans la rue avec les communistes ; plusieurs d’entre eux montèrent même la garde des locaux du Parti et des syndicats unitaires, dans la nuit du 6 au 7.

Devant la menace fasciste le prolétariat ressentait avec intensité la nécessité de réaliser son unité d’action. L’ émeute fasciste rendait sensible aux travailleurs socialistes le besoin de ne pas se tenir à l’ écart de leurs frères communistes, le besoin de ne pas se laisser renouveler l’expérience allemande.

Cela explique pourquoi la manifestation du 9 février 1934 organisée par le Parti communiste rassembla des travailleurs de toutes tendances en dépit de certaines directives.

Des camarades socialistes avaient bien reçu en effet l’ordre de ne répondre qu’aux appels de leur parti, mais cela n’avait point empêché bon nombre d’entre eux de prendre part à la manifestation de la Place de la République dans laquelle le Populaire voyait « la première manifestation prolétarienne après le coup de force fasciste du 6 février. »

C’est le mérite de notre Parti communiste d’avoir su organiser une aussi vigoureuse riposte antifasciste et il est démontré sans contestation possible que la journée du 9 fé vrier fut décisive pour le succès de la grève générale du 12 février.

Ce sont là des constatations désormais historiques que ne changeront pas les arguties du renégat Doriot, champion après tant d’autres, de la lutte anticommuniste et insulteur de l’Union soviétique.

Ce Doriot, dont la bourgeoisie, avec sa presse pourrie, s’emploie à faire un « grand homme » pour son usage, peut bien essayer d’attribuer à d’autres qu’aux communistes les mérites de la réalisation du front unique ; on n’en est pas, avec lui, à une déformation de la vérité près.

Il a bien le front de se présenter comme un champion de l’unité , lui qui a tenté de scissionner le Parti communiste et qui fait tout pour empêcher que soit appliqué à St­ Denis le pacte d’unité d’action entre le Parti socialiste et le Parti communiste.

La vérité c’est que les efforts inlassables déployés par notre Parti pour réaliser le front unique avaient permis aux travailleurs socialistes et communistes de se retrouver dans des Comités de lutte du mouvement Amsterdam­Pleyel.

On ne dira jamais assez combien l’initiative prise par Henri Barbusse et Romain Rolland de convoquer le grand Congrès d’Amsterdam a contribué à faire progresser dans les esprits l’idée de l’unité d’action.

Le Parti communiste appuya dès ses débuts le mouvement contre le fascisme et la guerre et des millions de travailleurs socialistes rejoignirent les comités de lutte, malgré l’interdiction qui leur en était faite.

Ce fut là une première victoire du front unique. Les prolétaires socialistes étaient amenés à penser que si le front unique avait pu être réalisé en Allemagne comme le voulaient les communistes, Hitler n’aurait pas réussi son coup.

L’expérience tragique du fascisme allemand contribuait à faire entrer dans les têtes la nécessité de l’action commune en même temps qu’elle bousculait bien des illusions sur l’ évolution pacifique de la démocratie bourgeoise vers le socialisme.

L’attaque du fascisme en France le 6 février résonna dans les coeurs des travailleurs socialistes et, devant le péril, la volonté de front unique monta avec une rapidité extraordinaire parce que l’initiative communiste du 9 février avait donné une base aux aspirations vers l’unité : l’action pour battre le fascisme.

Depuis, l’unité d’action a fait du chemin, le pacte a été signé , mais il sont adressé s aux Partis de la IIe et de la IIIe Internationale en leur demandant de les soutenir dans leur lutte antifasciste.

Nous avons fait au Parti socialiste S.F.I.O. La proposition de répondre à cet appel en convoquant ensemble une Conférence des Partis socialistes qui à l’exécutif de l’I.O.S. Se déclarèrent partisans de l’unité (Italie, Espagne, Suisse, Pologne, Autriche, France), ainsi que des Partis communistes correspondants, pour commencer enfin à faire à l’ échelle internationale ce que nous faisons en France : l’unité d’action.

Nous n’avons pas encore de réponse officielle, mais notre proposition semble n’avoir pas été favorablement accueillie.

Et cependant il faut aller de l’avant dans la voie de l’unité d’action. Pour battre le fascisme qui déferle sur l’Europe, l’action commune dans tous les pays capitalistes est nécessaire.

Cela non seulement les communistes le pensent mais aussi les militants socialistes de notre pays ; il faudra bien si la classe ouvrière veut se sauver qu’elle ne se laisse pas maintenir en état de division et d’impuissance par des adversaires de l’unité d’action.

Au cours de ce premier anniversaire des événements de février nous pouvons regarder avec fierté les succès de l’unit é d’action dont notre Parti est le champion, nous devons aussi en établissant le bilan de ce qui a été fait, agir pour que demain plus qu’hier l’unité d’action soit l’action .

Avec ténacité , avec la volonté indomptable de pionniers du front unique, nous devons tout faire pour que partout l’unit é d’action soit un fait en France et pour qu’ à l’appel de nos camarades autrichiens se réalise enfin l’unit é d’action internationale et est-­il besoin de le dire, personne ne comprendrait que les camarades socialistes ne fassent pas avec nous les efforts nécessaires pour la faire aboutir.

C’est l’action commune qui par-­dessus tout compte et rien ne doit arrêter ceux qui se sont fixés pour tâche de faire triompher l’unit é d’action qui seule permettra de battre le fascisme.

« Les vaincus d’aujourd’hui seront les vainqueurs de demain, car la défaite est leur maître. Le prolétariat manque de tradition révolutionnaire et d’expérience.

Et c’est seulement au cours de tentatives concrètes, d’erreurs juvéniles, de coups pénibles et de défaites, que le prolétariat acquerra l’ éducation pratique ­ garantie du succès futur. Pour les forces vitales de la révolution dont la poussée ininterrompue constitue la loi naturelle du développement de la société, la défaite signifie stimulation. Le chemin de la victoire va à travers une succession de défaites » (Liebknecht)

=>Retour au dossier sur le 6 février 1934

Pour l’unité d’action antifasciste – SFIC (15 mars 1934)

Résolution du Comité central sur les tâches des communistes adoptée le 15 mars 1934

1

Les événements de ces dernières semaines vérifient dans les faits la justesse des résolutions adoptées par la XIIIe assemblée plénière du Comité exécutif de l’I.C. et par le Comité central dans sa session de janvier.

Les événements de cette dernière période soulignent l’accentuation de l’essor révolutionnaire dans les pays capitalistes (Autriche-Espagne, etc.).

En face du monde capitaliste en pleine crise, l’Union soviétique obtient de nouvelles victoires dans l’édification du socialisme. « Le mouvement des masses ouvrières et paysannes et des soldats est en développement et passe à un niveau plus élevé », comme l’ont montré les combats de classe de février en France. L’activité du Parti communiste a largement contribué à déclencher l’action des masses travailleuses qui, jeunes en tête, ont riposté magnifiquement aux attaques du fascisme, notamment dans la grande manifestation du 9 février ; elles ont réalisé leur front unique d’action auquel s’est toujours opposé le Parti socialiste.

Cela constitue une victoire de la politique menée inlassablement par notre Parti communiste.

2

Le courant de front unique qui entraîne les ouvriers socialistes souligne qu’à l’intérieur de la social-démocratie, contrairement à ce que les opportunistes déclarent et attendent, la crise s’approfondit.

De nouvelles couches de prolétaires se tournent vers notre Parti, lui témoignent leur confiance, et de nombreux ouvriers socialistes voient le salut dans le pouvoir des Soviets, œuvre du parti bolchévik, pilier essentiel de la IIIè Internationale. Les communistes doivent repousser toute tentative d’atténuer les responsabilités du parti socialiste, principal soutien social de la bourgeoisie dans le développement du fascisme. Le Parti socialiste, à l’occasion de son récent conseil national, s’est de nouveau dressé contre le front unique des ouvriers socialistes et communistes.

Il tente d’entraîner la classe ouvrière derrière les « doctrines socialistes » qui ont conduit à leur situation tragique les travailleurs d’Allemagne et d’Autriche.

3

Les organisations du Parti doivent porter les coups essentiels au fascisme, au gouvernement Doumergue-Tardieu-Laval qui en est le fourrier et, naturellement, démasquer la capitulation des gauches.

Une telle orientation de l’activité du Parti aidera à surmonter l’insuffisante rapidité dans les réactions des organisations du Parti et la passivité qui se sont manifestées à la veille des événements, pendant et après.

4

La mobilisation du Parti, qui a abouti à la montée d’une vague de front unique d’action contre le fascisme comme jamais on n’en avait vue en France, a été entravée par les tendances opportunistes de droite qui se sont manifestées pendant et depuis les événements de février.

Les organisations du Parti, en décuplant les efforts pour réaliser le front unique d’action, repousseront toute politique ayant pour conséquence la réalisation d’un bloc avec le Parti socialiste et corrigeront tous les abandons de principe et glissements sur la plate-forme de la social-démocratie.

5

Tenant compte de l’expérience de ces derniers temps, les comités dirigeants et organisations du Parti s’emploieront à liquider rapidement les insuffisances dans le travail d’organisation du Parti, surtout pour ce qui est des manifestations dont il faut pouvoir en toutes circonstances assurer la préparation et la direction.

Les organismes dirigeants du Parti prendront toutes mesures pour pouvoir en toutes circonstances assurer leur tâche de direction. Maintenir le contact avec les diverses organisations du Parti.

La liquidation rapide de toutes nos faiblesses et lenteurs, en ce qui concerne l’organisation d’une autodéfense de masse, constitue une des tâches décisives du moment dans la préparation de la lutte contre le fascisme et les provocations fascistes. Le Comité central salue l’exemple des travailleurs communistes, socialistes, sans parti, des 20è et 15è arrondissements de Paris qui, par leur autodéfense de masse, ont fait reculer les bandes fascistes.

6

Le Parti doit mettre tout en œuvre pour assurer la défaite du fascisme. Pour cela, il doit élargir et consolider les résultats obtenus dans l’application de la tactique du front unique d’action à la base.

Les organisations et membres du Parti doivent se mobiliser pour assurer le succès du rassemblement national antifasciste du 20 mai en développant les actions partielles dans les entre prises, en préparant, par un large travail de front unique auprès des ouvriers socialistes et confédérés, la grève politique de masse, ce qui constitue une des grandes tâches de l’heure, en multipliant les luttes partout et en créant des comités de front unique dans les usines et localités.

Le 1er mai, dont les communistes doivent travailler à faire une journée de grève générale et de démonstration de masse sors le signe du front unique d’action, sera une étape importante dans la préparation du rassemblement national antifasciste.

=>Retour au dossier sur le 6 février 1934

Sur l’autodéfense prolétarienne (février 1934)

par Gaston Mornet, SFIC

Une des questions que notre parti doit étudier d’une façon particulière est la question de l’autodéfense prolétarienne. Plusieurs articles ont paru dans les Cahiers du bolchévisme sur cette question ; nous voulons aujourd’hui apporter notre point de vue. Ce qui a été fait.

Quand nous voulons analyser l’expérience que nous avons déjà du mouvement des groupes d’autodéfense, nous devons revoir comme la plus ancienne, l’organisation de l’Association républicaine des anciens combattants, qui avait formé une organisation nommée « Groupes de défense antifascistes » pour les adultes, et « Jeunes gardes antifascistes » pour les jeunes. Les G.D.A. Et les J.G.A. Étaient organisés avec habits, par sections, compagnies, etc. Ils avaient comme base la lutte contre le fascisme et l’organisation du service d’ordre des réunions.

Tout a été bien jusqu’à l’arrestation de plus de 100 camarades du service d’ordre, habillés en G.D.A., au Cirque de Paris. Ce fut le commencement de la liquidation de cette organisation. La faute de ce mouvement c’est que celui­ci n’était aucunement lié aux masses des ouvriers et des paysans et lorsque la police a jugé le moment opportun pour le liquider, il a disparu sans que les masses ne réagissent.

Le but du mouvement, qui était l’encadrement des masses et leur protection contre les coups de la police et des fascistes, ne fut pas réalisé.

Après ces fautes reconnues un peu plus tard, quels ont été les mots d’ordre lancés qui devaient tenir compte de l’expérience du passé ? Nous voyons à nouveau surgir la question de « comment effectuer l’encadrement des manifestations et meetings ? » et l’on a posé (pour changer avec les GDA. !!!) que la nouvelle organisation doit rassembler sous une impulsion et sous une démonstration générale au sous un patronage unique une organisation par exemple le « Front rouge ».

C’est, avec une autre phraséologie, retourner aux erreurs commises avec les G.D.A.

Comment se pose la question ?Nous prendrons l’article du camarade Darbori, qui reflète l’opinion générale.

Cet article contient beaucoup de choses justes, mais sur l’organisation et le fonctionnement de l’autodéfense la partie exige des réserves les plus expresses.

Le camarade écrit : « Il faut des groupes d’autodéfense très larges, encadrant les travailleurs. »

C’est la même formule que nous retrouvons dans les brochures déjà vieilles concernant « les problèmes de l’auto­défense ».

On doit pouvoir compter sur les membres du Parti comme forces principales d’encadrement des ouvriers, c’est là le pivot de la question.

Darbori conclut : « Je propose une organisation comme nom « Front rouge antifasciste », comme insigne : un poing fermé. » Complétons la pensée de Darbori en indiquant à sa place : « Tenue spéciale comme les GDA. » Or, c’est retomber en plein dans les erreurs du passé, c’est recommencer le travail sectaire, sans liaison avec les masses, du temps de 1928.

Nous devons rompre avec ces tendances et bien comprendre qu’une organisation ne peut avec les moyens physiques et d’éducation protéger les travailleurs en les encadrant.

Pas d’encadrement, pas de préservation par des cadres spéciaux, contre le fascisme et la police, mais l’organisation, par notre parti, de la lutte des masses prolétariennes contre le fascisme et la police.En U.R.S.S., avant la révolution, chaque petit fait était utilisé pour entraîner les masses contre les organisations de soutien de la bourgeoisie.

Bien entendu ce n’est pas du jour au lendemain qu’il est possible à la classe ouvrière d’être victorieuse dans la lutte contre la bourgeoisie. Il est nécessaire de passer par des combats âpres et durs, par des victoires et défaites, mais c’est en passant par ces formes de lutte que le prolétariat apprendra à gagner la victoire.

C’est en commençant par défendre les vendeurs de la presse révolutionnaire, les distributeurs de tracts, les orateurs devant les portes des usines, etc., que nous arriverons à préparer les ouvriers aux événements qui demanderont plus de courage révolutionnaire.

Notre parti est le guide et l’avant­garde du prolétariat et son devoir dans le domaine de l’auto­défense prolétarienne sera de guider et d’indiquer le chemin à la classe ouvrière.

Pour cette lutte, beaucoup de camarades indiquent : « il faut former une organisation».

Par exemple, un camarade, dans un rapport fait pour le Bureau politique du Parti indique, en parlant de la grève des mineurs du Nord, en 1931 : « On peut même aller jusqu’à la création d’organisations d’autodéfense de masse » comme l’a démontré l’exemple des Pics rouges.

Créer une organisation spéciale des mineurs qui lutteront contre les jaunes et la police, comme si les syndicats et notre parti n’ont pas comme tâche d’entraîner tous les mineurs à la lutte dans les piquets de grève. Pourquoi une organisation spéciale et sélectionnée ? Plus loin le camarade développe sa position :

« Les groupes d’autodéfense doivent être les embryons d’organisations de masses. Il ne le seront pas tant que ne sera pas établi clairement leur rôle, leur travail particulier, large, qu’ils ont à accomplir, en tant qu’organisations et ORGANISATIONS LARGES INDÉPENDANTES… »

C’est là encore une manifestation typique du sectarisme, qui se traduisait par le resserrement et la centralisation, qui permettaient de mieux « surveiller » les mouvements.

Le Viè Congrès mondial de l’I.C., tenu en 1928, a pris position sur cette question dans le passage suivant :

« En aucun cas on ne saurait perdre de vue que dans les pays impérialistes, l’existence d’une milice prolétarienne ou d’une garde rouge dans le cadre de l’Etat bourgeois en temps de paix générale est inadmissible et impossible. »

Cette citation est nette et très claire.

Pas de G.D.A., pas d’organisation spéciale, détachée de la masse, par d’organisation spéciale qui aura par exemple, comme le S.R.I, pour la défense des emprisonnés, la tâche plus spéciale de former des soldats de la lutte révolutionnaire.

Toutes les organisations révolutionnaires doivent donner des soldats pour la lutte révolutionnaire.

Comment voyons­nous l’organisation de l’autodéfense prolétarienne ? Aux attaques de la police, des fascistes dans les réunions, dans la rue, devons­nous reculer ?Dans aucun cas.

« Prêcher maintenant la renonciation à la résistance aux ouvriers, Provoqués par la police et les fascistes, ce serait abandonner le terrain de la lutte de classe.. L’autodéfense Prolétarienne contre les agressions armées de la part des colonnes d’assassins officiels et volontaires de la bourgeoisie, n’est pas seulement indispensable, il faut encore l’organiser et la guider de façon consciente. » (I.C. Du I5 août I932.)

Cela veut­il dire qu’à tout prix et à chaque manifestation, comme cela a eu lieu dans certains coins de la France, nous devons attaquer ? Non.

Nous ne devons pas faire l’attaque avec quelques troupes, avec l’avant­garde, mais seulement quand nous avons fait le travail pour que les masses soient avec nous.

Des exemples concrets sont nécessaires, Les ouvriers de Citroën, lorsque la masse était avec eux, lorsqu’ils manifestaient par milliers, ont montré à la police que les masses soudées et homogènes dans leurs luttes, sont capables de leur résister physiquement et d’imposer leurs manifestations.

De même les fonctionnaires et services publics lors de leurs récentes manifestations. La lutte pour imposer la vente de nos journaux ouvriers dans les quartiers prolétariens et autres, ne peut se faire parce que un ou deux bons camarades ont décidé de vendre les journaux, mais quand les organisations et la masse des ouvriers alertés sont prêts à défendre nos camarades.

Non pas lutte physique de un ou deux camarades, mais le bloc compact du prolétariat mobilisé à cet effet par les organisations révolutionnaires.

C’est là que nous touchons à l’organisation pour cette lutte de masses. Darbori pose, lui, l’organisation de centuries avec, tous les soirs, des réunions de culture physique, boxe, jiu­jitsu, etc., etc.., astreindre les membres à des exercices quotidiens de gymnastique suédoise. Ces propositions sont bien la suite logique de l’organisation indiquée, organisation restreinte, sectaire, de quelques camarades qui pourront suivre ces exercices.

Nous indiquons, nous, que chacune des organisations révolutionnaires se réclamant de la lutte de classe, forme son groupe d’autodéfense prolétarienne.

Le P.C., la C.G.T.U., le S.R.I, les C.D.H., les Locataires, le mouvement d’Amsterdam et antifasciste, la F.S.T., les chômeurs, les Coopé, etc., etc., chacune de ces organisations prolétariennes touche une partie de la masse ouvrière et paysanne, elles ont besoin chacune de leur autodéfense, elles doivent donc entraîner leurs adhérents et sympathisants â la défense de leurs manifestations, meetings, vente de journaux, défense d’orateurs, etc.

Prenons l’organisation à la base, dans la localité. L’organisation du Parti communiste de la localité ou de l’arrondissement forme avec ses cellules locales ou d’entreprises, des groupes d’autodéfense. Dans l’usine, les membres du Parti doivent entraîner les ouvriers de l’entreprise à la défense des orateurs, des distributeurs de journaux d’entreprises, etc.

Un membre du P.C., seul dans un atelier, peut fort bien sur cette question de la défense de nos camarades qui viennent devant la porte de l’usine, faire de l’agitation, entraîner avec lui des ouvriers de son coin qui sont d’accord avec lui sur ce point particulier.

Entraîner progressivement ces ouvriers qui commenceront par défendre la distribution du journal d’entreprise du P.C., qui les défend à l’usine, à la défense des réunions de leur usine, et puis plus loin à la défense des réunions de la localité, de l’arrondissement, cela sera le travail du membre du P.C. À l’intérieur de son atelier, car il doit être un homme de masse.

La section syndicale à l’intérieur de l’entreprise pourra faire la même chose que la cellule d’usine. Lorsqu’un événement plus grave viendra (grèves, manifestations, etc.), les groupes d’autodéfense qui, sous la direction de la cellule et de la section auront déjà lutté ensemble, ayant déjà eu l’expérience de la lutte, pourront entraîner la masse des ouvriers aux piquets de grève et à la réussite de leurs manifestations.

Ce schéma de l’organisation de l’autodéfense prolétarienne de l’entreprise, permettra la mobilisation de tous les ouvriers de l’usine à leur propre défense et non l’encadrement des ouvriers par des spécialistes que la police aura tôt fait de liquider par l’arrestation.

Dans ses cellules locales, de quartier, notre parti forme ses groupes de cinq pour la défense des réunions de quartiers, pour la garde des affiches, pour la défense des journaux ouvriers.

Un membre du Parti là aussi peut fort bien, dans sa maison, dans sa rue, trouver des sympathisants qu’il entraînera avec lui pour ce travail.

Le S.R.I. De la localité ou de l’arrondissement, formera aussi son autodéfense, après l’explication sur la nécessité de défendre les vendeurs de la Défense et l’organisation du service d’ordre des fêtes et meetings.

II doit organiser des groupes d’autodéfense avec des camarades qui sont susceptibles de réaliser ce travail.

Nous aurons donc, sur la base locale, les groupes d’autodéfense du P.C. (d’entreprises et locaux), du syndicat (entreprises et locaux), du S.R.I., des chômeurs, etc., etc. Nous pourrons avoir les groupes d’autodéfense dans toutes les organisations révolutionnaires de la localité.

Lorsqu’un meeting ou vente de journaux, ou manifestation commune aura lieu sur la base locale, les responsables de l’autodéfense de chacune des organisations pourront se réunir et étudier la meilleure manière de réaliser au mieux ce travail qui leur sera demandé. Les résultats de cette étude seront proposés par un camarade désigné, aux responsables politiques, des manifestations ou meetings qui décideront de ce qui devra être fait.

Pendant la manifestation ou le meeting, le responsable politique, ou les responsables, auront avec eux, sous leur direction le responsable général de la localité à l’autodéfense, désigné par toutes les organisations révolutionnaires participantes, qui assurera techniquement la bonne marche de la manifestation ou du meeting. Les responsables et même tous les membres de l’autodéfense de la localité pourront se réunir ensemble pour discuter des fautes commises et des lacunes à corriger.

Ils formeront ainsi, quand le besoin s’en fera sentir, le groupe d’autodéfense de la localité.Sur le plan du rayon ou de la région, ou centralement, la même opération que sur la base locale pourra se répéter. Les responsables des organisations révolutionnaires à l’autodéfense se réuniront et pourront désigner un responsable général qui sera chargé de coordonner le travail fait dans chacune des organisations. Ces groupes d’autodéfense à part, feront partie intégrante de la masse qui entoure chacune des organisations révolutionnaires.

Notre parti qui est le dirigeant, l’avant­garde du prolétariat, pourra donc, de ce fait, entraîner, conduire, discipliner le prolétariat et l’entraîner vers des buts que notre Parti aura tracés. Bien entendu, il sera nécessaire d’avoir une grande discipline et d’appliquer ce qui aura été décidé.

On ne pourra pas toujours étudier d’avance toutes les situations, mais les responsables politiques qui auront autour d’eux la masse des ouvriers qui les connaîtront pour les avoir dirigés maintes fois, pourront d’accord avec les autres camarades plus techniquement responsables, prendre les décisions les plus aptes à conserver toujours le contact avec les masses et faire que celles­ci ne sortent pas de l’action diminuées ou amoindries.

Dans cet article, tous les points ne sont pas touchés. Le travail propre à un groupe de 5, à un groupe d’autodéfense, comment nous pensons que les services d’ordre des meetings devraient être réalisés, la tenue et l’organisation des manifestations, etc., doivent encore être précisés et plus détaillés.

Le travail de l’autodéfense doit être posé sous l’angle d’un travail de masse et non sectaire. C’est dans cette voie (malgré certainement des lacunes) que nous avons voulu orienter la question. Les événements vont vite, il est nécessaire d’insister sur ce travail qui est très en retard.

=>Retour au dossier sur le 6 février 1934